jeudi 25 décembre 2025

Ourika, Une saison en enfer et un Hugo contemplatif...

Il y a quelque temps j'ai mis en ligne un article où j'ai comparé la ligne général du récit du XVIIIe siècle de Pitou à Cayenne et je soulignais des faits comparables à Une saison en enfer, comme un retour où il faut chercher les mains amies. Il s'agit du Pitou historique à l'origine du soldat caricatural cité par Rimbaud dans un sonnet. Rimbaud n'a pas forcément lu le récit de Pitou, mais les parallèles de récit offrent des enseignements intéressants en soi.
Je vais proposer un parallèle similaire avec la nouvelle "Ourika" de Claire de Duras. Il s'agit d'un récit assez court et il est en même temps plus célèbre que le témoignage autobiographique romancé de Pitou, à tel point que les Ouvres romanesques sont au programme 2026 du baccalauréat (ou de l'Agrégation ? je ne sais plus). Je connaissais déjà le récit "Ourika", mais c'était l'occasion d'acheter un certain ensemble de ses récits. Je peux déjà dire que "Ourika" me fait une impression bien plus nette que la nouvelle "Edouard" moins originale.
Le récit "Ourika" n'a pas une fin qui m'impressionne tant, mais l'introduction par un autre narrateur et une grande partie du récit à la première personne sont assez saisissants, à la fois pour le style, et là encore "Edouard" ne rivalise pas, et aussi pour les idées de détail. Il faut dire que l'autrice s'identifie par l'âge à son héroïne, le repère des quinze ans vers 1792... Ce qui fait que le récit est sans doute habilement pénétré de considérations personnelles liées à un vécu.
Claire de Duras est proche de Chateaubriand qui d'ailleurs l'a félicitée pour son récit avec une lettre qui semble indiquer que l'introduction a été ajoutée au récit dont Ourika elle-même est la narratrice.
La nouvelle a été écrite en 1821-1822 et a été publiée en 1823-1824. Et elle a eu un certain succès. Un passage est cité comme une source pour Le Rouge et le Noir de Stendhal dans les notes de l'édition Folio. Mais, si je cite dans mon titre Victor Hugo, c'est que j'ai relevé un passage qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un extrait célèbre de la préface en prose des Contemplations : "il savait bien qu'en me parlant de lui, il me parlait de moi, et que j'étais plus lui que lui-même". J'ai automatiquement songé à "Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi !" Et de la préface des Contemplations, on peut passer aux lettres dites "du voyant". J'ai relevé divers échos avec des passages de Rimbaud, une expression qui m'a fait penser à "l'éducation / Des races, des classes et des bêtes" de "Mouvement notamment, mais surtout j'ai pas mal de points de comparaison avec Une saison en enfer. Ourika est une femme d'origine sénégalaise qui a été adoptée par des nobles quand elle n'était encore qu'un bébé pour échapper à l'esclavage, ce qui a une base historique réelle avec des gens identifiables dans l'entourage de la romancière. Cette femme est élevée dans la société distinguée des nobles, et sous la Révolution, alors qu'elle a quinze ans elle surprend une conversation qui lui révèle le drame de sa situation. Son origine lui rend déjà la vie difficile, mais son éducation raffinée va l'empêcher de trouver un mari, alors que moins éduquée elle aurait pu à tout le moins vivre avec un homme plus ordinaire. Elle garde pour elle cette révélation, même si tout le monde sent qu'elle souffre d'un mal inconnu. A la fin de la nouvelle, elle apprend un autre secret qu'elle se cachait à elle-même et qui explique encore mieux ses souffrances, c'est son amour pour le "petit-fils" de celle qui l'a adoptée, amour sans retour pour quelqu'un qui au moment de cette révélation est déjà marié et bientôt père. Il y a plusieurs passages qu'on peut comparer à Une saison en enfer pour le style : "Encore tout enfant..." J'ai des tas de petites amorces que je relève en passant, peut-être pas des tas, mais quelques-unes. Et ce qui m'intéresse, c'est des éléments qui structurent l'ensemble du récit. "Ourika" est écrite sous l'influence de Rousseau, l'auteur des Rêveries du promeneur solitaire et de Chateaubriand, l'auteur de René, et le récit joue sur l'idée de la condamnation éternelle à la solitude, en associant cela à la feuille d'automne, image qui revient en mot de la fin de la nouvelle. Ce motif figure aussi dans Une saison en enfer où le poète se plaint d'avoir toujours été seul, de ne pas trouver une main amie et d'être étranger à la société. Nous avons bien sûr le motif du nègre et de la conversion chez Rimbaud. Le cas d'Ourika est différent, c'est son origine qui fait son mal et elle finit religieuse dans un couvent où son mal achève de l'emporter. Mais malgré les différences d'autres éléments confirment la pertinence d'un parallèle à interroger, puisque comme Rimbaud parle d'un mal qui a creusé ses racines de souffrance, Ourika emploie la même image de la racine de souffrance. Et à la fin du récit, dans les dernières lignes, condamnée à la solitude par son refuge dans la vie conventuelle, elle se définit en "sœur de charité" et dit ceci :
 
   [...] Je vis qu'en effet je n'avais point connu mes devoirs : Dieu m'en a prescrit aux personnes isolées comme à celles qui tiennent au monde : s'il les a privées des liens du sang, il leur a donné l'humanité tout entière pour famille. La sœur de charité, me disais-je, n'est point seule dans la vie, quoiqu'elle ait renoncé à tout ; elle s'est créé une famille de choix ; elle est la mère de tous les orphelins, la fille de tous les pauvres vieillards, la sœur de tous les malheureux. [...]
 
