vendredi 31 janvier 2025

Repérage dans la profondeur du motif "accroupi"/"assis" dans les poésies de Rimbaud

 Ce relevé s'inscrit dans la continuité de l'article qui précède. Je ne suis pas revenu sur les emprunts à "Un voyage à Cythère" dans les poèmes "Accroupissements", "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux", travail que j'ai déjà effectué dans des articles plus anciens, du moins je l'ai conduit en partie, il faudra que je fasse une étude systématique prochainement. Ceci dit, il y a un autre point troublant qu'il faut mettre en avant quand on rapproche les poèmes "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux". Dans le sonnet, le poète dit et de manière revendicatrice : "Je vis assis tel qu'un Ange aux mains d'un barbier". Dans "Les Chercheuses de poux", nous avons une attaque de second quatrain : "Elles assoient l'enfant devant une croisée" qui fait écho au premier vers de "Oraison du soir". Ajoutons que le titre "Accroupissements" est l'équivalent du fait d'être assis, et cela crée un écho entre les titres de deux poèmes : "Accroupissements" et "Les Assis". Qui plus est, le mot "accroupissements" apparaît dans "Chant de guerre Parisien". Et c'est plus significatif encore que cela.
Les poèmes "Chant de guerre Parisien" et "Accroupissements" font tous deux partie de la lettre à Demeny du 15 mai 1871. Pour rappel, nous ne connaissons aucune autre version manuscrite, sinon imprimée, des trois poèmes envoyés à Demeny dans la lettre du 15 mai 1871 : "Chant de guerre Parisien", "Mes petites amoureuses" et "Accroupissements". Le mot "accroupissements" relie le premier et le troisième poème de cette lettre, et si "Accroupissements" est le titre du troisième poème, il contribue à créer la rime finale du poème "Chant de guerre Parisien", ce poème se finit sur le mot "froissements" qui rime avec "accroupissements" à l'antépénultième octosyllabe du poème. Je cite ce quatrain final :

Et les Ruraux qui se prélassent
Dans de longs accroupissements,
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements !
Au-delà du titre, le poème "Accroupissements" nous offre une forme conjuguée du verbe "accroupir" dans le quintil suivant, la mention verbale est même en ouverture de strophe :

Or, il s'est accroupi, frileux, les doigts de pied
Repliés, grelottant au clair soleil qui plaque
Des jaunes de brioche aux vitres de papier ;
Et le nez du bonhomme où s'allume la laque
Renifle aux rayons, tel qu'un charnel polypier.
 
Et il nous offre un second emploi du verbe dans le tout dernier quintil :
 
Et le soir, aux rayons de lune, qui lui font
Aux contours du cul des bavures de lumière,
Une ombre avec détails s'accroupit, sur un fond
De neige rose ainsi qu'une rose trémière...
Fantasque, un Nez poursuit Vénus au ciel profond.

 
 
Pour plusieurs éléments de la description d'ensemble du frère Milotus, nous comprenons que cette position accroupie correspond à celle des cibles du poème "Les Assis" qui sont décrits : "genoux aux dents".
Les "Ruraux qui se prélassent", le "frère Milotus" et "Les Assis" forment clairement un groupe anticommunard, et le fait de se prélasser accroupi ou assis est utilisé comme insulte, comme moyen de rabaisser.
Les mots de la famille "accroupi", "accroupir", "accroupissement", sont rares en poésie, surtout si nous écartons le mot "croupe". Leur emploi caractérisé est une marque des Châtiments de Victor Hugo qui s'en sert pour charger Napoléon III.
Il faut ajouter que ce mot figure aussi dans le dernier quintil du poème "Les Assis", ce qui prouve que Rimbaud entend bien la position assise ici comme accroupissements :
 
Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule
Les bercent, le long des calices accroupis[,]
Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules
- Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.
 Le dernier vers des "Assis" est un équivalent obscène sensible du dernier du poème "Accroupissements" : "Fantasque, un Nez poursuit Vénus au ciel profond."
Revenons aux poèmes de Rimbaud de 1869 et 1870. Les mots de la famille "accroupissements" n'y apparaissent pas.
Il y a quelques emplois du verbe "asseoir", mais ils n'ont pas les mêmes implications. L'expression : "Assise sur ma grande chaise", est valorisante dans "Première soirée". Il est question de soumission, de dévotion à une belle dans "Ophélie" : "Un pauvre fou s'assit, muet, à tes genoux !" La position "assise" n'est pas dégradée non plus dans "Ma Bohême" : "Et je les écoutais, assis au bord des routes[...]"
Il faut relever toutefois une expression où paradoxalement l'adverbe "debout" signifie une position comparable à celle des accroupis et des assis des poèmes de 1871, elle figure dans le poème "Le Forgeron" : "Or, le bon roi, debout sur son ventre, était pâle[.]" Il s'agit très clairement du premier développement symbolique par Rimbaud du motif traité dans "Accroupissements" ou "Les Assis". Notons qu'il y a plusieurs exaltation de la véritable position "debout" dans le poème "Credo in unam" : "debout sur la plaine", "Debout, nue, et rêvant" (pour une dryade), "Majestueusement debout, les sombres Marbres[.]"
On retrouve un emploi "assise" dans le poème "Paris se repeuple", et l'emploi y est ambivalent puisque la position "assise" suppose un être en gloire, mais elle est associée aux désirs concupiscents de ceux qui vont repeupler la ville :

Voilà la Cité belle assise à l'occident !
L'emploi "assis" est en revanche scatologique dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", ce qui a pour effet d'agresser Banville qui, sans le savoir, puisqu'il n'a pas accès aux poèmes "Chant de guerre Parisien", "Le Forgeron", "Les Assis" et "Accroupissements", est assimilé à un "assis" justement au sens négatif rimbaldien du mot :
[...]
Toi, même assis là-bas, dans une
Cabane de bambous, , - volets
Clos, tentures de perse brune, -

