jeudi 24 juillet 2025

Revue critique de la lecture d'Une saison en enfer par le colonel Godchot : le prologue !

Dans le précédent article de ce blog, je vous ai présenté un ouvrage rimbaldien assez rare, une plaquette du colonel Godchot qui date de 1937 et qui est d'autant moins son principal ouvrage connu qu'il s'agit d'un numéro parmi les nombreux de la revue qu'il animait déjà depuis neuf ans. Cette plaquette était le numéro 69 de sa revue, et la plupart des rimbaldiens connaissent essentiellement son livre antérieur Rimbaud ne varietur.
Ce qui est agréable au présent échange que je vous propose, c'est que le colonel Godchot fournit une lecture accessible d'Une saison en enfer qui est une paraphrase d'éclaircissement du sens progressant section par section et s'en tenant à des considérations générales assez brèves. Le plaisir est celui d'un document rare et en même temps beaucoup plus ancien que les lectures suivies du livre Une saison en enfer. Les deux études de Margaret Davies, sous forme d'un article conséquent puis d'un volume, ne datent que de la décennie 1970. Le livre de Godchot est 35 ans plus ancien que l'article et il est de 37, 38 ans, autrement dit près de 40 ans, plus vieux que le volume de Margaret Davies. L'étude du colonel Godchot est d'un demi siècle antérieur aux deux publications de Yoshikazu Nakaji et Pierre Brunel parues chez le même éditeur José Corti en 1987.
Ce n'est pas tout. Les rimbaldiens attribuent à des rimbaldiens comme Antoine Adam, des rimbaldiens des décennies 1960 et 1970, d'avoir supposé que la Vierge folle ne ciblait pas Verlaine mais une partie d'une allégorie duelle de l'âme du poète dont l'autre terme était l'Epoux inferrnal. Or, le livre de Godchot dénonce déjà cette hypothèse en l'attribuant à son véritable initiateur Clauzel qui en avait fait un livre. Et on se rend compte en lisant le livre du colonel Godchot que certaines hypothèses, mieux que certains débats sont beaucoup plus anciens que ce que l'histoire de la critique rimbaldienne veut bien le dire. Je viens de parler de la confrontation entre ceux qui pensent que la Vierge folle est tout bonnement Verlaine et ceux qui s'y refusant complètement soutiennent que la Vierge folle est la partie pure de l'âme du poète, pour dire vite. Mais je peux parler aussi de l'ancienneté du débat sur les allusions biographiques ou non au drame de Bruxelles, et plus intéressant encore le colonel Godchot, quand il analyse le prologue met déjà en place ce qui nous vaudra les lectures à contresens d'Une saison en enfer par Pierre Brunel en 1987, puis Jean Molino en 1991. Le colonel Godchot disait longtemps avant Brunel dans son édition critique d'Une saison en enfer que le poète était dominé par un rêve imposé par Satan de festin ancien. On va revenir sur ce point du débat. Même s'il est peu cité, le présent ouvrage que j'exploite du colonel Godchot a été lu par des rimbaldiens. Il n'est peut-être pas cité dans les bibliographies mais il peut être la source d'idées fausses charriées anonymement d'écrits rimbaldiens en écrits rimbaldiens, sinon de tête rimbaldienne en tête rimbaldienne, puisque l'activité orale n'est pas négligeable entre les amateurs du poète aux semelles de vent. Et cela va assez loin, parce qu'en lisant les écrits du colonel Godchot nous voyons se former des thèses hâtives où nous pouvons cerner le manque d'attention aux détails du texte. Je l'ai un peu fait sentir dans le commentaire de la partie introductrice de l'étude du colonel Godchot dans mon précédent article, et je vais continuer à souligner ces problèmes. Par exemple, dans mon précédent article, je n'ai pas fait attention que dans son étude du "prologue" le colonel offre une alternative entre la simple charité et la charité chrétienne, signe d'une lecture précipitée où il ne prend pas la mesure du dispositif du texte qui mentionne l'espérance, les péchés capitaux et la justice. Et parfois, certaines phrases de cette plaquette sont véritablement déconcertantes. On sait que Rimbaud adresse ses feuillets en tant qu'ils satisferont au goût de Satan pour l'absence des "facultés descriptives ou instructives", et Godchot écrit à l'inverse que le poète partage avec Satan "tout ce qui, chez l'écrivain, est descriptif ou instructif".
Le discours est écrit dans la précipitation, comme improvisé, et pourtant ses lignes directrices vont se retrouver, fût-ce partiellement, dans tous les écrits ultérieurs et devenir des lieux communs qui passeront pour difficilement contournables, sinon contestables.
Quelque part, je montre que si j'avais existé à l'époque et si on m'avait laissé intervenir, l'histoire de la critique rimbaldienne eût été toute différente.
L'étude succincte de la prose liminaire appelée ici "Prologue" offre plusieurs éléments intéressants à commenter. Le gars chaud commence par citer les deux premiers alinéas en pratiquant la confusion de "ma vie" avec "ma jeunesse" : "Sa jeunesse fut heureuse". Il ne comprend pas le recul symbolique dans le rêve qu'il faut absolument orchestrer à la lecture des premiers mots : "Jadis, si je me souviens..." qui préparent de loin en loin la fameuse réplique : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" Pire encore, le colonel Godchot plaque une lecture biographique où Rimbaud est réduit à parler de sa pratique poétique rebelle : "un jour, il s'est livré à la Poésie (la Beauté !)" et il fixe l'idée à partir d'un ancrage dans les lettres dites "du voyant", là où la poésie a été "injuriée dans ses plus remarquables représentants". Autant une lecture avec des clefs biographiques se défend assez naturellement pour "Alchimie du verbe", autant ici il s'agit d'un contresens dramatique sur la portée réelle du texte qui ne parle pas d'esthétique, mais de la beauté de l'ordre spirituel du monde ambiant. Il est vrai qu'au moyen de citations de vers de Vigny les rimbaldiens s'évertuent à identifier la beauté à la Muse encore aujourd'hui, contre la lettre de la prose liminaire de la Saison !
Pour preuve d'une lecture mal digérée de la prose de Rimbaud, voici comment le colonel paraphrase les interjections à la misère et à la haine : "il s'est enfui et n'a trouvé que de tristes spectacles : la misère et la haine." Cette lecture peut se défendre si on pense au refus du "dernier couac", mais l'idée est assez mal venue quand on s'en tient à un commentaire des deux premiers alinéas puisque cette affirmation n'en rend pas du tout la note.
Il y a à tout le moins un problème évident de conception d'ensemble de la paraphrase du colonel Godchot. Il ne déroule pas logiquement l'argumentation, il ne met pas les pièces du puzzle à la bonne place. Et c'est problématique. S'il ne les met pas à la bonne place, l'exégète a le devoir d'avertir le lecteur de la distorsion ou du caractère de vérité différée de ses remarques interprétatives. La suite du commentaire ne redit que le texte de Rimbaud en forcément moins poétique et moins précis, mais il s'y mêle à nouveau des considérations erronées causées par la recherche d'une lecture à clef qui n'est pas à sa place. Prenez les phrases suivantes du récit : "Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie[,]" et appréciez l'écart de fou furieux que se permet le commentaire : "[de la boue] il s'en est séché au vent du coup de revolver, et ayant rendu fou Verlaine, le printemps lui a apporté "l'affreux rire de l'idiot". Et dire que notre colonel est prompt à dénoncer le charabia des autres.
Nous en arrivons alors aux alinéas que j'aime à rappeler : "Or tout dernièrement..." Godchot entérine la lecture biographique du coup de feu de Verlaine le 10 juillet comme nous venons de le voir, mais indépendamment de ce raccord abusif la lecture fournie est fondée pour les premières phrases : le poète a voulu revenir au festin ancien, mais il a compris que la charité chrétienne en était la clef, il rejette donc le festin ancien comme un rêve. A propos de l'intervention de Satan, la paraphrase se cache derrière une citation abrégée du texte lui-même, et c'est pourtant là que le contresens affleure à nouveau, puisque Godchot écrit d'une part que Satan était le "démon qui dominait son rêve" et de l'autre il met un commentaire entre parenthèses qui consiste à dire que gagner la mort et tomber dans les péchés capitaux c'est rester "Loin de l'Eglise", ce qui affadit complètement le véritable propos. On comprend que la relative "qui dominait son rêve" est une glose pour celle de Rimbaud "qui me couronna de si aimables pavots", sauf que ça ne veut pas dire la même chose en réalité.
La relative de Godchot est prise dans un réseau argumentatif : le poète avait rêvé d'un accès au festin ancien, et il faut mesurer que l'expression "son rêve" suppose aussi une visée d'ambition, du genre du "grand songe" du poète dans la lettre du "voyant" qui est une reprise du cliché du "songe" de l'artiste engagé, comme en donne l'exemple Béranger dans sa préface de 1834 à une édition en quatre tomes de ses chansons : "Une fois qu'on suppose reconquis le principe gouvernemental pour lequel on a combattu, il est naturel que l'intelligence éprouve le besoin d'en faire l'application au profit du plus grand nombre. Le bonheur de l'humanité a été le songe de ma vie." Ce n'est pas là le sens exploité par Rimbaud dans l'image des "aimables pavots" : "qui me couronna de si aimables pavots", cela est lié à l'ensommeillement, mais cela ne veut pas dire "qui me fit faire un rêve", ni "qui me fixa un idéal trompeur", ça veut dire : "qui me fit faire des rêves". L'imprécision est redoutable dans le commentaire, parce qu'on fait passer subrepticement une lecture à contresens comme allant de soi. Les rimbaldiens actuels reproduisent la même erreur par un abandon simpliste à la méthode du champ lexical. Il relève que plusieurs mots de la prose liminaire appartiennent au champ lexical du rêve et ils les harmonisent, homogénéisent en leur donnant à tous la même interprétation, cela contre la logique du texte, mais ils sont convaincus d'avoir raison par la force autoritaire de leur méthode.
Or, le champ lexical du rêve peut supposer la confrontation de deux entités distinctes. Il y a au début du récit un souvenir incertain qui n'est donc peut-être qu'un rêve : "Jadis, si je me souviens bien" et il s'agit du festin. C'est ce festin que le poète taxe de duperie quand il dit "- Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" En clair, si la clef du festin ancien, c'est la charité, en tant que vertu théologale, c'est qu'un enrégimentement insidieux me fait croire à la supercherie que ma vie a jadis été un festin.
Juste après cette fin de non-recevoir avec la mention verbale "rêvé", Satan se récrie et il est qualifié de démon qui a couronné le poète de pavots, plante du sommeil. Certes, le champ lexical du rêve se maintient, mais dans l'enchaînement il y a un contraste. Le premier rêve était celui d'une "vie" personnelle magnifiée dans la concorde d'un festin ancien, avec l'exercice de la charité qui réside justement dans l'ouverture de tous les cœurs entre eux avec au-dessus la relation à Dieu. Il est clair que ce rêve n'est pas promu, mais par Satan, mais le texte fournit d'autres preuves que les pavots parlent d'autres rêves, puisqu'à la vie magnifiée du festin Satan oppose la formule "Gagne la mort" que depuis longtemps j'essaie de souligner comme un calembour et une inversion de l'expression : "perdre la vie". Je ne comprends pas comment aucun rimbaldien, soit dans un texte universitaire, soit dans une édition parascolaire orientée vers les plus jeunes, ne soit capable de dire que "gagner la mort" est l'expression retournée comme un gant "perdre la vie" et donc un jeu de dupes. Comme dirait Cornulier, cette absence de mention dans la critique rimbaldienne est fascinante. Rimbaud, il devait être fier de son effet. Sur 150 ans et des centaines de milliers de lecteurs, je suis le seul à l'avoir repéré. C'est dingue, non ? Il y a un manque d'intelligence des lecteurs qui est vraiment dramatique. Satan n'endort donc pas le poète avec le festin ancien, mais au contraire avec l'invitation à se révolter plus encore contre la justice et la beauté, à fuir encore plus le festin ancien, à rester une hyène, donc à continuer de "faire le bond sourd de la bête féroce" qui précisément expose sa vie face aux bourreaux, face aux fusils. Donc, il est clair comme de l'eau de roche que la couronne des aimables pavots c'est cette bouffée de révolte racontée du deuxième au sixième alinéa de cette prose liminaire. Il n'y a pas à débattre ou à fixer un consensus à la majorité. Si la majorité des lecteurs ne sait pas lire, tant pis pour elle. La science critique, c'est de déterminer le vrai et le faux. Le vrai, c'est que les pavots, c'est la révolte satanique du poète. Point barre.
Cette lecture est amorcée par Molino, mais il se trompe alors sur la lecture de la charité et de la phrase : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" Molino, ni Murat qui le suit quelque peu, n'arrivent à distinguer les deux plans du rêve, le plan chrétien du festin ancien avec une inspiration, qui est un rêve supposé divin et finalement trompeur, et puis le plan satanique. Je peux vous faire une revue des avis des critiques rimbaldiens et vous montrer que depuis l'intervention de Molino les rimbaldiens ont régressé quant à l'analyse de ces alinéas qui étaient à peu près compris spontanément auparavant, malgré déjà des anomalies de la part de Godchot et de Brunel qui croyaient le festin ancien un rêve imposé par le démon.
C'est une lecture qui n'a rien de compliqué, mais comme les universitaires sont des sortes d'élites comme les francs-maçons, les ecclésiastiques, les aristocrates ou les anciens rois de France, même s'ils se disent autre chose politiquement, il y a un verrou qui a été mis sur l'interprétation de ces alinéas. Personne ne va remettre les pendules à l'heure et heurter les susceptibilités des rimbaldiens encore en vie qui se sont prononcés et qui occupent parfois des postes importants.
Mais vous rêvez quant à votre réputation à la postérité. Dans cinquante ans, on va se moquer de vos silences. Il ne faut pas vous faire d'illusions. Même si vous n'en avez pas parlé, vous serez considérés comme ridicules, c'est ce qui vous pend au nez.
Je ne comprends pas votre façon d'être, vous passez des diplômes de débilité, ou bien il y a un prix d'imbécillité qui est agité comme une carotte. Je ne comprends pas...
L'intelligence, c'est de très vite faire mea culpa et de passer à autre chose.
Mais, c'est pire que ça encore. En refusant cette évidence de lecture, vous n'êtes pas disponible pour comprendre le dispositif intelligent que Rimbaud a mis en place et que j'ai déjà clairement indiqué. Le festin ancien est un faux rêve de passé, plutôt prénatal en quelque sorte. Mais c'est exactement comme ça qu'il faut penser aussi le souvenir du poète dans le passé du peuple français, comme s'il avait vécu plusieurs vies avant sa naissance en 1854. Vous n'arrivez même pas à comprendre que ces faux souvenirs viennent de l'éducation avec la religion d'un côté et l'enseignement de l'histoire de l'autre. Vous ne pouvez apprécier qu'avec expectative la phrase : "Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme", en vous disant qu'il faut oser écrire un truc invraisemblable pareil. Vous ne comprenez même pas ce que ça veut dire, que c'est un marqueur d'acculturation. C'est dingue !
Enfin, passons !
Je cite tout de même les deux paragraphes de commentaire de Godchot que vous apprécierez peut-être comme exemples manifestes de distorsion à la lecture, maintenant que je vous ai pré-mâché les substances intellectuelles de la source et de sa paraphrase :
 
