mercredi 25 octobre 2017

Nineteen N°2 : la scène française (rock) 1982-1988 - Pour un avant-goût du projet d'émission radio sur un Rimbaud politique

Activités multiples et masses de lectures, le rythme des publications du blog peut s'en ressentir. Peu importe, cela doit donner l'occasion de se plonger dans la lecture d'articles plus anciens. Je devrais en 2018 publier trois articles rimbaldiens sur papier (actes du colloque de mars, revues Rimbaud vivant et Parade sauvage). L'émission radiophonique est en attente, il s'agit de mûrir ce que j'ai à dire. Nous ne la lancerons qu'une fois que tout sera sûr et ficelé. Je lis beaucoup, et au-delà de la bibliographie que j'avais indiquée en août. Je lis d'ailleurs bien des choses indépendamment de Rimbaud même.
La personne qui m'invite à parler de Rimbaud au plan politique n'est autre que la personne qui publie le second volume de la revue Nineteen.
Je vais un peu présenter de quoi il retourne.
Dans les années 1980, des toulousains ont créé un fanzine sur le "rock underground des années 80" qu'ils baptisèrent du titre "Nineteen" d'une chanson du groupe rock français les Dogs. La revue avait un complément local "Going loco". Son succès a été important, mais les publications s'espaçaient parfois dans le temps et les membres du journal se retrouvaient sur les rotules, car ils étaient en province et non à Paris, mais encore avaient leurs exigences éditoriales, leurs exigences en ce qui concerne le financement par la publicité. Ils n'ont ainsi pas pu se maintenir comme cela fut le cas des Inrockuptibles. La revue n'a duré donc que de 1982 à 1988, et c'est un magasin de disques rock qui a suivi comme expérience.
Après un premier volume sur les groupes du monde entier (Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, Suède, voire France avec les Dogs), le second volume réunit les articles sur la scène française, à l'exception des Dogs déjà traités. Ce second volume est augmenté d'un CD. A l'époque, la revue proposait parfois un 45 tours en complément, sinon un flexi-disque. Ici, le CD ne contient que quelques morceaux publiés jadis par la revue, l'essentiel n'était pas dans les bonus en galettes noires de la revue d'époque, mais le résultat final est surprenant : "Femme fatale" des Thugs en ouverture, une reprise "I live the life I love" par les Coronados ou "Going loco" hommage à la revue des Batmen. Mais il y a plusieurs autres titres ensuite : "Things get better" des Fixed up, "Dawn of love" des City Kids, "Le Vampire" de Gilles Tandy avec à la guitare Laboubée des Dogs, superbe balade pas rock d'Eric Tandy "Attendre", "Shandy street" chanson en français comme son titre ne l'indique pas de Gamine, "Reverberation" des niçois Dum Dum Boys, etc.
Ce volume est une compilation d'articles anciens, avec une préface de Jim Dickson, ancien membre du groupe australien Radio Birdman et du groupe américain Barracudas.
Il contient tout de même de l'inédit avec la surprise finale : plusieurs pages d'un regard rétrospectif de quelques acteurs de l'époque dont les propos ont été recueillis. Ce regard rétrospectif réunit des gens qui écrivaient sur la scène rock française concernée par le livre, mais aussi des gens qui s'intéressaient à la scène punk et pas directement à cette scène rock française.
Evidemment, ce volume réunit des artistes obscurs et le quidam peut se demander en quoi avons-nous là une anthologie sur la scène rock française des années 80. Le rock ne date pas des années 80 et les années 1980 ont eu leur lot de chansons rock à succès. En même temps, en France, il n'était pas question de groupes rock garage comme dans les pays anglo-saxons. Faire un rock à production médiocre assumée qui rend la note des sixties, cela était considéré comme ringard dans le monde entier, et particulièrement en France. Nous parlons ici simplement de groupes rocks français des années 80, mais des groupes qui ne font pas partie d'une grosse cavalerie à succès, de groupes qui ne font pas de concession au format privilégié par les majors françaises. Les majors françaises n'étaient d'ailleurs absolument pas désireuses de promouvoir un courant rock français des années 80, et ils étaient agacés par la difficulté de bien délimiter par des étiquettes des groupes rocks qui n'étaient ni punks, ni faciles à institutionnaliser, des groupes qui pour beaucoup chantaient en anglais et qui étaient d'office perçus comme des singes seconds couteaux de ce qui se faisait dans les pays anglophones.
