Cette publication contient une publicité.
*
Conseil : lisez l'article "Tête de faune dans Le Bois" de Glatigny pour l'origine de la variante "perle", pour l'origine de l'emploi de "feuillée", pour l'origine de la rime "feuille"/"recueille", j'ai mis des commentaires pour renvoyer à des articles de 2020 et 2021 où j'annonçais avoir des choses à dire sur "Tête de faune" et "Le Bois", où j'envisageais d'autres sources à "Tête de faune" dans d'autres poèmes de Glatigny. Et maintenant, devinez un article à venir de Chevrier dans le prochain Parade sauvage. Je me suis dépêché de publier mon dossier en sommeil depuis quatre ans. Mon antériorité sera actée.
**
Rimbaud, poète zutique, a réglé des comptes avec plusieurs poètes. Il s'inspirait déjà de vers de Coppée en 1870, mais à part le cas du poème "La Grève des forgerons" Rimbaud n'était pas encore dans les règlements de compte au plan politique. C'est à l'époque même de la Commune que commence la pratique des parodies satiriques de poèmes de Coppée avec "Chant de guerre Parisien" inspiré de "Chant de guerre circassien". Certes, au plan de la signification, le poème "Chant de guerre Parisien" a une certaine autonomie, mais nous sommes en réalité dans un cas de figure très précis : "Chant de guerre Parisien" et "Les Mains de Jeanne-Marie" sont tous deux en quatrains d'octosyllabes, et plusieurs poèmes patriotiques étaient composés à peu près sur ce modèle : des Idylles prussiennes du respecté Banville à plusieurs poèmes de Bergerat et d'autres. Le dernier recueil en date de Victor Hugo était fait en vers courts Chansons des rues et des bois et c'était plus remarquable encore avec Gautier qui avait fait Emaux et camées. Surtout, comme "Chant de guerre Parisien" parodie les quatrains d'octosyllabes de "Chant de guerre circassien" de Coppée, "Les Mains de Jeanne-Marie" parodie les quatrains d'octosyllabes de "Etudes de mains" de Théophile Gautier. Les deux poèmes de Rimbaud traitent un sujet politique d'actualité avec une ardeur polémique, et les cibles parodiques semblent secondaires, alors que Coppée et Gautier ont déclaré publiquement leur hostilité à la Commune.
Rimbaud va plus d'une fois épingler Coppée dans l'Album zutique, mais dans la dynamique du groupe il va aussi épingler Amédée Pommier et Belmontet, l'un réactionnaire et anti-parnassien, l'autre bonapartiste, mais encore Armand Silvestre, protégé de George Sand, qui a lui aussi écrit contre la Commune sous le pseudonyme Ludovic Hans. Rimbaud épingle également Louis Ratisbonne, pour des raisons plus littéraires semble-t-il, mais Ratisbonne fait partie lui aussi avec le Journal des Débats et ses liens familiaux à un milieu pro-versaillais.
Rimbaud parodie aussi Verlaine "Fête galante" et Louis-Xavier de Ricard, deux communards. Il parodie Albert Mérat qui semble avoir été jaloux de Rimbaud et qui répandait des rumeurs sur sa relation avec Verlaine.
J'ajoute que les sonnets en vers d'une syllabe ciblent en plus d'Amédée Pommier l'anti-parnassien Alphonse Daudet, et je prétends très clairement que les poèmes des lettres "du voyant" "Le Coeur supplicié" et "Mes petites amoureuses" ont déjà une allure pré-zutique qui cible notamment Alphonse Daudet : forme de triolets des "Prunes", mention des "caoutchoucs" dans Le Petit Chose, mention du "mouron", allusion au titre de recueil Les Amoureuses, etc. Daudet, avec Paul Arène, et quelques autres, avait écrit Le Parnassiculet contemporain où figure justement le sonnet en vers d'une syllabe tourné contre Verlaine : "Le Martyre de saint Labre".
Face à cette constellation, il faut encore intégrer la parodie "Vu à Rome" à propos de Léon Dierx. Celui-ci n'est pas un défenseur de la religion, et sa poésie semble neutre d'implications quant à l'actualité politique.
Je pense pourtant que Dierx, proche de Mendès et auteur d'un livre Paroles d'un vaincu qui correspond à la position des poètes en général de pleurer les morts de la guerre franco-prussienne, de prôner la revanche, sans s'attarder au sort de la Commune, était finalement lui aussi une cible zutique logique pour Rimbaud. Les liens entre Dierx et Mendès sont importants, ils sont amis, et Mendès dédicace ses Contes épiques de 1876 à Léon Dierx.
J'en viens maintenant au cas de Catulle Mendès.
Murphy a identifié une réécriture du poème "Le Jugement de Chérubin" dans "Les Chercheuses de poux". Malgré l'évidence des rapprochements, l'intérêt de cette source n'arrive pas à faire l'unanimité. On se retrouve dans l'idée que comme pour "Chant de guerre Parisien", "Les Mains de Jeanne-Marie", la source des "Chercheuses de poux" est secondaire pour la compréhension du poème.
