On le sait, une lettre inédite de Rimbaud a été découverte. Il y aura un article à son sujet dans le prochain numéro de la revue Parade sauvage. Je vais moi-même mettre en ligne sous peu une réaction personnelle, mais je ne suis pas pressé. Seulement voilà ! Je suis tombé sur le sommaire du prochain numéro de la revue Parade sauvage et j'y ai lu le "précis" concernant l'article de Cornulier sur "Voyelles". Je suis pressé de lire cette étude sur laquelle je ne connais rien pour l'instant, mais je vais oser une réaction anticipée.
En fait, je n'y crois pas du tout. Dans "Voyelles", je n'envisage ni la théorie grecque du rayon visuel où le regard voit le monde, mais se projette aussi dans le monde et le crée visuellement, ni un retour sur les yeux du poète qui serait l'auteur de sa propre création.
Quand je lis "Voyelles", il y a clairement une conciliation entre le divin et l'humain. Le poème exprime un émerveillement devant un ordre divin des choses. Je ne vois pas pourquoi il faudrait surimposer à ce cadre une identité entre le poète et Dieu, identité qui ne serait qu'une vanité et qui ne grandirait pas Rimbaud, lequel ne ferait que dire : "Regardez comme je suis "kawai" avec le poème que je vous ai fait. Je vous ai bien emmené dans mon univers, c'est ça la poésie."
[Nota Bene : "kawai", ça veut dire "trop mignon" en japonais, c'est le mot qu'une héroïne de manga va sortir devant un petit chat ou un héros avec des oreilles de chien, ou que sais-je encore ?]
Nous ramener aux yeux du poète, c'est revenir à de l'épate ordinaire en poésie.
En plus, le regard dont il est question est clairement amené à partir de deux angles d'attaque : celui du divin (Oméga, Suprême, bien sûr Clairon pour trompette du jugement, etc.), celui de la séduction féminine (rayon violet). Cela cadre parfaitement avec le credo que le poète a annoncé dès les débuts de ses poésies Credo in unam comme avec les allégories postérieures des Illuminations des poèmes "Aube", "Being Beauteous", etc.
Que ce regard soit celui du poète ou d'une divinité, on pourrait même dire que c'est secondaire. L'important, c'est le contenu, c'est l'articulation des cinq séries. Mais je ne suis même pas d'accord avec l'idée que cela puisse être le regard du Voyant, je trouve carrément cela contradictoire avec la dynamique d'articulation des cinq séries. On passerait d'une conciliation entre l'humain et le divin à une confusion d'identité entre Dieu et le voyant, cela n'est pas crédible. Le poète célèbre quelque chose qui lui est extérieur, il prétend dire le secret de cette lumière, un jour ou l'autre. Les "yeux" sont sur le même plan de révélation d'une réalité extérieure au poète que les "mouches", que les "puanteurs cruelles" d'un corps mort dans une scène de désolation après un combat, que le "sang craché", que le "rire des lèvres belles". Le poète décrit un monde, et je ne le vois pas à la fin du poème nous dire que tout cela se fait par le truchement de ses yeux, que tout cela c'est lui qui nous le sert selon sa volonté. Je ne le vois pas se mettre lui en avant comme créateur de la création dont il est question. On me dira : et si les yeux à la fin ne sont qu'observateurs ? Mais c'est une queue de poisson qui ne règle pas l'incongruité d'un retour sur soi comme mot final d'un sonnet qui veut révéler un monde avec un certain sérieux.
Evidemment, il y a cette histoire d'unique rime masculine, mais la solution à cette énigme ne peut qu'être subordonnée à l'essentiel qui est l'articulation et la signification des cinq séries. Les interprétations sur la bande ne résisteront pas, c'est tout, elles sont vouées à une histoire anecdotique de la critique rimbaldienne.
J'attends donc de voir ce qui est dit dans cet article, même si je suis sceptique.
Enfin, sur le rapport du masculin et du féminin, car j'ai bien vu dans les interventions recueillies par Lauren Malka que Cornulier citait une remarque que j'ai faite sur ce blog selon laquelle la première rime contenait le pronom "elles" et la dernière le pronom "eux", il y a bien sûr un rapport du masculin et du féminin qui traverse tout le poème. Les "puanteurs cruelles" évoqueraient la guerre des hommes, le "corset" un amour féminin pour ces martyrs. Plus convaincant, on a la relation dans un même vers entre des "Lances de guerriers fiers" et des "frissons d'ombelles", qui doivent faire songer à l'image propre au dix-neuvième siècle et déjà exploitée dans le poème "Roman" par Rimbaud de la femme à l'ombrelle On a le "sang craché" et le "rire des lèvres belles" qui reprend un peu encore cette idée du masculin guerrier et du féminin guérisseur, apaisant, séducteur, consolateur, etc.
Pour les tercets, j'observe cette relation différemment, puisque je remarque que les sages "aux fronts studieux" sont sans doute les adorateurs masculins de la divinité, et que ce sont les "yeux" de celle-ci qui se manifeste à la fin du poème, créant un vis-à-vis de tercet à tercet entre leurs fronts studieux et ses yeux à elle. Je ne fais pas un repli au prétexte de l'unique rime masculine : "ses yeux à lui", d'autant que la rime "eux" si on la lit en pronom créerait une anomalie grammaticale : "ses yeux", yeux à lui et non les yeux d'eux, si on m'excuse ce côté charabia dans l'expression.
Moi, j'en reste à l'essentiel : A noir représentation d'une matrice dans la putréfaction, naissance de la lumière dans ce milieu au début du vers 5, E blanc expression d'une lumière pure qui fait la royauté d'êtres naissants, affleurant à la surface du monde, don du jour, royauté confirmée par le rapport au sang qui transforme la royauté en une expression impériale de la force des êtres par le sang qu'il donne, par l'animation sanguine de leurs lèvres, de leurs colères, de leurs ivresses et de leur volonté d'en découdre. Après ces plans individuels, le plan sublunaire du vert avant le plan métaphysique et transcendant du bleu-violet.
Ce que je dis, je suis le seul à le dire avec le sonnet "Voyelles", car personne ne peut dire que ce que je dis n'est pas dans le sonnet. Après, il y a un arrière-plan communard confirmé par des images et des mots en liaison étroite avec d'autres poèmes qui explicitent le rapport entre la Commune et des idées symboliques posées en credo dans "Voyelles". Et quand je dis "explicitent", je ne pense pas à implicitement, tacitement, non-dit. Le corpus rimbaldien prouve qu'il y a la Commune aussi dans "Voyelles", mais bon si je n'ai pas pu le faire comprendre c'est que ça doit vraiment être le graal de la lucidité à atteindre pour tout lecteur.
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