dimanche 22 février 2015

Les poèmes en vers dans la correspondance de Rimbaud en 1871 (première partie)

Il s'agit ici d'un article ancien en trois parties que je n'avais pas encore mis en ligne !

A défaut de lettres qui ne nous sont pas parvenues, notamment celles envoyées à Verlaine, nous savons que Rimbaud en 1871 a communiqué des poèmes en vers à quatre correspondants. Il a envoyé quatre lettres à Demeny cette année-là, dont deux contiennent trois poèmes chacune, celle dite « du voyant » du 15 mai (avec Mes Petites amoureuses, Chant de guerre Parisien, Accroupissements) et celle du 10 juin (avec Les Poètes de sept ans, Les Pauvres à l’église, Le Cœur du pitre). Deux nouvelles lettres à Izambard nous sont parvenues également, dont une, qui est souvent qualifiée de « petite lettre du voyant », contient la première version connue du Cœur du pitre, pièce alors intitulée Le Cœur supplicié. Pour sa part, Banville prend l’habitude des courriers où le vers l’emporte nettement sur la prose et il a ainsi reçu une nouvelle lettre nettement dominée par la teneur d’un poème long intitulé Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs. Enfin, un nouveau destinataire apparaît en la personne de Jean Aicard, poète qui a reçu une nouvelle version des Effarés. Si nous traiterons de la relation épistolaire avec Banville dans un prochain article parallèle à celui-ci, nous allons nous intéresser présentement aux deux grands rôles de confidents d’Izambard et Demeny. Précisons, au préalable, que trois types de problèmes vont nous intéresser.
Premièrement, ces inclusions de poèmes dans des lettres permettent de s’interroger sur la datation de nouvelles compositions de Rimbaud entre octobre 1870 et septembre 1871. S’agit-il à chaque lettre d’inventions toutes fraîches ? Même s’il est difficile d’apporter des réponses tranchées, il est important de préciser le contexte d’émergence de ces poèmes, sachant que d’autres compositions connues semblent dater de cette période et que, dans sa lettre du 15 mai, Rimbaud prétend avoir composé 300 autres vers de deux poèmes demeurés inédits : [La] Mort de Paris et [Les] Amants de Paris. Il faut peut-être relativiser l’idée selon laquelle aucun texte de Rimbaud ne nous est parvenu du mois de novembre 1870 au mois de mars 1871 inclus.
Deuxièmement, bien qu’il soit question du prestige de deux lettres dites « du voyant », les quatre correspondants qui ont eu la primeur de nouvelles compositions rimbaldiennes : Demeny, Izambard, Aicard et Banville, n’hériteront plus d’aucune autre missive du poète carolopolitain, une fois que sera passée la date fatidique du 15 septembre 1871. Dans la mesure où Rimbaud rencontrera Banville (et Aicard) à Paris, c’est le renoncement à tout échange littéraire avec Demeny et Izambard qui va surtout intéresser le cadre de notre réflexion. Nous pensons que la thèse traditionnelle sur le rôle de confident de Demeny est erronée, et que, dans de telles conditions, un faux procès a pu être fait à Rimbaud au sujet de son soi disant opportunisme littéraire. Selon nous, Izambard était le principal correspondant de Rimbaud. Nous nous proposons de relire les lettres à Demeny comme des épisodes de frustration et dépit en grande partie causés par l’incompréhension du professeur, et nous estimons que l’envoi des Effarés à Jean Aicard n’est justement pas contradictoire avec le vœu du poète de brûler tous ces vers de 1870, ainsi qu’Arthur l’a formulé à peu près au même moment.
Troisièmement, avant les révélations d’Izambard et Darzens, Verlaine n’a jamais évoqué l’existence des textes suivants : Chant de guerre Parisien, Mes Petites amoureuses, Les Poètes de sept ans. Il semble même n’avoir jamais connu de version du poème Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs, comme si Rimbaud avait répudié son poème en moins d’un mois, entre l’envoi de sa lettre à Banville le 15 août et son arrivée à Paris autour du 15 septembre. La liste de poèmes divulguée par André Vial en 1975, dans son livre Verlaine et les siens. Heures retrouvées, conforte l’idée que Verlaine a tout ignoré de ces compositions du temps de son compagnonnage avec Rimbaud. Or, il faut savoir accorder à ce fait l’attention critique qui convient.
