jeudi 3 mars 2016

Gustave Guillaume

Pour ceux qui l'auraient manqué, l'article intitulé "Lucrèce, Sully Prudhomme et la pensée du Voyant" revêt une importance capitale. Il s'agit de l'article le plus important qui ait jamais été publié sur les lettres dites "du voyant" et tout cela va s'enrichir et prépare des retours décisifs sur Voyelles (encore une fois, puisque les gens n'ont décidément pas voulu comprendre) et sur Une saison en enfer.
Je suis aussi assez content, même si j'ai largement moyen de faire mieux, de ma mise en voix du Bateau ivre, du moins des cinq premiers quatrains.
Ici, je m'offre une petite digression.
Quand j'étais au lycée, j'avais sorti à mon professeur de philosophie que le "oui" était une forme particulière de parole puisque c'était l'action même de se marier. Le professeur avait rebondi comme si l'idée allait de soi. J'ai depuis découvert moi-même l'ouvrage d'Austin sur les énoncés performatifs. Mon raisonnement n'avait pas été si banal que ça. Je me suis évidemment procuré les deux livres qu'on associe à Austin : Quand dire, c'est faire (titre de la traduction française) et Le Langage de la perception. Ce dernier parle de tout autre chose et il est encore meilleur et plus intéressant que le très célèbre "Quand dire, c'est faire". J'ai continué à lire des ouvrages sur l'énonciation et la pragmatique linguistique, notamment Grice ou Sperber et Wilson, Searle pour compléter et d'autres.
Un jour, en-dehors de tout cadre scolaire ou universitaire cette fois, j'ai eu une autre intuition autour de la coordination "si verbe à l'indicatif et que au subjonctif" : "s'il vient et que tu ne sois pas là", j'ai assimilé le subjonctif à la valeur du "si", ce que je tends d'ailleurs à faire intuitivement quand : "s'il arrivait, nous partirions", "il arriverait, nous partirions" où là j'établis un lien entre le "si" et le conditionnel. Et évidemment, je superpose le conditionnel et le subjonctif dans au moins un cas de figure : "il eût été là, nous eûmes fait autrement", "il aurait été là, nous aurions fait autrement".
Depuis quelque temps, je considère que la distinction des modes en français pose problème et que le mode indicatif est le plus difficile à enseigner à des enfants.
Le mode subjonctif est un mode subjectif envisageant le procès verbal (action ou stase) en esprit, mais le conditionnel lui fait concurrence. Le mode indicatif serait celui des faits. Mais, le futur simple et le futur antérieur posent un problème théorique important. Depuis quand est-on sûr qu'un fait va se produire dans le futur ? Cela ne peut s'entendre qu'au plan de vérités scientifiques à la limite, mais dans la vie de tous les jours le futur n'est pas de l'ordre du fait.
Moi, ma thèse, c'est que le futur et le conditionnel doivent être réunis. Ils ont une formation parallèle. Le futur (simple ou antérieur) est pour moi un temps de la projection, et le conditionnel est aussi un temps de la projection, mais avec un double décrochage cette fois, la projection marquée par le "r" marque du futur et la projection dans le passé avec les marques de l'imparfait.
Le futur simple est fonction du présent, le conditionnel est fonction du passé, mais pourtant les emplois du conditionnel ne renvoient pas tous à l'idée de passé.
Quand on étudie les temps de l'indicatif en y incluant le conditionnel, on observe qu'on a un seul temps du présent, cinq du passé, deux du futur et deux du conditionnel.
En réalité, chaque temps simple a un temps composé correspondant, et les temps composés caractérisent le procès verbal comme accompli, c'est le sens du mot "passé" dans "participe passé", "infinitif passé". Dans "participe passé", on ne doit pas entendre "participe d'une action dans le passé", mais "participe d'un procès verbal achevé" L'antériorité qui donne son nom au futur antérieur et au passé antérieur notamment n'est qu'une conséquence de ce caractère accompli. Je ne dis rien là que de très connu.
