lundi 22 juillet 2013

Iconographie

[Avetissement : cet article n'a pas la prétention d'être pointu en iconographie, je l'avais initialement rédigé assez vite, ce qui m'a amené à corriger quelques erreurs d'inadvertance comme "négatif sur verre" pour "positif sur verre" et "vente Jean Hugues" au lieu de "vente Jacques Guérin". Pour moi, l'essentiel, c'est le commentaire des textes. Pour l'iconographie, je m'en tiens à préciser qu'il n'y a que six photographies et les tableaux de Fantin-Latour qui sont fiables. Les autres tableaux n'ont pas été expertisés, le Garnier n'est certainement pas reconnu par une majorité de rimbaldiens pour prendre un exemple, et pour les autres photographies j'ignore si elles ont été expertisées et même dans le cas d'une expertise j'estime avoir le droit de juger des arguments. Je prétends ainsi que la photographie de classe et la photographie de la partie de chasse ne passent pour authentique que par complaisance généralisée. Quant à l'idée que tous les rimbaldiens et tous les experts reconnaissent un ensemble iconographique, il faut alors me citer photo après photo, tableau après tableau, dessin après dessin, une liste exhaustive des croyants et donner des titres si expert il y a. Me reconnaissant le droit d'évoluer, je veux bien admettre que la question des retouches sur le "Rimbaud boudeur" de Carjat n'est pas de ma compétence. Le débat n'est pas inutile dans tous les cas, ce sont bien les ombres qui donnent une impression de différence nette du visage selon l'état de la photographie qu'on a entre les mains, et si les deux photographies cartes sortent directement de l'atelier Carjat, ce que prouverait le collage (jamais vérifié directement), contrairement à l'expertise qui a été faite et qui envisage que la photographie déchirée vienne de Verlaine, je plaide une idée inédite selon laquelle les deux photographies cartes proviendraient d'Isabelle et renverraient à sa lettre à Mathilde où elle parle d'une photographie intacte et parfaite envoyée par l'ex Mme Verlaine qu'elle oppose à une photographie très abîmée, aux couleurs passées. Merci de ne pas m'avoir cloué le bec en le suggérant à ma place. Pour ce qui est des dessins d'Isabelle Rimbaud et de Paterne Berrichon, à part contester pour contester, je ne savais pas qu'on pouvait raisonnablement penser qu'elles les avaient sincèrement croqué en sa présence, le plus souvent au mépris de toute ressemblance, avec pour seul soin le port d'une moustache qu'elle lui connaissait. Franchement, rien là d'intéressant.]

Il s’agit sur ce blog de s’intéresser essentiellement à l’œuvre littéraire de Rimbaud, pas tellement à la biographie. Quant à l’iconographie, indépendamment des dessins, elle se résume à un tableau de Fantin-Latour et six photographies dont nous ne connaissons pas automatiquement les tirages originaux. Jacques Bienvenu est le principal spécialiste de l’iconographie rimbaldienne. Nous renvoyons à ses travaux pour plus de détails. Toutefois, avant de nous pencher sur l’œuvre de Rimbaud, il est bon de fixer les documents qui peuvent légitimement nous communiquer une image vive du poète.

-          Photographie des frères Rimbaud, Frédéric et Arthur, en communiants. Le document vient de la famille Rimbaud directement, mais il en existe plusieurs "tirages", parfois réarrangés pour ne représenter qu’Arthur Rimbaud ou son visage en agrandissement. Certains "tirages" sont encore inconnus.