Nous allons formuler nos réponses et hypothèses nouvelles en traitant des deux correspondances à Demeny et Izambard l’une après l’autre, mais la première partie de notre approche compte traiter globalement des six poèmes envoyés à Demeny, en précisant d’ores et déjà les conditions générales de datation des six poèmes et les raisons pour lesquelles certaines œuvres ne sont pas parvenues à Paul Verlaine dans les mois qui suivirent.
Dans un premier temps (et une première intuition peut avoir le mérite d’une certaine, sinon lucidité, à tout le moins prescience critique), on peut penser que les poèmes Mes Petites amoureuses, Chant de guerre Parisien et Le Cœur du pitre ont toute chance d’avoir été composés dans cet ordre durant la période qui fit se succéder les mois de mars, avril et mai 1871. Le poème Mes Petites amoureuses peut éventuellement dater de la fin de l’année 1870 (nous y reviendrons), mais rien n’est moins sûr. En tant que « psaume d’actualité », Chant de guerre Parisien ne peut guère dater que du mois d’avril ou du début du mois de mai. Le poème Le Cœur supplicié pose la question de l’action : « Comment agir, ô cœur volé ? », ce qui invite fortement à le considérer comme une réponse à des critiques contre la Commune de lettres à Izambard qui nous seraient inconnues parce que ce destinataire volontairement ou non ne les auraient pas communiquées. Maintenant, les datations des poèmes Accroupissements, Les Pauvres à l’église et Les Poètes de sept ans sont plus délicates. Celle du poème Accroupissements est difficile à cerner, si ce n’est que la présentation en strophes de cinq vers appelées quintils correspond à une pratique qui sera encore clairement cultivée autour de juillet 1871 avec L’Homme juste, mais aussi avec le poème dont Delahaye, qui le prétendait prévu pour la rédaction du Nord-Est, a cité un fragment : « Vous avez / Menti […] », celui donc qu’il a recueilli dans ses Souvenirs familiers en 1925. Le poème Les Pauvres à l’église est daté évasivement de l’année « 1871 », il peut s’agir d’une composition déjà ancienne de quelques mois. Enfin, si le poème Les Poètes de sept ans est daté du « 26 mai 1871 », conformément à une fin de semaine sanglante dont la date n’était pas encore fixée au 28 mai dans la presse mais pouvait encore osciller entre le 26 et le 28, il s’agit d’une datation symbolique factice, – comme pour le sonnet : « Morts de Quatre-vingt-douze… », qui a été déclaré « fait à Mazas » à la veille de la proclamation de la République, – comme pour Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs daté du 14 juillet, commémoration révolutionnaire à la clef, – comme pour Rêvé pour l’hiver, antidaté du « 7 octobre » en relation avec un prétexte autobiographique probable. Le poème Les Poètes de sept ans est probablement antérieur plutôt que postérieur à la Semaine sanglante (l’émotion causée par la répression est difficilement conciliable avec le souffle, même sombre, de cette œuvre), et Izambard a prétendu en avoir connu une version antérieure. Il va jusqu’à prétendre que le poème a été composé à Douai en 1870. Toutefois, ce dernier témoignage n’est pas fiable, ce sur quoi nous reviendrons dans la suite de notre étude. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que Rimbaud a été pris par les événements, qu’il a travaillé au Progrès des Ardennes quelques jours, qu’il s’est rendu à Paris « du 25 février au 10 mars » selon le témoignage de sa lettre à Demeny du 17 avril. Il se serait même rendu un certain temps à Paris sous la Commune, entre le 17 avril et le 13 mai, selon certains témoignages hélas incontrôlables, sinon après le 15 mai lui-même et donc pratiquement en pleine semaine sanglante. Il est par ailleurs peu probable que Rimbaud ait eu de l’encre et des feuilles pour rédiger des poèmes lors de son ou ses passages  à Paris. Par conséquent, on ne peut s’empêcher de songer que les poèmes remis à Demeny (et Izambard) ont peu de chances de relever d’une période d’activité poétique concentrée dans le temps. Ils peuvent dater de retours à Charleville que sépareraient des escapades plus ou moins prolongées, deux semaines « du 25 février au 10 mars », peut-être une dizaine de jours soit avant le 13 mai, soit après le 15 mai.
