lundi 22 septembre 2014

Article où il est question de ce qui est prévu prochainement et d'un peu d'écologie du dix-neuvième siècle

Je vais reprendre mon activité sur le blog
Je prévois un article sur Rimbaud lecteur potentiel de Notre-Dame de Paris, j'ai même depuis longtemps l'idée d'une série d'articles résumant les romans L'âne d'or, Paul et Virginie, Les Travailleurs de la mer, etc, avec quelques remarques concernant leur influence avérée ou non sur l'oeuvre de Rimbaud
Je vais aussi reprendre la mise en ligne des articles autour des Châtiments et la lecture des poèmes en prose

Je remarque l'article suivant sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu


Malheureusement, mon ordi a subi une infection étrange et depuis des mois je ne peux plus consulter correctement les pages du site Gallica de la Bibliothèque Nationale

Je précise toutefois que je suis déjà intervenu sur le sujet, notamment sur le blog Rimbaud ivre, puis sur le mien J'ai expliqué que Beams réécrivait des extraits des poèmes A une Raison et Being Beauteous, mais tout cela ne peut qu'être mis entre parenthèses pour des questions de préséance du rimbaldisme actuel Une tentative de réfutation a été faite et, alors en partenariat avec Jacques Bienvenu j'y ai répondu sur le blog Rimbaud ivre par le menu Le choix ne doit pas être de m'ignorer, mais de continuer à me contester s'il y a lieu en reprenant les éléments du débat là où je les ai conduits, ce que j'attends en m'en réjouissant fortement

Pour les "fleurs arctiques", je ne peux consulter la source possible évoquée dans l'article de Bienvenu, mais comme elle date de 1872, elle n'offre pas d'enjeu réel au plan de la datation des Illuminations, ou alors si la valeur intertextuelle était avérée elle n'exclurait pas l'idée malgré tout d'un poème en prose composé avant Une saison en enfer
La grande idée, c'est qu'en effet les Illuminations ont été composées du milieu de 1872 au milieu de l'année 1873 pour l'essentiel

Pour ce qui est de Jeunesse I Dimanche, la création "peste carbonique" s'impose à l'évidence en tant que jeu de mots
Au dix-neuvième siècle, les conceptions médicales incluaient encore parmi les pestes un certain nombre de maladies, dont maladies du charbon, anthrax, et même en ce qui concerne la peste bubonique il me semble que ce pose le problème d'un symptôme identifié comme "charbon pesteux", ce qui crée un chiasme avec "peste carbonique" si on rapproche les deux expressions
Pour toutes ces raisons, on peut penser que "peste carbonique" est équivalent de "peste bubonique", mais en réalité l'expression "peste carbonique" n'était pas courante comme l'a montré Jacques Bienvenu La peste qualifiée de bubonique se distingue de la peste septicémique et de la peste pneumonique, lesquelles peuvent elles-mêmes être des pestes buboniques en plus compliqué, mais elle ne semble pas s'opposer à un type répertorié de "peste carbonique"

Par conséquent, on se trouve face à l'idée que la mention "peste carbonique" est bel et bien métaphorique Il s'agirait d'un jeu de mots, et l'idée est appuyée par le rapprochement que tout lecteur peut opérer avec le poème des Illuminations intitulé Ville : "Aussi comme [tour exclamatif = aussi combien je vois], de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l'épaisse et éternelle fumée de charbon" Pensons encore à la "sinistre fumée noire" dans Métropolitain

Reprenons maintenant le texte de Rimbaud La lecture n'est pas évidente, mais pour ce qui est de la fin du poème les phrases ne font pas débat, c'est leur succession et la logique thématique qui demandent à être perçues Aux plans grammatical et lexical, aucun souci