Pourtant, dans son roman à clefs Dinah Samuel, et même avant dès 1880 dans un article de journal, Félicien Champsaur, proche des Hydropathes qui n'aimaient ni Verlaine ni Rimbaud, avait décrit une lecture publique du poème "Les Chercheuses de poux" devant Mendès lui-même, travesti en Catulle Tendrès, lequel réagissait par un commentaire aigre-doux si on peut dire.
Donc, on savait le lien du poème avec "Le Jugement de Chérubin" et on lui supposait bien une importance. Comme Armand Silvestre, Mendès avait publié un écrit à chaud de témoignage critique de la vie à Paris sous la Commune.
Enfin, je l'ai déjà dit. Le poème "Oraison du soir" a des tercets rimés ABA BAB, procédé pétrarquiste qui n'a pas été repris en France à l'époque de Marot, Mellin de Saint-Gelais, Ronsard et du Bellay. Charles Nodier y a recouru à l'époque romantique, ce qui est une exception, et Catulle Mendès en a fait sa marque de fabrique dans son recueil Philoméla, et cela se retrouve encore dans quelques sonnets ultérieurs. Par conséquent, "Oraison du soir" suppose lui aussi une allusion à Catulle Mendès, et on voit par certaines rimes et certaines images qu'il y a une allusion à la fois aux Fleurs du Mal de Baudelaire et à des poèmes de Philoméla de Mendès, lequel s'inspirait bien évidemment de la nouveauté de scandale des Fleurs du Mal. J'ajoute que avec "Les Fils des anges", "Le Jugement de Chérubin" fait à nouveau partie des sources les plus plausibles à une nouvelle parodie rimbaldienne. Dans l'ensemble des trois sonnets "Les Immondes", à côté de la parodie de L'Idole de Mérat, nous avons deux autres sonnets de Rimbaud où les tercets sont rimés ABA BAB. Par ailleurs, le mot "écarlatine" dans la parodie de Dierx "Vu à Rome" vient d'une rime du recueil Philoméla également. Enfin, j'ai découvert une nouvelle "Norbert Elias" parue en 1868, qui est une source sensible à certains passages des "Chercheuses de poux".
Le problème avec Mendès, c'est que la chronologie de ses publications est bien mal établie.
Prenons sa fiche "Wikipédia", après son recueil de jeunesse Philoméla, ses principaux titres de gloire dateraient de la période 1888-1898 : Méphistophéla, Les Oiseaux bleus et Le Chercheur de tares. Le dernier titre cité, de 1898, ressemble à celui de Rimbaud "Les Chercheuses de poux", décidément !
En réalité, les titres de gloire de Mendès, c'est d'avoir créé la Revue fantaisiste, d'avoir lancé avec Ricard le mouvement du Parnasse contemporain, puis il a favorisé la publication de L'Assommoir de Zola en revue. Ses écrits abondants n'ont jamais eu un réel intérêt.
En tant que poète, son œuvre est pour moi discontinue et elle est visiblement difficile d'accès et difficile à dater.
Je reste sur la fiche fournie par le site Wikipédia à propos de Catulle Mendès. Nous avons Philoméla en 1863, puis une section de "sonnets", puis Panteleia en 1863. Les auteurs de la fiche Wikipédia croient qu'il s'agit de trois oeuvres distinctes, parce qu'au lieu de consulter l'édition originale de Philoméla ils ont supposé l'existence de trois recueils distincts à cause des remaniements des éditions tardives des Poésies complètes de Catulle Mendès, où le recueil Philoméla est démembré, tandis que le poème "Les Fils des Anges" est passé du côté des Contes épiques.
Rimbaud ayant composé ses poésies avant 1875, il ne faut pas prendre en compte les remaniements de 1876 et au-delà, ni considérer que Rimbaud a pu s'inspirer du recueil Contes épiques paru en 1876.
Il faut se reporter à l'édition de 1863 du recueil Philoméla qui est la seule que Rimbaud ait connue. Elle est disponible sur internet (Gallica, sinon Wikisource). Il faut y ajouter un prélèvement de poèmes parus dans la Revue fantaisiste et qui ne se retrouvent pas forcément dans les éditions ultérieures des poésies de Mendès. Là encore, nous pouvons consulter le contenu de cette revue sur internet, sur le site Gallica de la BNF.
Il est ensuite question d'une publication des Sérénades dans la Revue française. La revue peut-elle être consultée en ligne ? A défaut, je consulter les poèmes en question dans les éditions des Poésies complètes, en espérant qu'il n'y manque rien, que l'ensemble n'a pas été altéré. L'ensemble "Sérénades" intéresse d'évidence la critique verlainienne, il y a des choses à dire au sujet du recueil Poëmes saturniens. Je rappelle que Verlaine, à cause du mouvement parnassien, fréquente à l'époque Catulle Mendès justement, et Verlaine avait un faible pour le recueil Philoméla. Je vous fais part ici de mon jugement personnel. J'apprécie moi aussi quelque peu le charme du recueil Philoméla, même si je ne reconnais pas la présence d'un grand poète. En revanche, j'ai un mépris absolu pour la vacuité des "Sérénades". Ceci dit, force est de constater qu'il y a un sujet pour les études verlainiennes à les rapprocher des Poëmes saturniens.