Il faut avoir bien présent à l’esprit que les lettres du 13 mai, du 15 mai et du 10 juin ne sont pas le reflet de la production poétique de Rimbaud au cours du seul mois de mai 1871. On peut même penser que Rimbaud a dû très peu écrire dans la seconde quinzaine de ce mois particulier. Enfin, à partir du moment où l’on admet que les poèmes transmis par lettres peuvent être le reflet d’une production laborieuse et souvent interrompue qui se serait étendue sur plusieurs mois, on peut commencer à se dire que nous aurions peut-être perdu assez peu de poèmes de Rimbaud pour la période novembre 1870 – mars 1871, souvent présentée comme une époque lacunaire sensible, alors que les événements ne se prêtaient pas à l’écriture, qu’ils se prêtaient même parfois plus à un lent mûrissement des idées, y compris artistiques, alors que Rimbaud connaissait tout de même de multiples activités qui l’absorbèrent jusqu’en juin (journalisme, bombardement de Mézières, « voyages » pleins de péripéties, disponibilité quant à l’actualité). Toutefois, tout bien pesé, ce qui s’impose plutôt, en observant les faits, c’est que, si Rimbaud a très bien pu écrire une plus ou moins abondante œuvre de novembre 1870 à février 1871, œuvre qui serait perdue pour l’essentiel, en tout cas à partir de la fin du mois de février 1871 il y a eu des réalités matérielles et des circonstances exceptionnelles qui ne lui ont pas toujours permis d’écrire, et cela pour des périodes plus ou moins prolongées ! Comme les sonnets du cycle belge remis à Demeny ne furent pas saissis sur le vif, mais sans doute composés à Douai même, les poèmes envoyés en mai-juin 1871 ne relèvent pas d’un état d’urgence où il faut envoyer de la copie fraîchement pondue à un quelconque correspondant au moment de la Commune. Trois poèmes peuvent être plus anciens : Mes Petites amoureuses, Les Pauvres à l’Eglise, Les Poètes de sept ans, sinon Accroupissements. Comme j’ai fait remarquer que les quintils d’Accroupissements coïncidaient avec ceux de compositions datées de juillet, j’observe la reprise du quatrain des Reparties de Nina dans Mes Petites amoureuses. Le poème Les Pauvres à l’église est lui daté évasivement de « 1871 », alors que nous ne sommes qu’au mois de juin et que, à s’en tenir à la seule lettre du 10 juin, le poème Les Poètes de sept ans est antidaté avec précision « 26 mai » et l’autre Le Cœur du pitre ne l’est pas du tout ! On peut penser que le poème Les Poètes de sept ans est légèrement plus ancien, mais que sa nouvelle datation équivaut à un remise en perspective, que le poème Les Pauvres à l’Eglise relève d’une veine anticléricale dont au moins Un cœur sous une soutane donnait l’exemple l’année précédente, ce qui laisse bien à penser que ce poème pourrait dater de janvier ou février 1871, période d’ébullition politique qui a préparé la Commune. Quand on lit Les Pauvres à l’église ou Accroupissements, il y a quand même une question à se poser : est-ce que chacun de ces deux poèmes donne l’impression d’avoir été composé avant, pendant ou après la Commune ? Dans le cas d’Accroupissements, nous savons que la création est antérieure au 15 mai ! Par ailleurs, j’imagine mal la composition des Pauvres à l’église après la semaine sanglante, et il me semble percevoir une gradation entre la critique sociale vive des Pauvres à l’église et la violence de défoulement d’Accroupissements. En février, les élections faisaient sentir le danger d’un retour de la monarchie et le poids d’une pensée réactionnaire ! Intuitivement, le poème Les Pauvres à l’église me paraît mieux cadrer avec ce contexte-là, plutôt qu’avec les lendemains d’une révolution massacrée, plutôt même qu’avec la ferveur du moment communard, car la parole du poète dans Les Pauvres à l’Eglise manifeste encore, à la différence d’Accroupissements, non seulement la réserve mais le retrait, la pensée marginale du critique de la société.
