vendredi 21 décembre 2018

Le cas Marceline Desbordes-Valmore

Je me donne du mal dans une étude des poésies de Marceline Desbordes-Valmore. L'article va encore prendre du temps, mais ceci est un blog et je peux y glisser un billet (d'humeur) ou quelque chose du genre.
On sait que cette poétesse a compté pour Rimbaud, et un peu pour Verlaine. Ce qui domine, c'est cette citation inédite "Prends-y garde, ô ma vie absente!" Rimbaud transcrit un vers de quelqu'un d'autre sur un de ses manuscrits et c'est la poétesse qui a les honneurs de la citation, pas Hugo, pas Baudelaire, pas Banville ou un autre, même si par d'autres moyens Rimbaud a finalement cité ces autres poètes dans ses oeuvres.
Il y a une deuxième amorce. On répète toujours que le poème "Les Etrennes des orphelins" s'inspire de deux poèmes qui ont été publiés dans la Revue pour tous en septembre 1869, d'un côté "Les Pauvres gens" de Victor Hugo et de l'autre "La Maison de ma mère" de Desbordes-Valmore. Mais, alors qu'à cause de reprises précises de passages du poème de Victor Hugo, le premier cas est à peu près traité par la critique, le peu d'études que j'ai pu lire sur "Les Etrennes des orphelins" m'a l'air de considérer "La Maison de ma mère" comme une source d'inspiration accessoire, on dit que Rimbaud s'en est inspiré, mais ça s'arrête là, aucune illustration pour appuyer cette thèse.
Si on lit le poème, on a des amorces de rapprochement. Mais comment faire la part des clichés communs inévitables. Ceci dit, moi, je possède un volume des oeuvres complètes de Marceline Desbordes-Valmore :Oeuvre poétique (textes poétiques [ou versifiés sur la page de faux titre] publiées et inédits rassemblés & révisés par Marc Bertrand), Jacques André éditeur, 2007.
L'ouvrage n'est pas facile à manipuler, il n'y pas même un sommaire des recueils, je devrais moi-même en ajouter un au crayon.
Ensuite, j'aimerais pour des gens comme Desbordes-Valmore, Banville, Lamartine, Vigny, Musset et quelques Parnassiens,.... (je romps ma phrase ici) ce serait un bon outil de travail universitaire qu'un livre précisant les dates de publications des livres de ces différents auteurs, préciser les éditions et leur contenu en poèmes ou préciser quand des recueils sont publiés par deux ou par trois... A Toulouse, il existe un ouvrage sur les livres publiés année par année au cours du dix-neuvième siècle, mais il n'est pas à l'Université du Mirail où se trouve la faculté de lettres, mais à la bibliothèque de l'Arsenal, à la faculté de droit. D'ailleurs, il y a des ouvrages anciens non référencés informatiquement à la bibliothèque de droit, par exemple des fables de Lachambaudie, etc. J'ai travaillé sur les fiches cartonnés, et je m'en suis rendu compte. Mais, bref, l'idée, c'est de cerner les lectures de Rimbaud en 1869. Quand il parle des Cariatides de Banville, il ne s'agit pas de l'édition de 1842, mais d'un volume conséquent qui rassemble plusieurs recueils de Banville : Cariatides, Stalactites, Sang de la Coupe, etc., à l'exception des Odes funambulesques, des Exilés et des Idylles prussiennes. En plus, plusieurs vers ont été remaniés. Dans le cas de Belmontet, il n'a sans doute pas lu Les Nombres d'or, mais sa version tardive intitulée Lumières de ma vie (ou de la vie je ne sais plus). Desbordes-Valmore a publié plusieurs recueils. Le vers cité "Prends-y garde, ô ma vie absente !" fait partie d'un recueil des débuts, tandis que les vers de onze syllabes figurent dans un ultime recueil posthume. On comprend que Rimbaud et Verlaine ont lu ces recueils au printemps et à l'été 1872. Pour moi, il est clair que Rimbaud, éloigné de Paris, en mars-avril 1872, s'est replongé dans l'oeuvre de la poétesse douaisienne et qu'il en a parlé à Verlaine dès son retour en mai. Desbordes-Valmore est à joindre à Favart dans les noms clefs du renouveau poétique rimbaldien en mai 1872. Le vers cité et l'emploi du vers de onze syllabes dans les "Ariettes oubliées" prouvent la lecture d'au moins deux recueils.
Mais, je reviens aux "Etrennes des orphelins". Le poème "La Maison de ma mère" ouvre un recueil intitulé Pauvres fleurs si je m'en fie à mon édition. Plusieurs poèmes de ce recueil véhiculent des éléments clefs intéressants à rapprocher du poème "Les Etrennes des orphelins". J'ai des idées pour des rapprochements avec "Ophélie" et quelques autres poèmes. Par exemple, l'expression "le Doute nous punit" dans "Credo in unam", je me demande si ça ne vient pas d'un poème de Desbordes-Valmore. En même temps, comme les recueils sont enchaînés les uns aux autres dans mon édition, le dernier poème du recueil qui précède Pauvres fleurs s'intitule "Le Convoi d'un ange" et il permet lui aussi des rapprochements avec "Les Etrennes des orphelins".