 A la différence d'Ourika qui cultive le désir de mourir, motif hérité de la lecture de Chateaubriand, et de Goethe et d'autres, le poète qui appelle la mort dans "Alchimie du verbe" avec des extraits comparables à certains passages de la nouvelle de Duras, qui parle de sa santé ruinée, usée, menacée, comme Ourika, finit par se révolter contre la mort et dans "Adieu" on a une considération tout autre à propos de la "charité" : "La charité serait-elle sœur de la mort pour moi ?"
Je n'ai pas cherché à mûrir le rapprochement. Je voulais exposer en bref ses traits saillants.

mercredi 24 décembre 2025

Compte rendu du livre de Bardel et Oriol : Arthur Rimbaud, Les Illuminations [manuscrits] (suite et fin) [mise à jour 25/12 à midi)

Nous avons vu que l'ouvrage a un propos, se donne une mission et qu'il y déroge en ne fournissant pas toutes les données utiles aux lecteurs, en n'étudiant pas tous les indices des manuscrits.
Il s'agit de prouver par les indices des manuscrits que le recueil a été élaboré par Rimbaud jusqu'à un parfait ordonnancement des poèmes. Il s'agit aussi de valoriser une édition où les photographies seraient d'une qualité supérieure à ce qui s'est fait jusque-là. Toutefois, plusieurs manuscrits sont fournis en fac-similé par la reprise telle quelle de publications plus anciennes. Le fac-similé de "Mouvement" est repris au livre de 1985 Poétique du fragment d'André Guyaux, ce qui n'apporte aucune évolution. Les éléments périphériques sont peu lisibles, on croit deviner le chiffre 1 de la pagination par la revue Vogue, "Mouvement" étant le premier poème publié dans le numéro 9 de la revue, mais une photographie de meilleure qualité serait souhaitable pour s'en assurer. Un élément sur le coin supérieur gauche n'est toujours pas déchiffrable. Et les auteurs ne signalent même pas ces lacunes à l'attention. Le manuscrit de "Bottom" et "H" vient sur la double page suivante, pages 74 et 75, et il n'est que la reprise du fac-similé fourni jadis par Bouillane de Lacoste dans son livre de 1949 sur le "problème des Illuminations". Or, le fac-similé a été visiblement toiletté, ce que Bardel et Oriol ne commentent, ni ne précisent. La photographie du manuscrit de "Génie" est de qualité, mais vient d'un catalogue de vente de 2006. C'est le cas également pour le manuscrit de "Scènes", tandis que le manuscrit de "Soir historique" vient d'un document de 2003. Les photographies du début du troisième millénaire sont heureusement de qualité et colorisées visiblement. Le grand regret demeure surtout pour "Mouvement" et le couple formé par "Bottom" et "H". Pour les 24 pages les manuscrits autres que "Génie" liés à l'édition de 1895 par Vanier, les auteurs ont pu demander des autorisations de procéder à de nouvelles photographies auprès de la BNF ou de la "Fondation Bodmer". Toutefois, dans le cas de "Promontoire" où on déplore l'absence des deux pages du manuscrit allographe utilisées par la revue La Vogue, Jacques Bienvenu a fourni récemment sur son blog internet une photographie où les mentions par Vanier ou un de ses employés en haut et en bas du manuscrit sont opposables à l'ensemble par le recours particulier à l'encre brune, ce qui veut dire qu'il fallait encore augmenter la qualité des photographies pour obtenir certains résultats.
Et nous en arrivons à la question des ratures. Sans un nouveau fac-similé de "Mouvement", difficile de débattre sur la mention "au delà" ou "en delà" au vers 19, ou alors on peut travailler avec une bonne loupe, mais ça n'est pas mon cas.
A la fin de la première partie de ce compte rendu, j'ai soulevé la question des corrections. On va quand même essayer de les recenser. J'ai parlé du mot "après" ajouté au-dessus de la ligne puis biffé au tout début du texte "Après le Déluge". Bardel et Oriol étant réticents à parler d'interventions allographes pour l'établissement des textes "sacrés" de Rimbaud, on ne s'explique pas bien pourquoi Bardel considère que le mot a été biffé par les protes de la revue et pas par Rimbaud lui-même. Le mot est abondamment biffé à tel point que le mot disparaît sous un épais rectangle d'encre. Avec quoi le mot a-t-il été biffé ? Avec le crayon bleu qui a servi à écrire "M. Grandsire Neuf Elzévir 2", mention obligatoirement allographe ? Ou bien au crayon ? Ou bien à l'encre ? Sur l'agrandissement du manuscrit que fournit Bardel, on a l'impression de deux traits épais. Une pointe épaisse de crayon ? Ai-je la berlue en croyant que c'est bleuté ?
Sur la page 3 contenant la fin de transcription de "Enfance II", le mot "maisonnettes" est biffé de manière moins appuyé par un simple trait long ondulant pour être remplacé par "loges". Je ne parle pas non plus des cas où des lettres sont repassées. Je cherche directement les passages biffés qui ressemblent au cas du mot "après" dans "Après le Déluge". Les manuscrits sont assez propres dans bien des cas. Pour "Antique", nous avons à nouveau un trait biffé ondulé léger sur le verbe "luisent" écrit par anticipation. Rimbaud a reporté le texte oublié au-dessus de la ligne. Dans le cas de "Départ", nous avons une correction d'une préposition. Le cas est similaire à l'amorce du poème "Après le Déluge" où l'auteur hésitait entre "Aussitôt que" et l'expression "Aussitôt après que" qui a un faux air de pléonasme. Ici, l'expression "sous tous les airs" cesse de plaire à Rimbaud qui lui préfère "à tous les airs". Il a biffé la préposition de deux traits, c'est moins appuyé que pour "après", mais le principe est identique, et ici le caractère autographe n'est pas contestable vu qu'il placé la préposition "à" juste après la mention biffée.
Pour le manuscrit paginé 13, nous avons deux titres avec article "Les Ouvriers" et "Les Ponts", alors que la plupart des titres n'ont pas d'article ou l'enferment dans une locution prépositionnelle : "Après le Déluge", "A une Raison". Le déterminant a été biffé d'un trait fort appuyé pour "Les Ouvriers", ce qui nous laisse avec le titre "Ouvriers". L'article n'a pas été supprimé pour le titre "Les Ponts", Fongaro a jadis expliqué que cela créait un problème d'euphonie : "Ponts". A partir du moment où Bardel considère la correction pour "après" comme allographe, comment peut-il être sûr que cette fois c'est Rimbaud qui a biffé le déterminant pour le titre "Les Ouvriers". Dans le texte des "Ouvriers", il y a d'ailleurs un adverbe "partout" qui a lui aussi été biffé par un seul trait : "partout". Cela tend à conforter l'idée que Rimbaud a biffé lui-même le déterminant et l'adverbe "partout", mais on se retrouve à isoler la mention "après" comme seul cas biffé par une intervention extérieure, alors même que nous avons le cas de la préposition "sous" qui est biffée selon le même principe du double trait dans "Départ". Le titre au singulier "Veillée" sur le feuillet paginé 19 est biffé de trois traits rapprochés qui forment un écran épais. Bardel plaide clairement ici une correction