Venons-en maintenant au problème crucial posé par le témoignage de la lettre du 15 mai à Demeny. Faute de moyens financiers, Rimbaud n’aurait pas pu envoyer à son correspondant deux longs poèmes communards de respectivement 100 et 200 vers : « Et remarquez bien que, si je ne craignais de vous faire débourser plus de 60 c. de port, – moi pauvre effaré qui, depuis sept mois, n’ai pas tenu un seul rond de bronze ! – je vous livrerais encore mes Amants de Paris, cent hexamètres, Monsieur, et ma Mort de Paris, deux cent hexamètres ! » Avec tout à la fois la mise en scène, l’adresse injurieuse « Monsieur » en contexte communard, la symétrie simple et parfaite des deux titres, l’abus des chiffres ronds, on peut penser qu’il s’agit là d’une plaisanterie, d’autant que la lettre contient déjà trois poèmes, dont on ne comprend plus dès lors pourquoi ils ont la primeur au détriment des deux œuvres épiques ambitieuses. En fait, ces poèmes ont pu exister et être détruits suite à une Semaine sanglante qui en contredisait la portée. Rappelons que l’optimiste Chant de guerre Parisien ne semble pas être parvenu entre les mains de Verlaine. Rimbaud n’aurait pas été un voyant crédible en publiant un tel poème. La pièce Les Poètes de sept ans ne semble pas elle non plus avoir été communiquée à Verlaine dans les mois qui suivirent, peut-être en raison de confessions biographiques trop apparentes de la part de l’auteur qui parle d’une mère, d’intelligence, de travail, etc. Il existe une autre hypothèse au sujet des trois cents hexamètres. Rimbaud a pu annoncer à Demeny deux projets, en les faisant passer pour des œuvres déjà accomplies. En effet, Rimbaud envoyant au même moment son Chant de guerre Parisien, ce 15 mai, il annonçait peut-être la suite de ses envois à Demeny, car en partant du principe que Rimbaud attendait une réaction de poète de la part de son destinataire, ce Demeny était censé s’intéresser à ces deux pièces majeures dans la suite de leur relation épistolaire : Rimbaud prenait ainsi un engagement à fournir un jour ces deux œuvres ! Hélas, il est définitivement impossible de déterminer si les deux poèmes étaient déjà composés ou seulement ébauchés le 15 mai 1871.
En revanche, se prévalant peut-être de la datation « Mai 1871 », certains pourront penser que l’un de ces deux poèmes représente une première version de Paris se repeuple. C’est ce qu’a pensé Gérald Schaeffer dans son intéressante édition commentée des Lettres du voyant : « on se contentera de suggérer que le second titre [c’est-à-dire Mort de Paris] pourrait désigner ‘l’orgie parisienne ou Paris se repeuple’ : O cité douloureuse, ô cité quasi morte. »[1] En réalité, l’auteur s’est laissé piéger par une date symbolique. Le poème Paris se repeuple est antidaté du mois de mai 71, mais il a été composé après, quand effectivement la capitale a été repeuplée par tous ceux qui l’avaient fuie. Si Rimbaud évoque les « niches de planches » pour cacher les « palais morts », c’est qu’il est au courant, et des destructions, et des premières mesures pour cacher l’horreur des dégâts, ce qu’il a appris dans la presse du mois de juin. Pour nous, l’idée serait plutôt de considérer que Paris se repeuple est bel et bien nourri des motifs métaphoriques impliqués par ces deux titres inédits. Paris se repeuple reflète une certaine idée négative des nouveaux amants de Paris par opposition aux amants communards et il reflète une certaine idée d’une ville de Paris qui ne meurt jamais, ce qui aurait été obligatoirement le sens profond d’un poème intitulé Mort de Paris, quand on sait que le 15 mai la semaine sanglante est tellement loin de la pensée d’Arthur qu’il envoie le Chant de guerre Parisien à son correspondant. Car, notre conviction est la suivante : la répression versaillaise a pu rendre caducs le discours et les considérations critiques des poèmes Chant de guerre Parisien, Amants de Paris et Mort de Paris et précipiter la destruction manuscrite des copies ou ébauches encore entre les mains d’Arthur.