-          Deux portraits photographiques d’Arthur Rimbaud pris par Carjat. Ils ont été pris le même jour avec le même costume, dans les premiers temps de son arrivée à Paris, à peu près en octobre 1871 d’après le témoignage verlainien. A mon sens, le portrait connu de Verlaine par Carjat a probablement été pris lui aussi le même jour. Cela nous donnerait trois portraits clefs de deux grands poètes pour un seul passage chez un photographe. Précisons en outre que, apparemment, les originaux des portraits de Rimbaud par Carjat ne sont pas connus. La meilleure version de la photographie mythique daterait du début du vingtième siècle et elle est conservée au Musée Rimbaud à Charleville-Mézières, mais il existe d’autres tirages encore de ce portrait sans oublier l’original perdu dont on se demande ce que Berrichon et sa femme ont bien pu en faire. L’autre photographie est connue par quatre documents clefs : un positif sur verre daté de 1900 par l’expert du Musée d’Orsay, une photographie sépia de la vente Jacques Guérin montée sur une carte de l’atelier Carjat mais qui a l’inconvénient de correspondre aux traits plus grossiers du négatif sur verre, un médaillon fac-similaire publié plusieurs fois dans des états différents en tête d’un texte de Delahaye à partir de 1905, une photographie déchirée insérée dans une carte sortie de l’atelier Carjat sur laquelle figurent des mentions manuscrites erronées d’un ancien possesseur (Rimbaud en 1870, etc.), photographie qui a été vendue en 2004. A moins qu’une expertise ne parvienne à établir une des photographies en circulation comme étant directement sortie de l’atelier du photographe en 1871, sinon 1872, nous ne semblons pouvoir prétendre connaître que des tirages beaucoup plus tardifs par le beau-frère posthume Paterne Berrichon, et ces tirages tendent à comporter des retouches. Il est vrai que deux tirages de la photographie sont montés sur des sortes de cartes portant l’estampille de la maison Carjat, mais il n’est pas impossible que Berrichon ait remplacé la photographie originale par un tirage plus récent, notamment dans le cas de la photographie de la vente Jacques Guérin en 1998. Berrichon et sa femme ont pu se laisser déterminer par le souhait d’exposer une photographie dont les traits parussent s’imposer à tout le monde. L’importance et l’authenticité d’un original aux couleurs passées leur auraient-elles échappé complètement ? Nous ne saurions nous contenter en tout cas de la preuve par ces montages sur cartes. Sur certains tirages de la moins connue des deux photographies Carjat (positif sur verre, de 1900 selon le Musée d’Orsay, et portrait sépia de la vente Jacques Guérin), l’aggravation des ombres tend à conférer au poète une tête d’enfant en train de bouder, mais certaines versions moins ombrées révèlent le visage adolescent du poète. C’est le cas des différents fac-similés signalés à l’attention par Jacques Bienvenu et publiés par Delahaye vers 1905-1906, lequel Delahaye a déclaré qu’il s’agissait du portrait le plus ressemblant qui puisse se trouver. Le portrait offert par Delahaye a été retouché au fur et à mesure des éditions, l’image étant loin dans tous les cas de la qualité photographique, mais sans que ces retouches et effets de reproduction seconde n’empêchent la révélation des traits adolescents du pourtour du visage. Surtout, les traits adolescents apparaissent encore sur la photographie Carjat en partie déchirée qui a été vendue vers 2003-2004 avec le support d’une carte de la maison Carjat, laquelle photographie nécessiterait une expertise nettement plus approfondie et sérieuse étant donné l’enjeu d’importance qu’elle présente. Il s’agit peut-être de la seule photographie originale connue et de la plus apte à nous donner une idée précise du visage de Rimbaud. C’est LE portrait à posséder. Plus célèbre, l’autre photographie par Carjat, dont nous ignorons où se trouve l’original, nous offre une figure idéale de poète, mais le visage, d’une nette beauté sur ce document, serait quelque peu transfiguré, d’autant que les contours des joues et du menton moins nets, plus estompés, laissent la part belle à une reconfiguration liée à l’effet de la prise de vue photographique. Le meilleur état de cette photographie est celui conservé depuis longtemps par le Musée Rimbaud. La Fondation Catherine Gide a légué un autre tirage jusqu'alors inédit de cette photographie au même Musée Rimbaud. Toutefois, même sous son meilleur tirage, la photographie si célèbre ne reflèterait pas aussi fidèlement que souhaité le visage authentique, comme c’est le cas de l'autre photographie Carjat dans le cas des tirages moins ombrés, enseignement que nous estimons pouvoir tirer des études sur le sujet menées par Jacques Bienvenu qui rappelle que cet avis d’authenticité était appuyé par Izambard aussi bien que par Delahaye, à quoi il convient d’ajouter que Verlaine envisageait de publier une photographie de Rimbaud plus ressemblante que celle qui a pris aujourd’hui une dimension mythique. Toutefois, la photographie sépia de la vente Jacques Guérin peut éventuellement sortir directement de l'atelier Carjat. Dans ce cas, on peut songer aux remerciements d'Isabelle Rimbaud à Mathilde quand elle reçoit une photographie intacte en comparaison de celle qu'elle conservait. L'idée serait alors que la photographie déchirée était celle conservée jusqu'alors par Isabelle, la sépia serait la photographie conservée par Mathilde que Verlaine n'aurait pu publier comme la plus ressemblante lorsqu'il s'occupait de faire connaître l'oeuvre de son ancien ami. Ces ombres ont le défaut de donner à Rimbaud un visage boudeur d'enfant néandertalien, mais, dans le cas d'une authenticité de la carte de visite à photographie sépia, et dans le cas d'une confirmation du scénario selon lequel Isabelle aurait confronté le portrait sépia transmis par Mathilde à celui déchiré et passé qu'elle conservait, ces ombres seraient non pas des retouches de Paterne Berrichon comme nous avons pu le penser et l'écrire, mais un défaut d'origine de la photographie. A cette aune, trois considérations me paraissent importantes. Premièrement, les deux photographies ont été prises le même jour. Deuxièmement, pour peu que les ombres soient minimisées, le pourtour adolescent du visage de Rimbaud apparaît. Troisièmement, ombres ou pas, la photographie qu'on dira du "Rimbaud boudeur" serait plus ressemblante selon Verlaine, Delahaye et Izambard que la photographie du "Rimbaud rêveur".