Tu torcherais [...]
La séquence "dans une" à la rime est une citation d'une rime des Odes funambulesques.
Pour l'ensemble des poèmes en vers première manière de l'année 1871 et du début de l'année 1872, les emplois de mots de la famille "assis" sont peu nombreux, ce qui conforte le caractère sensible de l'écho "Je vis assis..." et "Elles assoient..." entre "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux". Le poème qui les rejoint est bien sûr "Les Assis" par son titre et deux mentions au sein des vers : "Et les Assis", "Rassis". La forme préfixée "rassis" est intéressante. Verlaine l'emploie dans "Les Poètes maudits" au sujet de la frayeur produite par les audaces poétiques de Rimbaud, il parle de personnes s'étant bien rassises depuis, et cette forme est aussi frappante au début de "Après le Déluge" : "Aussitôt après que l'idée du Déluge se fut rassise," sachant qu'il y a un retour à la ligne après virgule qui contribue à son relief.
Notons que je ne relève aucun emploi de mots de la famille "accroupir" ou "asseoir" dans les contributions zutiques de Rimbaud.
Il faut toutefois citer une occurrence dans un quatrain de l'ensemble "Vers pour les lieux" :
Cet assassin avait dû s'asseoir sur ce siège
Le mot est à proximité du nom "siège" à la rime, et cette rime est faite avec l'expression "état de siège", ce qui conforte le rapprochement à faire avec "Les Assis".
Dans "Les Déserts de l'amour", le mot "assis" est employé en revanche de manière similaire à "Ma Bohême" : "Enfin je suis descendu dans un lieu de poussière, et assis sur des charpentes, j'ai laissé finir toutes les larmes de mon corps avec cette nuit." Il y a tout de même une idée cette fois proche du poème "Les Assis", la position "assise" est liée à une régression complaisante sur soi.
Le poème "Larme" offre une nouvelle occurrence du mot "accroupi", qui laissera place à la variante "à genoux" sur un autre manuscrit :
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Je n'ai pas étendu ma recherche aux Illuminations, ni à Une saison en enfer, ni aux proses dites "en marge de l'Evangile" ou "contre-évangéliques". Je considère que le motif était solidement constitué en 1871 et que nous avons déjà suffisamment d'éléments pour confirmer que l'emploi de "assis" dans "Oraison du soir" et "assoient" dans "Les Chercheuses de poux" était à dessein. Ils engagent toute une compréhension polémique des deux poèmes.
Je citerai ultérieurement d'autres échos baudelairiens dans "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux", ainsi que d'autres vers de Mendès au-delà de la série Philoméla.
Tout le monde comprend le sens immédiat du poème "Oraison du soir", à ceci près peut-être que le mot "excréments" peut éloigner de la seule référence directe à l'urine. Le poème "Oraison du soir" est vraiment concentré sur la transformation de la bière en urine. Cela n'inclut pas l'étron. Et même s'il y a un érotisme latent dans "Oraison du soir", il ne faut bien sûr pas supposer une double lecture du jet final qui serait au premier degré de l'urine et au second degré une semence d'homme. Je m'en tiens à la lecture d'un jet d'urine.
Dans une lecture immédiate, naïve, le plaisir insolent du sonnet "Oraison du soir" est ressenti par le lecteur. En passant à une enquête, on peut être tenté de dissocier le "je" du poète de Rimbaud et d'y voir une satire. ce "je" serait un "assis" inconscient d'être pris au piège, puisqu'entre les mains d'un barbier.
Je pars plutôt sur l'idée d'une réplique provocatrice. Il utilise l'injure de la description assise vulgaire de prélassement que formule Mendès et d'autres à son égard pour la retourner en principe poétique actif digne des "corruptions inouïes" des Fleurs du Mal. Le poème se termine sur "l'assentiment des grands héliotropes", donc sur une image de quête solaire typique des poètes, et il est bien question d'associer l'ivresse au colombier des amours rêvés. J'y vois une provocation avec un effet de miroir grossissant qui désacralise les prétentions lyriques des poètes refoulant la dimension organique de l'être.
Qui plus est, Mendès et Mérat et d'autres réprouvent l'attitude de Rimbaud, réprouvent aussi qu'il affiche son homosexualité avec Verlaine (point non soulevé dans "Oraison du soir"), alors que Mendès et Mérat sont des admirateurs des Fleurs du Mal. Et dans le cas précis de Mendès, il faut rappeler certaines autres données.
Le recueil Les Fleurs du Mal a été censuré en 1857, et Baudelaire a une image inévitablement sulfureuse. Mais il ne faut pas oublier que Baudelaire a des défenseurs tels que Barbey d'Aurevilly et Félicien Rops.
Félicien Rops, à qui ma ville natale de Namur consacre un musée que j'ai pu visiter, était un auteur particulièrement sulfureux. Baudelaire le voyait comme le seul artiste belge digne de converser avec lui, mais cela allait plus loin. Félicien Rops partageait avec Baudelaire le goût des squelettes. Rops composait énormément d’œuvres qui exaltaient la sexualité. Il représentait très souvent des scènes sexuelles sataniques osées, tout en disant, de manière peu évidente, que cela ne voulait pas dire qu'il s'attaquait à la religion. Cela était censé être indépendant de la foi religieuse. Cela me laisse perplexe, car Rops ne fait pas dans l'acceptation du réel tel qu'il est à la Fellini, lequel avertit pourtant nettement déjà contre l'église. Barbey d'Aurevilly est un peu l'un des personnages qui défend paradoxalement Les Fleurs du Mal, alors qu'il est un défenseur de l'église malgré tout, de valeurs conservatrices, et qu'il est l'opposant juré de Verlaine et des parnassiens dans la décennie 1860.
Félicien Rops s'est inspiré de la lithographie japonaise où une pieuvre abuse d'une femme avec ses tentacules, il appelle "L'Agonie" un tableau où un diable fait le 69 avec une femme et pratique le cunnilingus. Il y a plein d'autres tableaux sulfureux de sa part. Rops a commis les dessins sur le volume paru sous le manteau de Glatigny Joyeusetés galantes... et Rops contribuera par d'autres illustrations au dernier ou à l'un des derniers livres de Paul Verlaine. Rops est aussi l'illustrateur du recueil Les Epaves qui réunit les poèmes censurés en 1857 des Fleurs du Mal à quelques inédits.
Les dessins et tableaux de Rops ne vont pas impressionner tout le monde par la qualité de leur exécution. Ce qui retient l'attention, c'est que ses créations sont de virulentes critiques de l'hypocrisie de la société. Rops s'inspire de l'Enterrement à Ornans pour faire lui-même des caricatures saisissantes de réalisme. C'est cette violence de critique sociale qui fait que Rops passe pour plus artiste que les autres graveurs, illustrateurs, sinon peintres de son époque. Il a quelque chose à dire, il produit une satire qui fait événement à l'époque.
Mendès fait clairement partie de ceux qui vont accentuer la veine satanique de Baudelaire et Rops dans le recueil Philoméla. Par conséquent, il me semble assez naturel que "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux" soient à la fois des productions personnelles de Rimbaud, et en même temps des répliques à la compétition des poètes parisiens entre eux à l'époque. Mendès a voulu se positionner par rapport au soufre d'un Baudelaire. Et j'ai l'impression que les rimbaldiens ne comprennent pas ce jeu de miroir des deux poèmes "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux". Il y a une volonté de réplique : "Qu'est-ce que vous êtes ? Qu'est-ce que je fais ?" Les rimbaldiens qui dénoncent tant le côté vaseux du quant à soi des visions du "voyant" ont bizarrement du mal à envisager que le voyant Rimbaud met des miroirs déformants sous les yeux de ses pairs pour justement influer sur le devenir des pratiques poétiques.
Rimbaud, quand il écrit "Oraison du soir" ou "Les Chercheuses de poux", il cherche à être publié, il cherche à ne pas se laisser ramener à des sentiers battus plus sages et conventionnels, il cherche à démonter les inimitiés naissantes d'un Mendès ou d'un Mérat.
Moi, je trouve que c'est bien logique qu'il en soit ainsi. Les admirateurs du poème "La Charogne", de poèmes sur "Lesbos", de poèmes censurés, de poèmes qui parlent de vomissements et de non repentance dans le Mal, sont en train de refouler Rimbaud à la fin de l'année 1871 et au début de l'année 1872. Et Rimbaud leur rappelle la direction baudelairienne que cette génération-là a pourtant prise. Ce n'est pas Rimbaud qui a vanté Baudelaire le premier auprès d'eux bien sûr. C'est au contraire Verlaine et les parnassiens qui invitaient Rimbaud à suivre l'exemple des Fleurs du Mal, plutôt que de Victor Hugo, Banville et Glatigny.

mercredi 29 janvier 2025

Réflexion inédite sur les sources baudelairiennes aux poèmes "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux"

Le sonnet "Oraison du soir" décrit le Moi d'un poète lyrique complètement saoul qui raconte comment la transformation organique de l'alcool en "excréments chauds" provoque une chère rêverie lyrique et crée un besoin d'affirmation de soi blasphématoire par un jet copieux d'urine.
Le titre fait fortement songer à Baudelaire, notamment au titre "Harmonie du soir", ce que confirme la césure du tout premier vers : "Je vis assis, tel qu'un Ange aux mains d'un barbier," puisque la forme "tel qu'un" devant la césure est une variante du "comme un" que Baudelaire a placé devant la césure d'un alexandrin du poème "Un voyage à Cythère". Baudelaire s'est inspiré de Victor Hugo et d'Alfred de Musset, mais l'emploi de la forme "comme un" devant la césure par d'autres poètes est une citation explicite de Baudelaire. Villiers de l'Isle-Adam a été le premier à en donner l'exemple, il l'a pratiquée au moins à deux reprises. Glatigny l'a pratiquée, Mendès à son tour à tel point que Rimbaud a pu lire au moins trois vers de Catulle Mendès qui y recourait, et puis Mallarmé l'a pratiquée lui aussi et Rimbaud a commencé à la pratiquer dans le poème "Accroupissements". D'ailleurs, "Accroupissements" et "Oraison du soir" s'inspirent plus largement encore de l'ensemble du poème "Un voyage à Cythère".
A un premier niveau d'enquête, il convient de creuser la question des renvois à "Un voyage à Cythère" dans "Oraison du soir".
Mais il restera aussi à vérifier si Rimbaud ne s'inspire pas d'autres poèmes de Baudelaire.
A côté de l'influence de Baudelaire, il est plus délicat d'envisager l'influence de Catulle Mendès. Pourtant, un fait étonnant nous préoccupe. Les tercets sont construits sur une alternance de deux rimes ABA BAB, ce qui est un renvoi érudit à l'origine italienne du genre du sonnet avec Pétrarque qui recourait très volontiers à ce principe. Cependant, cette structure de rimes pour les tercets ne s'est pas imposée en France. Je serais incapable de citer un quelconque poème sur ce principe pour les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Deux formes se sont imposées en France, le modèle dit "marotique" AAB CCB qui est celui d'un sizain normal, et le modèle à la Mellin de Saint-Gelais AAB CBC. Selon l'analyse de Cornulier, cela correspond à une licence ancienne au plan des strophes où parfois la rime conclusive remontait d'un vers en fin de strophe. Il faut toutefois constater que la règle AAB CBC pour les tercets de sonnets n'étaient pas identifiés comme strophe isolée de sizain, que ce soit par les poètes ou les critiques. Banville ne parle à aucun moment d'une strophe de sizain. Mais peu importe que les poètes aient mal identifié l'origine de ce caprice et qu'ils aient simplement appliqué correctement la règle sans en comprendre la nature profonde.
Les deux modèles étaient sur trois rimes. Au XIXe siècle, le sonnet fait un étrange retour en force chez les poètes, mais à partir de règles très souples. Les quatrains ne sont pas toujours composés sur les deux mêmes rimes ; l'influence anglaise, chez Sainte-Beuve notamment, amène à l'émergence d'une forme ABB ACC qui peut être pensée soit à l'anglaise comme un quatrain suivi d'un distique, soit comme une amusant inversion du schéma marotique ; Gautier est irrégulier dans les tercets de ses premiers sonnets et le jeu est poussé assez loin par Alfred de Musset. En-dehors de Musset, ce jeu concerne surtout le début de la décennie 1830, puis à partir de la décennie 1850 et de Baudelaire le jeu des irrégularités va avoir un nouveau souffle. Entre-temps, un poète breton fort reconnu à l'époque, Auguste Brizeux, a mis à la mode les tercets monorimes, et les tercets monorimes finiront par apparaître dans les sonnets. On s'amuse aussi à construire des sonnets tout en rimes plates ou au moins leurs tercets en rimes plates, mais avec Brizeux et l'adaptation de son procédé aux tercets d'un sonnet on passe alors à des tercets sur deux rimes, sauf que chaque tercet a la sienne propre. Les sonnets sur deux rimes existent déjà auparavant avec Musset, c'est le début des formes AAB ABB ou ABB AAB qui concernent par exemple "Poison perdu" et certains sonnets du recueil Avril, mai, juin publié anonymement par le duo de Mérat et Valade. Personne n'avait pensé à ressusciter la forme de Pétrarque avant Charles Nodier.
Pour l'instant, voici à ma connaissance le premier sonnet adoptant pour les tercets l'alternance de Pétrarque sur deux rimes ABA BAB. Ce poème a été repris dans le tome IV de l'anthologie des poètes de Crépet en 1862, environ un an avant la publication de Philoméla de Catulle Mendès, un ou deux ans avant la publication du recueil Avril, mai, juin du duo formé par Mérat et Valade. Je cite donc ce document :

                          SONNET
écrit sur l'album d'Emile Deschamps en 1828

                                          C'est un sonnet.
                                             MOLIERE.