Le regard rétrospectif de fin d'ouvrage essaie d'apporter des réponses à cet échec de la scène française rock des années 80. Mais ajoutons encore que ce courant rock est sans doute un peu programmé pour un certain échec. Le punk avait crié "no future" et le rock garage reprend le mot tout en étant du revival sixties à son volontairement amateur ou sale. La scène rock dont il est question ici n'est pas dans le revival sixties, mais elle est tout de même assez anarchiste. Les frères Tandy sont à relier aux Olivensteins avec leur titre célèbre "Fier de ne savoir rien faire" par exemple. Les gens qui écoutent du hard rock, du rock progressif, du Dire Straits, du blues très bavard et classieux plutôt que les racines, et qui écoutent bien d'autres genres musicaux, peuvent réussir leur vie, mais là on est dans le rock de ceux qui, en principe, galèrent dans la vie, passent à côté de la réussite. Il y a très certainement un état d'esprit qui joue beaucoup.
Dans le premier volume, l'auteur de l'anthologie écrivait ces lignes qu'il reprend sur le pliant du premier de couverture du second volume : "[...] cette effervescence semble avoir été un feu de paille ou les derniers soubresauts des décades [sic anglicisme pour décennies] précédentes, [mais] elle a été une façon de comprendre le monde, d'agir sur lui et parfois aussi une façon de ne pas perdre sa vie à la gagner." La revue "Nineteen" n'est pas le fait de gens qui écouteraient Dire Straits, Genesis, Phil Collins, Police, Téléphone, Indochine, et elle le revendique.
Pour la sortie de ce volume, le dernier en principe, il y aura à Toulouse, au "Lieu commun", 25 rue d'Armagnac, plusieurs manifestations : vendredi 10 novembre, à 18h30 vernissage de l'expo "Les Barrocks en affiches", avec un set acoustique des Red Jack, puis de 19h à 22h un DJ Set animé par Pascal Comelade, surtout le samedi 11 il y aura une table ronde de 17h30 à 19h avec Gildas Cosperec du fanzine Dig it en temporisateur, table ronde qui réunira Tatane de Nineteen, Jean-Luc Manet des Inrocks, Marsu de Bondage, Christophe Suquet des Barrocks, Eric Tandy du Monde diplomatique, Rude Boy de Nyark ! Nyark ! Cela sera suivi par un concert de 20h à 22h du groupe Gattaca. Dans le livre, les gens sont déjà remerciés pour ces deux jours et il est aussi question des Dum Dum Boys qui joueraient à cette occasion. Ont-ils annulé ?
On comprend que je recommande tout particulièrement l'écoute des Dogs, des Coronados et des Thugs. J'ai parlé des Olivensteins et des frères Tandy. L'anthologie propose encore des articles sur les Batmen, Fixed up, City Kids, La Souris déglinguée, Gamine, et bien d'autres. Signalons aussi que se succèdent un article sur le groupe Parabellum et un sur le parolier "Géant vert" qui apportait ses textes à ce groupe sans en faire partie. Je dois être plus précis, il s'agit en l'occurrence d'un entretien avec le parolier "Géant vert", quelques articles étant des interviews. Je cite le début de cet article pour montrer à voir le nerf politique de ce fanzine qui ne parle pas du rock comme d'un simple divertissement : "Les paroliers rock qui essaient de regarder un peu plus loin que le bout de leur rime ne sont pas légion en France et ce n'est rien de l'écrire." Citons maintenant le début de l'article sur le groupe "Gamine" : "Depuis cinq ans, Gamine a su affronter les problèmes d'un groupe vivant en France. En effet, à part Fixed Up, et quelques autres, qui ose s'aventurer loin de sa ville d'attache pour faire des concerts et se payer l'audace de sortir des disques sans l'appui d'une grosse boîte ?"  Citons la fin du premier des deux articles sur les Thugs : "On comprend mieux alors pourquoi le rock & roll des Thugs est violent et non agressif, pessimiste et résolu, nihiliste mais pas désabusé. Seuls les imbéciles et les fainéants continueront de voir du sectarisme là où il n'y a qu'exigence et volonté de ne pas perdre son temps inutilement."









