samedi 8 juillet 2017

Rimbaud lecteur des Châtiments : les sonnets sur la guerre franco-prussienne (introduction)

Sommaire des études à venir dans cette série

Le Châtiment de Tartufe (avec un compte rendu de l'étude de Steve Murphy, en préparation)
Rages de Césars (avec un compte rendu des interprétations distinctes de Steve Murphy et Marc Ascione)
L'Eclatante victoire de Sarrebruck (avec un compte rendu de la lecture de Steve Murphy)
"Morts de Quatre-vingt-douze..." (avec un compte rendu des lectures de Steve Murphy et Benoît de Cornulier)
Le Mal (avec un compte rendu de la lecture de Steve Murphy et des développements sur le contexte historique)
Le Dormeur du Val (avec un compte rendu des études de Jean-François Laurent et Steve Murphy)
L'influence des Châtiments sur les poèmes en vers de 1871
L'influence des Châtiments sur l'écriture de Solde
 
Compléments prévus: études sur Le Forgeron et Le Rêve de Bismarck, comptes rendus d'ouvrages sur la guerre de 1870 (François Roth, La Guerre de 1870, Fayard, 1990 ; Antoine Reverchon, La France pouvait-elle gagner en 1870 ?, Economica, 2014, La Chute du Second Empire, Reichshoffen - Sedan - Metz, Economica, 2015).
A plus long terme, une étude des articles de la presse d'époque (Le Monde illustré, etc.) sur la guerre en cours est prévue.


Prenons la liste des poèmes composés par Rimbaud en 1870 et remis à Demeny : Sensation, Ophélie, Soleil et Chair, Vénus Anadyomène, Première soirée, Les Reparties de Nina, "Morts de Quatre-vingt-douze...", Bal des pendus, Les Effarés, Roman, Rages de Césars, Le Mal, Le Châtiment de Tartufe, A la Musique, Le Forgeron, Ma Bohême, Rêvé pour l'hiver, Le Buffet, L'Eclatante victoire de Sarrebruck, La Maline, Au cabaret-vert, Le Dormeur du Val. Nous pouvons dénombrer vingt-deux poèmes. Dans cet ensemble, six sonnets ont pour sujet la guerre franco-prussienne : "Morts de Quatre-vingt-douze...", Le Châtiment de Tartufe, Rages de Césars, L'Eclatante victoire de Sarrebruck, Le Mal et Le Dormeur du Val. Aucun autre poème en vers ne parle explicitement de la guerre franco-prussienne. Steve Murphy a proposé une lecture en ce sens de Bal des pendus, mais il n'a pas réussi à l'établir et elle se fonde sur un procédé analogique qui présuppose que le poème est une sorte de métaphore filée autour de la guerre et du second Empire. Le poème A la Musique peut laisser penser qu'il est question de la guerre franco-prussienne, mais tout cela peut se ramener à une coïncidence. Rimbaud décrivait une soirée autour d'un orchestre militaire en juin 1870, et non pas l'atmosphère belliqueuse du mois suivant. En 1870, Rimbaud a composé également deux textes en prose, dont l'un, la nouvelle Un coeur sous une soutane, implique une critique du second Empire, mais ne s'y limite pas, la critique transparaissant dans le choix de noms de personnages : Césarin Labinette. En revanche, le court texte en prose Le Rêve de Bismarck traite à nouveau explicitement de la guerre franco-prussienne et il est très proche des portraits-charges de trois sonnets contre Napoléon III, en particulier de Rages de Césars (se reporter aussi au Châtiment de Tartufe et à L'Eclatante victoire de Sarrebruck). Le Forgeron est un autre poème politique qui pourrait contenir des allusions à la situation française du mois de juillet. Il resterait enfin le poème Les Effarés qui témoigne lui aussi d'un discours politique insurrectionnel, mais il ne parle pas de la guerre ni de Napoléon III. Nous en restons donc avec une liste fermée de six sonnets et un texte en prose court traitant de la guerre franco-prussienne, avec pour prolongement éventuel le poème Le Forgeron qui accable politiquement le Second Empire. Or, les six sonnets sont saturés de reprises des Châtiments de Victor Hugo, et cela pratiquement à l'exclusion de toutes les autres oeuvres de Victor Hugo, alors même que nous savons qu'il a eu entre les mains Les Contemplations, La Légende des siècles (première série de 1859) et Les Misérables, des échos de ces lectures parvenant à nous dans les autres poèmes contemporains.
Nous pouvons prendre n'importe quelle expression, n'importe quel mot, de l'un des six sonnets suivants : "Morts de Quatre-vingt-douze...", Le Mal, Rages de Césars, Le Châtiment de Tartufe, Le Dormeur du val, L'Eclatante victoire de Sarrebruck, et nous trouverons automatiquement une foule d'équivalences à chaque fois dans les vers du recueil Châtiments. Si vous ne trouvez pas de mentions de "Quatre-vingt-douze" ou de "Tartufe", c'est qu'il faut aussi orthographier différemment ces mots "quatrevingt-douze" ou "Tartuffe". Hugo mentionne "quatrevingt-neuf", "quatrevingt-onze", "quatrevingt-douze", "quatrevingt-treize", ou bien "l'an deux". Pour les noms propres, il en va sans doute quelque peu différemment. Valmy, Fleurus, Cassagnac ne sont pas cités dans Les Châtiments, mais il est assez facile de trouver des termes équivalents. L'idée de "Mazas" comme prison pour le républicain avide de liberté se retrouve elle à plusieurs reprises dans le recueil hugolien. La mention de "Saint-Cloud" dans Rages de Césars ne manque pas au recueil satirique de 1853. En revanche, le personnel du sonnet L'Eclatante victoire de Sarrebruck ne renvoie pas à la production du poète exilé sous l'Empire : "Pitou", "Dumanet", "Boquillon", mais le procédé de dérision qu'il implique n'en est pas moins cautionné par les choix antérieurs d'Hugo, soit que celui-ci use de noms de comédie dans ses rapprochements, soit qu'il rappelle à l'attention des noms historiques amusants pour l'oreille : "Papavoine", "Javotte", "Robert Macaire", "Pamélas", "Falstaff", "Scapin", "Bridoison", "Vautrin", "la Carconte", "Bruscambille", "Scaramouche", "Troplong et ses troplongues", "Trimalcion", etc.
Par son expression infantilisante, le sonnet L'Eclatante victoire de Sarrebruck peut sembler moins bien correspondre à un travail nourri de la lecture des Châtiments, mais outre la présentation carnavalesque d'une scène de bataille qui coïncide avec la construction satirique hugolienne, le vers 4 : "Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;" a l'air d'un prolongement de la caractérisation d'Abdel-Kader dans la pièce intitulée Orientale : "L'émir pensif, féroce et doux ;" tandis que le mot "apothéose" à la rime du sonnet de Rimbaud fait écho au poème qui porte ce titre au début du troisième livre des Châtiments, poème où il est question de "l'habit noir" du Châtiment de Tartufe : "usant son habit noir", mais aussi d'une apothéose comparable à la parodie de Rimbaud : "Vivat Mascarillus ! roulement de tambours." Le poème L'Eclatante victoire de Sarrebruck semblait plus difficile à rapprocher des Châtiments de Victor Hugo, nous venons de faire voler en éclats les réticences à ce sujet. Nous n'avons pas cité innocemment Apothéose et Orientale, le premier et le sixième poème du troisième livre des Châtiments : nous y reviendrons, gardez seulement cette information à l'esprit.