par Rimbaud. Il a donc tout intérêt à souligner que la préposition "après" est biffée d'une manière typiquement rimbaldienne. Le contre-argument, c'est qu'il n'y a pas mille méthodes pour biffer un passage manuscrit. Dans "Barbare", les deux mentions "fournaises" remplacées par "brasiers" sont biffées d'un unique trait léger ondulé. Le même constat s'applique à une part conséquente du manuscrit de "Promontoire" et à deux éléments du manuscrit de "Scènes" où "comédiens" dans "oiseaux comédiens" est remplacé par "des mystères" ("oiseaux des mystères") et "maisons" est remplacé par "salles" pour faire "salles dans l'Orient ancien". Dans le cas de "Mouvement", nous avons une rature assez grossière pour une lettre à peine esquissée devant "par les lumières inouïes", tandis que, par exception, l'expression "Qui est le leur" est biffé par une ligne quasi droite légère doublée d'une ligne toute en courbes. Le titre initial de "Bottom" : "Métamorphoses", repris à Apulée, a été biffé par un trait droit appuyé. Il me semble avoir tout relevé. Je n'ai pas parlé des mots sur lesquels Rimbaud écrit un autre mot, par exemple dans "Jeunesse II Sonnet", Rimbaud écrit "log" et renonce à écrire logique, avec un faux air de "e" en place du "i", et il écrit par-dessus "raison". Ce texte "II Sonnet" pose un problème d'établissement. Je n'identifie pas du tout un "+" sur le manuscrit, mais je n'en débattrait pas ici, et devant "réfléchissent" il y a comme quelque chose de biffé. Il faut dire que le volume fac-similaire n'est pas forcément pratique pour étudier les mots repassés. J'essaierai de reprendre ce sujet à partir d'un agrandissement des fac-similés disponibles sur internet.
Toutefois, je remarque un fait intéressant dans le cas de l'agrandissement du manuscrit de "Génie". Rimbaud a écrit : "les migrations plus énormes que les anciennes invasions", mais ce dernier mot "invasions" repasse sur une transcription antérieure peu lisible et que je n'arrive pour l'instant pas à déchiffrer sur l'agrandissement même en couleurs de l'édition fac-similaire. En revanche, le mot "invasions" a été reporté dans une écriture assez minuscule juste à côté pour rendre lisible ce qui ne l'était pas. Le mot a l'air d'avoir été écrit en bleu par quelqu'un d'autre que Rimbaud, le s en forme de crochet ne correspond pas, si pas avec les "s" de Rimbaud en général, en tous cas avec ceux du manuscrit.
Je parlais du "o" au crayon qui corrige le mot "campagne" de l'expression "la main de la campagne" dans "Vies". Ce "o" est considéré en général comme allographe selon l'idée que des gens qui ne sont pas poètes ont trouvé absurde l'expression "la main de la campagne" et ont cherché à rendre l'expression plus normale : "la main de la compagne". Mais cette correction a été effectuée au crayon. On est dans un cas d'écriture où l'instrument contraste avec l'encre et la plume employées par l'auteur, comme le report du mot "invasions" dans "Génie". Le crayon est un emploi caractéristique des protes, comme je l'ai déjà dit, et cela intéresse la question de la pagination en 24 pages, comme l'idée selon laquelle sur le manuscrit autographe de "Promontoire" Vanier aurait repassé à l'encre brune une mention initiale au crayon du titre "Illuminations" au bas du texte. Au bas de la page 9, nous avons la mention "Arthur Rimbaud" au crayon sur le principe de son report à la fin des transcriptions dans les numéros 5 à 9 de la revue La Vogue. J'ai établi que le crayon pour souligner les titres par des crochets ou des cercles venait de la revue La Vogue, puisque la valeur de titre pour les trois croix de "Ô la face cendrée..." n'avait pas été identifiée par la revue qui n'a pas souligné le passage, alors que Rimbaud avait expressément placé un point de délimitation de titre à la suite de ces trois croix. Toutes les interventions au crayon sont allographes sur les 24 pages. Il serait étonnant que ce "o" soit une exception. Et les rimbaldiens adhèrent de toute façon à l'idée d'une correction abusive allographe. Mais il y a le cas de "Fairy". Le nom de l'ouvrier typographe est transcrit au crayon en oblique et souligné sur le coin supérieur gauche. Le titre est à moitié encerclé sur le côté gauche au crayon. Nous avons une mention au crayon sur les caractères à employer "cap 10" Il y a un I à l'encre en-dessous du titre qui a bien l'air d'être autographe, mais pourquoi ajouter un I au crayon au-dessus du titre. Il ne fait pas que double emploi, puisque le I en-dessous du titre passe au-dessus comme si nous pouvions être indifférents à ce changement de place. A l'encre, Rimbaud a écrit "des cri des steppes", mais il y a un défaut d'accord. Rimbaud aurait dû écrire "cris" au pluriel. Or, une correction en sens inverse a été reportée : "des" est corrigé en "du", sauf qu'on voudrait savoir si le "u" est au crayon comme il me semble ou à l'encre. Le crayon serait une intervention allographe, et la correction à prendre en considération serait d'ajouter un "s" à "cri". Il vaudrait mieux établir que le "u" de la correction est à l'encre pour justifier ce que les éditions ont adopté comme leçon finale : "du cri des steppes".
Le fait rassurant, c'est que les éditeurs prennent peu d'initiatives pour corriger les textes, le "o" pour "la main de la campagne" dans "Vies", le report "invasions" ne corrige pas le texte de "Génie" mais clarifie la lecture d'un passage raturé, enfin il reste la question de "des cri des steppes" avec le choix du "u" pour "du cri des steppes", correction qu'il faut déterminer comme autographe ou allographe.
Je disais avoir relevé tous les passages biffés, mais il faut y ajouter les chiffres romains I et II pour les poèmes intitulés "Villes" au pluriel. Le II est biffé de trois étages de traits légers concis, avec la mention "Villes" qui s'y superpose en tant que correction. Le chiffre I est biffé de quatre traits horizontaux ramassés qui font écran. Accessoirement, quand la revue a souligné le titre, le cercle est passé à son tour par-dessus le chiffre I biffé.
Tous ces éléments favorisent l'idée que Rimbaud ait lui-même corrigé le titre "Veillée" au singulier en "III". Mais la pagination est allographe, et on peut expliquer la superposition du procédé. Le papier était d'un format différent. La pagination à l'encre "18" était pour insister sur l'emplacement d'un papier au format différent. Le manuscrit de "Veillées" I et II était à sa place quant à la création de la série, mais il n'y avait pas de pagination autographe pour autant. Cela crée un a priori favorable dans le cas du feuillet paginé 12.