Mon nom parmi leurs noms !.... y pouvez-vous songer !
Et vous ne craignez pas que tout le monde en glose !
C'est suspendre la nèfle au bras de l'oranger,
C'est marier l'hysope aux boutons de la rose.

Il est vrai qu'autrefois j'ai cadencé ma prose,
Et qu'aux règles des vers j'ai voulu la ranger ;
Mais sans génie, hélas ! la rime est peu de chose,
Et d'un art décevant j'ai connu le danger.

Vous !... cédez à la loi que le talent impose :
Unissez dans vos vers Soumet à Béranger,
Et l'esprit qui pétille à la raison qui cause ;

Volez de fleur en fleur, comme dans un verger
L'abeille qui butine et jamais ne se pose ;
Ce n'est qu'en amitié qu'il ne faut pas changer.
Vu l'épigraphe de Molière, je fais de ce document une source évidente au célèbre poème "Un sonnet avec la manière de s'en servir" de Tristan Corbière, lequel ne reprendra pas le mode ABA BAB bien que ses tercets soient sur deux rimes AAB AAB en guise d'infraction volontairement maladroite à la règle. Cependant, il faut ici en rester au seul intérêt du poème de Nodier. L'épigraphe de Molière est vraiment amusante, puisque d'un côté Nodier par ses tercets montre que la tradition française n'a pas respecté l'Italie et que sa règle immuable est donc un dérisoire sacerdoce et en même temps il montre que, malgré son surplus d'érudition, il ne se prend pas lui-même au sérieux. Trois poètes sont cités : Emile Deschamps, Soumet et Béranger, en plus du dramaturge qu'était Molière et qui est ici cité en tant que versificateur.
De prime abord, ce sonnet n'a rien à voir avec "Oraison du soir". Pourtant, outre l'organisation des rimes dans les tercets, il y a un autre point commun exceptionnel, l'occurrence du mot rare en poésie "hysope". Le mot est employé devant la césure du vers 4, à la fin du premier quatrain donc, par Nodier, et ce mot est employé à la rime et au pluriel dans les tercets de Rimbaud, il fait partie de la série : "chopes" - "hysopes" - "héliotropes", qui est l'une des deux rimes des tercets pétrarquisants de "Oraison du soir", et il s'agit même de la rime finale du sonnet qui se finit sur le mot "héliotropes".
La comparaison va-t-elle devoir s'arrêter là : les deux points communs exceptionnels n'ayant rien à nous dire ? En réalité, c'est tout le sonnet de Nodier qui est bâti sur deux uniques rimes, puisque les quatrains ont les mêmes rimes. Rimbaud a deux rimes pour les quatrains et deux rimes pour les tercets. Il n'utilise pas les mêmes rimes que Nodier, du moins il n'utilise pas la rime en "-ose", puisque sa rime en "-ier" dans les quatrains inclut la rime en "-er" de Nodier, et même est peut-être une malicieuse reprise de la fin du nom du poète de l'Arsenal : "Nodier", "barbier", "Gambier", "colombier", "aubier". Ce rapprochement doit vous paraître gratuit, comme si nous essayions à tout prix de justifier une comparaison des deux sonnets utile à la compréhension de celui de Rimbaud.
Pourtant, il y a moyen d'aller plus loin. Le vers qui contient le mot "hysope" joue sur une idée d'opposition entre l'hysope et les boutons de rose et imagine un remplacement du beau par du laid ou du trivial, et cela est formulé par plusieurs vers du sonnet de Nodier : "nèfle au bras de l'oranger", unir "Soumet à Béranger" et "l'esprit qui pétille à la raison qui cause". Cette inversion est bel et bien à l’œuvre dans le poème obscène et blasphématoire de Rimbaud avec l'assimilation des "excréments chauds" à des rêves amoureux de colombes, avec la prière obscène du jet d'urine. Rimbaud montre qu'il sait unir les contraires et ne pas en rester à un "art décevant". La dérision obscène du sonnet de Rimbaud fait écho à l'autodérision de l'épigraphe tirée du Misanthrope de Molière. Enfin, si Rimbaud urine sur des fleurs, le dernier tercet de Nodier invitait plus poétiquement à "vole[r] de fleur en fleur". Enfin, dans "l'esprit qui pétille" il y a une idée de l'ivresse. Bref, quand on médite le rapprochement à tête reposée, on se surprend à lui découvrir une pertinence.
Qui plus, si "hysope" n'est qu'à la césure chez Nodier, dans "Oraison du soir", "chope" est à la césure du vers 2 et sera le premier mot au pluriel pour faire la série rimique "chopes"/"hysopes"/"héliotropes". Difficile de croire à une série de pures coïncidences.
J'ignore à quelle date dans sa vie privée Mendès a commencé à composer des sonnets dont les tercets étaient une alternance ABA BAB sur le modèle de Pétrarque, puisqu'il est flagrant que Philoméla a été publié assez peu de temps après le tome IV de l'anthologie des poètes de Crépet qui a mobilisé pour créer les notices de nombreux poètes célèbres d'époque, dont Baudelaire lui-même qui a, par exemple, composé l'introduction concernant Marceline Desbordes-Valmore. En tout cas, Mendès compose plusieurs sonnets sur ce mode-là. Et Rimbaud va composer trois sonnets sur ce mode-là : "Oraison du soir" et deux des trois sonnets dits "Immondes", ou "Stupra" depuis leur publication par les surréalistes.
Pour moi, il est plus logique que les trois sonnets de Rimbaud fassent référence à Mendès, lequel a composé pas mal de sonnets de ce type dans Philoméla. Quelques rares fois, il y est revenu par la suite. Le problème pour moi, c'est que je n'identifie pas des emprunts lexicaux aux sonnets mendésiens concernés dans "Oraison du soir". Quand je trouve des échos lexicaux, il est plutôt question de poèmes comme "Le Jugement de Chérubin" et "Les Fils des Anges". "Le Jugement de Chérubin" est d'ailleurs la principale source d'inspiration au poème "Les Chercheuses de poux".
Le recueil Philoméla contient une section de sonnets. Le tout premier sonnet profite de l'alternance pour dispenser le vers conclusif de rime, ce défaut de rime aura une imitation pré-zutique de Verlaine dans un poème parodiant Les Princesses de Banville et envoyé à Valade en juillet 1871.
Ce premier sonnet s'intitule "Calonice".
Les rapprochements sont faibles, mais il est tout de même question d'une inversion de l'amour et des épithalames en redoutable hypocrisie et d'apaiser un cœur percé de mille lames. Le mot "hypocrisie" est sans doute un renvoi volontaire de Mendès au poème liminaire des Fleurs du Mal : "Au lecteur", ce que Rimbaud semblerait avoir nettement compris.
Le second sonnet "A une femme" n'a plus de défaut de rime et fait apparaître cette fois clairement la forme ABA BAB dans les tercets. Cette femme admirée par le poète qui est entraîné dans sa chute a un "sombre cœur dans le mal égaré", un orgueil qui "s'étale au-dessus des épreuves" (vers qui me fait penser à "Elévation" des Fleurs du Mal) et cela conduit à un suprême endurcissement face à Dieu, la chute étant un engloutissement dans la nuit. Jusqu'à un certain point, ce que je viens de dire se retrouve dans le comportement du poète dans "Oraison du soir". Malgré son titre "Invitation à la promenade" qui fait penser tant à "Invitation au voyage" qu'à "Un voyage à Cythère" de Baudelaire le troisième sonnet se dérobe à la forme de Pétrarque : ABA BBA. Il a pourtant des rimes qui sont un peu proches de celles de "Oraison du soir" : au moins sa rime finale en "-ure" ("aventure"/"ceinture"/"peinture"), mais difficile de s'y arrêter pour en tirer un quelconque partie. Le quatrième sonnet "Le Jacapani" sort complètement de la référence à Pétrarque (tercets marotiques AAB CCB), mais il est question d'un poète qui dit : "Je veux dormir" et "Je veux que l'on me tresse un hamac" plein de "l'haleine des fleurs", en profitant d'un "narghilé d'or" avec "dans l'ombre" "Le tourbillonnement des rêves inouïs" ! Ce n'est pas ce qu'il y a de plus éloigné du discours de "Oraison du soir" : "Je vis assis", "Gambier aux dents", "Mille rêves en moi".
Le poème suivant "Sur les collines" revient au modèle pétrarquiste de tercets ABA BAB, qui donc est déjà dominant dans la série en cours de sonnets. Il semble ne rien fournir comme rapprochements possibles. Je peux m'amuser à comparer la fin où les Anges descendent sur la Terre pour faire l'amour, et le début parle de femmes mélangées aux nuages.
Le poème "La Ruine" a lui aussi des tercets ABA BAB. Le poète compare son âme à une ruine, ce qui peut être à la limite comparé à l'image du colombier intérieur au cœur du poète.
Le poème "Canidie" nous éloigne de Pétrarque pour les tercets français les plus classiques AAB CBC. Il est question du cœur au second quatrain, d'un "rêve divin" pendant la nuit songeuse et d'une chute blasphématoire avec mouvement large d'un couple qui s'égare "parmi / Les poètes épars dans des harems de blondes !"