Pourtant, le sujet des "Etrennes des orphelins" s'inspire de travaux scolaires avec un modèle en vers français "L'ange et l'enfant" de Jean Reboul. Ce modèle a même des conséquences étonnantes. Car ce travail scolaire semble n'avoir aucun lien avec la Revue pour tous. Je dois encore enquêter, mais on dirait que Rimbaud a traité le sujet à l'école à partir du poème "L'ange et l'enfant", mais qu'après en septembre il a découvert "Les Pauvres gens" et "La Maison de ma mère" dans la Revue pour tous, et cela entrait en phase avec le travail scolaire déjà effectué, et du coup Rimbaud a poursuivi dans cette voie-là pour créer "Les Etrennes des orphelins". Et, il serait passé de la lecture dans la revue du poème de Desbordes-Valmore à la lecture de recueils entiers de cette poétesse réputée douaisienne, sachant que Rimbaud n'a alors aucun lien avec Douai. Evidemment, Desbordes-Valmore présente toutes les garanties que le poème "Les Etrennes des orphelins" est bien un poème d'édification où l'ange des berceaux apporte bien un rêve heureux et réconfortant aux enfants, lecture simple que je trouve évidente du poème et qui engage notre représentation de ce qu'est capable de faire l'auteur de "Voyelles" en termes de mystique littéraire artiste (affectée ce serait péjoratif), enjeu qui n'est pas mince du tout.
Enfin, pour ceux qui publient Desbordes-Valmore en la revalorisant, on a souvent une présentation positive du rôle de Verlaine au détriment de Rimbaud. C'est le cas de l'introduction de Marc Bertrand dans son édition. En effet, à la différence de Baudelaire, Verlaine avait une misogynie beaucoup plus braquée à l'encontre de Desbordes-Valmore. Verlaine le dit lui-même : c'est Rimbaud qui l'a obligé à lire Desbordes-Valmore et même à lire tout Desbordes-Valmore. C'est une information capitale. Rimbaud a dû combattre les réticences misogynes de Verlaine, c'est en dire long sur le fait que c'est Rimbaud qui voit comme Baudelaire et d'autres que cette poétesse est hors du commun malgré une apparente simplicité. D'ailleurs, j'ai aussi relevé quantité de vers que je trouve bien formulés ou saisissants et que je pourrais glisser dans une étude annexe sur les beautés dans la poésie de Desbordes-Valmore, au-delà donc de son influence sur Rimbaud. Cette information capitale en contient une autre : Rimbaud lisait tout Desbordes-Valmore, pas seulement un recueil, et on peut comprendre qu'en 1872 quand Rimbaud composait ses vers nouvelle manière et Verlaine ses "Ariettes oubliées" les recueils de Desbordes-Valmore occupaient un temps important à la lecture, et j'ai bien sûr travaillé aussi sur les rapprochements avec des poèmes de Verlaine de l'année 1872.
Le truc, c'est que j'ai beaucoup de mal, parce que beaucoup d'éléments sont diffus ou peuvent renvoyer aux oeuvres d'autres auteurs.
C'est pour cela que mon étude va encore prendre du temps, mais je pense que ce que je viens d'écrire est assez suggestif et apte à retenir l'attention.
Rimbaud a eu une influence première quand il était à Charleville de la fin de l'année 1869 jusqu'aux débuts de la guerre franco-prussienne. L'année terrible et surtout le séjour parisien de septembre 1871 au début du mois de mars 1872 ont dû contribuer à ce que Rimbaud s'intéresse à d'autres auteurs et s'éloigne de Desbordes-Valmore, mais, manifestement, entre mars et mai 1872 son intérêt pour la poétesse douaisienne a repris de plus belle. L'errance en Belgique, puis le passage en Angleterre ont dû définitivement détourner Rimbaud des poésies de Desbordes-Valmore. Contrainte technique simple du manque d'accès désormais à ses livres.
Notez que j'envisage depuis longtemps que "corbeaux délicieux" soit inspiré des "éclairs délicieux" de Desbordes-Valmore. J'ai aussi constaté les récurrences extrêmement nombreuses de la rime "mère"::"amère" dans les recueils de la poétesse, lien donc sensible avec "Les Etrennes des orphelins", même si on m'objectera qu'il s'agit peut-être d'une rime cliché dépendante du sujet. Ceci dit, le cliché et la provenance de cette rime dans le poème de Rimbaud restent à étayer. J'ai plusieurs éléments convergents qui me font penser que Desbordes-Valmore a compté dans le cas des "Etrennes des orphelins", même si ça ne saute pas aux yeux de prime abord. Ensuite, il y a le cas des poèmes du printemps 1872. Je pratique un lent dépouillement, mais j'ai noté que la rime "vie"::"asservie" de "Chanson de la plus haute Tour" revient souvent dans les poésies de Desbordes-Valmore. Mon intuition, c'est que cette rime n'est pas si courante que ça. Je dois encore cerner si elle est courante chez les grands poètes, mais aussi dans les poésies lyriques du type Favart, ce qui veut dire que je ne dois pas seulement dépouiller tout Desbordes-Valmore, je dois encore dépouiller d'autres oeuvres en parallèle.
Evidemment, comme il y a énormément de lecture, c'est un travail que je prends, que je lâche, que je reprends, etc. Quand j'estimerai avoir suffisamment progressé, je publierai un article sur ce blog.

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