Cela ne signifie pas pour autant que les 24 pages respectent un ordre initial. Prenons le cas de "Après le Déluge". Puisque le dossier n'était pas paginé, il suffisait de mettre tous les poèmes sur des papiers différents : "Promontoire", etc., par-dessus "Après le Déluge" et nous retrouvions une distinction nette entre la série quasi homogène et les manuscrits aux formats plus divers. Sans pagination, c'était ce qui devait arriver le plus probablement. Grâce à la mention "III" et au titre "Veillée" biffé, malgré le désordre, il était loisible de recréer la série "Veillées". Je précise aussi qu'il n'est pas prouvé que la manière de biffer le titre "Veillée" est spécifiquement rimbaldienne au point de pouvoir lui attribuer sans hésiter.
Le renoncement aux chiffres I et II pour les deux "Villes", une fois que la réalité du recopiage faisait barrage au recoupement tend à conforter l'idée que les séries étaient créées par Rimbaud, puisque cela minimise les possibilités d'intervention des protes de La Vogue. Cela ne veut pas dire pour autant qu'un ordonnancement en recueil résultait de l'opération. Sur ce point, le cas des deux "Villes" sert de contre-argument, puisque le poète renonce à ses recoupements face aux aléas au sens fort d'un recopiage.
Ce qui m'embête le plus, c'est les mentions au crayon pour "Dimanche", "Sonnet", "Vingt ans" et "Tu en es encore à la tentation d'Antoine..." Rappelons que la manuscrit de "Mémoire" a été publié en deux étapes et que les deux pages du manuscrit avaient été séparées. Je me pose des questions sur l'éventualité d'un ou de plusieurs manuscrits perdus que camoufleraient les transcriptions au crayon "I. Fairy", "IV Jeunesse" et "Veillées". Vanier n'a pas publié le poème "IV" avec le titre "Veillées" visiblement. Pensait-il le réunit plutôt aux trois "Veillées". La mention "Veillées" a une écriture qui monte et descend à la manière du titre "Sonnet" pourtant à l'encre, mais il y a des mentions au crayon des protes de Vanier sur le manuscrit : cap 8 à côté du titre "Sonnet" par exemple. Le titre "Veillées" a tout l'air d'être allographe. "Jeunesse" et "IV" sont-ils écrits eux aussi au crayon, oui ou non ? Si on perd le "IV" de "Jeunesse", il y a une anomalie dans le décompte des chiffres romains et une remise en cause du double ordre qu'ils semblent imposer.
Passons à la préface de Steve Murphy, elle s'intitule "Les Illuminations existentielles", titre bizarre et pas très heureux à mon sens. On retrouve l'affirmation classique non étayée selon laquelle les poèmes en vers ne devaient pas être publiés. Certes, en 1875, Rimbaud avait un projet de recueil de poèmes en prose, et au passage précisons que si Verlaine n'avait pas le temps de s'en occuper, ça pouvait être aussi pour des copies mises au propre et mieux ordonnées après des échanges épistolaires avec Rimbaud, mais le fait est que les deux ensembles ont été publiés ensemble et que Verlaine ne s'en est pas offusqué. Il est vrai qu'il n'a rien dit sur les fusions de "Marine" et "Fête d'hiver", des "Ouvriers" et de "Les Ponts", ce qui laisse penser qu'ils connaissaient mal ces poèmes restés trop peu de temps entre ses mains. Bref, il existe une énigme résolue sur la fusion des deux dossiers, même s'il est visible qu'au minimum les deux dossiers devaient plutôt venir l'un à la suite de l'autre qu'être mélangés, puisque la revue a commencé par publier exclusivement les poèmes en prose.
Murphy affirme aussi qu'il est regrettable que d'anciennes éditions fac-similaires toilettaient les textes en enlevant les "inscriptions imputées aux typographes, indispensables pour l'analyse de l'ensemble". Notons que les inscriptions des typographes ne sont pas analysées dans l'édition fac-similaire qu'il préface. Et même qu'elles ont peu attiré sa propre attention ou celles de Bouillane de Lacoste et Guyaux jusqu'à présent. Pour les éléments autographes, je tente des études transversales des éléments biffés qui sont de vraies premières dans l'analyse des manuscrits.
Murphy insiste lourdement sur la pagination tardive des manuscrits, sur divers sujets déjà pas mal connus. Mais, sur la pagination, il ne cite pas les contradicteurs et affirme qu'un ordre éditorial canonique est admis aujourd'hui par la plupart des rimbaldiens. Murphy privilégie plutôt des remarques interprétatives sur les dimensions politiques, sexuelles, etc., de l'oeuvre. Il ne s'affronte pas réellement à la question de l'unité organisée éventuelle du recueil. On sent clairement qu'il est embêté par la question de la pagination, il évite le plus possible d'en parler. On se demande de qui est la bibliographie qui vient après la préface : du préfacier ou des auteurs de l'ouvrage ? Cette bibliographie ne cite pas les articles internet essentiels dans le débat, notamment ceux du blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu, bien que ceux-ci aient été pris en compte par Michel Murat dans le Dictionnaire Rimbaud aux Editions Classiques Garnier et bien que Bienvenu soit cité pour son analyse sur le manque de "f" bouclés dans la lettre à Andrieu de juin 1874. Pourquoi les occulter s'ils ne suffisent pas à ébranler les certitudes du côté de la thèse de la pagination autographe ?
Je suis évidemment opposé non seulement à l'idée d'une pagination autographe en 24 pages, qui plus est incomplète quant à l'ensemble du dossier à publier, mais à l'idée de représenter les traits de séparation dans les éditions. Je lis les transcriptions de Bardel et je trouve ça ridicule. Quel est le gain à la lecture ? On est juste interloqués. Même dans l'enchaînement de certaines transcriptions sur un manuscrit, j'identifie plus un opportunisme de la place à disposition pour recopier un poème. C'est le cas en particulier pour "Conte", "Départ" et "Royauté". Les lectures thématiques proposées par Bardel, Murphy et d'autres pour justifier l'unité du recueil n'ont rien à voir avec l'idée d'une pagination qui ordonnerait le récit des poèmes. Les recoupements thématiques sont lâches dans l'ordre éditorial habituel des Illuminations.
Que ce soit vous ou moi, on va tous mourir sans savoir rien dire d'intéressant sur l'ordre d'ensemble des poèmes dans le modèle éditorial rendu canonique par La Vogue et Vanier, alors qu'on a fait des progrès fulgurants dans la compréhension poème par poème. Rimbaud crée des poèmes, mais créer des recueils, ça n'a pas l'air de lui convenir.
L'ouvrage de Bardel et Oriol préfacé par Murphy a un caractère militant. Le constat est flagrant, il échoue à démontrer le caractère organisé du recueil, à le rendre sensible. C'est un ouvrage qui ne fournit pas une analyse, mais une synthèse de convictions dont le caractère subjectif est facile à pointer du doigt à tout instant. Ce compte rendu en deux parties montre à plusieurs reprises des petites synthèses qui n'ont pas été faites, avec des conclusions qui parfois pourraient être utilisées pour soutenir que Rimbaud est l'auteur de remaniements, de certaines organisations, mais, en conscience, en menant mon travail d'expertise, je n'arrive pas à l'idée objective d'un recueil organisé par Rimbaud, parce qu'il est définitivement criant de vérité que le travail il a été laissé en plan. Le recueil, il est servi en vrac. Que ça plaise ou non ! Et c'est irrémédiable !
 