Le sonnet "Une voix" revient à notre alternance ABA BAB. Le poète s'y frappe le cœur pour ne pas entendre la voix qui lui dit de retourner à la femme qu'il n'aime pas. Le poète dit qu'il a "bu des forces dans [s]a gourde" et livré son "âme au démon", ce qui l'a fait se redresser pour mieux laisser derrière lui la voix qui l'appelait.
Nous arrivons alors au "Sonnet dans le goût ancien Pour une jeune dame qui avait résolu de faire pénitence de ses fautes".
Le poème offre le moule rimique des tercets à la Pétrarque ABA BAB et il vire encore une fois au blasphème. Le poète se moque de la prétention de la belle et annonce que le couvent sera "en feu" avec l'Amour pour Dieu et les Grâces disant la messe. Ce sonnet est aussi la source de l'emploi de l'adjectif "écarlatine" dans "Vu à Rome", puisque le sonnet de Mendès est lui aussi en octosyllabes et place l'adjectif "écarlatine" à la rime dans le premier quatrain (vers 2 chez Mendès, vers 3 chez Rimbaud). Les deux poèmes supposent un lieu religieux transformé en pandémonium. Mendès emploie l'expression "bouche écarlatine", ce qui est une variante de "lèvre purpurine" qu'il a aussi utilisée et qu'il a reprise à Glatigny qui l'emploie plusieurs fois.
Le sonnet "Les Ingénues" poursuit sur le mode pétrarquiste des tercets ABA BAB. Il est question de valses où les valseurs s'enivrent les yeux dans les yeux, de cerveaux troublés d'espoirs délicieux et de souvenirs des danses conservés dans la nuit. Les "ingénues" chantent avec les oiseaux et elles sentent éclore en elles "Les fleurs que l'on envie au jardin parfumé !" Le sonnet "La Nonne" qui parle d'un amour pour une femme au cloître continue sur le mode ABA BAB, ainsi que le sonnet suivant "Frédérique" où la chute est un calembour en allemand sur la rime finale : "Ia". Et le sonnet suivant "L'Amour fatal" poursuit sur le mode des tercets à la Pétrarque. En une sorte de "ballade de Lenore", le poète y entraîne la femme à la damnation et les deux derniers vers ont à voir en rebond avec le jet d'urine de "Oraison du soir" :
[...]
Et je frappe du pied les plus hideux tremplins
Pour atteindre le vol énorme des comètes !
 Notez l'allusion au passage au "Saut du tremplin" des Odes funambulesques.
Le sonnet "Viduité" trahit le modèle pétrarquiste en mode ABA BBA. Le poète se compare à un "nid d'hirondelle" et se décrit comme une "âme" déjà "morte", il n'est qu'un "cadavre" se survivant à lui-même.
Le sonnet "Chimères" malgré son lys uni au chardon nous éloigne de "Oraison du soir" pour les rimes des tercets qui sont les plus classiques en français AAB CBC.
Le sonnet "Le Thé" offre des tercets sur une seule rime, on peut penser au futur "Fête galante" zutique de Rimbaud, comme aux tercets monorimes de Brizeux. "Ten-si-o-daï-tsin" semble une référence à la langue japonaise : plusieurs syllabes, ten pour "souverain" et "daï" pour grand si je ne m'abuse. Les tercets reviennent à la forme ABA BAB. Mendès y cite le recueil de Glaser qu'il traduira et publiera en 1869 : "Nuits sans étoile" et il y parle d'une "âme sur qui pèse un étrange sommeil". Il y est question d'un baiser sur l'orteil de la "souveraine Lumière". "Mélancolie" sonnet d'octosyllabes revient aux tercets monorimes, et "Le Glacier" poursuit sur ce mode à la Brizeux. Le sonnet "Canidie" a pour sa part une forme désorganisée : quatrain tercet quatrain tercet, avec encore une autre forme d'organisation des rimes. Le poème "L'éphèbe" qui peut faire songer au début des "Sœurs de charité" revient sur les tercets ABA BAB, et il clôt la série des sonnets du recueil Philoméla dans sa forme originelle seule connue de Rimbaud poète.
Au passage, j'ai oublié de citer un rejet avec le mot "dents" dans l'un des sonnets mendésiens, pour comparer cela avec "Gambier / Aux dents".
Ce relevé montre l'évidente importance du modèle pétrarquiste chez Mendès et on constate que si les sonnets ne font l'objet d'aucune réécriture précise au plan des thèmes, idées, il y a de fortes corrélations. Le poème "Oraison du soir" sent le soufre et développe des images qui ont leur présence dans l'imaginaire mendésien.
Rimbaud y ajoute une obscénité excrémentielle des corps qui, en revanche, est beaucoup plus directement baudelairienne. Baudelaire affectionnait d'évoquer les vomissements en particulier.
J'ai déjà expliqué que le début de "Oraison du soir", le tout premier quatrain était une réécriture du premier quatrain de "Un voyage à Cythère", mais j'ai ici d'autres idées à suggérer.
Rimbaud a dû connaître Les Fleurs du Mal, essentiellement dans la troisième édition de 1868 avec la longue préface de Théophile Gautier et un lot de poèmes qui ne figurent pas dans les éditions plus connues de nos jours de 1857 et de 1861. Il y a aussi un dossier de témoignages en "appendice". Mais, dans la troisième édition des Fleurs du Mal, il y a un poème "A Théodore de Banville (1842)" qui contient le même verbe un peu familier de "Oraison du soir" : "empoigner".
Vous avez empoigné les crins de la Déesse
Avec un tel poignet, qu'on vous eût pris, à voir
Et cet air de maîtrise et ce beau nonchaloir,
Pour un jeune ruffian terrassant sa maîtresse.
On retrouve le basculement des contraires "maîtrise" et "nonchaloir", tandis que la succession rapprochée "empoigné" et "poignet" attire inévitablement l'attention. Banville en 1842 a publié un recueil intitulé Les Cariatides, lesquelles sont parfois des substituts de colonnes, et dans "Oraison du soir" le poète se décrit "Empoignant une chope à fortes cannelures", autrement dit le poète terrasse une maîtresse qui n'est pas une cariatide mais une chope dont les cannelures peuvent faire penser à une colonne de temple grec. Baudelaire salue en Banville un poète plein "du feu de la précocité" et il rappelle que "notre sang nous fuit par chaque pore". Rimbaud serait-il parvenu à glisser dans "Oraison du soir" une telle allusion discrète à Banville ?
Le poème "Un voyage à Cythère", source d'inspiration la plus saillante du sonnet "Oraison du soir" est l'avant-dernière pièce de la section "Fleurs du Mal" du recueil éponyme, et le poème "Un voyage à Cythère", et il est précédé par le poème "Béatrice" qui se termine par la mention "sale caresse" qui me fait songer à une inversion cruelle du désir final de caresses à la fin des "Chercheuses de poux", il est d'ailleurs pas mal question de "deux soeurs" dans les poèmes de la section "Fleurs du Mal", mais puisque je fais se croiser "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux" dans mes renvois aux poèmes des Fleurs du Mal il se trouve que le poème "Crépuscule du matin" qui clôt la section "Tableaux parisiens" offre lui aussi une expression qui semble avoir inspiré un vers des "Chercheuses de poux" : "l'essaim des rêves malfaisants". Il est vrai que j'ai à faire un relevé des présences que j'ai pu constater du mot "tourmente" à la rime, du mot "essaim", et d'images de rêves groupés dans les vers de Mendès, mais il n'en reste pas moins que "Crépuscule du matin" est une source pour "Les Soeurs de charité" de Rimbaud comme pour "Les Chercheuses de poux", et ici "essaim des rêves malfaisants" correspond à "l'essaim blanc des rêves indistincts". Or, le dernier vers de "Crépuscule du matin" entre comme le quatrain de "A Théodore de Banville (1842)" en résonance directe avec le vers 2 de "Oraison du soir" :
[...]
Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,
Empoignait ses outils, vieillard laborieux.
Vous me direz que le rapprochement pour l'emploi d'un même verbe est gratuit, et que tant que j'y suis je dois m'ébahir de la présence du mot "outils" qui fait penser à "comme un outil" du vers de "Un voyage à Cythère" qui est précisément la référence du premier vers de "Oraison du soir", du vers précédant notre "Empoignant une chope à fortes cannelures", succession d'un vers à l'autre des deux références. Mais, tournez la page de votre édition des Fleurs du Mal de 1868 et vous entamez la section "Le Vin", et cela commence avec le poème "L'âme du vin" décrivant ses effets coulant dans un gosier. Et le dernier vers est un jaillissement vers Dieu comparable au jet final de "Oraison du soir", l'obscénité en moins, mais pas sans notation florale : "Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur !"
Alors, ces rapprochements, une pure élucubration de ma part ?
Une thèse à aborder : "Oraison du soir" d'un "diable au milieu des docteurs" plutôt que d'un "Ange aux mains d'un barbier" réplique aux réserves de Mendès et d'autres sur les mérites poétiques d'un Rimbaud zutique qui vit "assis" à boire en compagnie de Verlaine, comme un parasite, un Rimbaudqui revendique une précocité plus forte encore qu'un Banville salué par Baudelaire, et un Rimbaud qui s'étonne de souffrir la réprobation morale de gens qui ont pour modèle poétique l'esprit de corruption absolue des Fleurs du Mal.