Ensuite, nous avons une section intitulée "Pagodes" parue dans le premier Parnasse contemporain en 1866. Il s'agit de quatre poèmes qui mixent l'influence de Leconte de Lisle pour l'exotisme mythologique aux vers courts : "Le Mystère du lotus", "Dialogue d'Yama et d'Yamî", "L'Enfant Kriçhna" et "Kamadéva". Je trouve ces quatre poèmes aussi mauvais que l'ensemble "Sérénades". Ce qui se dégage pour moi, c'est qu'après un certain investissement poétique pour le premier recueil Catulle Mendès s'est effondré. Il se laisse aller à des compositions faciles, rapides et dérisoires.
Je poursuis le relevé fourni par la fiche wikipédia. Nous avons deux recueils datés de 1876 : Soirs moroses et Contes épiques. Puis, on repasse en 1872 pour l'édition originelle de Hespérus, puis on a "Intermède" daté de 1871, dont on ne sait trop s'il s'agit d'une édition en revue ou en plaquette. Puis, on passe à une autre référence "Le Soleil de minuit" sans mention de date. Je passe sur les oeuvres datées tardives, je relève une autre référence sans date : "Les Braises du cendrier".
Pour l'activité en prose, du moins romans et nouvelles, Catulle Mendès ne semble avoir publié qu'à partir de 1879.
On voit bien que cette bibliographie n'est pas le moins du monde satisfaisante.
Je reviens à la page Wikisource qui offre elle-même sa propre "bibliographie", sommaire et partielle, mais aussi un peu différente. Cette fois, le recueil Contes épiques est daté de 1872.
Vous avez aussi un ensemble intitulé "Soirs moroses" avec six poèmes référencés : "Spleen d'été", "Soror dolorosa", "L'Absente", "Exhortation", "Oubli", "La Dernière âme". Malheureusement, cinq des six poèmes sont donnés à partir de l'édition des Poésies de 1892, un seul est cité à partir du premier Parnasse contemporain de 1866. En effet, "L'Absente" est le sonnet fourni par Mendès au bouquet final du premier Parnasse contemporain.
Vous commencez à cerner le problème. A son époque, Rimbaud ne pouvait peut-être pas facilement lire des poèmes publiés dans des revues, surtout quand c'était quelques années auparavant. Mais, surtout, qu'est-ce qu'il pouvait avoir lu exactement sous forme de plaquettes, de recueils, sans oublier les publications en prose ? Que publiait Mendès dans les revues, dans la presse, au moment même où Rimbaud était à Paris avec Verlaine, les zutistes et quelques autres Vilains Bonshommes ? Quelles étaient les publications exactes de Mendès en 1872 ? Car Rimbaud a pu s'inspirer de poèmes publiés en 1872, soit parce qu'il a pu lire des poèmes encore inédits de septembre 1871 à mars 1872, soit parce que même si Rimbaud change de forme avec ses derniers vers, puis ses écrits en prose il a pu lire attentivement les vers nouveaux de Mendès.
A côté de l'édition originale de Philoméla de 1863, on peut spéculer sur sa connaissance de poèmes parus dans la Revue fantaisiste, puis sur sa lecture des "Sérénades" dans la Revue française, Verlaine s'y étant intéressé après tout. Rimbaud a pu lire les poèmes parus en 1866 dans le premier Parnasse contemporain, mais ils sont dérisoires. En revanche, il a lu à coup sûr les poèmes parus dans le second Parnasse contemporain, en livraison d'abord vers 1869-1870, puis en volume en juillet 1871, ce qui en faisait un sujet d'actualité à son arrivée à Paris !
J'ai déjà cité les cinq poèmes de Mendès du premier Parnasse contemporain : la série quelque peu débile de quatre poèmes intitulée "Pagode", puis le sonnet "L'Absente". Le poème "L'Absente" est au contraire très intéressant, il est tout en rimes féminines avec un premier vers qui annonce le procédé : "tout s'effémine", premier vers qui pratique le rejet à la césure de la forme verbale "languit", ce qui intéresse là encore des parodies de Verlaine de juillet 1871 :
L'Absente
C'est une chambre où tout languit et s'effémine ;
L'or blême et chaud du soir, qu'émousse la persienne,
D'un ton de vieil ivoire et de guipure ancienne
Apaise l'éclat dur d'un blanc tapis d'hermine.
Plein de la voix mêlée autrefois à la sienne,
Et triste, un clavecin d'ébène que domine
Une coupe où se meurt, tendre, une balsamine,
Pleure les doigts défunts de la musicienne.
Sous les rideaux imbus d'odeurs fades et moites,
De pesants bracelets hors du satin des boîtes
Se répandent le long d'un chevet sans haleine.