**

Mise à jour 25/12 à midi : il me faudrait mettre la main sur les Œuvres complètes de Rimbaud dans la collection de La Pléiade en 2009 par André Guyaux pour consulter les notices sur les singularités des manuscrits.
A défaut, pour le titre "Jeunesse", j'observe que l'écriture est assez fine, le mot est peut-être plutôt écrit à l'encre. J'attends toujours d'avoir vérifié si l'écriture du "IV" et de "Jeunesse" sont à l'encre ou non. Dans son édition en Garnier-Flammarion des Illuminations, Jean-Luc Steinmetz ne commente pas spécifiquement l'écriture à l'encre ou à crayon du titre "Jeunesse", il ne dit rien du "IV". Je le cite :
 
   Le titre "Jeunesse" a été ajouté au-dessus du chiffre I. Il est d'une écriture différente, dextrogyre. Encre, plume utilisée, écriture paraissent semblable dans Enfance, ViesDépart.
 La deuxième phrase est un commentaire global du texte "-I- Dimanche".
En revanche, j'ai oublié tout à l'heure (et c'est pour ça qu'il est nécessaire d'éditer l'article malgré une vague de lectures précoces) de mentionner d'autres problèmes d'édition du texte de "Jeunesse II Sonnet".
Il me suffit ici de me reporter au livre d'Antoine Fongaro De la lettre à l'esprit. Pour lire Illuminations, paru chez Honoré Champion, en 2004. Ce livre reprend les publications de Fongaro aux presses de l'Université de Toulouse le Mirail de 1985 à 1993 à l'exclusion du livre de 1994 Segments métriques dans la prose d'Illuminations, et y ajoute très peu d'études nouvelles, avec quelques modifications de passages il me semble. Les livres précédents s'intitulaient : Pour lire Illuminations, "Fraguemants" rimbaldiquesMatériaux pour lire Rimbaud et Rimbaud : texte, sens et interprétations. Les livres reprenaient des articles parus dans des revues sur près de quarante années comme dit dans le texte d'ouverture qui a un titre au pluriel "Avertissements". Fongaro s'est penché sur l'établissement du texte "Jeunesse II Sonnet", et je connais très bien cet article qui s'intitule "Illuminations : le texte et l'exégèse" qui a été publié dans la revue Studi francesi en septembre-octobre 1981, à tel point que plus haut dans l'une ou l'autre partie de mon compte rendu je citais de mémoire le paragraphe suivant :
 