Travail d'identification des influences possibles de poésies et écrits de Catulle Mendès sur les vers d'Arthur Rimbaud

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Conseil : lisez l'article "Tête de faune dans Le Bois" de Glatigny pour l'origine de la variante "perle", pour l'origine de l'emploi de "feuillée", pour l'origine de la rime "feuille"/"recueille", j'ai mis des commentaires pour renvoyer à des articles de 2020 et 2021 où j'annonçais avoir des choses à dire sur "Tête de faune" et "Le Bois", où j'envisageais d'autres sources à "Tête de faune" dans d'autres poèmes de Glatigny. Et maintenant, devinez un article à venir de Chevrier dans le prochain Parade sauvage. Je me suis dépêché de publier mon dossier en sommeil depuis quatre ans. Mon antériorité sera actée.
 
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Rimbaud, poète zutique, a réglé des comptes avec plusieurs poètes. Il s'inspirait déjà de vers de Coppée en 1870, mais à part le cas du poème "La Grève des forgerons" Rimbaud n'était pas encore dans les règlements de compte au plan politique. C'est à l'époque même de la Commune que commence la pratique des parodies satiriques de poèmes de Coppée avec "Chant de guerre Parisien" inspiré de "Chant de guerre circassien". Certes, au plan de la signification, le poème "Chant de guerre Parisien" a une certaine autonomie, mais nous sommes en réalité dans un cas de figure très précis : "Chant de guerre Parisien" et "Les Mains de Jeanne-Marie" sont tous deux en quatrains d'octosyllabes, et plusieurs poèmes patriotiques étaient composés à peu près sur ce modèle : des Idylles prussiennes du respecté Banville à plusieurs poèmes de Bergerat et d'autres. Le dernier recueil en date de Victor Hugo était fait en vers courts Chansons des rues et des bois et c'était plus remarquable encore avec Gautier qui avait fait Emaux et camées. Surtout, comme "Chant de guerre Parisien" parodie les quatrains d'octosyllabes de "Chant de guerre circassien" de Coppée, "Les Mains de Jeanne-Marie" parodie les quatrains d'octosyllabes de "Etudes de mains" de Théophile Gautier. Les deux poèmes de Rimbaud traitent un sujet politique d'actualité avec une ardeur polémique, et les cibles parodiques semblent secondaires, alors que Coppée et Gautier ont déclaré publiquement leur hostilité à la Commune.
Rimbaud va plus d'une fois épingler Coppée dans l'Album zutique, mais dans la dynamique du groupe il va aussi épingler Amédée Pommier et Belmontet, l'un réactionnaire et anti-parnassien, l'autre bonapartiste, mais encore Armand Silvestre, protégé de George Sand, qui a lui aussi écrit contre la Commune sous le pseudonyme Ludovic Hans. Rimbaud épingle également Louis Ratisbonne, pour des raisons plus littéraires semble-t-il, mais Ratisbonne fait partie lui aussi avec le Journal des Débats et ses liens familiaux à un milieu pro-versaillais.
Rimbaud parodie aussi Verlaine "Fête galante" et Louis-Xavier de Ricard, deux communards. Il parodie Albert Mérat qui semble avoir été jaloux de Rimbaud et qui répandait des rumeurs sur sa relation avec Verlaine.
J'ajoute que les sonnets en vers d'une syllabe ciblent en plus d'Amédée Pommier l'anti-parnassien Alphonse Daudet, et je prétends très clairement que les poèmes des lettres "du voyant" "Le Coeur supplicié" et "Mes petites amoureuses" ont déjà une allure pré-zutique qui cible notamment Alphonse Daudet : forme de triolets des "Prunes", mention des "caoutchoucs" dans Le Petit Chose, mention du "mouron", allusion au titre de recueil Les Amoureuses, etc. Daudet, avec Paul Arène, et quelques autres, avait écrit Le Parnassiculet contemporain où figure justement le sonnet en vers d'une syllabe tourné contre Verlaine : "Le Martyre de saint Labre".
Face à cette constellation, il faut encore intégrer la parodie "Vu à Rome" à propos de Léon Dierx. Celui-ci n'est pas un défenseur de la religion, et sa poésie semble neutre d'implications quant à l'actualité politique.
Je pense pourtant que Dierx, proche de Mendès et auteur d'un livre Paroles d'un vaincu qui correspond à la position des poètes en général de pleurer les morts de la guerre franco-prussienne, de prôner la revanche, sans s'attarder au sort de la Commune, était finalement lui aussi une cible zutique logique pour Rimbaud. Les liens entre Dierx et Mendès sont importants, ils sont amis, et Mendès dédicace ses Contes épiques de 1876 à Léon Dierx.
J'en viens maintenant au cas de Catulle Mendès.
Murphy a identifié une réécriture du poème "Le Jugement de Chérubin" dans "Les Chercheuses de poux". Malgré l'évidence des rapprochements, l'intérêt de cette source n'arrive pas à faire l'unanimité. On se retrouve dans l'idée que comme pour "Chant de guerre Parisien", "Les Mains de Jeanne-Marie", la source des "Chercheuses de poux" est secondaire pour la compréhension du poème.
Pourtant, dans son roman à clefs Dinah Samuel, et même avant dès 1880 dans un article de journal, Félicien Champsaur, proche des Hydropathes qui n'aimaient ni Verlaine ni Rimbaud, avait décrit une lecture publique du poème "Les Chercheuses de poux" devant Mendès lui-même, travesti en Catulle Tendrès, lequel réagissait par un commentaire aigre-doux si on peut dire.
Donc, on savait le lien du poème avec "Le Jugement de Chérubin" et on lui supposait bien une importance. Comme Armand Silvestre, Mendès avait publié un écrit à chaud de témoignage critique de la vie à Paris sous la Commune.
Enfin, je l'ai déjà dit. Le poème "Oraison du soir" a des tercets rimés ABA BAB, procédé pétrarquiste qui n'a pas été repris en France à l'époque de Marot, Mellin de Saint-Gelais, Ronsard et du Bellay. Charles Nodier y a recouru à l'époque romantique, ce qui est une exception, et Catulle Mendès en a fait sa marque de fabrique dans son recueil Philoméla, et cela se retrouve encore dans quelques sonnets ultérieurs. Par conséquent, "Oraison du soir" suppose lui aussi une allusion à Catulle Mendès, et on voit par certaines rimes et certaines images qu'il y a une allusion à la fois aux Fleurs du Mal de Baudelaire et à des poèmes de Philoméla de Mendès, lequel s'inspirait bien évidemment de la nouveauté de scandale des Fleurs du Mal. J'ajoute que avec "Les Fils des anges", "Le Jugement de Chérubin" fait à nouveau partie des sources les plus plausibles à une nouvelle parodie rimbaldienne. Dans l'ensemble des trois sonnets "Les Immondes", à côté de la parodie de L'Idole de Mérat, nous avons deux autres sonnets de Rimbaud où les tercets sont rimés ABA BAB. Par ailleurs, le mot "écarlatine" dans la parodie de Dierx "Vu à Rome" vient d'une rime du recueil Philoméla également. Enfin, j'ai découvert une nouvelle "Norbert Elias" parue en 1868, qui est une source sensible à certains passages des "Chercheuses de poux".
Le problème avec Mendès, c'est que la chronologie de ses publications est bien mal établie.
Prenons sa fiche "Wikipédia", après son recueil de jeunesse Philoméla, ses principaux titres de gloire dateraient de la période 1888-1898 : Méphistophéla, Les Oiseaux bleus et Le Chercheur de tares. Le dernier titre cité, de 1898, ressemble à celui de Rimbaud "Les Chercheuses de poux", décidément !
En réalité, les titres de gloire de Mendès, c'est d'avoir créé la Revue fantaisiste, d'avoir lancé avec Ricard le mouvement du Parnasse contemporain, puis il a favorisé la publication de L'Assommoir de Zola en revue. Ses écrits abondants n'ont jamais eu un réel intérêt.
En tant que poète, son œuvre est pour moi discontinue et elle est visiblement difficile d'accès et difficile à dater.
Je reste sur la fiche fournie par le site Wikipédia à propos de Catulle Mendès. Nous avons Philoméla en 1863, puis une section de "sonnets", puis Panteleia en 1863. Les auteurs de la fiche Wikipédia croient qu'il s'agit de trois oeuvres distinctes, parce qu'au lieu de consulter l'édition originale de Philoméla ils ont supposé l'existence de trois recueils distincts à cause des remaniements des éditions tardives des Poésies complètes de Catulle Mendès, où le recueil Philoméla est démembré, tandis que le poème "Les Fils des Anges" est passé du côté des Contes épiques.
Rimbaud ayant composé ses poésies avant 1875, il ne faut pas prendre en compte les remaniements de 1876 et au-delà, ni considérer que Rimbaud a pu s'inspirer du recueil Contes épiques paru en 1876.
Il faut se reporter à l'édition de 1863 du recueil Philoméla qui est la seule que Rimbaud ait connue. Elle est disponible sur internet (Gallica, sinon Wikisource). Il faut y ajouter un prélèvement de poèmes parus dans la Revue fantaisiste et qui ne se retrouvent pas forcément dans les éditions ultérieures des poésies de Mendès. Là encore, nous pouvons consulter le contenu de cette revue sur internet, sur le site Gallica de la BNF.
Il est ensuite question d'une publication des Sérénades dans la Revue française. La revue peut-elle être consultée en ligne ? A défaut, je consulter les poèmes en question dans les éditions des Poésies complètes, en espérant qu'il n'y manque rien, que l'ensemble n'a pas été altéré. L'ensemble "Sérénades" intéresse d'évidence la critique verlainienne, il y a des choses à dire au sujet du recueil Poëmes saturniens. Je rappelle que Verlaine, à cause du mouvement parnassien, fréquente à l'époque Catulle Mendès justement, et Verlaine avait un faible pour le recueil Philoméla. Je vous fais part ici de mon jugement personnel. J'apprécie moi aussi quelque peu le charme du recueil Philoméla, même si je ne reconnais pas la présence d'un grand poète. En revanche, j'ai un mépris absolu pour la vacuité des "Sérénades". Ceci dit, force est de constater qu'il y a un sujet pour les études verlainiennes à les rapprocher des Poëmes saturniens.
Ensuite, nous avons une section intitulée "Pagodes" parue dans le premier Parnasse contemporain en 1866. Il s'agit de quatre poèmes qui mixent l'influence de Leconte de Lisle pour l'exotisme mythologique aux vers courts : "Le Mystère du lotus", "Dialogue d'Yama et d'Yamî", "L'Enfant Kriçhna" et "Kamadéva". Je trouve ces quatre poèmes aussi mauvais que l'ensemble "Sérénades". Ce qui se dégage pour moi, c'est qu'après un certain investissement poétique pour le premier recueil Catulle Mendès s'est effondré. Il se laisse aller à des compositions faciles, rapides et dérisoires.
Je poursuis le relevé fourni par la fiche wikipédia. Nous avons deux recueils datés de 1876 : Soirs moroses et Contes épiques. Puis, on repasse en 1872 pour l'édition originelle de Hespérus, puis on a "Intermède" daté de 1871, dont on ne sait trop s'il s'agit d'une édition en revue ou en plaquette. Puis, on passe à une autre référence "Le Soleil de minuit" sans mention de date. Je passe sur les oeuvres datées tardives, je relève une autre référence sans date : "Les Braises du cendrier".
Pour l'activité en prose, du moins romans et nouvelles, Catulle Mendès ne semble avoir publié qu'à partir de 1879.
On voit bien que cette bibliographie n'est pas le moins du monde satisfaisante.
Je reviens à la page Wikisource qui offre elle-même sa propre "bibliographie", sommaire et partielle, mais aussi un peu différente. Cette fois, le recueil Contes épiques est daté de 1872.
Vous avez aussi un ensemble intitulé "Soirs moroses" avec six poèmes référencés : "Spleen d'été", "Soror dolorosa", "L'Absente", "Exhortation", "Oubli", "La Dernière âme". Malheureusement, cinq des six poèmes sont donnés à partir de l'édition des Poésies de 1892, un seul est cité à partir du premier Parnasse contemporain de 1866. En effet, "L'Absente" est le sonnet fourni par Mendès au bouquet final du premier Parnasse contemporain.
Vous commencez à cerner le problème. A son époque, Rimbaud ne pouvait peut-être pas facilement lire des poèmes publiés dans des revues, surtout quand c'était quelques années auparavant. Mais, surtout, qu'est-ce qu'il pouvait avoir lu exactement sous forme de plaquettes, de recueils, sans oublier les publications en prose ? Que publiait Mendès dans les revues, dans la presse, au moment même où Rimbaud était à Paris avec Verlaine, les zutistes et quelques autres Vilains Bonshommes ? Quelles étaient les publications exactes de Mendès en 1872 ? Car Rimbaud a pu s'inspirer de poèmes publiés en 1872, soit parce qu'il a pu lire des poèmes encore inédits de septembre 1871 à mars 1872, soit parce que même si Rimbaud change de forme avec ses derniers vers, puis ses écrits en prose il a pu lire attentivement les vers nouveaux de Mendès.
A côté de l'édition originale de Philoméla de 1863, on peut spéculer sur sa connaissance de poèmes parus dans la Revue fantaisiste, puis sur sa lecture des "Sérénades" dans la Revue française, Verlaine s'y étant intéressé après tout. Rimbaud a pu lire les poèmes parus en 1866 dans le premier Parnasse contemporain, mais ils sont dérisoires. En revanche, il a lu à coup sûr les poèmes parus dans le second Parnasse contemporain, en livraison d'abord vers 1869-1870, puis en volume en juillet 1871, ce qui en faisait un sujet d'actualité à son arrivée à Paris !
J'ai déjà cité les cinq poèmes de Mendès du premier Parnasse contemporain : la série quelque peu débile de quatre poèmes intitulée "Pagode", puis le sonnet "L'Absente". Le poème "L'Absente" est au contraire très intéressant, il est tout en rimes féminines avec un premier vers qui annonce le procédé : "tout s'effémine", premier vers qui pratique le rejet à la césure de la forme verbale "languit", ce qui intéresse là encore des parodies de Verlaine de juillet 1871 :
 