Devant la glace, auprès d'une veilleuse éteinte,
Bat le pouls d'une blanche horloge en porcelaine,
Et le clavecin noir gémit, quand l'heure tinte.
Je relève "persienne" à la rime comme dans "L'Angelot maudit" et comme chez Baudelaire. Je relève l'hémistiche "L'or blême et chaud du soir", les adjectifs en relief "triste" et "tendre", ce qui fait quelque peu songer à "Oraison du soir". Je pense bien sûr pour les rimes féminines au cas particulier qu'est le sonnet "Voyelles". Je vous invite bien évidemment à lire les parodies des "Princesses" de Banville par Verlaine dans sa correspondance avec Valade, Blémont,... en juillet-août 1871.
Passons au contenu du second Parnasse contemporain. Mendès y a fourni une série qu'il a intitulée "Légendes et contes", elle se compose des poèmes suivants : "L'Orgueil", "Le Consentement", "Le Disciple", "Le Lion", "La Fille du Domn", "L'Enfant", "Ahasvérus".
Mendès y produit des imitations assez faibles de Leconte de Lisle et du Hugo de La Légende des siècles, même si ça paraît moins ridicule que les séries "Sérénades" et "Pagodes".
Le poème "L'Orgueil" est particulièrement faible. Le second "Le Consentement" a tout de même un certain mérite dans la narration. La versification en est plus médiocre, malgré des enjambements modernes à la Hugo. Le poème suivant a une versification souple, naturelle qui passe bien, mais il est d'un contenu franchement dérisoire : "Le Disciple". Le poème "Le Lion" est une imitation assez plate de Victor Hugo. Le poème "La Fille de Domn" a une chute prévisible, mais il s'agit tout de même là encore d'une excellente idée de récit avec une très belle chute. Le poème "L'Enfant" est écrit en terza rima. Il est passable. Il contient deux vers où le déterminant "leur" est devant la césure, dont une fois dans une structure de trimètre à la Hugo-Baudelaire : "Lents, courbés, & sur leurs manteaux croisant leurs mains,", "De leurs soucis, de leurs regrets, de leurs attentes."
Le poème "Ahasvérus" contient pour sa part la forme "comme un" calée devant la césure, en clin d'oeil évident à Baudelaire : "Il se traînait comme un blessé qui voudrait fuir[.]"
Donc, pour l'instant, Rimbaud a pu s'inspirer essentiellement de Philoméla, du sonnet "L'Absente" et puis de cette section "Légendes et contes" où certains vers continuent de rappeler le patronage de Baudelaire avec deux récits plus réussis que les autres : "Le Consentement" et "La Fille du Domn".
Il reste à déterminer si Rimbaud a pu lire la série "Soirs moroses" dont le titre peut entrer en résonance avec celui qu'est "Oraison du soir". J'ajoute bien sûr un volume de nouvelle avec l'étude "Norbert Elias" en 1868 et bien sûr le volume Les 73 Journées de la Commune.
Telle est la base pour méditer sur l'influence possible des écrits de Mendès sur Rimbaud.
Pour le poème "Le Soleil de minuit", assez conséquent, il a été publié dans le troisième Parnasse contemporain de 1876, ce qui fait que je tends à l'écarter des lectures possibles du Rimbaud poète qui nous intéresse.
L'anthologie Walch fournit une bibliographie intéressante. Il y a sans doute quelques erreurs, notamment de dates, mais il référence un volume Le Roman d'une nuit paru en 1863 et il référence aussi le volume Histoires d'amour (nouvelles) paru en 1868 où j'ai repéré l'étude "Norbert Elias" comme une des sources aux "Chercheuses de poux". Il est question aussi de la traduction du recueil d'E. Glaser : Nuits sans étoiles, en 1869. Le recueil Contes épiques est cette fois daté de 1870 et il est précisé qu'il contient un dessin de Claudius Popelin. Nous avons ensuite deux poèmes parus en plaquette, dont le premier est cité par Rimbaud dans sa correspondance à Demeny : "Colère d'un franc-tireur" et "Odelette guerrière" (1871). Walch a aussi le mérite d'évoquer le théâtre en vers de Mendès qui doit lui aussi retenir l'attention des rimbaldiens, ainsi de La Part du roi en 1872, puis Les Frères d'armes. Ce n'est pas suffisant, puisque j'ai lu par le passé tout le théâtre en vers de Mendès, mais c'est un début de réorientation des recherches pour les rimbaldiens.
Enfin, il est fait état de la première série des Poésies de Mendès en 1876, ce qui invite à considérer que "Soirs moroses", "Hespérus" et "Intermède" sont des œuvres plus anciennes, puisque reprises ici.
Pour "Soirs moroses", la piste est celle de la Revue française. Pour "Intermède", la date de 1871 reste à vérifier, tout comme il faut détailler de manière plus précise la publication des Contes épiques. Enfin, Hespérus a été publié en 1872.
Ajoutons que pour le volume collectif de 1869 Sonnets et eaux-fortes Mendès a fourni le sonnet "Théodora" qui fait là encore un peu penser aux "Princesses" de Banville.