   Alors ayant failli être tué, il a songé à rechercher la clef, c'est-à-dire, les motifs du festin heureux de jadis, espérant y reprendre appétit et vie. C'est qu'alors on pratiquait la charité ou la charité chrétienne ?... Oh ! non ! ... Cette inspiration prouve bien qu'il avait rêvé.
   Aussi le démon qui dominait son rêve lui crie : "Reste hyène - et gagne la mort : reste toute ta vie avec tes appétits et ton égoïsme et tous les péchés capitaux. (Loin de l'Eglise, par conséquent).
 Vous lisez ça sans faire attention, vous croyez que c'est un bon résumé de ce qui ressort avec évidence du texte de Rimbaud, d'autant que pour partie le texte original est cité quasi tel quel. Eh bien non ! Vous vous faites rouler dans la farine...
Et ça continue avec le dernier paragraphe de paraphrase qui traite du dernier alinéa de la prose liminaire de la Saison. Certes, Godchot a le mérite de considérer que les "lâchetés" sont à prendre au sens propre, en relation logique avec ce que peut attendre un démon suborneur, mais j'ai déjà souligné cette étrange inversion par rapport à la lettre du texte rimbaldien : le poète et Satan partagerait une certaine idée de ce qui est descriptif et instructif en littérature. Notons que Godchot n'envisage pas l'insolence avec laquelle le poète réplique à Satan et n'en tire pas l'idée que la section "Adieu" va fournir une fin de non-recevoir au "Gagne la mort". Toutefois, on constate que Godchot s'indignait contre la récupération des lectures catholiques, Rimbaud est bien un damné "contrairement à ce que veulent nous prouver là-dessus les Delahaye, P. Berrichon et sa femme, Claudel, Clauzel et autres convertis, et, depuis, Daniel Rops, fameux exégète." Godchot maintient le poète dans sa révolte contre le catholicisme, mais notons qu'il l'admire comme un être que son génie a poussé dans les erreurs, donc le lecteur à la fin se prémunit. Il admire sous réserve.
Mais on va en reparler. J'ai perdu pas mal de temps et n'ai pu rédiger que l'étude sur le prologue. Je rendrai compte du reste de l'analyse section par section dans un ou deux autres articles à venir. J'ai déjà des idées de passages précis à commenter bien évidemment.
 
A suivre ! 
 
 

Document rare sur Une saison en enfer - L'Agonie du Poëte Arthur Rimaud du Colonel Godchot

 





Je me suis acheté une mince plaquette assez rare. Il s'agit d'une plaquette du Colonel Godchot qui date de 1937 et je n'ai pas l'habitude d'en entendre parler. Cela s'intitule L'Agonie du Poëte Arthur Rimbaud avec en sous-titre l'objet de l'étude qui est le livre Une saison en enfer même. La mention d'éditeur est amusante : "Chez l'auteur : 4, rue Valentine, Nice" et la deuxième de couverture confirme la drôlerie : "Cette plaquette représente le n°69 de ma revue, directeur : Colonel Godchot". Je ne possède aucun autre ouvrage du colonel Godchot, je n'en ai même jamais lu aucun autre. Je ne connais le personnage qu'à travers les citations d'autres rimbaldiens. L'auteur est plutôt connu pour le livre Arthur Rimbaud ne varietur. D'après la bibliographie de quatrième de couverture, il y a aussi un volume La Voyance de Rimbaud, puis on nous annonce des documents déclarés "Prêts" : un livre en deux volumes Verlaine-Luque-Rimbaud et un ouvrage La rencontre de Verlaine et de Rimbaud.
L'intérêt est ici de référencer un livre d'analyse très ancien portant sur Une saison en enfer. Le livre Une saison en enfer est assez maudit dans les études rimbaldiennes. Les études sur cet ouvrage sont souvent assez verbeuses, jargonneuses avec des théories personnelles fantaisistes : Danielle Bandelier (analyse formaliste qui ne commente pas), Yoshikazu Nakaji (application laborieuse de modèles théoriques universitaires pour des conclusions floues inutilisables), Pierre Brunel (lisible, mais tellement de contresens et d'impressions vagues personnelles), Yann Frémy (concepts délirants : énergie, etc., pour une exploration complètement lunaire du texte de Rimbaud, dont on ne peut rien tirer du tout), livres farfelus récents d'Alain Bardel et d'Alain Vaillant, ou livres farfelus anciens de Jouffroy et d'autres, plaquettes intéressantes mais péremptoires et à thèse de Christian Moncel alias Alain Dumaine, analyse pas trop portée sur le sens et portée à certains contresens de Michel Murat dans l'édition augmentée de son Art de Rimbaud. Il surnage bizarrement les études sur deux numéros de revue de Margaret Davies qui pourtant n'est pas une rimbaldienne en principe très avisée. Je prétends très clairement qu'un article de Jean Molino dans un recueil d'articles sur Une saison en enfer a nui considérablement aux études du livre Une saison en enfer, ce qui nous a éloigné d'un cadre de pur bon sens utile.
Vous allez voir que je vais encore avoir ici du grain à moudre. 



La plaquette du colonel Godchot ne fait que 47 pages, mais l'étude elle-même ne concerne que les 36 premières pages. Des pages 37 à 43, nous avons un second article court : "L'Auto-da-fé d'Une saison en enfer ?" Des pages 43 à 45, nous avons un troisième texte "Mes adieux à Rimbaud" qui se termine par un avis sur Rimbaud d'une femme de la famille du colonel, sa mère ou plus probablement sa femme que sais-je ? Maryse Godchot. On voit dans sa réponse comment Rimbaud est adulé comme génie littéraire en dépit de la réprobation morale : "il m'en est resté une immense pitié pour l'enfant malheureux qui a écrit ce livre", "ce talent précoce a désaxé sa vie", "Trop faible pour atteindre son but, trop intelligent pour ne pas le comprendre, il s'est lancé dans toutes les exagérations", "Il a commis des erreurs. Ses regards et ses souffrances morales les ont effacées", "Il n'étale pas ses vices, il les maudit"... Je relève aussi la comparaison suivante qui m'amuse pour la question du tuteur et la comparaison possible avec "Entends comme brame..." : "Comme le rosier grimpeur qui peut pousser, porter de belles fleurs, mais non se soutenir par lui-même, sans appui, il est tombé à terre où la boue le guettait." Enfin, nous avons une page pince-sans-rire "Hommage à M. Marcel Coulon" datée de janvier 1937. Malgré les mots vifs, Coulon serait "un ami" du colonel Godchot et celui-ci se félicite d'avoir profité pour contredire Coulon de tout ce qu'il avait préalablement défriché.
Mais ce que je vais m'attacher à commenter c'est l'étude principale qui démarre en fanfare à la page 1 : "Donc, le 20 juillet,..." 
 


Je précise tout de même que la revue a un petit défaut d'édition. A la page 4, il manque visiblement une ligne en bas de page avant la citation, nous sommes suspendu à une attaque de mot "exé-" (pour exécrable ou exégèse ?).


A la page 20, deux lignes identiques avaient été reconduites. Deux "t" en attaque de ligne en témoignent. Une mince bande de papier blanc a été collée par-dessus avec le texte corrigé.