                        L'Absente
 
C'est une chambre où tout languit et s'effémine ;
L'or blême et chaud du soir, qu'émousse la persienne,
D'un ton de vieil ivoire et de guipure ancienne
Apaise l'éclat dur d'un blanc tapis d'hermine.

Plein de la voix mêlée autrefois à la sienne,
Et triste, un clavecin d'ébène que domine
Une coupe où se meurt, tendre, une balsamine,
Pleure les doigts défunts de la musicienne.

Sous les rideaux imbus d'odeurs fades et moites,
De pesants bracelets hors du satin des boîtes
Se répandent le long d'un chevet sans haleine.

Devant la glace, auprès d'une veilleuse éteinte,
Bat le pouls d'une blanche horloge en porcelaine,
Et le clavecin noir gémit, quand l'heure tinte.

Je relève "persienne" à la rime comme dans "L'Angelot maudit" et comme chez Baudelaire. Je relève l'hémistiche "L'or blême et chaud du soir", les adjectifs en relief "triste" et "tendre", ce qui fait quelque peu songer à "Oraison du soir". Je pense bien sûr pour les rimes féminines au cas particulier qu'est le sonnet "Voyelles". Je vous invite bien évidemment à lire les parodies des "Princesses" de Banville par Verlaine dans sa correspondance avec Valade, Blémont,... en juillet-août 1871.
Passons au contenu du second Parnasse contemporain. Mendès y a fourni une série qu'il a intitulée "Légendes et contes", elle se compose des poèmes suivants : "L'Orgueil", "Le Consentement", "Le Disciple", "Le Lion", "La Fille du Domn", "L'Enfant", "Ahasvérus".
Mendès y produit des imitations assez faibles de Leconte de Lisle et du Hugo de La Légende des siècles, même si ça paraît moins ridicule que les séries "Sérénades" et "Pagodes".
Le poème "L'Orgueil" est particulièrement faible. Le second "Le Consentement" a tout de même un certain mérite dans la narration. La versification en est plus médiocre, malgré des enjambements modernes à la Hugo. Le poème suivant a une versification souple, naturelle qui passe bien, mais il est d'un contenu franchement dérisoire : "Le Disciple". Le poème "Le Lion" est une imitation assez plate de Victor Hugo. Le poème "La Fille de Domn" a une chute prévisible, mais il s'agit tout de même là encore d'une excellente idée de récit avec une très belle chute. Le poème "L'Enfant" est écrit en terza rima. Il est passable. Il contient deux vers où le déterminant "leur" est devant la césure, dont une fois dans une structure de trimètre à la Hugo-Baudelaire : "Lents, courbés, & sur leurs manteaux croisant leurs mains,", "De leurs soucis, de leurs regrets, de leurs attentes."
Le poème "Ahasvérus" contient pour sa part la forme "comme un" calée devant la césure, en clin d'oeil évident à Baudelaire : "Il se traînait comme un blessé qui voudrait fuir[.]"
Donc, pour l'instant, Rimbaud a pu s'inspirer essentiellement de Philoméla, du sonnet "L'Absente" et puis de cette section "Légendes et contes" où certains vers continuent de rappeler le patronage de Baudelaire avec deux récits plus réussis que les autres : "Le Consentement" et "La Fille du Domn".
Il reste à déterminer si Rimbaud a pu lire la série "Soirs moroses" dont le titre peut entrer en résonance avec celui qu'est "Oraison du soir". J'ajoute bien sûr un volume de nouvelle avec l'étude "Norbert Elias" en 1868 et bien sûr le volume Les 73 Journées de la Commune.
Telle est la base pour méditer sur l'influence possible des écrits de Mendès sur Rimbaud.
Pour le poème "Le Soleil de minuit", assez conséquent, il a été publié dans le troisième Parnasse contemporain de 1876, ce qui fait que je tends à l'écarter des lectures possibles du Rimbaud poète qui nous intéresse.
L'anthologie Walch fournit une bibliographie intéressante. Il y a sans doute quelques erreurs, notamment de dates, mais il référence un volume Le Roman d'une nuit paru en 1863 et il référence aussi le volume Histoires d'amour (nouvelles) paru en 1868 où j'ai repéré l'étude "Norbert Elias" comme une des sources aux "Chercheuses de poux". Il est question aussi de la traduction du recueil d'E. Glaser : Nuits sans étoiles, en 1869. Le recueil Contes épiques est cette fois daté de 1870 et il est précisé qu'il contient un dessin de Claudius Popelin. Nous avons ensuite deux poèmes parus en plaquette, dont le premier est cité par Rimbaud dans sa correspondance à Demeny : "Colère d'un franc-tireur" et "Odelette guerrière" (1871). Walch a aussi le mérite d'évoquer le théâtre en vers de Mendès qui doit lui aussi retenir l'attention des rimbaldiens, ainsi de La Part du roi en 1872, puis Les Frères d'armes. Ce n'est pas suffisant, puisque j'ai lu par le passé tout le théâtre en vers de Mendès, mais c'est un début de réorientation des recherches pour les rimbaldiens.
Enfin, il est fait état de la première série des Poésies de Mendès en 1876, ce qui invite à considérer que "Soirs moroses", "Hespérus" et "Intermède" sont des œuvres plus anciennes, puisque reprises ici.
Pour "Soirs moroses", la piste est celle de la Revue française. Pour "Intermède", la date de 1871 reste à vérifier, tout comme il faut détailler de manière plus précise la publication des Contes épiques. Enfin, Hespérus a été publié en 1872.
Ajoutons que pour le volume collectif de 1869 Sonnets et eaux-fortes Mendès a fourni le sonnet "Théodora" qui fait là encore un peu penser aux "Princesses" de Banville.
Pour Le Tombeau de Théophile Gautier, paru en 1873 et qui n'a pas dû être une lecture très attentive de Rimbaud en principe, Mendès a fourni le poème "Epitaphe" sur son mode à lui de la terza rima en treize vers sur deux rimes qu'il avait initié avec Philoméla, recueil précisément dédié à Théophile Gautier, tout comme les alors récentes Fleurs du Mal.