Pour Le Tombeau de Théophile Gautier, paru en 1873 et qui n'a pas dû être une lecture très attentive de Rimbaud en principe, Mendès a fourni le poème "Epitaphe" sur son mode à lui de la terza rima en treize vers sur deux rimes qu'il avait initié avec Philoméla, recueil précisément dédié à Théophile Gautier, tout comme les alors récentes Fleurs du Mal.
Il reste maintenant à traiter d'une dernière source d'informations particulière. Dans l'édition des Poésies complètes de Catulle Mendès en 1892, nous avons des notices encartées qui rappellent des publications antérieures et des ajouts de poèmes.
Je prends le cas des Contes épiques dont il s'agit de démêler la date exacte de publication.
Voici ce qui est écrit, je n'inverse pas les italiques et les caractères romains en citant :
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
Les premiers Contes épiques, peu nombreux, parurent en 1870 dans le Parnasse contemporain. Ils formèrent ensuite, augmentés de quelques pièces, un petit volume publié en 1872 par l'éditeur Jouaust ; cette édition est depuis longtemps épuisée. Ils firent partie de les Poésies de Catulle Mendès (1876, chez Sandoz et Fiscbacher), ouvrage également épuisé. Avec beaucoup de contes nouveaux, ils furent le quatrième des sept volumes intitulés les Poésies de Catulle Mendès. (Ollendorf, 1885 et Dentu, 1886.)
Les Contes épiques sont publiés au début du tome 2 des Poésies complètes de 1892, ils sont alors dédiés "à Léon Dierx", ce que je veux vérifier pour l'édition de 1872, mais ce qui montre par un nouvel indice qu'il y a un lien de forte complicité entre Dierx et Mendès, ce qui veut dire que Rimbaud s'est méfié autant de Dierx que de Mendès à son arrivée à Paris. Il ne parodie pas Dierx dans "Vu à Rome" par sympathie littéraire.
Si on analyse maintenant la note, où la transcription "Fiscbacher" est une coquille probable pour Fishbacher ou Fischbacher, en clair, la date de 1870 est erronée en ce qui concerne la notice de l'anthologie Walch, mais il faut aussi remettre en cause celle de 1876 sur Wikipédia. La bonne date de première publication est 1872, sauf qu'il va falloir trier les poèmes qui faisaient partie de ce recueil précis qu'a pu lire Rimbaud. Il faut ajouter qu'on se demande si le volume publié en 1872 se contentait d'un ensemble de Contes épiques ou s'il n'incluait pas Hespérus, éventuellement d'autres œuvres.
Tel qu'il est en 1892, le recueil des Contes épiques contient le poème "Les Fils des Anges" qui vient de Philoméla, les poèmes "L'Orgueil", "Le Consentement", "Le Lion", "La Fille du Domn", "Le Disciple" et aussi le poème "L'Enfant" sous le titre "Le Prédestiné", ainsi que "Ahasvérus" sous le titre "La Charité".
Passons à la "note bibliographique" suivant à propos de l'ensemble intitulé "Hespérus". Je cite sans inverser les italiques et les caractères romains :
Hespérus, poëme swedenborgien, précédé d'une courte préface qu'il a paru inutile de reproduire ici, parut pour la première fois dans le feuilleton d'un journal quotidien. Il a été publié en 1872, par la Librairie des Bibliophiles, - Jouaust, éditeur, - en un volume tiré à petit nombre, orné d'un dessin de Gustave Doré, et qui fut rapidement épuisé ; il fait partie de : Les POESIES DE CATULLE MENDES (Sandoz et Fischbacher, éditeurs, 1876), - ouvrage également épuisé ; il formait le cinquième des sept volumes intitulés : les Poésies de Catulle Mendès. (Ollendorff, 1885 ; Dentu, 1886.)
Ces notes bibliographiques sont d'une fatuité assez déconcertante à préciser par le menu des publications annexes dans des volumes de poésies complètes, et à marteler que toutes ces éditions anciennes sont épuisées. Mais on apprend que la série "Hespérus" a joui d'une pré-originale dans la presse qui est antérieure, mais de combien de temps ? à la publication en volume en 1872. On voit que désormais "Hespérus" est systématiquement publié après les
Contes épiques. On peut penser qu'il y a deux volumes distincts en 1872 :
Contes épiques, puis
Hespérus, mais la pré-originale dans une revue peut laisser entendre que cette succession chronologique ne va pas forcément de soi, et de toute façon il faut désormais identifier la pré-originale de "Hespérus" pour envisager si Rimbaud a pu ou dû le lire ou non.
La section "Hespérus" est dédiée en 1892 "à Leconte de Lisle". Elle rassemble cinq pièces numérotées : "I Crépuscule", "II Visitation", "III Arcanes", "IV La Vision suprême", "V L'Accomplissement".
Je rendrai compte de cette oeuvre, qui est plus intéressante que "Sérénades" ou "Pagode", même si ce n'est pas de la poésie de premier plan. Je pense en la lisant peut-être pas à Rimbaud, mais à "Crimen amoris" de Verlaine. J'en reparlerai.