L'article du colonel Godchot suit une forme simple et décidément habituelle dans la littérature sur Une saison en enfer. Nous avons une étude introductive de dix ou onze pages, puis un commentaire section par section, Prologue, Mauvais sang, etc., à base de paraphrases. Je rappelle que l'éducation nationale a banni l'exercice de la paraphrase sous le slogan : ça ne consiste qu'à redire en moins bien le texte de l'auteur. Mais cet exercice s'est maintenu pour certains textes littéraires, et tout particulièrement pour Une saison en enfer. A l'époque du colonel Godchot, 1937, la pratique de la paraphrase n'était pas encore nettement mal vue.
Je comprends les défauts de la paraphrase, mais notre époque la fait passer pour une pure aberration, et c'est là que le bât blesse.
Mais ne digressons pas.
Ecrivant en 1937, le colonel Godchot n'était pas pollué par le témoignage du tableau de Jef Rosman que Jacques Bienvenu a clairement démontré être un faux. Il fixe que Rimbaud a quitté l'hôpital Saint-Jean de Bruxelles le 20 juillet et est reparti par Namur, Givet et Charleville pour se rendre à la ferme de Roche à Attigny. Givet est une ville frontalière française où il était normal de passer pour un belge de la province de Namur jusqu'aux années 1980. Sur ce point, le présent article de Godchot est plus fiable que la biographie aux mille erreurs de Jean-Jacques Lefrère.
Mais le colonel Godchot est lui-même problématique dans son récit. Les termes modalisateurs affluent : "forcément", "sans doute", "en supposant..." Le colonel Godchot va critiquer vertement la biographie de "Méléra" et il va aussi critiquer les écrits de Berrichon, mais c'est de cette littérature qu'il critique que le colonel Godchot avance que Rimbaud avait "le bras malade, sans doute en écharpe", puis que le "bras en écharpe" vient de la plume de Berrichon lui-même, comme le montre la citation en note au bas de la page 2 : "il entra dans la maison familiale, le bras en écharpe..."
Vous me direz que c'est un peu insignifiant, mais c'est un détail qui montre que concrètement le colonel Godchot compose à partir d'une littérature qu'il évalue, alors qu'il ne cesse de proclamer qu'il amène la vérité et chasse les mensonges. Le colonel Godchot est également dans le versant interprétatif quand il commente l'accueil de la mère le 20 juillet en n'évoquant que de loin en loin la lettre qu'elle avait envoyée à Verlaine. Je n'ai rien contre le travail d'interprétation, mais il ne peut pas être allusif. On n'est pas obligés de croire sur parole que les pensées et visées de la mère d'Arthur sont celles précises que nous vend le colonel Godchot. Il faut argumenter son point de vue, et tout au long du développement du propos dans cette plaquette le colonel Godchot privilégie les propos à l'emporte-pièce, un sentiment d'évidence que peu de choses étaient, etc.
Comme s'il avait été présent lors de la scène, le colonel Godchot prétend que pour une fois elle s'est retenue de lui envoyer des taloches pour prendre part à l'affliction et l'encourager à se créer un meilleur sort par le travail. L'interprétation n'est pas fort risquée. Ceci dit, Arthur Rimbaud approche désormais des dix-neuf ans, et il vient de passer une longue période de son existence à peu près constamment hors du foyer maternel. Et ce fils a depuis longtemps échappé à son contrôle, à ses ordres. Il est évident que d'une manière ou d'une autre elle composait de manière tactique avec la situation. Elle n'est pas en situation de force pour pouvoir lui envoyer des taloches. Est-ce qu'elle se montre "forte et courageuse contre cette affliction" ? C'est ce que déclare Godchot, mais où sont les preuves ? Loin de se sentir affligée, peut-être qu'elle se dit que l'opération est bonne. Elle est débarrassée de Verlaine, elle peut soupçonner que Rimbaud n'a aucun avenir littéraire en étant au ban de la société des poètes après ce qui est arrivé. Elle doit encaisser que les études c'est terminé pour Arthur, mais elle voit un tournant pour le récupérer et le façonner socialement d'une manière qui la satisfasse. J'arrive sans problème à produire un portrait grinçant qui contraste avec le discours édifiant de Godchot. Moi, je ne sais pas où est la vérité, mais j'ai d'énormes doutes sur la validité critique du raisonnement édifiant à propos de la mère... D'énormes doutes.
Godchot prétend qu'Arthur découvre une "mère nouvelle", ce qui n'a aucun sens. C'est sa mère, il n'en a pas d'autre, qu'il l'aime ou qu'il ne l'aime pas, il compose avec.
Toujours à la première page de son étude, Godchot affirme alors une thèse qu'il ne débat pourtant qu'un peu plus loin. Rimbaud a composé trois chapitres d'un projet de livre en mai, il reprend ce projet où il l'a laissé, il va composer six autres chapitres. Rimbaud avait commencé un "Livre païen ou nègre" en mai 1873, il le reprend après le 20 juillet, et cela deviendra Une saison en enfer. En revanche, le colonel Godchot rejette toute cette littérature romancée qu'on doit à Berrichon et Isabelle et que Yerta-Méléra a amplifiée où Rimbaud aurait été parcouru par des "explosions de douleur", etc. Certes, c'est romancé, mais le colonel Godchot va jusqu'à la fin de non-recevoir pour les délires d'un Rimbaud s'exprimant tout seul dans un délire de désarroi. Mais qu'est-ce qu'il en sait ? Je pense au contraire qu'Isabelle avait constaté ces réactions étranges de Rimbaud. Elle était en âge d'observer un frère qui lui revenait et qui avait été longtemps absent. Le mensonge est plutôt sur l'intensité de la création littéraire à ce moment-là que sur les réactions délirantes de Rimbaud. C'est tout de même violent ce qu'il a vécu et s'engueuler seul à seul avec le sort n'a rien d'exceptionnel. Je pense exactement l'inverse de Godchot : les crises sont romancées mais ont une base sur des observations réelles de la part d'Isabelle, tandis que Rimbaud a très peu écrit sur Une saison en enfer au-delà du 20 juillet, mais ça on en débattra plus loin.
Un fait intéressant aussi à relever : le colonel Godchot admire Arthur Rimbaud, mais parle avec un ton cassant de Verlaine et suppose que Rimbaud est pris lui-même d'une "haine rageuse" contre son ancien comparse : Godchot serait déjà plus prudent d'écrire "rage haineuse" plutôt que "haine rageuse". Rimbaud ne haïssait pas Verlaine, il recopiait de ses poèmes dans les mois suivants et s'intéressait à la publication des Romances sans paroles. De Godchot à Bardel en passant par Fongaro, il y a une thèse de la haine de Rimbaud pour Verlaine qui est une vraie pollution pour les études rimbaldiennes. Le colonel Godchot aux pages 2 et 3 de de son étude passe du mépris pour la sotte et odieuse Méléra à l'appellation "porc" pour Verlaine, au nom de l'interprétation d'un passage de la Saison. L'écrit du colonel Godchot est assez malsain.
Notons que le colonel Godchot signale maladroitement à l'attention que ses réactions critiques sont profondément viscérales : "Déjà, lorsqu'on lisait le Rimbaud de la Méléra, l'indignation surgissait de partout quand elle mentait à propos d'Izambard [...]". Godchot a toutefois le mérite de mettre en garde contre le récit mensonger au registre pathétique soutenu de Méléra, en épinglant la légende de la destruction des volumes du livre Une saison en enfer. Je rappelle que la plaquette se poursuit par un article sur ce mythe d'un "auto-da-fé".
Tout de même par la comparaison d'extraits, Godchot montre bien qu'il y a une amplification anormale quand on passe du texte de Berrichon à celui de Méléra. Partant de ce constat d'exagération, le colonel Godchot se permet alors une conclusion qu'il croit évidente : puisque ces cris de douleur sont de l'invention pure et simple, il faut simplement considérer que Rimbaud "débarrassé de sa Veuve" (notez bien comment Godchot traite Verlaine et oriente l'interprétation par le choix du mot "débarrassé") "va pouvoir tranquillement achever de composer" son "petit ouvrage, dont il avait parlé à son ami Delahaye dans sa lettre de mai 1873".
Suivent des citations de cette lettre. Il s'agit d'un exercice obligé du commentaire sur Une saison en enfer depuis.
Un détail plus intéressant est à relever. Godchot cite un commentaire de Delahaye en note de bas de page :
    La Saison en Enfer est datée par l'auteur avril-août. A mon sens l'ouvrage a été commencé avant le départ avec Verlaine (24 mai 1873). Interrompu, laissé sur le chantier à Roche, puis repris en juillet à son retour de Bruxelles, après le drame. Vous remarquerez, vers la fin du premier tiers (dans Mauvais sang), les mots "on ne part pas, reprenons les chemins d'ici" à partir de quoi le ton change, devient de plus en plus violent et saccadé ! - Quelque chose de dur ayant eu dans l'intervalle.
     Quant à faire allusion à la scène du 10 juillet 1873, il a dû n'y guère penser et, cependant, il parle de sa blessure, ou plutôt des suites morales : "Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de l'encens m'est revenue si puissante..."
     [...]
 