-          Un tableau de 1872 intitulé Coin de table par le peintre Fantin-Latour où, à côté de Verlaine et parmi de futurs collaborateurs de la revue La Renaissance littéraire et artistique, figure un Arthur Rimbaud aux cheveux longs et ébouriffés. Un portrait à part d’Arthur Rimbaud a été offert par Fantin-Latour à Paterne Berrichon et Isabelle Rimbaud, à une époque où le tableau du Coin de table appartenait à Emile Blémont. Comme l’a clairement montré Jacques Bienvenu, documents à l’appui, l’authenticité de ce Fantin-Latour ne fait aucun doute. En revanche, comment Fantin-Latour a-t-il pu effectuer une répétition du portrait de Rimbaud, si le tableau du Coin de table ne lui était pas directement accessible ? S’est-il rendu chez Emile Blémont ? A-t-il utilisé une esquisse préparatoire inconnue ? Ou bien un dessin dérivé ? Ou bien ne s’agirait-il pas de l’esquisse préparatoire elle-même ? Il conviendrait d’expertiser ce tableau qui figure dans un musée américain. Etant donné le statut officiel de répétition conféré par Paterne Berrichon, nous ne pouvons prétendre sans preuve avoir affaire à un document d’époque, c.-à-d. à l’esquisse préparatoire elle-même. En revanche, la question continue de se poser. Elle est de taille, puisqu’il s’agirait de retrouver ou non l’unique tableau pour lequel Rimbaud ait jamais directement posé.
-          Trois autoportraits photographiques d’Arthur Rimbaud à Har(r)ar en 1883 qui nous sont parvenus par l’intermédiaire de la famille à qui l’ancien poète les avait envoyés, comme l’atteste une correspondance aux siens où le carolopolitain décrit assez précisément soit les attitudes qu’il prend, soit les lieux de la prise pour chaque photographie. Seul bémol, une des trois photographies, celle où il se tient éloigné un pied en avant, a connu un tirage retouché pour rendre visible un visage en train de s’effacer sur le document original et c’est cette photographie au visage retouché qui est connue du grand public.

Les autres photographies et les autres tableaux ne sont pas fiables. Leurs provenances sont pour l’essentiel inconnues ou sujettes à caution. Ces prétendus documents ont été mis en avant au XXème siècle, voire après la Seconde Guerre Mondiale ou au XXIème siècle, quand la réputation du poète était faite et les sept documents iconographiques canoniques bien posés.