Ainsi, le passé composé gagne une valeur de passé, mais par son auxiliaire et par sa valeur d'emploi il reste un temps lié au présent.
Du coup, resserrons-nous sur le cas des seuls temps simples. Nous avons un seul temps pour le présent, le futur et le conditionnel, avec une construction symétrique du futur et du conditionnel, et surprise deux temps du passé : l'imparfait et le passé simple. L'imparfait présente l'action en cours sans début ni fin, comme le présent et le futur, mais le passé simple a l'originalité de présenter l'action allant de son début à sa fin et on l'appelait auparavant le passé défini. Le passé simple est particulier intellectuellement et le peuple y a renoncé et sans doute pas seulement à cause de ses terminaisons bien sonores en "u"  en "a" ou en "i" ou en "in". Il représente le procès du verbe comme un tout, comme si rétrospectivement on rassemblait tout ce qui s'est passé dans sa mémoire en une forme ramassée.
Mais, face au passé simple, l'imparfait m'intéresse aussi, car il a plein d'emplois modaux qui ne correspondent pas à la situation du passé. Evidemment, en style, on peut comprendre que si malgré tout. Par exemple, dans un commerce, on va dire au client : "vous désiriez", ce qui veut dire que votre désir est déjà du passé puisqu'on s'occupe de vous.
Mais les enfants utilisent l'imparfait dans leurs jeux d'imagination : "on disait que tu étais une infirmière, etc."
Ainsi, l'imparfait a une amorce modale qui doit justifier le rôle de ses terminaisons dans la conception du conditionnel. L'imparfait n'a pas l'aspect projection du futur, car utilisé pour le passé il ne va pas vers l'avant sur la flèche du temps, forcément, mais il a un mode de décrochage malgré tout.
Du coup, dans ma perception, le mode indicatif ne peut pas être présenté comme le simple mode du fait, le simple mode décrivant ce qui arrive réellement. Il devrait inclure le conditionnel, ce que les grammairiens récents prennent en compte et il contient deux temps du futur qui ne correspondent pas à la définition et même l'imparfait pose problème
Du coup, j'ai la perception d'une évolution sans réelle solution de continuité entre les temps de l'indicatif (du conditionnel) et du subjonctif.
Le sujet m'intéressant, je me suis plongé dans la lecture de Gustave Guillaume et je me suis rendu compte qu'une étape décisive de sa réflexion avait été justement d'étudier et de conclure comme moi quant à la fameuse coordination : "S'il vient et qu'il ne soit pas là". Il en donne un autre exemple avec "s'ensuive" mais je ne l'ai pas en tête en ce moment. Il inclut déjà à l'époque le conditionnel dans les temps de l'indicatif, mais je ne l'ai pas vu étudier la progression de conditionnel à subjonctif.
Il a aussi publié un ouvrage sur l'article en français.
Et bref, je me rends compte que c'est un des grammairiens les plus puissants qu'il m'ait été donné de lire. Je ne comprends pas encore clairement le charabia temporel de la chronothèse, mais les intuitions sont précises et puissantes, je vois assez nettement que j'ai affaire à quelque chose de phénoménal. Pourtant, autant on parle de Benveniste, Saussure, Chomsky et d'autres, autant je n'ai jamais directement étudié la pensée de Guustave Guillaume à l'université. Ses ouvrages sont indisponibles dans les bibliothèques universitaires, tout comme sont inaccessibles les ouvrages de Damourette et Pichon, ou bien de Lucien Tesnière. Il faut juste avoir la chance de tomber sur la ville ou l'université qui en détient un exemplaire.
En fait, je trouve ça sidérant. A quoi peut-il rimer d'avoir des universités où des étudiants rédigent des thèses sans aucun exemplaire de Gustave Guillaume, Lucien Tesnière ou Damourette et Pichon dans les bibliothèques ? Cela me laisse pantois.

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