vendredi 30 mai 2014

L'évolution de la phrase française dans les lettres

Il n'y a pas à se fâcher pour des articles généraux ou ne portant pas sur Rimbaud et son oeuvre. Moi, je m'intéresse à ce que pourrait être un cinéma d'abord proprement poétique, ensuite rimbaldien. Cela n'a rien de hors-sujet. Je m'intéresse aussi au temps long de l'histoire littéraire pour la versification, pour une meilleure approche de la question du romantisme et aussi pour une approche de la phrase française en Littérature, dans le vers ou dans la prose.
Dans le cas de la phrase française, j'ai un sujet qui me travaille et que je n'ai rencontré nulle part formulé ainsi. C'est en rapprochant Le Roman comique de Scarron du Capitaine Fracasse de Théophile Gautier que l'idée s'est définitivement installée dans mon esprit. Le français classique rebondit de verbe en verbe dans les phrases, ramassées ou non, en recourant fort peu aux adjectifs. Le français romantique va lui noyer les verbes, éventuellement les raréfier au sein de grands groupes nominaux ou adjectivaux.
Ce constat est tellement basique que je peux m'étonner de ne pas le voir figurer partout dans la littérature critique. Comme dirait Baudelaire, j'ai inventé un poncif.
Cette idée peut encore s'enrichir. On peut opposer les surcharges de la phrase au seizième siècle avec la construction rigoureuse et élégante du dix-septième. Je pense aussi que le dix-huitième a un satiné qui lui est propre et qui le différencie de la langue en prose du dix-septième, mais je n'ai pas encore les critères pour le certifier.
Enfin, il y a dans le vingtième une langue qui peut viser à une certaine beauté qui lui est propre, mais surtout le vingtième est dominé par un phénomène étrange. La syntaxe est imprécise et les mots ont eux-même un sens flou. On va construire de nouveaux adverbes sans se préoccuper de ce que rigoureusement la suffixation en '-ment" signifie, sans se préoccuper du flottement du sens dans les emplois de ce nouveau mot, etc. Le flou du sens et de la syntaxe est propre au vingtième siècle.
Voici une lecture récente que j'ai faite et qui me conforte dans l'idée que ma grande idée toute simple n'est pas connue des chercheurs en Littérature, car on voit clairement que l'auteur n'envisage pas le moins du monde cette opposition qui me paraît évidente après pas mal de confrontations entre une littérature classique du verbe et des actions et une littérature romantique du nom, de l'adjectif et de la description. Je trouve même que plusieurs énoncés sont fortement discutables, notamment les opinions prêtées aux critiques. Mais, au moins, on voit apparaître là sans doute l'idée qu'une forme d'excellence classique a réussi à trouver à se formuler pour afficher un mépris de l'adjectif, au détriment de la singularité romantique. Et le fait que Stendhal soit cité à défaut d'un quelconque autre de ses contemporains est pour le moins significatif de l'absence totale d'attention aux singularités des choix grammaticaux des écrivains en fonction des époques.

Il s'agit de l'Introduction du livre de Michèle Noailly L'adjectif en français (Ophrys, 1999) :

L'adjectif n'a pas bonne presse, en matière de style. Les critiques littéraires le jugent comme une partie du discours liée à l'expression des émotions, et donc incompatible avec une prose rigoureuse. Un chroniqueur littéraire louait récemment une oeuvre romanesque pour son "économie d'émotions, et donc d'adjectifs". Le poète contemporain Eugène Guillevic va jusqu'à affirmer : "Je n'aime pas les adjectifs." Et il est certain qu'il y a très peu d'adjectifs chez Stendhal.

Ce texte montre que mon idée n'est pas connue et en même temps il me donne des armes. Encore un pan nouveau qui s'ouvre pour de la recherche critique de premier plan.

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