Voici maintenant la notice pour "Intermède" :
Intermède a paru dans les Poésies de Catulle Mendès (Sandoz et Fischbacher, 1876), mais il ne contenait alors qu'un très petit nombre de pièces. Considérablement augmenté, il a formé le sixième des sept volumes intitulés : les Poésies de Catulle Mendès. (Ollendorff, 1885 ; Dentu, 1886.)
La publication envisagée plus haut de 1871 est cette fois contredite. Cet ensemble ne daterait que de 1876. Il contenait à l'origine peu de poèmes, il faut en plus procéder à un tri.
Je suis obligé de laisser ce poème de côté et de passer à la suite : "Pièces datées" qui réunit "Odelette guerrière (Décembre 1870)", poème en quatrains d'octosyllabes à rimes croisées qui part en galanterie peu en phase avec l'actualité, "Compliment au grand-père (26 février 1881)", "L'Enfant et l'étoile (27 février 1882)", et enfin "Le 14 juillet", poème non réellement daté ici.
Nous avons ensuite la pièce "Le Soleil de minuit" dédicacé "à Jean Marras", ce qui n'était pas le cas dans le troisième Parnasse contemporain. La note date ce poème d'avril 1875.
Pour l'instant, il faut mettre la main sur les premières publications en 1872 des Contes épiques et d'Hespérus.
Je ne vais pas m'attarder sur le tome 3 qui réunit des pièces plus tardives, mais je dois revenir sur le tome 1. Dans ce premier tome, le recueil Philoméla est démembré, puisque les sections "Sonnets" et "Panteleia" sont présentées à part, sortie donc du recueil originel, et je rappelle que le poème "Les Fils des anges" est passé dans le recueil des Contes épiques. Ce volume fournit ensuite la série des "Sérénades" que je ne peux lire que là, puisque je n'ai pas accès à la pré-originale de la Revue française. Je crois constater que certains poèmes parus dans la Revue fantaisiste n'ont pas été repris dans cette édition des Poésies complètes, à moins qu'elles ne soient dans le troisième tome...
La séquence "Pagodes" apparaît ici avec la suite de cinq poèmes paru dans le premier Parnasse contemporain, avec de légères modifications des titres et l'apparition même du titre "Pagodes" qui ne figure pas dans la publication initiale de 1866.
Ce qui m'intéresse, c'est la section des "Soirs moroses". Elle compte un certain nombre de poèmes, et cela inclut le sonnet "L'Absente" cité plus haut et le poème "Epitaphe" du Tombeau de Théophile Gautier. A moins d'un changement de titre, le sonnet "Théodora" du recueil Sonnets et eaux-fortes n'a pas été repris.
Je cite maintenant la note bilbiographique d'introduction :
Les Soirs moroses, recueil de poésies publiées dans les Revues et les Journaux, font partie de : les Poésies de Catulle Mendès (1876, chez Sandoz et Fischbacher), édition épuisée. Ils forment le troisième des sept volumes intitulés les Poésies de Catulle Mendès (Ollendorff, 1885 ; Dentu, 1886). A cette édition on avait ajouté quatorze poëmes nouveaux : Funérailles, la Chanson de la Haine, Survivance, Promptes Amours, Avant l'Orage, le Mauvais Choix, le Triste Espoir, Orgueil, les Retours, Pour la Grande Amie, le Mauvais Guide, Regret d'un Rêve, les Mansardes, Epitaphe.
En 1892, cet ensemble est dédicacé "à Stéphane Mallarmé".
Après "Philoméla", l'essentiel des poésies de Mendès, c'est précisément "Soirs moroses" et "Hespérus", puis les "Contes épiques". "Intermède" et "Le Soleil de minuit" viennent après et ne semblent pas avoir été connus de Rimbaud.
Malheureusement, le recueil "Soirs moroses" a une date de publication tardive pour un ensemble de poèmes publiés à des dates diverses. Rimbaud a dû connaître quelques-un de ses poèmes en 1871-1872. Il ne reste plus qu'à déterminer lesquels.
Voilà pour mon grand repérage bibliographique, vous voyez ici une partie du travail de chercheur, et prochainement je vous rendrai compte des lectures sélectionnées comme candidates à une "influence" sur Rimbaud.
**
Sur Gallica, le recueil Hespérus est une édition tardive de 1904.
Sur Gallica toujours, j'ai trouvé des numéros de la Revue française avec une intervention en 1861 de Catulle Mendès, mais une chronique ou un article, puis plusieurs mentions de Mendès en 1861, 1864 et 1866, mais aucune série de "Sérénades".
Notons tout de même qu'il y a un très long article sur les poètes publiés en 1863 ou un paragraphe de Charles Asselineau sur le Parnasse contemporain, avec des propos d'époque vraiment intéressants.