Car, décidément, Rimbaud n’a pas seulement rejeté l’essentiel de sa production de l’année 1870, il a aussi renoncé aux poèmes Chant de guerre Parisien, Les Poètes de sept ans et Mes Petites amoureuses, sinon à ses Amants de Paris et à sa Mort de Paris, pour des raisons diverses que nous pouvons toujours essayer de cerner : démentis à ses oeuvres donnés par le cours des événements, confessions psychologiques trop apparentes (Les Poètes de sept ans), agacement provoqué par un jugement dépréciatif de la part d’Izambard sur lequel nous nous penchons plus loin (Mes Petites amoureuses/« Un hydrolat lacrymal »). Nous pouvons constater que la chronologie des poèmes de l’année 1871 est difficile à établir, mais deux faits tendent à s’imposer. Les six poèmes envoyés à Demeny sont le reflet d’une période créatrice longue et non courte. Ensuite, dans les poèmes qui sont parvenus à Verlaine, nous pourrions avoir l’illusion à tort que certains d’entre eux furent composés au moment de la Commune ou immédiatement après la nouvelle de sa chute. C’est le cas évident de Paris se repeuple, morceau qui ne saurait être antérieur au mois de juin et qui a été par ailleurs remanié à Paris au vu des versions distinctes qui nous sont parvenues. Le poème Les Assis est l’autre grand poème dont on se demande s’il n’a pas été composé du temps de la Commune, si ce n’est qu’on peut objecter que l’œuvre se trouve être étonnamment absente d’un quelconque courrier à Demeny. L’idée peut dès lors apparaître d’une plus intense période d’activité poétique pour les trois mois qui ont suivi juin, juillet, août. Plusieurs poèmes sont datés de ces mois-là. Toutefois, Rimbaud n’est pas Victor Hugo et on peut commencer à apprécier chez lui un rythme de production plus lent. C’est l’idée d’alternance entre des moments de création importants et des temps morts qui tend progressivement à s’effacer, au profit d’un maintien plus constant et plus laborieux de l’effort de création poétique.
Ouvrons une parenthèse. On sait qu’un jugement a priori sur les pics d’intensité de la création rimbaldienne continue de s’avérer pesant en ce qui concerne les poésies datées du printemps 1872, les datations admises pour Une saison en enfer et Illuminations, puisque la légende critique consensuelle tend à admettre l’idée que Rimbaud n’ait pratiquement rien écrit entre septembre 1872 – mars 1873, tandis que les poèmes en prose des Illuminations auraient été composés neuf mois après Une saison en enfer. Il nous semble plutôt que Rimbaud a écrit constamment, mais d’une manière peu abondante, jusqu’en juillet 1873. Selon nous, il n’a pratiquement plus rien écrit suite au drame de Bruxelles, se contentant de tenter la publication du livre Une saison en enfer, puis de rassembler en un portefeuille de manuscrits les poèmes en prose composés probablement du temps de son compagnonnage avec Verlaine. Cette parenthèse n’est pas hors sujet. Cet article a pour but d’éclairer les démarches poétiques du jeune Arthur en 1871, mais il s’inscrit dans une série d’études sur les dossiers de poèmes de Rimbaud qui finiront par dessiner une perspective d’ensemble quant à sa carrière de poète.
Pour revenir à l’époque qui nous intéresse, les périodes de plus grande activité s’expliquent aussi par certaines conjonctures. Rimbaud n’a pas pu composer énormément de poèmes avant la fin de l’année scolaire en juillet 1870. Les événements ont également des incidences non négligeables. On a trop tendance à parler de l’écriture de Rimbaud, indépendamment des aléas biographiques, comme si la proclamation de la Commune pouvait lui laisser le temps et l’esprit assez libre pour composer Mes Petites amoureuses, Accroupissements, Les Pauvres à l’église, Les Poètes de sept ans et puis quand même un écrit engagé en prise directe avec l’actualité Chant de guerre Parisien. Les thèmes développés dans Accroupissements, Les Pauvres à l’église ou même dans Les Poètes de sept ans ne sont pas strictement dépendants du 18 mars et peuvent venir de plus loin. Seule certitude, certains poèmes ne nous sont pas parvenus qui font regretter l’absence de correspondant de novembre 1870 à mars 1871, mais nous touchons là au problème posé aussi par Izambard qui n’avait déjà recueilli aucun des nouveaux poèmes douaisiens de Rimbaud en septembre – octobre 1870.
A suivre…
(fin de la première partie)


[1] Gérald SCHAEFFER : (éd.) Arthur RIMBAUD, Lettres du voyant (13mai et 15 mai 1871), précédé de Marc Eigeldinger, La Voyance avant Rimbaud, Droz-Minard, Genève-Paris, 1975, p.153.

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