En 1991, Steve Murphy a publié un ouvrage Rimbaud et la ménagerie impériale qui a pour thèmes directeurs le Second Empire et la guerre franco-prussienne. Le livre est accompagné de nombreuses illustrations caricaturales d'époque, ce qui me semble une faiblesse cruciale pour un tel ouvrage critique, dans la mesure où un bon nombre n'éclaire pas tant le sens d'expressions des poèmes qu'elle n'apporte un témoignage historique complémentaire. Cet ouvrage contient également un grand nombre d'études devenues caduques : lecture des zutiques Vieux de la vieille (pages 36-42) et Hypotyposes saturniennes ex Belmontet (pages 145-158) faute d'identification de montages de citations authentiques, chapitre sur le dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." qui passait alors pour une composition de Rimbaud alors qu'il s'agit d'une création de Verlaine (pages 57-75) et lecture de Lys (pages 127-137) mais sans identification de la source parodique dans l’œuvre d'Armand Silvestre. Cet ouvrage contient tout de même un commentaire de chacun des six sonnets qui nous intéressent, avec en particulier un article majeur sur Le Châtiment de Tartufe.

3 commentaires:

  1. Je propose l'influence des Châtiments sur le courrier très pressé posté à Zanzibar le 25 août 1870 (un vrai poème) ou bien encore l'influence des Châtiments sur la poste dissolvante postée toujours au seul Zanzibar le 2 novembre 1870 (un vrai poème).

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    1. Si tu veux vraiment être drôle, la proposition ultime, c'est "l'influence des Châtiments sur la lettre du baron de Petdechèvre" !

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  2. Pourquoi pas ? Je vais aller voir ça de près pour cerner ce que vous voulez suggérer, humoristiquement ou sincèrement. Il est prévu que je parle bien sûr des lettres du voyant lors de l'étude sur les écrits de 1871. Pour "Solde", ce sera un relevé conséquent de tous les passages avec le verbe "vendre" appliqué à Jésus, en gros, plus quelques autres trucs.

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