   Toutes ces difficultés seraient éliminées par une édition qui donnerait le fac-similé du manuscrit, agrandi, et rendu plus net grâce aux moyens de la technique moderne.
 Le singulier "manuscrit" s'applique à l'ensemble du recueil si on se reporte à ce qui précède la citation : "les textes à la suite les uns des autres". Fongaro donnait sa préférence pour un agrandissement des reproductions photographiques, ce qui le différence du projet de Bardel et Oriol.
Mais, sur "Enfance", je savais que je devais vérifier certains éléments. J'avais déjà remarqué que sur son site internet Arthur Rimbaud, Bardel éditait "A une Raison" en six alinéas au lieu de cinq, mais il a correctement donné cinq alinéas dans l'édition fac-similaire. En revanche, pour "Jeunesse II Sonnet", j'ai mentionné le cas improbable du "+" de la transcription traditionnellement fournie, en oubliant de vérifier si Bardel écrivait "et discrète" ou "est discrète".
A la page 90 de son édition fac-similaire, avec le fac-similé en regard sur la page de droite, Bardel a transcrit ainsi certains passages : "ce labeur comblé, - toi, tes calculs", "est discrète" en sus du signe "+" placé entre "succès" et "une raison".
Dans son article, pages 22 et 23 du livre consulté, Fongaro écrit ceci :
 
[...] Dans le manuscrit de Sonnet (Jeunesse II), il est en effet visible à l’œil nu, et confirmé par la loupe, et donc indiscutable, qu'il n'y a pas de tiret entre "comblé" et "toi" à la ligne 8. Surtout, il est visible à l’œil nu, et confirmé par la loupe, et donc indiscutable, qu'entre "fraternelle" et "discrète" à la ligne 12, ce n'est pas la conjonction et qui figure, mais la forme verbale est ; plus précisément un s a été ajouté par Rimbaud sur le trait qui joint le e au t (ce trait est en général plus long dans la graphie de Rimbaud). Voilà qui change radicalement le texte.
 Au paragraphe suivant, Fongaro commente le prétendu signe + comme la probable "cancellation du début d'une lettre majuscules", "le premier jambage de l'U majuscule" avance-t-il, ce quiu est discutable. De ce fait, Fongaro estime qu'il faut rétablir le point manquant après "succès" et il faudrait transformer en majuscule, un "U" justement, le début de la suite : "une raison..." Et Fongaro met en doute l'interprétation comme un tiret de séparation le signe sur le coin du manuscrit devant "en l'humanité". Bardel n'a tenu aucun compte des remarques de Fongaro. Il a maintenu intégralement tout ce que Fongaro a contesté.
Pourtant, Fongaro a au moins raison sur le verbe "est" et il n'a pas tort de considérer que la trace d'écriture à la ligne 8 est plus une pollution de la transcription cursive qu'un tiret en tant que tel. Seule son analyse du signe "+"' laisse fortement à désirer. Et il soulève une question légitime pour le tiret devant "en l'humanité".
Bardel, comme Steinmetz et la plupart des éditeurs, mettent systématiquement un tiret devant le pronom tonique "toi" : "- toi, tes calculs, - toi, tes impatiences - [...]". Fongaro pense qu'il n'y a que deux tirets qui forment une parenthèse : "toi, tes calculs, - toi, tes impatiences - [...]" Je trouve en effet que la trace sur le manuscrit est bien dérisoire, mais elle coïncide avec l'emplacement du tiret pour la deuxième occurrence "toi", donc admettons de laisser du champ au débat. Pour "est discrète", là Fongaro a pleinement raison, c'est bien ce qui est écrit sur le manuscrit "une (log pour logique biffé) raison (- ?) en l'humanité fraternelle est discrète par l'univers sans images[.]"
 
Pour rappel, dans son édition de 1895, Vanier n'a pas mis de titre au poème IV "Tu en es encore à la tentation d'Antoine..." Il a ignoré purement et simplement le mot au crayon "Veillées". Il l'a donc considéré comme allographe, puisque le mot n'est pas biffé.
Cette même année, un faussaire a rédigé une fausse lettre de Verlaine se plaignant d'un plagiat de Jean Lorrain. Jean-Jacques Lefrère en fournit un fac-similé à la page 1895 de son édition Correspondance posthume 1891-1900 d'Arthur Rimbaud. Sa transcription sur la page de gauche est inexacte. Il manque plusieurs éléments du fac-similé. Ce qui m'a frappé, c'est que, comme ce faussaire publie cela quelques mois avant l'édition de Vanier de 1895 et que de toute façon Vanier n'a pas pas mis à la connaissance du public des photographies des manuscrits, il y a un usage des chiffres romains qui ressemblent un peu au cas de "Génie" et compagnie, mais il y a déjà un modèle relatif avec les séries "Enfance" et "Vies. Le faussaire écrit en l'attribuant à Jean Lorrain un texte "Ecole buissonnière" suivi d'un I, et en face et en vis-à-vis nous avons une colonne de transcription d'extraits de "Après le Déluge" avec là aussi le titre Les Illuminations suivi d'un I. Ces chiffres romains retenaient plus particulièrement l'attention. Je pense sur le modèle prédominant de "Enfance" et "Vies".
 
Pour les feuillets découpés, on peut attribuer à Rimbaud le fait d'avoir découpé celui qui contenait "Fairy" avant une transcription de "Veillées" I et II. Il est peu probable que Vanier ait découpé le manuscrit de "Promontoire" et "Guerre". La revue La Vogue a publié le texte de "Promontoire" à partir d'une copie allographe. Les deux découpages furent le fait de Rimbaud seul. Cela crée un a priori favorable à un découpage par Rimbaud lui-même dans le cas de "Génie" et "Dimanche". Et pour éditer "Génie", il n'y avait aucune raison de coller deux feuillets distincts en un. C'est selon toute vraisemblance Rimbaud lui-même qui a eu la coquetterie de monter "Génie" en un seul feuillet continu grâce à un collage de deux feuillets distincts, et ce montage rendait indispensable de découper sur le second feuillet la transcription de "Dimanche".
Je pense que j'apprendrai finalement que "Jeunesse" et "IV" sont à l'encre et non au crayon. Cela enlèvera l'idée que les éditeurs aient monté des suites pour cacher des numérotations inconciliables avec des lacunes. Mais, pourquoi la revue La Vogue n'a-t-elle pas publié en priorité cette suite numérotée en 1886 ? J'en reviens à l'idée que, paradoxalement, le cas à part des deux suites de chiffres romains les a plus embrouillés comme on dit familièrement que ça ne leur a rendu service.