Et toujours sur Gallica, on peut consulter la Revue nouvelle avec des numéros des années 1863 et 1864, avec des contributions de Mendès pour la "revue dramatique" notamment, avec des mentions de Mendès et de son recueil Philoméla, avec enfin un ensemble de quinze "rondeaux parisiens" qui sont des espèces de poèmes en prose, et certains comme "Les Chevelures" permettent de méditer sur certains motifs chers à l'auteur et caractéristiques de sa production. Mais toujours pas de "Sérénades".
Le poème "Colère d'un franc-tireur" est bien distinct de "Odelette guerrière", elle bien reprise dans la série "Pièces datées" des Poésies complètes de Catulle Mendès en 1892. Ce poème cité en passant par Rimbaud contient la rime "éclatante"/"tente" dans un contexte de clairon militaire. Le rapprochement est sans doute vain et peu pertinent, mais je l'indique quand même. Il s'agit d'un poème de discours bravache d'un militaire avec une esthétique hugolienne évidente, un discours en alexandrins à rimes plates.
Je me permets de le copier/coller ci-dessous, vu la difficulté évidente à y accéder.
LA COLÈRE D’UN FRANC-TIREUR |
Poème Dit par M. COQUELIN de la Comédie-Française |
|
Major, je n’entends rien à votre médecine. |
|
|
La tisane m’assomme et le lit m’assassine. |
|
|
Si je ne suis guéri demain, à mon réveil, |
|
|
Morbleu ! traînant ma jambe avec votre appareil, |
|
5 |
Je rejoindrai, boiteux ou non, les camarades. |
|
|
Je réclame mon lot de gloire et de bourrades. |
|
|
S’il faut saigner là-bas sous quelque obus prussien, |
|
|
Tant mieux ! un nouveaux mal guérira de l’ancien, |
|
|
(Vous nommerez cela de l’homœopathie), |
|
10 |
Et, si l’on meurt, je veux être de la partie. |
|
|
Je puis mourir, n’ayant ni femme ni marmots. |
|
|
Ma fureur te surprend, major ? En quatre mots |
|
|
Voici pourquoi je veux quitter cette paillasse. |
|
|
|
Nous marchions. Nous étions quatre cents, tous d’Alsace. |
|
15 |
Comme on était parti dès le soleil levant, |
|
|
Nul n’aurait pu, le soir, faire un pas en avant |
|
|
Sans le clairon hardi qui chante et qui réveille ; |
|
|
Ce bruit-là, c’est du rhum que l’on boit par l’oreille. |
|
|
Il fallut s’arrêter pourtant, dormant déjà. |
|
20 |
Près d’une roche un bouc passait, on le mangea, |
|
|
Tandis qu’autour de nous, pour des scènes funèbres, |
|
|
Comme de noirs décors s’élevaient les ténèbres. |
|
|
|
Connaissez-vous l’opaque et tenace sommeil |
|
|
Qui résiste à la pluie, au jour, au cri vermeil |
|
25 |
Des trompettes sonnant la diane éclatante, |
|
|
Le sommeil harassé du soldat sous la tente ? |
|
|
C’est lui qui me coucha près d’un arbre, à l’écart. |
|
|
Je vis confusément dans un dernier regard |
|
|
Mes compagnons autour d’un feu de feuilles sèches, |
|
30 |
Et la plaine, et, pareils à des faisceaux de flèches, |
|
|
Les peupliers perçant le vide aérien, |
|
|
Et des coteaux, là-bas, et de l’ombre ; puis, rien. |
|
|
|
Quand j’ouvris l’œil, au bord du ciel naissait l’aurore. |
|
|
Les membres lourds, l’esprit plein de brumes encor, |
|
35 |
Pour secouer le froid, invisible linceul, |
|
|
Je me levai, cherchant les autres. J’étais seul. |
|
|
Seul ! — Sans doute, éveillés par de brusques alarmes, |
|
|
En courant, en criant, ils avaient pris les armes, |
|
|
Mais moi, dans le silence et dans l’ombre perdu, |
|
40 |
Stupide, je n’avais rien vu, rien entendu : |
|
|
Je dormais ! — A présent, c’est clair, j’étais un lâche, |
|
|
J’étais le vil goujat qui se sauve ou se cache |
|
|
A l’heure de l’alerte et du danger commun ; |
|
|
Et, peut-être, guettant le moment opportun, |
|
45 |
Le cœur chaud, le bras fort, l’arme bien épaulée, |
|
|
Mes amis s’embusquaient là-bas, dans la vallée, |
|
|
Et disaient en parlant du camarade enfui : |
|
|
« Tiens, je n’aurais jamais pensé cela de lui ! » |
|
|
Enfer ! |
|
|
|
Soudain, j’entends des coups de feu. J’écoute, |
|
50 |
Collant l’oreille à terre. On se bat, plus de doute, |
|
|
Mais un peu loin, vers l’est, entre des mamelons. |
|
|
N’importe ! En avant, marche ! au pas de course ! allons ! |