Vous avez la fin de la citation de Delahaye dans une des six photographies plus haut, avec le mot sur un dessin de Verlaine.
Notons que les trois récits sont pour Delahaye trois sections de Mauvais sang, qu'il surexploite un passage absent du brouillon "on ne part pas" et qu'il minimise le décousu dans la suite : "L'Impossible", "L'Eclair", "Alchimie du verbe", "Nuit de l'enfer"... 
En clair, le colonel Godchot reprend telle quelle une simple hypothèse fournie par Delahaye. Rimbaud aurait commencé son récit sous un autre titre en mai, puis il l'aurait laissé en plan, et l'aurait repris à Roche. Le colonel Godchot admet passivement avec Delahaye que Rimbaud ne poursuivait pas ce récit lorsqu'il était à Londres avec Verlaine en juin, et encore moins lors des événements tourmentés du mois de juillet, car cela ne se résume pas au 10 juillet.
Ni Delahaye ni le colonel n'excluent le mois de juin, vu que le témoignage d'un dessin de Verlaine est évoqué, mais en réalité Delahaye et le colonel Godchot font comme si le travail n'avait pas progressé en juin même, puisqu'ils s'en tiennent à trois histoires finies en mai pour une reprise de la suite du récit à la fin de juillet. Le colonel Godchot fait sous-entendre que la présence de Verlaine nuisait à la création du livre Une saison en enfer dans sa plaquette, ce qui va de pair avec sa lecture du livre comme témoignage à charge contre Verlaine.
Il y un autre point intéressant dans la citation faite de Delahaye. Ce dernier n'identifie pas pour autant le "dernier couac" au coup de feu de Bruxelles. C'est très important. L'inventeur même de la théorie d'un récit laissé en plan en mai et repris après la rupture avec Verlaine n'inclut pas le coup de feu comme "le dernier couac", alors qu'il pourrait s'en servir pour commenter non pas les trois récits initiaux, mais au moins les six autres issus du remaniement du projet. Delahaye voit des indices biographique sur le drame de Bruxelles avec "le lit d'hôpital", mais pas avec le "dernier couac". A l'heure actuelle, la plupart des rimbaldiens veulent nous imposer comme une évidence que le "dernier couac" parle du coup de feu de Bruxelles et font de cette citation la preuve ultime que la saison a été essentiellement écrite après le 20 juillet.
Moi, je ne suis pas d'accord du tout avec une thèse qui va contre le sens littéral de la prose liminaire d'Une saison en enfer. Le coup de feu à Bruxelles, c'est Verlaine qui a essayé de tuer Rimbaud. Or, dans Une saison en enfer, Rimbaud décrit explicitement, je dis bien "explicitement !" le "dernier couac" comme la fin du cheminement mauvais que le poète a suivi en se révoltant au point de défier les fusils, les bourreaux, etc. Et c'est suite à ce danger que le poète a cherché des solutions, et que même l'inspiration de la charité a essayé de s'imposer. Or, cette recherche et ce refus de la charité sont racontés dans "Mauvais sang" puis "Nuit de l'enfer", les récits admis comme ayant été composés en mai 1873.
Je ne cesserai de le dire : on déforme la vérité littéraire d'Une saison en enfer en cherchant à tout prix à lire au plan biographique le "dernier couac". Le coup de feu à Bruxelles ne s'inscrit pas dans la logique du texte à deux égards : il n'est pas la suite directe du comportement rebelle de Rimbaud et il ne précipite pas l'écriture du Livre païen ou nègre qui était déjà en chantier. Point barre !
Et ça vaut aussi quelque peu pour le lit d'hôpital. Dans l'économie du livre Une saison en enfer, le lecteur, surtout s'il n'est pas informé, n'a aucune raison de penser que le poète fait comme ça une confidence biographique. Si le poète se décrit sur un "lit d'hôpital", le lecteur comprend que c'est le résultat de tout ce qu'il vient de lire sur le poète dans "Alchimie du verbe" notamment où le poète se dit "malade", puis dans "L'Impossible", etc. Le poète parle de la "folie qu'on enferme", de "Délires". Il n'y a aucune nécessité de lier le lit d'hôpital du récit à une vérité biographique externe. Peut-être qu'il y a un lien, mais cela est à jamais impossible à déterminer : la seule certitude c'est la cohérence du texte que nous lisons. Point barre !
Le texte ne peut pas être moins important que l'information biographique. Point barre !
C'est quoi l'intelligence de lecture, à votre avis ?
Revenons maintenant au propos du colonel Godchot lui-même.
A partir de la page 4, après avoir cité la lettre de Rimbaud à Delahaye de mai 1873 avec la phrase en majuscules : "MON SORT DEPEND DE CE LIVRE", le colonel Godchot enchaîne par une critique ambiguë d'un texte de Marcel Coulon. En clair, Coulon partage l'avis général que le livre païen ou nègre est la genèse d'Une saison en enfer, mais il se met à ergoter dans des directions qui ne plaisent pas à Godchot. Je vous passe les détails sans intérêt. Coulon est convaincu que le livre Une saison en enfer a été écrit avant le drame de Bruxelles, ce serait pour le terminer au plus vite que Rimbaud n'aurait pu se rendre à Bouillon à la rencontre de Verlaine le 18. Là, Coulonb est bien dans les élucubrations gratuites. Coulon pense que toute la saison a été écrite avant le 24 mai et que la mère est prête à financer sa publication. Le propos de Coulon, c'est que la Saison ayant été terminée en mai il est normal qu'elle ne fasse aucune allusion au drame de Bruxelles.
Le texte de Coulon qui est cité est peu clair par ailleurs. Coulon considère que le "dernier couac" peut coïncider avec le drame de Bruxelles, mais comme il n'y a aucune détonation racontée dans "Nuit de l'enfer", c'est qu'on s'est trompés, le livre Une saison en enfer ne parle pas du drame de Bruxelles.
Certes, la lecture forcée d'un récit mené à son terme le 24 mai pose problème, et Godchot va avoir beau jeu de le démolir, mais Coulon n'a pas tort dans le fond. Je commente d'abord les objections de Godchot puis je fixe mon analyse personnelle.
A la page 6 de sa plaquette, Godchot énumère deux preuves. Premièrement, si le prologue parle de "couac" c'est une preuve en tant que telle que la saison n'a pas été écrite avant le drame.
Heu ? Heu ?
Le colonel Godchot devrait apprendre à écrire , et Coulon également. Godchot cite le passage suivant de Coulon sans le commenter :
 
   "Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier COUAC !..." - dit le prologue. Ce DERNIER couac, c'est le 10 juillet qu'il a vraiment failli le faire.
    Eh bien ! dans cette rougeoyante et sanglante NUIT DE L'ENFER l'éclair des détonation[s] ne brille pas. Pourquoi ? Parce que l'autobiographie a fixé un état antérieur au drame. Parce qu'UNE SAISON est écrit définitivement avant le drame."
 
Le texte de Coulon est mal écrit, et le colonel Godchot cite mal puisqu'il ne commente pas les difficultés. J'explique le propos de Coulon : au plan biographique, Rimbaud a failli mourir le dix juillet, mais l'autobiographie, l'ouvrage littéraire donc, a été écrite avant et évoque un point antérieur qui nous est inconnu.
Godchot a compris cela, mais il pourrait au moins prévenir le lecteur, parce que nous lisons une véritable bouillie verbale qui ne laisse pas le temps aux lecteurs pris à témoin le temps de réfléchir !
Godchot fait un débat de deux débiles mentaux. Coulon écrit du charabia et Godchot réplique qu'il est évident que Rimbaud parle du moment où il a frôlé la mort qui était le 10 juillet. Notez que cela ne s'accompagne pas d'une analyse de tout le prologue et de tout le discours d'Une saison en enfer.
Reprenons calmement. Coulon parle d'autobiographie, ce qui crée une distorsion logique dont s'empare implictement Godchot. En réalité, Godchot insulte Coulon de penser qu'il y a un autre moment où Rimbaud a failli mourir puisqu'il semble admettre à la teneur biographique des propos tenus par Rimbaud. Ce qui est évacué, c'est la dimension métaphorique et hyperbolique d'un texte de révolte contre la vie et l'ordre établi. C'est ça le problème de Godchot et c'est ça que Coulon a mal posé. Et tout le texte de la Saison parle de vie et de mort, y compris les récits que Godchot envisagent comme écrits antérieurement au drame de juillet, dont vous allez avoir la liste plus loin. Puis, Godchot ne fait rien d'un point essentiel. Rimbaud prévoit d'écrire un "Livre païen ou Livre nègre", c'est donc qu'il y a un propos, un objectif littéraire, il y a un message déjà conçu, une intrigue déjà pensée. La thèse du remaniement ne saurait remettre en cause qu'il y avait déjà un projet précis.
Le colonel Godchot ou de nos jours Alain Bardel et Alain Vaillant font passer Rimbaud pour quelqu'un qui écrit au fil de la plume. Coulon était un mauvais défenseur d'une vérité de plomb, mais c'est lui qui avait raison, et pas Godchot et tous ceux qui l'ont suivi, Bardel, Vaillant, Brunel, Murat, etc.
C'est du b.a.-ba. Coulon avait le mérite d'envisager l'ouvrage comme littéraire, mais il a mal posé les termes du débat.
Passons à la deuxième preuve de Godchot selon Godchot et pour le profit de la thèse de Godchot en principe.
Godchot affirme que les trois histoires déjà créées sont "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" et "Délires II". Godchot déclare pour preuve que les brouillons détenus par Verlaine qui ont été publiés en 1914 correspondaient à ces trois textes.
Sauf que Godchot cite maladroitement pour preuve le témoignage de Cazals qui parle de brouillons remis à Verlaine en juin ou juillet 1873, alors que dans sa lettre à Delahaye de mai Rimbaud parlait de trois récits déjà finis.
Godchot n'a aucune preuve que Rimbaud n'a rien écrit de sa lettre à Delahaye au départ d'Angleterre de Verlaine, sans oublier que les manuscrits peuvent aussi avoir été remis à Bruxelles.
Avec "Alchimie du verbe" comme ayant été composé en mai 1873, la légende du remaniement complet du projet tomberait à l'eau, soit dit en passant. Qui plus est, les brouillons n'offrent pas le texte de "Mauvais sang", mais la réunion en un seul récit des sections 4 et 8, et notons que dans le texte définitif les termes "païen" et "nègre" prédominent justement dans les parties de "Mauvais sang" dont Verlaine n'a pas reçu de brouillon.
Puis, le fait que Verlaine possède de tels brouillons ne cadre pas avec l'idée d'un règlement de comptes pur et simple entre les deux poètes.
Bref, rien ne tient dans le raisonnement de Godchot qui est pourtant à peu près celui des rimbaldiens actuels, moi excepté.
Les brouillons sont la preuve que l'écrite se poursuivait en juin et ils prouvent aussi que "Mauvais sang" n'était pas un seul récit initialement. En réalité, nous avons avec la lettre à Delahaye et les brouillons détenus par Verlaine la certitude que Rimbaud avait composé trois récits fondus en un seul "Mauvais sang", puis un récit "Fausse conversion" devenu "Nuit de l'enfer" et un récit "Alchimie du verbe". Ce n'est pas tout, le récit de "Alchimie du verbe" n'est pas complet, il manque le début, et il ne manque que "Vierge folle" où Verlaine était censé s'identifier de manière désagréable, il n'est pas faux qu'il ait eu de bonnes raisons de s'identifier à ce personnage à une époque où il se plaignait de son maquereau Rimbaud qui le lui rendait bien. En clair avant le drame de Bruxelles, Rimbaud avait déjà écrit et dans un état proche du définitif tout ce qui va de "Mauvais sang" à "Alchimie du verbe". Il n'est même pas exclu qu'il avait déjà composé "L'Impossible" dont l'écriture est si proche de récits de "Mauvais sang". En-dehors de "L'Impossible", il reste trois récits assez courts : "L'Eclair", "Matin" et "Adieu" dont on ne peut en aucun cas soutenir qu'ils impliquent une refonte du projet en regard de toutes les autres sections déjà rédigées.
On a les preuves absolues que le projet n'a pas été remanié au-delà du 10 juillet, sachant qu'avec sa blessure au poignet la justice avait admis pour Rimbaud qu'il lui était pénible d'exercer son métier d'homme de lettres...
Il y a un moment où il faut un peu de bon sens. Oui, Coulon a raison, même s'il part dans une thèse précise malheureuse, de soutenir que pour l'essentiel Une saison en enfer a été conçue avant le drame de Bruxelles.
Godchot parle ensuite de la datation "avril-août 1873", mais sa thèse qu'il tient de Delahaye estr plutôt "avril-mai" et "20 juillet - fin août 1873". Et vous sentez bien la différence qu'il y a entre la thèse de Godchot et la mention plus vague "avril-août 1873", parce que trois histoires étant déjà rédigées avant la fin de mai, avant la mi mai d'ailleurs, Godchot se débarrasse de toute la période qui va de la mi-mai à la fin-juin, il se débarrasse de la période de début juillet où Rimbaud est seul en Angleterre ou sur un bateau. Il se débarrasse aussi de l'idée simple que Rimbaud a trouvé un éditeur à Bruxelles entre le 10 juillet et le 20 juillet, ce qui est l'explication la plus naturelle, la plus logique, la plus vraisemblable, et qu'il simplement terminé son ouvrage ensuite en un mois, avec finitions, relectures.
Tout ce pur bon sens, le colonel Godchot et ses suiveurs rimbaldiens n'en font rien, mais rien, mais absolument rien...
Pour expliquer que Rimbaud ne reprenne qu'à Roche son projet, Godchot ne le dit pas explicitement, mais il s'appuie sur une thèse sinon contradictoire du moins paradoxale, la phrase de Rimbaud de la lettre à Delahaye : "Comment inventer des atrocités ici ?" L'idée, c'est que Rimbaud repart en Angleterre avec Verlaine pour y trouver son lot d'atrocités et comme cela finit très mal il revient à Roche où il ne saurait inventer des atrocités, mais où il pourra les coucher tranquillement par écrit.
Je vous laisse juger de la haute volée de cette thèse sur la création littéraire...
C'est bien ce qu'écrit Godchot :
 