En revanche, le début du poème demande un peu d'attention La formule "Les calculs de côté" est un cliché, mais ce n'est pas un groupe nominal comme un autre, une construction participiale est ici sous-entendue : "Les calculs étant mis de côté"
En effet, vous demandez à un élève d'identifier les sujets dans la première phrase du poème : "Les claculs de côté, l'inévitable descente du ciel, la visite des souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure, la tête et le monde de l'esprit", il va vous dire qu'il y a quatre sujets : "calculs de côté", "inévitable descente du ciel", "visite des souvenirs" et "séance des rythmes", alors qu'il est sans doute plus cohérent de reconnaître un complément circonstanciel dans la mention "Les calculs de côté"
Toute l'analyse de la phrase en dépend
Les calculs [de la semaine] étant mis de côté, [le dimanche] l'inévitable descente du ciel [la religion], la visite des souvenirs et la séance des rythmes [mondanités, musique] occupent la demeure, la tête et le monde de l'esprit
Cette première phrase exprime un idéal de vie bien rangée
Si pas le texte dans son ensemble, en tout cas chaque phrase qui suit est beaucoup plus facile à appréhender, à l'exception d'une, précisément la suivante, la première du second paragraphe et celle qui contient la mention "peste carbonique"
Mais, on observera l'étonnante liaison entre "turf suburbain" et "cheval", car le turf fait clairement partie aujourd'hui du langage des courses hippiques La phrase est donc ainsi elle-même éminemment sociologique
Le choix du verbe "détale[r]" évoque la fuite et accompagne l'idée inquiétante de "peste carbonique"

" - Un cheval détale sur le turf suburbain, et le long des cultures et des boisements, percé par la peste carbonique"

Le complément "percé par la peste carbonique" peut aussi bien se rattacher au "cheval" qu'au "turf suburbain", même si l'action du cheval invite plutôt à penser qu'il a été piqué de ce mal comme Io l'a été par un taon dans la mythologie grecque
J'ai tendance à considérer que l'accord est plus logique avec le "cheval" dans la mesure où on a une amplification descriptive de lieu qui ne met pas spécialement en vedette le "turf" : "turf suburbain, boisements, cultures"

La fumée noire de charbon est comme une peste abattue sur la ville et elle frappe ici un cheval, symbole de loisir des classes aisées dans une aire perçue comme plus respirable à l'époque

Il faut rappeler ici que les gens des siècles passés étaient convaincus que dès qu'il y avait de la verdure l'air était moins pollué C'est la logique sous-tendue par la présence agréable de tant de parcs et d'allées dans nos grandes villes Les gens croyaient qu'à la périphérie de la ville soudainement l'air était d'emblée plus pur
Aujourd'hui, nous jouissons des parcs dans les villes comme des havres de paix, comme des moments réjouissants dans un joli décor de Nature embellie, mais il faut bien aussi se représenter le mythe qu'était la pureté supposée de tels lieux, comme si l'air de la ville n'était pas le même dans les parcs, comme si le parc pouvait créer un espace d'air pur préservé C'était une pensée très forte à l'époque et c'est même une pensée qui nous baigne sans que nous en ayons conscience Ce n'est que dans les moments où nous y réfléchissons que nous nous disons que l'air d'un parc n'est pas plus pur qu'ailleurs en ville
Dans le poème de Rimbaud, la question de la pureté ne se pose plus, puisque l'invasion de la fumée est visible à l'oeil nu
C'est cela le sens profond qui est visé
A cette aune, l'idée d'un jeu de mots est évidente