|
|
Et dans leur sac que font sauter mes bonds farouches |
|
|
J’entends se remuer, joyeuses, mes cartouches ! |
|
|
55 |
En courant, je glissai. Bête brute ! animal ! |
|
|
Sur un caillou. Je crus ne pas m’être fait mal. |
|
|
Mais quatre pas plus loin, — oh ! le diable t’emporte, |
|
|
Os maudit ! — cette jambe autrefois droite et forte, |
|
|
Cette jambe, — tenez, coupez-la-moi, major ! — |
|
60 |
En s’affaissant sous moi, me fit tomber encor, |
|
|
Avec ce cri de rage et de douleur « cassée ! » |
|
|
Là-bas la fusillade éclatait, plus pressée, |
|
|
Disant : « Viens, tes amis t’appellent, ce sont eux |
|
|
Qui luttent ! » Je restais couché, comme un goutteux. |
|
65 |
Tandis qu’ils combattaient, beaux d’une âpre furie, |
|
|
Je tâtais, en geignant, ma chair endolorie, |
|
|
Blessé, rampant. Blessé ? pas même. Estropié ! |
|
|
De sorte qu’en ce jour si longtemps épié, |
|
|
Jour de combat ! le fier serment et l’espérance |
|
70 |
De mourir pour ta vie et pour ta gloire, ô France ! |
|
|
Et mon père, vieillard délaissé sans amis, |
|
|
Et les larmes de celle à qui j’étais promis, |
|
|
Et ma jeunesse avec son adresse et sa force, |
|
|
Tout cela n’était rien, à cause d’une entorse ! |
|
75 |
Tout mon espoir s’était brisé contre un caillou ! |
|
|
|
Major, êtes-vous sûr que je ne sois pas fou ? |
|
|
J’ai dû le devenir dans ce moment atroce. |
|
|
|
« Je marcherai ! » me dis-je. Alors, fichant la crosse |
|
|
De mon fusil dans l’herbe humide, je parvins |
|
80 |
A me dresser. Ainsi qu’un homme entre deux vins, |
|
|
J’avançai, par saccade, et, vers la terre moite |
|
|
Me courbant, j’avais l’air d’un animal qui boite. |
|
|
Mais le bruit du combat, plus proche, et le clairon |
|
|
Me donnaient dans le cœur de grands coups d’éperon, |
|
85 |
Et, bien que la douleur dans cette jambe infâme |
|
|
Fût telle que je crus mille fois rendre l’âme, |
|
|
Je marchais, sans relâche, oubliant de souffrir, |
|
|
Et devant d’arriver assez tôt pour mourir ! |
|
|
|
J’atteignis une côte. Au-delà, dans la plaine, |
|
90 |
On se battait. Que faire, inerte, hors d’haleine ? |
|
|
« Allons, monte, perclus !» Impossible ! trop haut ! |
|
|
Ah ! j’en pleurais. « Cela se peut, puisqu’il le faut ! » |
|
|
Et, couché dans un lit de torrent qui serpente |
|
|
Presque à pic et pierreux, tout le long de la pente, |
|
95 |
En m’aidant du genou, de l’ongle et du menton, |
|
|
Je grimpai ! j’entendais les feux du peloton ! |
|
|
Mes mains, mes bras, saignaient sur les épines vertes, |
|
|
Je portais mon fusil entre mes dents ouvertes, |
|
|
Des pointes déchiraient mon ventre à chaque effort, |
|
100 |
Et ma jambe, pareille à la jambe d’un mort, |
|
|
Lamentable fardeau, me tirait en arrière : |
|
|
Je grimpais ! mon fusil tomba, dans une ornière, |
|
|
Parmi des gazons ras qu’avait roussis l’hiver. |
|
|
Mon bon fusil ! j’avais encor mon revolver, |
|
105 |
Et je grimpais toujours ! têtu ! de roche en roche ! |
|
|
Et quand, les yeux hagards, je vis la cime proche, |
|
|
Fou d’espoir, sur l’épine et les cailloux bourrus, |
|
|
Lourd, déchiré, sanglant, n’importe ! je courus ! |
|
|
Et bientôt, m’élevant sur mes deux poings, robuste, |
|
110 |
Joyeux, je dominai le mont de tout mon buste. |
|
|
|
Oh ! quel cri je poussai ! Car je vis, oui, je vis |
|
|
Les Français triomphants, les autres poursuivis, |
|
|
Et, soulevant mon arme entre mes deux mains jointes, |
|
|
Discernant les Prussiens, grâce aux casques à pointes, |
|
115 |
Dans la confusion des corps-à-corps étroits, |
|
|
Calme, j’en visai six et j’en vis tomber trois. |
|
|
Puis, mourant, je roulai, la tête la première, |
|
|
Dans le combat. |
|
|
|
Hier, j’ai revu la lumière, |
|
|
Stupidement couché dans ce lit d’hôpital. |
|
120 |
— Ah ! major, coupe, taille, ampute, sois brutal, |
|
|
Mais sois prompt ! le canon résonne ! et la Victoire, |
|
|
Qui redevient française et nous rend notre gloire, |
|
|
De Prussiens culbutés va faire un tel abus |
|
|
Que, si je tarde encore, « il n’en restera plus ! » |
|
|
3 Décembre 1870. | | | | | | |