L’identification d’Arthur Rimbaud et de son frère à ses côtés sur une photographie de classe de l’institut Rossat pose problème. Le document non daté ne vient pas de la famille Rimbaud, aucun des deux frères n’est identifiable en tant que tel, et on se contente de convaincre le public en décrétant que le personnage susceptible d’être Arthur Rimbaud a une façon boudeuse de regarder qui n’appartiendrait qu’au célèbre poète, le seul terme de comparaison d’un Arthur Rimbaud boudeur tête baissée n’étant offert pourtant que par la photographie des frères Rimbaud en communiants, ce qui n’est pas suffisant. Il ne s’agit pas là d’un principe d’identification fiable. Cette attitude peut être celle de bien des enfants de l’époque. L’identification est encore plus fantaisiste en ce qui concerne la présence supposée d’Arthur Rimbaud sur une photographie d’un groupe réuni autour d’une partie de chasse à Aden. Aucune autre identification d’une quelconque tête assez visible des nombreux personnages du document n’a été proposée, aucune datation n’a été resserrée et les traits du présumé Rimbaud sont indistincts, tandis que sa silhouette, sa coiffure et ses épaules tombantes sont suffisamment banales que pour ne pas devenir des signes particuliers autorisant la moindre identification. Là encore, on attribue une spécificité rimbaldienne absurde au fait de croiser les bras et d’avoir un visage fermé. D’autres identifications photographiques ont été proposées, comme celle chronologiquement impossible et peu physionomiste de Rimbaud aux côtés de Jules Suel, de l’explorateur Lucereau et du docteur belge Dutrieux en 1879, sachant que le prétendu Rimbaud pourrait être le photographe Bidault de Glatigné lui-même à qui le personnage assis tend à ressembler, la belle-mère d’âge mûr de celui-ci (plutôt que la jeune femme enceinte) semblant s’imposer avec évidence juste à côté sur cette photographie connue sous le nom de Coin de table à Aden. Pour ce qui est des peintures, Rimbaud n’a posé que pour le seul Fantin-Latour, visiblement. Les autres tableaux sont suspects, voire cocasses, et peuvent avoir eu une influence perverse sur les écrits biographiques. Rappelons pour écarter d’un revers de main la plus grande partie de ces portraits que, comme le montrent plusieurs croquis, par Verlaine ou Régamey, Rimbaud avait les cheveux longs en 1872 et 1873.
Quant aux dessins représentant Rimbaud, ils sont parfois de Verlaine ou Delahaye, ce qui leur confère un intérêt, puisqu’ils dégagent une certaine vision du personnage, mais nous manquons de dessins représentant Rimbaud pris sur l’instant. Dans le lot de tout ce qui nous est parvenu, Rimbaud n’a guère été pris sur le vif, si ce n’est par Forain avec le dessin « Qui s’y frot[te s’y pique] » ou bien par Régamey. Un dessin ne représente que la carrure de Rimbaud assis sur une chaise, seuls les habits et le chapeau haut de forme étant dessinés. Un autre dessin a toutefois l’intérêt de représenter le visage bougon du poète dans la rue londonienne à la traîne de Verlaine sous le regard d’un policier. Quant aux dessins d’Isabelle Rimbaud, aucun n’est fiable. Ils ont été faits après la mort du poète, même si le couple de Paterne Berrichon et d’Isabelle Rimbaud a voulu faire croire qu’ils ont été croqués par Isabelle du vivant du poète et en sa présence en 1877 ou à l’agonie à Marseille. Certains s’inspirent même de revues, comme cela a été prouvé dans le cas du joueur de harpe. Isabelle se contentait de retoucher la moustache pour la ressemblance avec son frère. Comme cela a déjà été observé, l’un semble une mauvaise reproduction de la tête de Rimbaud avec son chapeau, à partir de l’autoportrait pris les bras croisés sous le bananier. La correspondance aujourd’hui publiée d’Isabelle Rimbaud et Paterne Berrichon nous apprend clairement que Paterne Berrichon a demandé à sa future épouse de dessiner son frère à des fins de publication édifiantes et qu’il a considéré que certains d’entre ces dessins posthumes, trop travaillés, n’étaient absolument pas crédibles.
Rappelons enfin que le beau-frère posthume n'a jamais rencontré Rimbaud. Ses oeuvres, tableaux ou sculptures, n'ont aucune valeur iconographique. Un dessin est pourtant signalé à l'attention. Il s'agit du visage de Rimbaud de trois quarts d'après un dessin d'Isabelle Rimbaud. La mention "d'après un dessin d'Isabelle Rimbaud" est perfide, car si elle signifie aujourd'hui que Berrichon a dû s'inspirer d'un dessin d'Isabelle représentant son frère, il s'agit en réalité d'un visage imaginaire d'Arthur Rimbaud à partir des traits d'Isabelle Rimbaud, comme le prouve, outre les photographies connues d'Isabelle Rimbaud, un similaire dessin la représentant de profil, coiffée d'un chapeau. Ce dessin figure dans l'un des encarts de la biographie Arthur Rimbaud de Jean-Jacques Lefrère parue chez Fayard en 2001, juste en-dessous d'une photographie du "docteur Beaudier".

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