   Donc, Rimbaud repart, va au-devant de nouvelles atrocités... Mais il ne se doutait guère qu'elles se termineraient par un coup de revolver. Et alors, rentré à Roche, le 20 juillet, il se met définitivement au travail, il n'a plus à ménager le "pitoyable frère", c'est un "Porc" et il achève les six histoires qui devaient compléter Une Saison en Enfer
 C'est la base de la lecture des ouvrages récents d'Alain Vaillant et d'Alain Bardel, mais certainement pas la mienne. Godchot est assez malhonnête, notez la mention du "Porc". Godchot veut nous faire entendre subrepticement que Rimbaud a pu rajouter la phrase : "j'ai aimé un porc" dans la version définitive, puisque nous possédons le brouillon du passage correspondant qui avait été dans les mains de Verlaine, sauf que la mention "j'ai aimé un porc" n'y figure pas. Méfiez-vous de l'écriture du colonel Godchot, il est clairement vicieux. Il distille son venin selon moi à trop gros sabots, mais l'histoire littéraire montre que ses mauvaises intentions sont passées comme une lettre à la poste, puisque les thèses malsaines de Godchot d'un écrit purement à charge contre Verlaine sont dressées en consensus par les représentants de la revue Parade sauvage.
Pourtant, cette thèse de Godchot se poursuit par l'idée que réfutent pourtant les rimbaldiens, celle d'un livre d'adieu à la vocation littéraire, et cela dans des termes édifiants de récupération moralisatrice :
 
Son enfant reconnaît ses fautes, récite son mea culpa et prend par écrit l'engagement solennel d'abandonner cette vocation littéraire qui le perdait.
 
 
 Ce livre "prouvera en tout cas que tout ce qu'a fait Arthur, Arthur ne l'aurait pas fait s'il eût obéi à sa mère." L'obéissance de l'écrivain à sa "biblique mère" ! Voilà la thèse de Godchot.
Godchot suppose ensuite que la mère n'a pas réellement lu l'ouvrage, malgré le témoignage d'Isabelle en ce sens, mais à quoi bon en débattre ?
 Godchot se demande assez vainement pourquoi Rimbaud n'est pas allé plutôt éditer son livre à Paris, et la réponse qu'il trouve devrait lui valoir de gagner son poids en cacahuètes : - parce que Rimbaud a gagné une réputation sulfureuse dans la capitale belge, ce qui est une bonne publicité.
Notons qu'en 1937 Godchot est également convaincu qu'il faut changer le titre erroné de Verlaine "Illuminations" par celui des "Hallucinations".
Alors, j'en suis à la page 11 et il nous reste à commenter l'étude de Godchot section par section, mais j'ai envie de faire une pause.
Je vais simplement faire remarquer ceci pour ma conclusion provisoire. A propos de ce qu'il nomme le "Prologue", Godchot fait une analyse incorrecte de l'enchaînement des aliénas comme tous les autres rimbaldiens sauf moi.
Je cite Godchot :
 
   Alors ayant failli être tué, il a songé à rechercher la clef, c'est-à-dire, les motifs du festin heureux de jadis, espérant y reprendre appétit et vie. C'est qu'alors on pratiquait la charité ou la charité chrétienne ?... Oh ! non !... Cette inspiration prouve bien qu'il avait rêvé.
   Aussi le démon qui dominait son rêve lui crie : Reste hyène... [...]
 
Donc, je vous explique encore une fois l'évidence.
Oui, le festin est le mythe inculqué par le christianisme d'une charité et d'une vie de concorde prénatale. Oui, la clef du festin ancien se présente comme étant la charité, ce qui fait que Rimbaud la rejette instinctivement et déclare qu'il a rêvé ! Mais, Satan ne dominait pas le rêve du poète. Le poète a rêvé qu'il existait un festin ancien chrétien, il rejette comme un rêve chrétien le premier alinéa. Et le premier alinéa n'es pas sous le signe de Satan, vous allez donc apprendre à lire enfin les uns les autres, b... de m... !
Satan intervient parce que le poète rejette le "dernier couac" qui était la dernière étape à suivre de sa révolte contre le "festin" ancien.
Vous êtes bêtes pour ne pas savoir comprendre ça à la lecture ! Est-ce que vous êtes bêtes ? Et même définitivement bêtes, puisque vous n'arrivez pas à corriger votre lecture ?
Etes-vous bêtes ? Très bêtes ? férocement bêtes ?
Ne me dites pas : "Pas du tout !" 
Il faut vraiment être bête pour ne pas savoir lire correctement la prose liminaire d'Une saison en enfer. Ce n'est pas hermétique à ce niveau-là.
Et la beauté, ce n'est pas la poésie comme le dit Godchot, c'est la beauté de la concorde chrétienne bien sûr.
Enfin, bref !
 
Quelques coquilles ci-dessu, mais bye ! 

dimanche 20 juillet 2025

Un article de Cornulier à propos de "Vénus anadyomène" (édité le 21 juillet)

Sur la toile, vous avez une page très intéressante où de nombreux articles de Benoît de Cornulier sont disponibles au format PDF.
 