Compte rendu de lecture du livre 'Arthur Rimbaud, Les Illuminations [manuscrits]' conçu d'à l'un à l'autre par Alain Bardel et Alain Oriol avec une préface de Steve Murphy !

En liaison avec les 150 ans du livre Une saison en enfer en 2023, Alain Bardel et Alain Oriol ont concocté une nouvelle édition fac-similaire d'un "livre" de Rimbaud. En 2023, le principe du fac-similé s'appliquait à l'objet livre, il s'agissait de reproduire à peu près à l'identique le volume de l'édition originale du livre Une saison en enfer. Et, dans la foulée, toujours en 2023 même, Alain Bardel avait publié un essai sur le livre Une saison en enfer où on retrouvait a minima cette fois un fac-similé du texte lui-même contenu dans l'ouvrage. En 2025, le principe du fac-similé est différent. Il s'agit de reproduire des photographies de qualité de tous les manuscrits des poèmes en prose du recueil des Illuminations. Il n'y a eu aucun livre à l'époque, et il ne s'agit ni de reproduire la plaquette, ni les pages de l'édition originale dans des numéros distincts de la revue La Vogue en 1886. Il s'agit de fournir les fac-similés photographiques de tous les manuscrits et d'apporter en vis-à-vis une transcription fidèle des textes. Le choix de l'année 2025 pour cette publication peut s'expliquer. Cela crée un écart de deux ans avec les deux publications initiales sur Une saison en enfer. Traditionnellement, on considérait que les manuscrits avaient été recopiés en Angleterre avec la participation de Germain Nouveau, en gros vers avril-mai 1874, mais la découverte de la lettre de Rimbaud à Jules Andrieu en juin 1874 a révélé, comme s'en est aperçu le premier Jacques Bienvenu, que Rimbaud n'y pratiquait pas encore le double bouclage de la lettre "f" sur ses manuscrits. Bienvenu a alors démontré un fait passé inaperçu : Germain Nouveau était à Charleville au début de l'année 1875, avant que Rimbaud ne se rende à Stuttgart où il a rencontré Verlaine en lui remettant des manuscrits de "poèmes en prose" en vue de les présenter à un éditeur, ce qui n'a pas eu de suite. Bardel adhère à cette explication, ce qui justifie de commémorer les cent cinquante ans de la tentative éditoriale. Les recopiages et la tentative datent plutôt du début de l'année 1975, alors que la présente publication fac-similaire a eu lieu en novembre, mais cela nous rapproche des 140 ans en 2026 de la publication originale dans la revue La Vogue, ce qui fait que l'anomalie de la commémoration ne nous choquera pas outre mesure.
J'ai le livre fac-similaire désormais entre mes mains et ma première surprise c'est qu'il est précisément au format A4. C'est très exactement une publication au format A4, le livre est plus grand qu'une édition par exemple de la Correspondance de Rimbaud chez Fayard. C'est au format d'un magazine mensuel qui s'achète dans les kiosques, avec la même épaisseur vu le petit nombre de pages, mais avec une couverture cartonnée rigide et un papier assez épais et solide bien que légèrement translucide. C'est pratique en tant qu'outil, mais je suis déçu au plan de l'objet livre. On dirait une brochure ou un mémoire universitaire.
La première de couverture offre un fac-similé partiel de la page 2 du dossier manuscrit avec le texte de "Enfance" I et II. Le titre Les Illuminations est distingué en rouge, ce qui fait penser au cas du livre Une saison en enfer. La première de couverture est sobre, pas d'indication d'éditeur. L'auteur, le titre et la précision entre crochets dans un carré blanc par-dessus le fac-similé maintenu en "transparence" derrière.
Un point capital de cet ouvrage pour lequel ces auteurs pensent faire date, c'est bien sûr le retour de l'article dans le titre. Cet article était inclus dans toutes les éditions du recueil, de l'édition originale de La Vogue à toutes celles au Mercure de France, en passant par Vanier en 1892, jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale où à partir d'une édition critique de Bouillane de Lacoste nous sommes passés à l'habitude de publier le recueil avec un titre volontairement sans article : Illuminations. Bouillane de Lacoste justifiait ce choix par le recours à la correspondance de Verlaine et par l'idée d'une origine anglaise du titre. Le critique rimbaldien Antoine Fongaro publiait des recueils d'articles avec dans le titre l'expression "Lire Illuminations" qui insistait sur l'importance de ne pas mettre l'article. En 2004, dans le numéro de la revue Parade sauvage, Steve Murphy a publié un article où il a contesté les propos de Fongaro et Bouillane de Lacoste, y compris au plan de l'analyse de la correspondance de Verlaine. Bardel s'est rangé à cette démonstration de Steve Murphy. Je considère qu'au plan philologique Murphy et Bardel ont raison de procéder de la sorte. Le rétablissement de l'article doit primer, puisque c'est à ceux qui veulent supprimer l'article de prouver que ce choix était voulu par Rimbaud. Maintenant, j'avoue que le point reste quelque peu indécidable dans l'absolu. Peut-être que la démonstration de 2004 de Murphy ne laisse rien à désirer, mais je conserve certaines hésitations sur les intentions véritables de Rimbaud. Ceci dit, il faut rétablir l'article et cela n'a rien de grave. Pensez que le recueil de 1853 de Victor Hugo a été publié sous le titre sans article Châtiments avant que les rééditions ne le reconduisent. Considérez aussi que le titre de Rimbaud fait écho à deux des titres de recueils poétiques les plus prestigieux du dix-neuvième siècle, puisque nous avons une série lexicale : "méditations", "contemplations" et "illuminations". Or, si l'article figure bien sur le recueil de Victor Hugo, Lamartine a plutôt publié si je ne m'abuse un recueil non flanqué d'un article : Méditations poétiques, ce qui n'empêche pas d'en parler en le rétablissant : Les Méditations poétiques.