Il reste maintenant à traiter d'une dernière source d'informations particulière. Dans l'édition des Poésies complètes de Catulle Mendès en 1892, nous avons des notices encartées qui rappellent des publications antérieures et des ajouts de poèmes.
Je prends le cas des Contes épiques dont il s'agit de démêler la date exacte de publication.
Voici ce qui est écrit, je n'inverse pas les italiques et les caractères romains en citant :
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
Les premiers Contes épiques, peu nombreux, parurent en 1870 dans le Parnasse contemporain. Ils formèrent ensuite, augmentés de quelques pièces, un petit volume publié en 1872 par l'éditeur Jouaust ; cette édition est depuis longtemps épuisée. Ils firent partie de les Poésies de Catulle Mendès (1876, chez Sandoz et Fiscbacher), ouvrage également épuisé. Avec beaucoup de contes nouveaux, ils furent le quatrième des sept volumes intitulés les Poésies de Catulle Mendès. (Ollendorf, 1885 et Dentu, 1886.)
Les Contes épiques sont publiés au début du tome 2 des Poésies complètes de 1892, ils sont alors dédiés "à Léon Dierx", ce que je veux vérifier pour l'édition de 1872, mais ce qui montre par un nouvel indice qu'il y a un lien de forte complicité entre Dierx et Mendès, ce qui veut dire que Rimbaud s'est méfié autant de Dierx que de Mendès à son arrivée à Paris. Il ne parodie pas Dierx dans "Vu à Rome" par sympathie littéraire.
Si on analyse maintenant la note, où la transcription "Fiscbacher" est une coquille probable pour Fishbacher ou Fischbacher, en clair, la date de 1870 est erronée en ce qui concerne la notice de l'anthologie Walch, mais il faut aussi remettre en cause celle de 1876 sur Wikipédia. La bonne date de première publication est 1872, sauf qu'il va falloir trier les poèmes qui faisaient partie de ce recueil précis qu'a pu lire Rimbaud. Il faut ajouter qu'on se demande si le volume publié en 1872 se contentait d'un ensemble de Contes épiques ou s'il n'incluait pas Hespérus, éventuellement d'autres œuvres.
Tel qu'il est en 1892, le recueil des Contes épiques contient le poème "Les Fils des Anges" qui vient de Philoméla, les poèmes "L'Orgueil", "Le Consentement", "Le Lion", "La Fille du Domn", "Le Disciple" et aussi le poème "L'Enfant" sous le titre "Le Prédestiné", ainsi que "Ahasvérus" sous le titre "La Charité".
Passons à la "note bibliographique" suivant à propos de l'ensemble intitulé "Hespérus". Je cite sans inverser les italiques et les caractères romains :
 
   Hespérus, poëme swedenborgien, précédé d'une courte préface qu'il a paru inutile de reproduire ici, parut pour la première fois dans le feuilleton d'un journal quotidien. Il a été publié en 1872, par la Librairie des Bibliophiles, - Jouaust, éditeur, - en un volume tiré à petit nombre, orné d'un dessin de Gustave Doré, et qui fut rapidement épuisé ; il fait partie de : Les POESIES DE CATULLE MENDES (Sandoz et Fischbacher, éditeurs, 1876), - ouvrage également épuisé ; il formait le cinquième des sept volumes intitulés :  les Poésies de Catulle Mendès. (Ollendorff, 1885 ; Dentu, 1886.)
Ces notes bibliographiques sont d'une fatuité assez déconcertante à préciser par le menu des publications annexes dans des volumes de poésies complètes, et à marteler que toutes ces éditions anciennes sont épuisées. Mais on apprend que la série "Hespérus" a joui d'une pré-originale dans la presse qui est antérieure, mais de combien de temps ? à la publication en volume en 1872. On voit que désormais "Hespérus" est systématiquement publié après les Contes épiques. On peut penser qu'il y a deux volumes distincts en 1872 : Contes épiques, puis Hespérus, mais la pré-originale dans une revue peut laisser entendre que cette succession chronologique ne va pas forcément de soi, et de toute façon il faut désormais identifier la pré-originale de "Hespérus" pour envisager si Rimbaud a pu ou dû le lire ou non.
La section "Hespérus" est dédiée en 1892 "à Leconte de Lisle". Elle rassemble cinq pièces numérotées : "I Crépuscule", "II Visitation", "III Arcanes", "IV La Vision suprême", "V L'Accomplissement".
Je rendrai compte de cette oeuvre, qui est plus intéressante que "Sérénades" ou "Pagode", même si ce n'est pas de la poésie de premier plan. Je pense en la lisant peut-être pas à Rimbaud, mais à "Crimen amoris" de Verlaine. J'en reparlerai.
Voici maintenant la notice pour "Intermède" :
 
   Intermède a paru dans les Poésies de Catulle Mendès (Sandoz et Fischbacher, 1876), mais il ne contenait alors qu'un très petit nombre de pièces. Considérablement augmenté, il a formé le sixième des sept volumes intitulés : les Poésies de Catulle Mendès. (Ollendorff, 1885 ; Dentu, 1886.)
La publication envisagée plus haut de 1871 est cette fois contredite. Cet ensemble ne daterait que de 1876. Il contenait à l'origine peu de poèmes, il faut en plus procéder à un tri.
Je suis obligé de laisser ce poème de côté et de passer à la suite : "Pièces datées" qui réunit "Odelette guerrière (Décembre 1870)", poème en quatrains d'octosyllabes à rimes croisées qui part en galanterie peu en phase avec l'actualité, "Compliment au grand-père (26 février 1881)", "L'Enfant et l'étoile (27 février 1882)", et enfin "Le 14 juillet", poème non réellement daté ici.
Nous avons ensuite la pièce "Le Soleil de minuit" dédicacé "à Jean Marras", ce qui n'était pas le cas dans le troisième Parnasse contemporain. La note date ce poème d'avril 1875.
Pour l'instant, il faut mettre la main sur les premières publications en 1872 des Contes épiques et d'Hespérus.
Je ne vais pas m'attarder sur le tome 3 qui réunit des pièces plus tardives, mais je dois revenir sur le tome 1. Dans ce premier tome, le recueil Philoméla est démembré, puisque les sections "Sonnets" et "Panteleia" sont présentées à part, sortie donc du recueil originel, et je rappelle que le poème "Les Fils des anges" est passé dans le recueil des Contes épiques. Ce volume fournit ensuite la série des "Sérénades" que je ne peux lire que là, puisque je n'ai pas accès à la pré-originale de la Revue française. Je crois constater que certains poèmes parus dans la Revue fantaisiste n'ont pas été repris dans cette édition des Poésies complètes, à moins qu'elles ne soient dans le troisième tome...
La séquence "Pagodes" apparaît ici avec la suite de cinq poèmes paru dans le premier Parnasse contemporain, avec de légères modifications des titres et l'apparition même du titre "Pagodes" qui ne figure pas dans la publication initiale de 1866.
Ce qui m'intéresse, c'est la section des "Soirs moroses". Elle compte un certain nombre de poèmes, et cela inclut le sonnet "L'Absente" cité plus haut et le poème "Epitaphe" du Tombeau de Théophile Gautier. A moins d'un changement de titre, le sonnet "Théodora" du recueil Sonnets et eaux-fortes n'a pas été repris.
Je cite maintenant la note bilbiographique d'introduction :
   Les Soirs moroses, recueil de poésies publiées dans les Revues et les Journaux, font partie de : les Poésies de Catulle Mendès (1876, chez Sandoz et Fischbacher), édition épuisée. Ils forment le troisième des sept volumes intitulés les Poésies de Catulle Mendès (Ollendorff, 1885 ; Dentu, 1886). A cette édition on avait ajouté quatorze poëmes nouveaux : Funérailles, la Chanson de la Haine, Survivance, Promptes Amours, Avant l'Orage, le Mauvais Choix, le Triste Espoir, Orgueil, les Retours, Pour la Grande Amie, le Mauvais Guide, Regret d'un Rêve, les Mansardes, Epitaphe.
En 1892, cet ensemble est dédicacé "à Stéphane Mallarmé".
Après "Philoméla", l'essentiel des poésies de Mendès, c'est précisément "Soirs moroses" et "Hespérus", puis les "Contes épiques". "Intermède" et "Le Soleil de minuit" viennent après et ne semblent pas avoir été connus de Rimbaud.
Malheureusement, le recueil "Soirs moroses" a une date de publication tardive pour un ensemble de poèmes publiés à des dates diverses. Rimbaud a dû connaître quelques-un de ses poèmes en 1871-1872. Il ne reste plus qu'à déterminer lesquels.
Voilà pour mon grand repérage bibliographique, vous voyez ici une partie du travail de chercheur, et prochainement je vous rendrai compte des lectures sélectionnées comme candidates à une "influence" sur Rimbaud.