 
Il s'agit d'une page d'un site Normalesup avec une présentation sommaire de cet universitaire, une énumération de ces principaux centres d'intérêt en tant que chercheur. Il repousse à la marge son intérêt pour la pragmatique. La pragmatique, domaine de recherche en linguistique qui vient des Etats-Unis, c'est l'étude des énoncés dans des situations d'énonciation pour dire ça vite et simplement. Vous dites : "La boîte !" Et au lieu de considérer qu'on a une phrase nominale, deux mots, on va se demander ce que ça implique dans l'échange, ce qui suppose de décrire la situation. La pragmatique peut aussi concerner les études littéraires, dans la mesure où elle va étudier comment les suggestions sont orientées, préparées dans un texte. Le livre "Quand dire, c'est faire" d'Austin est emblématique. Il s'agit d'un livre sur les énoncés performatifs. Quand vous dites : "oui" lors d'une cérémonie de mariage, le "oui" est quelque chose de plus qu'une réponse à une question. Quand vous dites : "Je te le promets", la phrase : "Je te le promets" ne commente pas la promesse, elle est la promesse. Toutefois, Austin s'est un peu perdu dans la complexification croissante de sa recherche.Il est parti sur une analyse très mal posée de phrases du type : "Je te dis que je te le promets." Le meilleur livre d'Austin, c'est plutôt Le Langage de la perception. Austin s'est opposé à un travers important de l'analyse philosophique : si je vois un bâton dans l'eau, il a l'air déformé. A force de mettre en doute la fiabilité de nos perceptions, certains philosophes ont créé un média artificiel entre la réalité et nos représentations mentales. Je vois un bâton tordu dans l'eau, donc il y a un bâton droit dans l'eau, mais ma perception est un ensemble de données où le bâton est tordu que je dois corriger ou pas dans mon esprit. Or, non, nous ne voyons pas le bâton tordu, nous le voyons dans l'eau. La donnée "bâton tordu" n'a pas sa place dans l'écran des données de la perception.
Grice est un auteur essentiel, mais il n'est pas traduit en français. Il étudie les logiques de la conversation qui expliquent pourquoi ça fonctionne la plupart du temps, alors qu'il y  a une bonne part d'implicite et de suggestif.
Cornulier préfère insister sur l'étude des rythmes réguliers, autrement dit des mesures. Toutefois, une partie de ses analyses de poèmes de Rimbaud portent sur l'interprétation, et il serait fortement réducteur de ne voir en ce chercheur que le linguiste et l'observateur de la seule versification.
En rouge, nous apprenons que parmi les publications récentes il y a un article sur "Vénus anadyomène". Il y est depuis quelque temps, je l'avais téléchargé, mais j'avais oublié de le lire, je me suis rattrapé ce matin même.
Il s'agit de l'article "Napoléon III anadyomène" et si vous cliquez sur la mention pdf entre parenthèses vous allez accéder au même fichier que moi.
Il y a cinq pages d'article. Voici le titre complet de l'article : "Le Napoléon III Anadyomène de Rimbaud (1870), scruter la croupe en scrutant la rime".
Il s'agit d'une version remaniée d'un article mis en ligne en 2022 et cette version date désormais de janvier 2023.
Cornulier cite le poème dans sa première version, celle remise à Izambard et datée du 27 août 1870. On ignore quand Rimbaud l'a remise à Izambard, mais je ne partage pas les avis de Murphy et Cornulier à ce sujet. Soit nous ignorons la date réelle du départ de Charleville au courant du mois de juillet 1870, si pas dans les premiers jours d'août, soit Rimbaud a envoyé ce poème par la poste comme c'est le cas de "Ce qui retient Nina" admis comme ayant été inclus dans la lettre daté du 25 août.
Je précise qu'en considérant que le poème a pu être remis en septembre à Izambard, Cornulier invite à penser que la date du 27 juillet désignerait de manière symbolique le départ de Napoléon III pour le théâtre militaire. Et je vous avoue être très réservé quant à cette interprétation. En effet, pour que Rimbaud songe à exploiter cette date, il faut qu'il ait lu la presse au-delà du 27 juillet lui-même. La prescience magique, ça n'existe pas.
Moi, plusieurs points me dérangent dans cette thèse. Il est impossible de lire spontanément le poème comme une caricature de Napoléon III lui-même. Il est vrai que le contemporain "Châtiument de Tartufe" donne la preuve que Rimbaud peut faire une charge contre Napoléon III à partir d'un portrait qui n'a rien à voir : homme maigre édenté en soutane. Mais dans "Le Châtiment de Tartufe", outre l'acrostiche, il y a une logique satirique qui peut être concordante. Je trouve ça moins évidente pour "Vénus anadyomène". On va en parler. Il y a un deuxième point. Les premiers sonnets connus de Rimbaud datent de l'été 1870. "Vénus anadyomène" serait le deuxième en date. Notons que nous ne possédons pas la version remise à Izambard de "Morts de Quatre-vingt-douze..." "Vénus anadyomène" est carrément un sonnet solitaire parmi les manuscrits remis à Izambard !
Or, il y a une anomalie de versification dans "Vénus anadyomène" qui, même si elle passe inaperçue de presque tous les lecteurs actuels, universitaires compris, n'étaient pas commise par les plus obscurs de tous ceux qui publiaient au XIXe siècle. En clair, l'alternance des cadences masculines et féminines était respectée, et ce n'est pas le cas entre les quatrains et les tercets de "Vénus Anadyomène", les mots à la  rime des vers 8 et 9 sont tous deux de cadence masculine : "essor"/"goût". Rimbaud a corrigé très simplement cette erreur dans le manuscrit remis ensuite à Demeny en intervertissant les vers 7 et 8. Certes, la version finale est aussi meilleure au plan du sens, de la conduite habile des effets, mais il n'en reste pas moins clair que Rimbaud a corrigé une faute de versification de débutant. Oui, je dis bien "de débutant", le mot choque quand on pense qu'il a déjà composé "Ophélie", "Par les beaux soir d'été...", "A la Musique", "Credo in unam", "Jugurtha", etc. Mais c'est ainsi !
Izambard ne possède pas de poèmes manuscrits de 1870 de Rimbaud postérieurs à son incarcération de Mazas.
Ici, et j'insiste sur le fait que j'ai remis en cause mes convictions personnelles et publications en ligne, il faut insister sur un autre problème. Rimbaud n'aurait pas recopié tous ses poèmes pour Demeny lors de deux passages à Douai en septembre et en octobre 1870, mais il aurait recopié les vingt-deux poèmes lors du seul second séjour. Il aurait commencé par les sept sonnets dits "du cycle belge", puis il aurait continué par le recopiage des quinze autres poèmes où certains titres anciens nous auraient leurré sur les dates réelles des transcriptions. Et dans ce cas de figure, le sonnet "Rages de Césars" serait postérieur au 14 octobre 1870 et ferait allusion à l'incendie du château de Saint Cloud par les prussiens le 14 octobre, ce qui voudrait dire que certains poèmes comme "Rages de Césars" seraient contemporains des sonnets dits du cycle belge, lequel cycle belge a probablement été entièrement conçu à Douai et non sur les routes lors des fugues rimbaldiennes.
... 
- Ah non ! hein ? Les sonnets du cycle belge ont été composés en Belgique, la preuve il parle de Charleroi, hein ? On va pas se laisser faire, nous les belges on n'est pas n'importe qui !
...
Reprenons !
Dans son article sur "Vénus anadyomène", Cornulier date "Rages de Césars" de septembre 1870 sans tenir compte de l'interprétation de Marc Ascione sur "Saint-Cloud".
Pourtant, cela n'a rien d'anodin et pourrait même mieux servir son propos.
Dans un premier temps, Cornulier montre que Rimbaud a été sensible à une maestria d'invention verbale de Victor Hugo, toute en calembours et en rimes subtiles quoique bouffonnes. Rimbaud s'est inspiré de la rime "loupe"/"troupe" d'un poème "Eblouissements" des Châtiments où il faut deviner l'absence du mot "croupe" naturellement amenée par l'idée d'un napoléon III cheval du cirque Beauharnais.
Il y a d'autres éléments du dipositif hugolien qui ont été repris par Rimbaud : l'annonce d'un goût à sentir, l'injonction à se pencher pour regarder, etc.
Là où j'ai plus de mal, c'est quand dans la suite de l'article Cornulier essaie de montrer que finalement cette prostituée qui sort d'une baignoire est là pour donner le change quand le vrai but serait de faire un portrait-charge de Napoléon III.
On a des arguments qui sont avancés et qui ont l'air d'avoir une force persuasive, mais ils laissent tout de même perplexe. A l'époque, la plus célèbre peinture en France de "Vénus Anadyomène" ne serait pas celle de Botticelli, mais celle d'un peintre du dix-neuvième que Napoléon III aurait lui-même achetée et mise au-dessus de son lit (cela est développé dans la version que je possède de l'article, mais je peine à la retrouver dans le lien que je vous ai fourni). Personnellement, j'ai un peu de mal à trouver ça d'une grande logique littéraire. La mention du "ferblanc" serait une mention railleuse d'un cercueil de faible qualité dans lequel aurait été enfermé Napoléon III. Plusieurs cercueils l'auraient recouvert, mais le premier, celui à l'intérieur au plus près de son corps serait en ferblanc et Chateaubriand en parle lui-même dans ses Mémoires d'outres-tombe.
Moi, je veux bien qu'il y ait une allusion indirecte à Napoléon Premier, mais il n'en reste pas moins que ce n'est jamais que sur la bande que le poème peut supposer une raillerie à l'égard de Napoléon III. Le poème a son propre déroulement et raconte un récit qui se comprend parfaitement et où les détails rayonnent si on pense qu'il s'agit d'une prostituée pauvre abusée, alors que si on veut lire une charge contre Napoléon III on se retrouve avec un luxe de détails on se demande pourquoi Rimbaud passe son temps à les inventer vu qu'ils n'ont rien à voir, ne nous renvoient pas avec pertinence à Napoléon III.
Il est vrai que "Le Châtiment de Tartufe" pose un problème un peu similaire et que Cornulier a raison, tout comme nous le faisons déjà, d'ironiser sur le fait que les rimbaldiens continuent pour beaucoup d'entre eux de ne pas considérer comme une évidence l'acrostiche révélé en 1990 par Steve Murphy.
Pour moi, donné un physique non réaliste à Napoléon III dans un sonnet qui le charge, ce n'est pas un problème. Le Tartufe maigre et édenté peut illustrer une facette de l'hypocrisie de Napoléon III. En revanche, pour "Vénus anadyomène", il faudrait au moins un lien historique. Il faudrait une saillie d'époque sur Napoléon III essayant de nous séduire.
Cela rejoint d'autres points compliqués des études rimbaldiennes. Le poème "A la Musique" ne décrit pas la confrontation à venir des français et des prussiens. En juin, Rimbaud n'avait aucune prescience de l'événement qui allait s'emballer dans un laps de temps très court en juillet seulement. Et j'observe que dans sa lettre du 25 août 1870 Rimbaud réécrit précisément le cadre métaphorique de "A la Musique" en l'associant cette fois clairement à la confrontation. Il n'avait aucune raison de faire cela si le poème "A la Musique" chargeait déjà cette situation. S'il fait ça dans sa lettre du 25 août, c'est justement pour donner du mérite après-coup à son poème de juin 1870.
Il y a d'autres problèmes similaires qui se posent pour "Bal des pendus".
On sait que de "Bal des pendus" au poème "Les Assis", Rimbaud revient sur des vers précis de la danse macabre du poème "Bûchers et tombeaux" de Gautier, sauf que, dans un premier cas en 1870 le poème ne suppose aucune charge politique évidente, alors qu'avec "Les Assis" l'allusion politique est patente pour maints rimbaldiens à cause du mot "siège" et j'ai définitivement confirmé cela en soulignant les reprises patentes de Rimbaud au poème "Napoléon II" de Victor Hugo.
J'ajoute que dans "Le Forgeron" il est question du roi face au forgeron, et il est comparé pour la pâleur à un condamné au gibet.
On pourrait soutenir que les vers des "Assis" et du "Forgeron" sont des indices fermes qu'il faut lire "Bal des pendus" comme une satire politique dont le récit est entièrement à décoder, et une lecture telle que celle de Cornulier pour "Vénus anadyomène" inviterait à penser que c'était un principe courant, presque constant, d'écriture rimbaldienne.
Pour moi, ça passe mal, et comme j'ai l'habitude de contester par paliers, je dirai que non seulement il faut montrer que c'est ce que fait Rimbaud, mais que le résultat est intelligent au plan littéraire.
C'est complètement tarabiscoté à un moment donné.
Puis, quels auteurs élaboraient ainsi leurs poèmes ? Rimbaud serait coutumier du fait dès son plus jeune âge. Et quelle cartographie peut-on dresser de ce procédé si on prend en considération l'ensemble du corpus rimbaldien ? 
 Pour moi, il y a quelque chose qui cloche, qui ne va pas. Je suis intéressé, je ne veux pas être fermé, je suis même là à admettre certains résultats, certaines liaisons sur la bande, mais en profondeur d'interprétation poème par poème, il y a un truc qui coince.
 
Complément (édité le 21 juillet) :
 
Je reprends le sujet à tête reposée.
Pour moi, Cornulier fait feu de tout bois alors qu'il n'y a pas lieu.
Rimbaud lisait de très près les Châtiments, entrait dans une période de quelques mois où il allait particulièrement s'en inspirer et il raillait effectivement Napoléon III et suivait les charges contre l'Empire. Le sonnet "Vénus anadyomène" n'a pas pour sujet l'idée d'un portrait-charge décalé de Napoléon III. Et il ne s'agit pas non plus d'un poème misogyne sous prétexte qu'on insulte la déesse de la Beauté. Les sources du poème sont connues, essentiellement un poème de Glatigny, un dizain de Coppée à l'arrière-plan et on peut enquêter sur des modèles de description disgracieuse du corps pris dans une scène ou en mouvement. Cornulier semble avoir remarqué que la rime "loupe"/"croupe" vient d'une lecture du poème "Eblouissements" de Victor Hugo où il y a une rime "loupe"/"troupe" et un dispositif similaire avec à la clef une présence à deviner du mot "croupe". Jusque-là, Cornulier a découvert un truc intéressant. Mais après, ça part en vrille. Cornulier veut à tout prix refondre la lecture d'ensemble du poème ou défendre une seconde lecture parallèle du sonnet qui découlerait entièrement de la découverte d'une référence à un poème contre Napoléon III. Cela tourne à l'idée que "Vénus anadyomène" est un Napoléon III travesti, ce qui est une idée avancée complètement gratuitement. On a même un raisonnement circulaire par pétition de principe à la fin de l'article. Tous les sonnets de Rimbaud remis à Demeny en septembre 1870 sont des charges contre Napoléon III, parce que nous avons forcé la lecture du seul sonnet qui n'y cadrait pas avec cette thèse. Et vous noterez que je jette un pavé dans la mare en insistant sur le fait que Rimbaud a probablement recopié tous les poèmes remis à Demeny lors du seul second séjour et composé au même moment "Rages de Césars", "Le Châtiment de Tartufe" et les sonnets dits du cycle belge, puisque la prétendue homogénéité thématique des cinq premiers sonnets vole en éclats. Il y a des sonnets contre Napoléon III dans le cycle belge, mais il y a aussi des sonnets qui y échappent, même quand ils sont politiques ("Le Dormeur du Val"). "Vénus anadyomène" et "Le Buffet" sont deux sonnets qui n'entrent dans aucune série, tandis que nous avons une nouvelle série "Rêvé pour l'hiver", "Ma bohême", "La Maline" et "Au cabaret-vert".
De toute façon, pourquoi trouver nécessaire de résorber la singularité de "Vénus anadyomène" par rapport à "Morts-de-Quatre-vingt-douze", "Le Mal", "Rages de Césars" et "Le Châtiment de Tartufe" ? Tout cela n'a aucun sens.
Le tableau de je ne sais plus Cabanel, de la Vénus anadyomène, je pense que les revues de l'époque n'offraient pas des illustrations photographiques. La référence est quelque peu picturale, mais c'est une référence picturale de poète. Quand Rimbaud compose "Ophélie", certes il y a eu des représentations en peinture d'Ophélie par Delacroix qui ont joué quant à l'émergence du thème dans la poésie romantique, mais quand il écrit "Ophélie" Rimbaud songe au poème de Murger, puis aux mentions dans les poèmes de Banville, Gautier et Hugo. Puis, que Napoléon possède le tableau intitulé "Vénus anadyomène", ça ne justifie en rien de lire le sonnet de Rimbaud comme une satire où Napoléon III serait lui-même la déesse. Tout ça n'a aucun sens. Il y a l'idée du ferblanc pour une baignoire cercueil. Il peut s'agir d'une coïncidence ou éventuellement Rimbaud sait que Napoléon Premier a été mis dans un tel type de cercueil, mais c'est une allusion à la marge, l'essentiel des visées de sens du poème n'est pas là.
Puis, la lecture de Cornulier n'est qu'une superposition laborieuse de trois idées distinctes et cela ne parvient pas du tout à rendre compte de tout le poème.
Puis, c'est du n'importe quoi à ce niveau-là le plaisir de la lecture hermétique. L'article de Cornulier serait plus intéressant que le sonnet commenté à cette aune. 
Pour imiter Rimbaud à la fin du "Rêve de Bismarck", fallait pas laisser la réflexion pragmatique à la marge...

jeudi 17 juillet 2025

Châtillon-bien !