Le célèbre psychiatre a contribué à couler le groupe en combattant le fait de se nommer d'après lui. Au plan musical, la chanson n'est pas punk comme les paroles, mais rock.


Olivensteins - Euthanasie (passage à FR3 Rouen en 1979)

Eric Tandy était plutôt parolier et ne faisait pas partie des groupes comme son frère Gilles, mais il a eu sa propre oeuvre. Le EP ET, ses initiales en allusion à un film d'époque, une poignée de titres plus rock, puis la balade "Attendre" d'une tonalité bien différente qui figure sur la compilation du Nineteen 2.





Sur ce blog littéraire, assumons au moins ce titre plus "bruitiste" impressionnant.


Le lien vidéo donne l'image du 45 tours correspondant de la revue Nineteen. "Going loco" est le nom du complément local toulousain à la revue Nineteen.


Excellente chanson figurant sur le CD de Nineteen 2, mais le lien vidéo est un passage télé live avec introduction par un speaker.






Un groupe niçois.







***

Bonus : suite au décès de George Young, un complément est à sa place après un article par exception sur le rock. George Young est présenté comme le mentor du groupe AC-DC où officiaient deux de ses frères cadets. En réalité, c'est un discours qui vient comme toujours de deux ordres de réalité. D'une part, la presse rock est dominée apparemment par le public des années 70. Dans les années 80, dans les années 90, dans les années 2000, il y a une certaine préséance du discours du public seventies au détriment des sixties. Cette préséance s'accompagne souvent, et avec AC-DC c'est le cas, à une assimilation du rock à un divertissement. En réalité, le groupe The Easybeats a produit de plus belles compositions que le groupe AC-DC. La scène australienne a été très riche au plan du rock dans les années 70 et 80 en particulier, ce qu'elle partage avec la scène suédoise, puisque le rock a essaimé bien avant au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Même si les premiers groupes australiens ont à voir avec des émigrations d'origine européenne, c'est le cas pour The Easybeats où figure un néerlandais d'origine, le groupe The Easybeats est tout de même le tout grand groupe rock australien. Ils étaient inégaux, mais ils ont un certain nombre de chansons brillamment imaginées et interprétées. Les autres grands groupes australiens sont parfois en partie célèbres The Saints et Radio Birdman, parfois pas du tout : Qui connaît The Sunnyboys, The Stems ou The Celibate rifles ? Les gens citeront des noms à succès : les moyens Midnight Oil ou INXS, les médiocres Men at work ou Go-Betweens, l'assez bon Nick Cave qui a animé aussi le groupe Birthday Party, mais la scène vraiment rock, le fond rock de l'affaire en Australie, c'est Easybeats, Saints, Radio Birdman, Sunnyboys, Stems (en lien : Dom Mariani, Someloves, DM3), Celibate rifles,  et puis Died Pretty, Scientists, Lime Spiders, Church, le premier album des Hoodoo Gurus, plutôt que la cavalerie AC-DC, INXS, Midnight Oil, voire Nick Cave qui est quand même bon. Ces lignes de partage ne sont pas perçues par l'écrasante majorité du public qui se contentent de ce qui a de la notoriété ou pas avec une conception large du rock. C'est un truc qu'il faut sentir et si on le partage pas il peut être bon de savoir que cette curiosité de rapport au rock existe.
Evidemment, on sent que Rimbaud ne saurait être complètement étranger aux spécificités des scènes rock underground. Il y a des points de comparaison faciles à établir, au vu de ce que j'ai pu décrire sommairement ci-dessus.
Patti Smith, Tom Verlaine du groupe Television et Jim Morrison des Doors illustrent l'intérêt du rock américain pour l'icône française qu'est Rimbaud. Il y a d'autres facettes de la révolte rimbaldienne qui peuvent essaimer autre part dans le monde. Rimbaud n'était pas très lu en Amérique avant les sixties et les écrivains d'une beat generation qui en firent des mantras. Le succès de Rimbaud semble avoir été important au Japon dès le début du vingtième siècle, dès 1910, à une époque où la légende Rimbaud couve encore essentiellement en France. Le succès de Rimbaud au Japon mériterait sans doute lui aussi une grande étude que personnellement je suis incapable de mener à bien pour l'instant.