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Sur Gallica, le recueil Hespérus est une édition tardive de 1904.
Sur Gallica toujours, j'ai trouvé des numéros de la Revue française avec une intervention en 1861 de Catulle Mendès, mais une chronique ou un article, puis plusieurs mentions de Mendès en 1861, 1864 et 1866, mais aucune série de "Sérénades".
Notons tout de même qu'il y a un très long article sur les poètes publiés en 1863 ou un paragraphe de Charles Asselineau sur le Parnasse contemporain, avec des propos d'époque vraiment intéressants.
Et toujours sur Gallica, on peut consulter la Revue nouvelle avec des numéros des années 1863 et 1864, avec des contributions de Mendès pour la "revue dramatique" notamment, avec des mentions de Mendès et de son recueil Philoméla, avec enfin un ensemble de quinze "rondeaux parisiens" qui sont des espèces de poèmes en prose, et certains comme "Les Chevelures" permettent de méditer sur certains motifs chers à l'auteur et caractéristiques de sa production. Mais toujours pas de "Sérénades".

Le poème "Colère d'un franc-tireur" est bien distinct de "Odelette guerrière", elle bien reprise dans la série "Pièces datées" des Poésies complètes de Catulle Mendès en 1892. Ce poème cité en passant par Rimbaud contient la rime "éclatante"/"tente" dans un contexte de clairon militaire. Le rapprochement est sans doute vain et peu pertinent, mais je l'indique quand même. Il s'agit d'un poème de discours bravache d'un militaire avec une esthétique hugolienne évidente, un discours en alexandrins à rimes plates.
Voici un lien pour consulter en ligne ce texte : cliquer ici ! 

Je me permets de le copier/coller ci-dessous, vu la difficulté évidente à y accéder.

LA COLÈRE D’UN FRANC-TIREUR
Poème Dit par M. COQUELIN de la Comédie-Française

Major, je n’entends rien à votre médecine.

La tisane m’assomme et le lit m’assassine.

Si je ne suis guéri demain, à mon réveil,

Morbleu ! traînant ma jambe avec votre appareil,
5 Je rejoindrai, boiteux ou non, les camarades.

Je réclame mon lot de gloire et de bourrades.

S’il faut saigner là-bas sous quelque obus prussien,

Tant mieux ! un nouveaux mal guérira de l’ancien,

(Vous nommerez cela de l’homœopathie),
10 Et, si l’on meurt, je veux être de la partie.

Je puis mourir, n’ayant ni femme ni marmots.

Ma fureur te surprend, major ? En quatre mots

Voici pourquoi je veux quitter cette paillasse.

Nous marchions. Nous étions quatre cents, tous d’Alsace.
15 Comme on était parti dès le soleil levant,

Nul n’aurait pu, le soir, faire un pas en avant

Sans le clairon hardi qui chante et qui réveille ;

Ce bruit-là, c’est du rhum que l’on boit par l’oreille.

Il fallut s’arrêter pourtant, dormant déjà.
20 Près d’une roche un bouc passait, on le mangea,

Tandis qu’autour de nous, pour des scènes funèbres,

Comme de noirs décors s’élevaient les ténèbres.

Connaissez-vous l’opaque et tenace sommeil

Qui résiste à la pluie, au jour, au cri vermeil
25 Des trompettes sonnant la diane éclatante,

Le sommeil harassé du soldat sous la tente ?

C’est lui qui me coucha près d’un arbre, à l’écart.

Je vis confusément dans un dernier regard

Mes compagnons autour d’un feu de feuilles sèches,
30 Et la plaine, et, pareils à des faisceaux de flèches,

Les peupliers perçant le vide aérien,

Et des coteaux, là-bas, et de l’ombre ; puis, rien.

Quand j’ouvris l’œil, au bord du ciel naissait l’aurore.

Les membres lourds, l’esprit plein de brumes encor,
35 Pour secouer le froid, invisible linceul,

Je me levai, cherchant les autres. J’étais seul.

Seul ! — Sans doute, éveillés par de brusques alarmes,

En courant, en criant, ils avaient pris les armes,

Mais moi, dans le silence et dans l’ombre perdu,
40 Stupide, je n’avais rien vu, rien entendu :

Je dormais ! — A présent, c’est clair, j’étais un lâche,

J’étais le vil goujat qui se sauve ou se cache

A l’heure de l’alerte et du danger commun ;

Et, peut-être, guettant le moment opportun,
45 Le cœur chaud, le bras fort, l’arme bien épaulée,

Mes amis s’embusquaient là-bas, dans la vallée,

Et disaient en parlant du camarade enfui :

« Tiens, je n’aurais jamais pensé cela de lui ! »

Enfer !

Soudain, j’entends des coups de feu. J’écoute,
50 Collant l’oreille à terre. On se bat, plus de doute,

Mais un peu loin, vers l’est, entre des mamelons.

N’importe ! En avant, marche ! au pas de course ! allons !

Et dans leur sac que font sauter mes bonds farouches

J’entends se remuer, joyeuses, mes cartouches !
55 En courant, je glissai. Bête brute ! animal !

Sur un caillou. Je crus ne pas m’être fait mal.

Mais quatre pas plus loin, — oh ! le diable t’emporte,

Os maudit ! — cette jambe autrefois droite et forte,

Cette jambe, — tenez, coupez-la-moi, major ! —
60 En s’affaissant sous moi, me fit tomber encor,

Avec ce cri de rage et de douleur « cassée ! »

Là-bas la fusillade éclatait, plus pressée,

Disant : « Viens, tes amis t’appellent, ce sont eux

Qui luttent ! » Je restais couché, comme un goutteux.
65 Tandis qu’ils combattaient, beaux d’une âpre furie,

Je tâtais, en geignant, ma chair endolorie,

Blessé, rampant. Blessé ? pas même. Estropié !

De sorte qu’en ce jour si longtemps épié,

Jour de combat ! le fier serment et l’espérance
70 De mourir pour ta vie et pour ta gloire, ô France !

Et mon père, vieillard délaissé sans amis,

Et les larmes de celle à qui j’étais promis,

Et ma jeunesse avec son adresse et sa force,

Tout cela n’était rien, à cause d’une entorse !
75 Tout mon espoir s’était brisé contre un caillou !

Major, êtes-vous sûr que je ne sois pas fou ?

J’ai dû le devenir dans ce moment atroce.

« Je marcherai ! » me dis-je. Alors, fichant la crosse

De mon fusil dans l’herbe humide, je parvins
80 A me dresser. Ainsi qu’un homme entre deux vins,

J’avançai, par saccade, et, vers la terre moite

Me courbant, j’avais l’air d’un animal qui boite.

Mais le bruit du combat, plus proche, et le clairon

Me donnaient dans le cœur de grands coups d’éperon,
85 Et, bien que la douleur dans cette jambe infâme

Fût telle que je crus mille fois rendre l’âme,

Je marchais, sans relâche, oubliant de souffrir,

Et devant d’arriver assez tôt pour mourir !

J’atteignis une côte. Au-delà, dans la plaine,
90 On se battait. Que faire, inerte, hors d’haleine ?

« Allons, monte, perclus !» Impossible ! trop haut !

Ah ! j’en pleurais. « Cela se peut, puisqu’il le faut ! »

Et, couché dans un lit de torrent qui serpente

Presque à pic et pierreux, tout le long de la pente,
95 En m’aidant du genou, de l’ongle et du menton,

Je grimpai ! j’entendais les feux du peloton !

Mes mains, mes bras, saignaient sur les épines vertes,

Je portais mon fusil entre mes dents ouvertes,

Des pointes déchiraient mon ventre à chaque effort,
100 Et ma jambe, pareille à la jambe d’un mort,

Lamentable fardeau, me tirait en arrière :

Je grimpais ! mon fusil tomba, dans une ornière,

Parmi des gazons ras qu’avait roussis l’hiver.

Mon bon fusil ! j’avais encor mon revolver,
105 Et je grimpais toujours ! têtu ! de roche en roche !

Et quand, les yeux hagards, je vis la cime proche,

Fou d’espoir, sur l’épine et les cailloux bourrus,

Lourd, déchiré, sanglant, n’importe ! je courus !

Et bientôt, m’élevant sur mes deux poings, robuste,
110 Joyeux, je dominai le mont de tout mon buste.

Oh ! quel cri je poussai ! Car je vis, oui, je vis

Les Français triomphants, les autres poursuivis,

Et, soulevant mon arme entre mes deux mains jointes,

Discernant les Prussiens, grâce aux casques à pointes,
115 Dans la confusion des corps-à-corps étroits,

Calme, j’en visai six et j’en vis tomber trois.

Puis, mourant, je roulai, la tête la première,

Dans le combat.

Hier, j’ai revu la lumière,

Stupidement couché dans ce lit d’hôpital.
120 — Ah ! major, coupe, taille, ampute, sois brutal,

Mais sois prompt ! le canon résonne ! et la Victoire,

Qui redevient française et nous rend notre gloire,

De Prussiens culbutés va faire un tel abus

Que, si je tarde encore, « il n’en restera plus ! »