Dans mes récents articles, j'ai fait remarquer l'importance des recueils de poésies d'Auguste de Châtillon pour les études rimbaldiennes. Procédons à quelques mises au point.
Né en 1806, Auguste de Châtillon n'a que quatre ans de moins que Victor Hugo, il est même plus âgé que Musset ou Gautier, mais il fait partie de ce que Rimbaud appellerait les seconds romantiques, et au plan de l'histoire littéraire il faisait partie justement avec Gautier, Nerval et Houssaye de la "bohème du Doyenné". Je ne m'attarde pas ici sur le concept de la bohème, motif initié par les romans de Walter Scott, pratiqué par Nerval et fortement mis au point par Henry Murger. Châtillon est parti un certain temps à la Nouvelle-Orléans et il a voulu initialement s'imposer comme peintre. Voilà qui peut expliquer son absence de l'histoire littéraire du romantisme. Il est l'auteur d'un unique recueil de poésies qui a changé de titre et qui était augmenté à chaque édition : Chant et Poésie en 1855, A la Grand'pinte : poésies en 1860 et Les Poésies d'Auguste de Châtillon en 1866. La préface de Théophile Gautier apparaît dans le premier recueil et est reconduite dans les deux autres. Les trois versions du recueil peuvent être consultées sur le site Gallica de la BNF, je les ai toutes les trois récupérées en fichiers au format PDF.
Châtillon est connu en particulier pour deux poèmes "A la Grand'pinte" et "La Levrette en paletot". Et vous notez que le titre "A la Grand'pinte" a été retenu pour la deuxième édition augmentée de son recueil en 1860.
"La Levrette en paletot" avec ses "élisions populaires" (Lemerre) est un modèle pour certains poèmes potaches de Verlaine, notamment "L'Ami de la Nature", et le titre "A la Grand'pinte" a le mérite de coïncider avec deux titres de Rimbaud de l'année 1870 : "A la Musique" et "Au Cabaret-vert, cinq heures du soir".
Certes, le recueil de Châtillon n'a pas eu une très grande diffusion, mais il a tout de même eu trois versions distinctes, et Châtillon a publié dans le premier Parnasse contemporain de 1866.
Dans ses  Mémoires d'un veuf, Verlaine précise que le premier Parnasse contemporain avait été complété par des noms indignes de figurer dans une telle anthologie et que le second numéro avait été beaucoup mieux conçu, profitant du renfort de nombreux poètes plus anciens. C'est pourtant au premier Parnasse contemporain que Châtillon a contribué avec un poème en quatorze sizains d'octosyllabes AABCCB : "Un fou".
Prenons la liste des participants au premier recueil du Parnasse contemporain en 1866. Verlaine devait considérer comme des poètes indignes de figurer dans le premier Parnasse contemporain les noms suivants :
 
- Alexis Martin : son unique contribution "A Vénus de Milo" a du sens sur le papier et si Rimbaud avait clos le second Parnasse contemporain avec "Credo in unam" il y aurait eu un écho symétrique avec le poème de Martin qui clôt le premier volume du Parnasse contemporain si on ne compte pas le bouquet final des sonnets... Il y a quelques points historiques à noter dans la manière et la sueur poétique d'Alexis Martin. Je ne trouve pas vain de situer son emploi de la rime "étrange"/"ange" dans un historique de cliché d'ambiance qui va jusqu'au sonnet "Voyelles" de Rimbaud... La versification est sage, avec une légère exception pour le rejet "crié" à la césure, mais fondamentalement la pièce de Martin est médiocre dans sa composition, sa langue, sa versification.
 
- Francis Tesson : son unique contribution "L'Anneau" n'a rien qui la défend. Tesson a compris un aspect de la nouveauté de la versification romantique, les rejets d'adjectifs ou de compléments à la césure, et il essaie de s'en prévaloir par le nombre, mais sa versification est aussi froide et mécanique malgré tout que pour le premier néoclassique venu (soulignements nôtres !) :
 
Ne froisse son poing délicat ; sois pour elle
         Ce qu'elle est pour mon cœur épris,
Une extase, un rayon d'aurore, une parcelle
         De moi-même, un joyau sans prix.
 
Alors, sans que mon âme austère se courrouce,
         Je pourrais, métal transporté,
[...]
 
Alors, j'effleurerai sa gorge, une merveille,
          Eblouissante de pâleur,
Aux contours si riants et si frais que l'abeille,
          Les prend pour deux pêches en fleur.
 Outre qu'il s'agit d'un modèle lyrique pour le poète tourné en dérision dans "Ce qui retient Nina", on ne ressent pas les effets des rejets. C'est un peu comme quelqu'un qui ferait des pauses en disant : "Je mange... une pomme. Elle est... bonne." Et qui poursuivrait ainsi ! Il y a manque de pertinence dans les effets métriques, et je ne devrais même pas parler d'effets métriques.
Le seul moment où il a un peu de grâce, c'est quand il pratique l'à peu près de trimètre à la Hugo, mais le mérite vient du choix de modèle dans l'imitation :
 
Elle se lève, aussi nonchalante, aussi belle
      Qu'Aphrodite sortant des flots...
Francis Tesson a publié un recueil d'environ cent pages en 1863 La Dernière gerbe qui peut être consulté sur le site Wikisource et que je ne lirai un jour que par acquit de conscience. 
 
- François Fertiault : celui-ci a pas mal publié de son vivant et trois poèmes ont été retenus pour le premier volume du Parnasse contemporain, mais là encore il s'agit d'un poète sans intérêt réel. Sur les trois sonnets qu'il a fournis, le premier et le troisième, "O doctissime" et "L'Idée", suintent l'effort malhabile. Vers après, on sent le travail d'harmonisation d'ensemble mais mis au profit de tournures affectées guindées, sans âme. En revanche, le deuxième sonnet "En sortant du cimetière" est cruel à Rimbaud, puisqu'il semble s'en être inspiré pour la chute de ses "Etrennes des orphelins" :
 
La couronne était large et faite d'immortelles,
On y lisait, en noir sous de larges dentelles :
"A MA GRAND-MERE..." Et puis, l'enfant avait passé, -
Je ne crois pas que, si on s'en tient à ses contributions seules, les deux poèmes de Piedagnel déparaient le premier Parnasse contemporain. Quant à Robert Luzarche, il a pu revenir dans le second et il imite clairement la manière des Fleurs du Mal. J'imagine tout de même que Verlaine n'a pas un préjugé automatiquement favorable aux imitateurs de Baudelaire.
Quels autres poètes Verlaine pouvait-il trouver indignes de figurer dans le premier Parnasse contemporain ? Dans son ensemble, le poème de Villemin "Le Drame de Rachel" est pas mal écrit et bien dans la ligne parnassienne, même si les alexandrins sont mieux maîtrisés que les passages en octosyllabes. Sur les contributions de Jules Forni, seule la première est vraiment faible, tandis que "Avril" fournit un modèle à Rimbaud de quintil ABABA sans répétition (procédé qui existait avant Baudelaire, ce que je devrai renseigner par un article ultérieurement), et le sonnet "Ma chope" est un peu un prélude à "Oraison du soir".
Certes, Forni n'est pas le plus intéressant des poètes.
Verlaine n'était pas franc au sujet des vers de Ricard, il ne devait pas l'être non plus sur ceux de son ami Lepelletier, il s'illusionnait un peu sur ceux de Catulle Mendès ainsi que sur sa prose. Verlaine pouvait viser aussi comme médiocres les deux poèmes d'Henry Winter, mais notons tout de même qu'il imite Baudelaire et que le poème "L'Auberge" avec un "comme une" devant la césure a un peu l'air d'une inversion de "Ma chope" de Forni et de "Oraison du soir" de Rimbaud. Auguste Vacquerie est un poète assez faible, mais comme il imite son parent Victor Hugo sans avoir à craindre de reproches il s'en sort pas trop mal et Verlaine ne devait pas songer à l'attaquer indirectement. Rimbaud s'identifie bien au personnage Jean Baudry. Pour tout le reste, les réputations de poètes étaient faites, même si nous pouvons admettre ne pas nous pâmer devant les écrits de Lefébure, Lemoyne, Boyer et Houssaye. Les poètes retenus pour le bouquet de sonnets étaient inattaquables, Ricard compris mais lui plutôt à cause de son rôle éditorial.
J'en reviens donc au dénommé Auguste de Châtillon qui n'a fourni qu'un seul poème au premier Parnasse contemporain mais que vous vous garderez d'associer aux médiocres Martin, Tesson et Fertiault.
Auguste de Châtillon a un autre intérêt littéraire. Malgré son âge, il a fait partie des contributeurs au recueil Dixains réalistes de 1876. Il était un habitué des salons de Nina de Villard, et il a rejoint du coup sans si grande surprise le projet des frères Cros, de Richepin, Nouveau, Rollinat et des moins connus Charles Frémine et Hector l'Estraz.
Avant de nous intéresser aux poèmes du recueil de Châtillon, il convient de parler de la préface.
Les rimbaldiens ne s'intéressant pas aux préfaces des recueils anciens, ainsi de celle de Théophile Gautier à la troisième édition des Fleurs du Mal en 1868. J'ai insisté sur l'influence inspirante d'une préface de Glatigny sur la composition "Ce qui retient Nina", et naturellement j'ai plus pensé à Musset qu'à Nina de Villars. Cette préface était liée à la réédition en un seul volume de trois de ses oeuvres en 1870 par Lemerre lui-même. Et si je n'ai pas le mois d'édition exact, je considère non seulement qu'elle est antérieure à la composition estivale de "Ce qui retient", non seulement à la création en juin de "A la Musique", mais encore à la lettre envoyée à Banville le 24 mai où quand Rimbaud demande à Banville de l'excuser d'être jeune il semble évident qu'il a à l'esprit les mots de la préface où Glatigny dit qu'il n'écrirait plus Les Vignes folles aujourd'hui, avec le recul de dix ans qui se sont ajoutés à ses tempes.
J'ai insisté aussi sur les textes en prose qui forment un dossier à la suite du recueil Nuits d'hiver de Murger, notamment à cause de la mention "frou-frou".
Et donc j'en arrive à la préface de Gautier pour le recueil de Châtillon. Déjà, ça crée un parallèle assez classe avec l'édition posthume des Fleurs du Mal.
Mais ce qui est vraiment intéressant, c'est le tout début de cette préface. En réalité, Châtillon est un peu passé à côté de sa vocation, il n'a pas réussi en Amérique, il n'a pas réussi à devenir un grand peintre, même si plusieurs portraits qu'il a faits de la famille Hugo ou de son ami Gautier sont très largement connus de nos jours. Avec sa préface de 1855, Gautier devait vendre au public une assez maigre carrière de poète, et l'astuce est vite trouvée. Gautier va plaider la sincérité de celui qui n'est pas un poète de profession. Châtillon a d'autant moins écrit qu'il n'a daigné composé que quand l'inspiration lui venait. Et pour matérialiste l'inspiration qui vient, Gautier nous vend, comme si ce n'était pas un cliché, le rayon du soleil ou le souffle de la brise parfumée :
 