4 commentaires:

  1. On est les cowboys du rock.
    On est les cowboys du rock.


    Le batteur avait écrit ça.

    Et puis c'est tout.

    Notre groupe : les deux frères Martos, Eric Puchercos, et Alf (moi) ne se réunissait presque jamais pour jouer.

    Ensemble, je crois qu'on a vu un concert de Shakin' Street au Bus palladium et un concert de Strychnine au Pavillon Baltard. C'est tout.

    Notre géographie c'est le Dejazet pour les trois films la nuit et le Brady pour les films d'horreur. Il y a aussi un deux pièces rue de Lancry : là où, d'un coup, un soir, je me suis mis à faire claquer les cordes de la basse : un son est sorti qui nous a excité un moment.

    Et un café désaffecté, vers Gambetta où une dizaine de spectateurs se sont mis à bouger devant nous : c'est arrivé que cette fois là : mais quand trois ou quatre personnes dansent devant votre guitare ça donne une certaine ivresse, un élan particulier.

    C'est arrivé qu'une fois.

    Notre groupe ne jouait presque pas et quand on jouait soit il manquait quelqu'un, soit les réglages, l'installation, les palabres organisationnelles achevées : il fallait se séparer. Notre groupe ne jouait pas mais discutait : souvent les deux frères Martos se perdaient dans des histoires de frères.

    Thierry Martos, le batteur (celui qui essayait d'organiser le chaos) avait une chaîne hifi avec un son que je ne retrouverai jamais : j'aimais bien mettre par exemple ce disque des Dogs sur la platine.

    Là, nous sommes à Paris en 1980. Rimbaud, pour moi, allait arriver la nuit de Noël 1983.

    La lecture de votre article a fait remonter tout ça : c'est mon commentaire.

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  2. "c'est mon commentaire" Et bien remaniez-moi tout ça et faites-en un poème en prose ! Vous pouvez garder le début jusqu'à "Et puis c'est tout." Il y a le découpage en alinéas et un texte qui intrigue avec le fondu des paroles rapportées sans guillemets et le voile levé au troisième alinéa. Le principal à conserver, c'est bien sûr de "Notre géographie c'est le Déjazet..." à "C'est arrivé qu'une fois." Tout ça, dur de le retoucher. Vous pourrez conserver l'alinéa qui précède de "Ensemble..." à "c'est tout.", même si ce n'est pas parfait, il y a le marqueur rythmique "c'est tout". Puis, le paragraphe : "Notre groupe ne jouait presque pas et quand on jouait soit il manquait quelqu'un, soit..." part bien, mais c'est à revoir ensuite pour toute la fin du texte.

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  3. Si vous vous intéressez au rock australien underground actuel, allez voir le site de mes copains rennais de BEAST RECORDS, ils sortent la crème des indés aussies. Sinon, Fixed up, oui, c'était sublime, François Lebas chante maintenant dans Asphalt Tuaregs et fait quelques dates en ce moment avec Frandol des Roadrunners sous le nom des "François Ier".

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