Jacques Bienvenu a donc utilisé un outil de recherches (Lexilogos ou un autre) et il a remarqué la rareté absolue de l'expression "peste carbonique". L'expression apparaît dans un texte de 1824 et dans un autre de 1874
Il y a bien sûr une coïncidence importante entre la période de copie des manuscrits conservés des Illuminations et la coquille "peste carbonique" relevée en mars 1874 dans le journal Le Temps Il m'est impossible de consulter le journal Le Temps mis en ligne sur Gallica à l'aide de mon ordinateur malheureusement J'aurais bien inspecté l'ensemble du contenu du journal pour éprouver si l'hypothèse intertextuelle pouvait s'étoffer d'autres éléments, mais cette coïncidence de dates risque de maximiser un peu vite l'idée d'un intertexte La mention "peste carbonique" n'est rien d'autre qu'une coquille bientôt signalée à l'attention pour "peste bubonique" et au passage pour identifier définitivement la coquille Rimbaud avait intérêt à lire plutôt l'article où la coquille était signalée que l'article sur la peste en train de se propager en Mésopotamie, car pourquoi aurait-il eu le bagage scientifique nécessaire pour identifier l'anomalie de lui-même ? Qui plus est, l'existence de cette coquille interpelle Car celui qui a commis cette erreur, n'ayant sans doute pas su relire un manuscrit, semble avoir trouvé à son oreille que "peste carbonique" était plus familier que "peste bubonique" En effet, malgré la science, les écrits scientifiques, l'expression de "peste carbonique" ne vivait-elle pas de sa propre vie ?
Jacques Bienvenu écarte une autre référence, celle de 1824 (document que cette fois en revanche il m'est loisible de consulter), en considérant qu'elle n'a pas pu être connue de Rimbaud


Toute de même, il s'agit d'une attestation de l'expression "peste carbonique", il s'agit comme dans le cas de Rimbaud d'un jeu de mots Le jeu de mots est plus politique Il s'agit de "purg[er] le pays de la peste carbonique", à savoir des Carbonari Il est assez frappant de constater l'écart entre "carbonique" et "Carbonari" Pourquoi ne pas écrire la peste carbonarique si "peste carbonique" n'est pas déjà une expression disponible ? Cela m'interpelle
Le jeu de mots se prétend sur le modèle "fièvre libérale, lèpre jacobine, peste morale", toutes expressions employées dans le libelle en question Pourquoi la corruption "carbonique"?

L'expression "peste carbonique" ne vivait-elle pas de sa vie propre malgré le manque d'attestations écrites rendue perceptible par nos puissants moyens de recherche informatique actuels ?

Pour contourner (quelque peu) l'effet Rimbaud, on peut chercher l'équivalent anglais "carbonic plague", je constate la présence de quelques occurrences, une autour de la bière, "carbonic plague" et "beer", d'autres encore, sans qu'on ne puisse dire "ah mais bien sûr c'est un lecteur de Rimbaud qui a écrit ça!"
Décidément, cela a de quoi laisser songeur et perplexe!

1 commentaire:

  1. Au sujet de "percé par la peste carbonique", mon raisonnement est le suivant. Si nous avions "le cheval détale sur le turf suburbain, percé...", l'ambiguïté syntaxique serait possible, mais l'ajout "sur le turf suburbain, et le long des boisements et des cultures, percé", rend la liaison impossible entre "turf" et "percé", au seul profit du lien avec "cheval". Une réponse en privé m'offre un autre exemple permettant de conforter le renvoi à "cheval": "Elle a marché sur un trottoir, et sur une passerelle, pas trop beau". On voit que la séparation fait tache, alors qu'on accepterait "Elle a marché sur un trottoir pas trop beau".
    C'est le cheval qui est percé par la peste carbonique. Et l'idée c'est que cela donne une sorte de coup de cravache comme si la fumée était le jockey animant la course effrénée du cheval...
    Le sentiment que cette seconde phrase posait problème venait de ce que je suis tombé sur l'entrée hypallage du site d'Alain Bardel, où je relève des considérations confuses : "Il y a là, en fait une hypallage : le cheval n'est pas "percé" par le smog comme il semblerait ; tout au contraire, c'est lui qui perce le brouillard charbonneux en détalant sur le turf. Peut-être Rimbaud a-t-il été intéressé par ce participe passé passif improprement appliqué au "cheval" pour son possible effet expressif : il suggère que la bête est meurtrie par les conditions handicapantes dans lesquelles on l'oblige à courir." http://abardel.free.fr/glossaire_stylistique/hypallage.htm

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