  Voici un livre qui a l'avantage de ne pas être l’œuvre d'un poète de profession,  avantage immense en ce temps d'inspiration factice, où le procédé remplace le sentiment, où des rimes toutes faites viennent s'ajuster d'elles-mêmes à des idées tombées dans le domaine public. - Rien ici qui sente la résolution prise d'avance de faire un volume ; ce sont des pièces de vers descriptives ou philosophiques, des chants gais ou tristes, venus à leur heure sur un rayon de soleil, sur un souffle de brise parfumée, à l'ombre d'une tonnelle, dans le calme de l'atelier, au milieu de la joyeuse agitation d'une cuisine d'auberge, le long de la rivière qui soulève le bout des cheveux du saule [...]
 On n'a pas le lac d'Elvire ou le lac Majeur, mais on se retrouve à Enghien avec des "jardins de lilas et d'aubépine", et si on secoue les branches ce sont des souvenirs qui tombent avec "des perles de rosée et des gouttes de pluie semblables à des larmes."
En n'oubliant pas de considérer le recul ironique probable de la part de Rimbaud, j'ai du mal à ne pas lier cette citation que je viens de faire de Gautier aux mots de Rimbaud dans sa lettre à Izambard où il parle du poème qu'il lui envoie et dont nous sommes à peu près qu'il s'agit de "Ce qui retient Nina" :
 
   Je vous envoie des vers ; lisez cela un matin, au soleil, comme je les ai faits : vous n'êtes plus professeur, maintenant, j'espère !...
Le parallèle est troublant. Gautier parle de poètes de profession, et Rimbaud épingle la qualité de professeur de poésies. Gautier parle de l'inspiration non forcée, en insistant sur les conditions favorables, tandis que Rimbaud s'intéresse à la réception non forcée du lecteur quand les conditions lui sont à lui aussi favorables...
Vous ne direz pas que Rimbaud n'a fait que plagier la préface de Gautier, il en fait un tremplin pour un propos assez percutant, et la comparaison avec le modèle renforce l'idée d'à-propos de Rimbaud quand il ose ce "vous n'être plus professeur, maintenant".
Pour Gautier, Châtillon allie une saveur moderne et fraîche à la franchise gauloise, et cela nous vaut transition pour parler des poésies de l'ivresse.
Rimbaud a-t-il retenu la comparaison suivante quand il a composé "Bannières de mai" : "où la chanson voltige comme une abeille sur une fleur" ? A-t-il songé aux "refrains bachiques" que déplore Gautier en composant "Le Cœur supplicié" ?
Gautier valorise chez Châtillon le fait qu'en tant que peintre il pense à l'harmonie de  toute la mise en place des détails quand il compose un poème, il célèbre aussi son art chansonnier avec l'alternance souple du couplet et de la stance, et cela nous vaut ces phrases amusantes : "Vignette, paroles et musique d'Auguste Châtillon est une signature qu'il pourrait mettre au bas de chacune de ces charmantes pièces, dont plusieurs ne seraient pas déplacées parmi les chants populaires de la France, que fait recueillir maintenant le ministère de l'instruction publique M. de Châtillon a composé plus d'une de ces chansons qui semblent faites par tout le monde et n'avoir jamais eu d'auteur [...]". Rimbaud a dû bien méditer ce passage que nous citons...
 C'est alors que Gautier en vient au poème "A la Grand-pinte". J'estime que ce titre d'enseigne "A la Grand-pinte" est à l'origine du glissement de l'authentique nom "La Maison verte" de Charleroi à celui du sonnet de Rimbaud "Au Cabaret-vert", et avant cela le titre "A la Musique" était probablement déjà un écho au poème de Châtillon. Dans le poème de 1857 du même Châtillon, "Promenade à l'île Saint-Ouen-Saint-Denis (partant des Batignolles)", l'attaque de la partie numérotée III est soulignée en italique pour un titre d'enseigne équivalent "A la Maison Blanche". Notez que cela ressemble au nom "Maison verte". Malheureusement, ce titre n'apparaît pas dans le sommaire du recueil de 1860. Une vérification s'imposera pour ce qui est de l'édition de 1866.
Voici en tout cas comment Gautier vante le poème le plus connu de Châtillon dans sa préface :
 
[...] - Son auberge de la Grand'-Pinte, entre autres, vaut, par ses tons doux et bruns, sa chaude couleur enfumée, un cabaret d'Ostade. Seulement, la lourde ivresse de la bière et du tabac fait place à l'entrain philosophique et joyeux de bons vivants trinquant à l'amitié et se réjouissant devant un bon feu d'être à l'abri des frimats qui poudrent la plaine à blanc et dessinent leurs ramages sur les carreaux.
 Ce passage a un double intérêt rimbaldien. Nous glissons à la mention "cabaret" qui nous intéresse quant au sonnet "Au Cabaret-vert", et la comparaison entre ce passage en prose et le sonnet de Rimbaud a une relative pertinence. Mais on peut aller plus loin. Les mots "doux" et "bruns" n'ont pas une présence anodine dans "Oraison du soir" ni l'idée de "chaude couleur enfumée", ni celle de "lourde ivresse de la bière et du tabac". Vous commencez à comprendre qu'il y a quelque chose à méditer. Rimbaud avait une culture de poète élevée, et vous devez pressentir par ces rapprochements tout ce que peut impliquer de raillerie littéraire la relation de "Oraison du soir" à ces référents culturels bondissants. On commence à entrevoir par quel fil passe Rimbaud pour que "Oraison du soir" dise aussi son fait à la théorie poétique des poètes faiseurs de préfaces, par exemple.
Gautier dit ce que doit être le poète, et "Oraison du soir" pousse le jeu plus loin en assumant plus clairement d'être dans la note de l'ivresse.
Je vais éviter de m'attarder sur la fin de la préface dont l'ambivalence pour moi ne porte : un poète pour les naïfs et les lettrés dont les chansons peuvent se brailler au cabaret et se soupirer dans un salon. La chute de la préface ne fait pas vraiment honneur au génie de Gautier. C'est justement un peu forcé comme raisonnement.
Gautier nous cite aussi une liste de poèmes de Châtillon qu'il recommande plus particulièrement à l'attention.
Et, après un sonnet en guise de préface, le recueil s'ouvre précisément par le fameux poème "A la Grand'-pinte".
Je l'ai déjà dit. Alors que le titre du morceau a inspiré celui de "Au Cabaret-vert", le sizain employé est celui des "Effarés" sans le découpage en tercets, des octosyllabes alternant avec des vers de quatre syllabes tous les trois vers. 884884 884884 884884 etc. Il y a même un intérêt des mots à la rime, "fer-blanc" passe non à la rime, mais en rejet à la césure dans "Vénus Anadyomène". Le mot "tourne-broche" à la rime d'un vers de quatre syllabes donnera la rime "médianoche"/"biroche" dans "Les Effarés", sachant que "médianoche" est justement repris à un autre poème du présent recueil de Châtillon.
Je vais produire un autre article sur les vers de Châtillon, cet article étant déjà assez conséquent. Ce que j'ai apporté de neuf, c'est l'analyse de la préface de Gautier en effectuant des rapprochements non seulement avec "Au Cabaret-Vert", mais avec la lettre à Izambard d'août 1870 et avec le sonnet "Oraison du soir".
Encore une fois, les rimbaldiens n'ont rien fait de ce que j'ai dit sur l'importance de Châtillon. Personne n'est venu me féliciter, personne ne s'est manifesté. Néant absolu. Certes, c'est encore récent, mais comme pour "Ce qui retient Nina" (vous viendrez, n'est-ce pas ?, le peignoir,...), comme pour "Les Assis", je dégage de nouveaux éléments redoutables élucidant les mystères de la création rimbaldienne...
 
 
De toute façon, on vit dans un monde incroyable.
Vous êtes en train d'accepter que les pays européens fassent subir à leurs populations l'inflation, les impôts, la misère pour que Zelensky et ses potes en détournent une partie en Ukraine, s'achètent des maisons, en imposant la mort et la ruine à leur pays par une guerre ingagnable. Vous êtes en train d'accepter que les pays européens achètent non pas aux Etats-Unis mais à des sociétés privées américaines des armes qu'elles vont donner à l'Otan, une organisation de souveraineté américaine sur l'occident, pour que ces armes soient offertes aux ukrainiens, et des armes qui ont déjà prouvé leur inefficacité et qui ne font que prolonger une guerre au drame inutile.
Vous êtes complètement dingues. Et vous insultez les russes. C'est pas eux qui vous font acheter des armes à des entreprises privées américaines que je sache. Pour ne pas qu'il y ait cette guerre, Poutine avait dit qu'il ne fallait pas d'expansion de l'Otan ou qu'alors la Russie devait entrer dans l'Otan, ce qui lui a été refusé. Outre que les gens du Donbass sont russes et veulent l'être, de toute façon, comment vous pouvez haïr les russes pour une destruction par les américains de Nordstream dans des eaux clairement sous contrôle occidental exclusif. Vous minimisez des apparentements idéologiques inquiétants, vous ne vous renseignez pas sur la réalité des frappes des deux côtés. Et vous n'arrivez même pas à vous dire que perdue pour perdue il faut arrêter cette guerre le plus vite possible, trop d'ukrainiens sont en train d'y passer. Vous vous trouvez dignes d'exiger d'eux qu'ils aillent à la mort au combat. Vous arrêtiez cette guerre en 2022, seule la Crimée quittait l'Ukraine et le Donbass avait un statut plus autonome. Là, vous en êtes à deux autres oblats qui sont déjà considérés comme russes, et plus ça va, plus on se rapprochera des limites de la Nouvelle Russie, de Kharkov à Odessa.
Non, mais vous êtes idiots, ce n'est pas possible ?
Vous regardez cette guerre, en vous disant que les russes n'avancent pas, comme si c'était un match de football et qu'un territoire rapidement conquis c'était ça l'important. Ben non, le territoire se prendra aisément quand, avec le moins de pertes possibles, l'adversaire sera à bout de forces. C'est ça l'économie de guerre. Et vous êtes là, à rien comprendre à ce qui se passe, à ne pas comprendre pourquoi vous devenez plus pauvres. Vous insultez Poutine et vous charriez vos collègues russes en leur disant que s'ils ne sont pas contents ils n'ont qu'à retourner dans leur pays. Mais ces pauvres russes, il faut comprendre que vous les effrayez, puisque vous vous félicitez de mettre Al Qaida à la tête du gouvernement syrien à Damas. 
 Vous êtes vraiment effrayants ! Vous allez tout perdre, croyez-moi !