Rimbaud était un lecteur de romans populaires de son époque, ce dont il témoigne en faisant cas d'ouvrages d'Amédée Achard et de Pontmartin (La Robe de Nessus et Costal l'Indien). Les cent vers du "Bateau ivre" portent la trace de réécritures du couple de poèmes de La Légende des siècles de 1859 "Pleine mer" et "Plein ciel" ainsi que du poème "Le Vieux solitaire" de Léon Dierx et j'ajouterai du poème "Le Drapeau rouge" de Victor Fournel, mais le roman Vingt mille lieues sous les mers fait partie des candidats les plus sérieux à la présence de réécritures rimbaldiennes dans son poème en vingt-cinq quatrains. La série des "Voyages extraordinaires" de Verne, nom qui peut faire cortège à celui de Baudelaire pour ses traductions d'Edgar Poe, s'est organisée de 1863 à 1867 et poursuivie ensuite. Verne est l'un des auteurs les plus lus et les plus traduits au monde, alors qu'il partage avec Alexandre Dumas le fait d'être un écrivain classique populaire non étudié dans les collèges et les lycées. Son succès a commencé en 1863 et avant que Rimbaud ne compose "Barbare" ou "Le Bateau ivre", il y a plusieurs récits sur la conquête du pôle ou l'exploration du monde océan.
Qu'on prenne pour repère 1871 ou 1875, Rimbaud n'a pu lire qu'une mineure partie des récits de Verne, et j'ai pris le parti d'une lecture systématique. Il faut prendre garde que certains récits ont été publiés en revue et ne pas se contenter de dater les publications en volume. Les variantes peuvent avoir du coup une relative importance.
Le roman Les Forceurs de blocus, si roman est l'appellation générique qui convient, est un récit court, une centaine de pages au format d'un livre de poche. Il était publié par livraisons dans des périodiques en 1870 et 1871, à peu près à la même époque que Vingt mille lieues sous les mers, et surtout il l'était au moment de composition du "Bateau ivre" (début de l'année 1872 en gros) et à la fois au moment des événements de l'année terrible qui donnaient de la résonance au mot "blocus".
Le roman de Verne est agréable à lire, il contient un emploi adjectival de "vite" en lieu et place du plus attendu "rapide", il fait état de la dangerosité de la région des Bermudes, preuve s'il en est que le triangle des Bermudes est une fumisterie amplifiée après la Seconde Guerre Mondiale et qui vient de la dangerosité évidente des courants, ouragans dans ce golfe américain aux contours terrestres déchiquetés.
Le récit prend prétexte de la guerre de Sécession en Amérique pour créer un glissement d'un contexte politique internationale à une intrigue romanesque avec un triangle entre les Nordistes, les confédérés, et des britanniques en principe neutres. Au début du roman, des négociants indifférents aux belligérants veulent faire des affaires en forçant le blocus de la ville sudiste de Charleston pour y récupérer à bon marché du coton (qui ne sera pas anglais, mais américain) qui sera revendu autrement plus cher, ce à quoi répond la phrase finale qui ne parle pas des yeux horribles des pontons mais de la saveurs des commissions : "J'ai vendu mes cotons à trois cent soixante-quinze pour cent de bénéfice !"
Le nom de la ville américaine résonne avec la déformation de Charleville dans la correspondance de Rimbaud, "l'atroce Charlestown". Il est questions de cotons sur un bateau de négociants anglais.
Le vocabulaire maritime et technique de Verne ne ressemble jamais à celui du "Bateau ivre", ce qui ne plaide pas pour des réécritures, mais la ligne narrative retient l'attention, car la comparaison contrastée peut être poussée très loin comme on le sent bien quand je compare la phrase finale du roman et le dernier vers du "Bateau ivre".
L'intrigue est romanesque. Un père et sa fille sont montés à bord de l'expédition pour aller sauver un père prisonnier des confédérés à Charleston, et le charme de la fille sur le capitaine de navire fait que l'aventure des négociants devient un acte de bravoure dans un contexte politique.
Au début du roman, le bateau descend le fleuve depuis longtemps fort aménagé pour rejoindre souplement la mer, et quand il y arrive nous avons une danse qui se fait sentir sur l'embarcation. Nous sommes très loin des images du "Bateau ivre", mais nous avons un parallèle de descente tranquille du fleuve jusqu'au contact de l'océan.
Je n'ai pas trouvé cette lecture vaine, d'autres vont suivre.
Je pense aussi aux écrits de George Sand. Je me suis procuré le volume Nouvelles féeriques chez l'éditeur Fantask. Je préfère lire des récits dans un format de livre souple, je ne suis pas enchanté par le format de livre universitaire un peu rigide, mais passons. J'ai lu les deux pages du récit La Maison déserte, nouvelle d'Hoffmann. Ce n'est pas comme je le croyais une nouvelle de Sand attribuée à Hoffmann, c'est un récit de Sand oui mais qui renvoie à la nouvelle homonyme d'Hoffmann par le truchement d'un dessin de Maurice Sand.
En revanche, le volume contient le récit La Coupe qui a été publié en volume trop tard pour Rimbaud, mais qui fut initialement publié en revue en 1864. Le récit a une facture nettement poétique qui rend indispensable d'en parler en regard de poèmes en prose tels que "Conte" ou "Enfance", que Rimbaud ait lu ou non le récit sandien.
Vous verrez, je prépare une réaction à ce sujet...
J'éditerai j'ai oublié de parler des iroquois et d'une note sur Poe.
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