Justement, la préface du même Steve Murphy, non annoncée sur la première de couverture, va intéresser en particulier les rimbaldiens acquéreurs de cette édition fac-similaire, mais avant d'ouvrir le livre intéressons-nous à la quatrième de couverture avec son accroche au-dessus d'un "Dessin de Paul Verlaine" tiré de sa "Lettre à Ernest Delahaye" du "24 août 1875".
On part sur une imprécision quant à la date des copies manuscrites : "Un jour de 1874 ou de 1875". Cette amorce à la manière des contes est tendancieuse. L'auteur de cette accroche nous dit : "Rimbaud s'est mis à mettre au propre ses poèmes en prose qu'il avait écrits depuis une date également difficile à préciser."
Ces propos ne sont pas rigoureux. Les poèmes en prose de Rimbaud ont été écrits sur une certaine période de temps, à des moments divers. Nous ne sommes pas dans le cas de poèmes composés tous ensemble à une date clef et recopiés tous ensemble à une date unique. Surtout, cette accroche nous fait passer l'idée comme allant de soi que les manuscrits dont nous avons ici les fac-similés correspondent à une seule phase de recopiage, ce qui est forcément faux au vu des regroupements que nous pouvons opérer entre certains manuscrits. Il y a bien une série homogène qui a été recopié en une phrase, mais le reste est constitué de copies admises comme plus anciennes. Il y a plusieurs jeux de copies dans ce dossier ! Le texte de l'accroche est inexact. On ne comprend pas non plus pourquoi la participation de Germain Nouveau a permis à Rimbaud d'aller plus vite, alors qu'il s'agit simplement d'aider Rimbaud dans son travail. Je rappelle que dans sa lettre à Delahaye de mars 1875 Rimbaud parle du passage de Verlaine comme d'une surprise, pas comme d'un fait prévu où il était question de lui remettre les manuscrits. Dès l'accroche, nous avons droit à de nombreuses affabulations sur l'histoire des manuscrits. En très peu de lignes, des affirmations subjectives orientent subrepticement le lecteur vers l'interprétation que Rimbaud avait un recueil fin prêt à l'impression. Notons que sur la pagination autographe, l'accroche suspens tout de même son avis : "Est-ce lui, Rimbaud, qui les a paginés ?" Mais on devine que c'est une invitation à aller chercher la réponse affirmative dans l'ouvrage. Les affirmations péremptoires vont bon train dans cette accroche : "Mais lorsqu'il remet le paquet à Verlaine, à Stuttgart, en février 1875, il adjoint à ces feuillets récents remplis avec soin d'autres qu'il n'a peut-être pas eu le temps de recopier et de classer pour faire de l'ensemble un recueil composé." On admirera la modalisation de l'adverbe "peut-être" qui laisse planer l'espoir que c'est simplement nous lecteurs qui ne comprendrions pas que le classement ait abouti. La concession es de taille : personne ne peut être sûr que nous ayons affaire à un "recueil composé". Toutefois, qui nous dit que Rimbaud a remis à l'époque à Verlaine les manuscrits qui nous sont parvenus ? Les rimbaldiens traitent le sujet comme si les poètes ne conservaient jamais plusieurs jeux de copies sur eux. Quelques rappels ! La belle-famille de Verlaine, les Mauté de Fleurville, ont détruit des copies de poèmes de Rimbaud laissés chez eux le 7 juillet 1872. On a retrouvé un autre jeu de copies de ces poèmes par une transmission à Forain, puis Millanvoye. Dans son livre Mémoire de ma vie, Mathilde avoue la destruction de manuscrits, en prétextant pour excuse qu'ils ont tous été publiés de toute façon dans Les Poètes maudits. Puis, elle se défausse en disant que Verlaine n'avait pas laissé de manuscrit derrière lui et qu'il ferait mieux de s'adresser à ses amis. Elle avait raison dans la mesure où Verlaine a négligé de réclamer des manuscrits auprès de Forain. Il n'en reste pas moins que, dans la correspondance même de Verlaine en 1872 et 1873, quand la mémoire des poètes est on ne peut plus claire, il est bien question de manuscrits du côté de la belle-famille. Mathilde est contradictoire dans sa défense, nous avons détruit des manuscrits de "Voyelles" et "Les Chercheuses de poux" déjà publiés, mais de toute façon Verlaine se trompe nous n'avions aucun manuscrit de Rimbaud à la maison. Dans le cas des poèmes en prose des Illuminations, les manuscrits que nous connaissons ne sont réapparus qu'en 1878, avec un dépôt qui ne s'explique pas clairement du côté du demi-frère de Mathilde, Charles de Sivry. Je pense que les manuscrits étaient passés entre les mains d'Ernest Cabaner de 1875 à 1878, mais ce n'est qu'une hypothèse à cause du remerciement à Cabaner qui accompagne étrangement le plaisir de Verlaine d'avoir relu les poèmes de Rimbaud dans sa lettre de 1878. Ernest Cabaner et Charles de Sivry étaient deux musiciens et deux artistes un peu marginaux de l'époque qui se connaissaient bien. En tout cas, on ne sait pas si les manuscrits réapparus en 1878 sont les mêmes que ceux que Verlaine a renvoyé par courrier à Germain Nouveau en 1875. Il y a trois ans d'écart. Je rappelle qu'on peut soupçonner légitimement que Rimbaud conservait une masse de copies de ses poèmes au domicile maternelle à Charleville. Après le scandale du Reliquaire qui a éclaté par coïncidence à la mort de Rimbaud à la toute fin de l'année 1891, pendant donc l'expérience du deuil pour la mère d'Arthur au cours de l'année 1892 qui est celle d'une édition par Vanier d'Une saison en enfer et des Illuminations, il est assez évident que la mère a fait le tri des affaires de son fils. Soit Rimbaud avait déjà tout fait disparaître, soit elle a détruit tout ce qu'il fallait pour sa conscience faire disparaître. On n'a même pas retrouvé un exemplaire du livre Une saison en enfer chez la famille Rimbaud... Je ne parle pas de la légende de l'autodafé, je parle du concret. Ensuite, de 1875 à 1878, Rimbaud a pas mal voyagé à travers le monde et déjà à travers l'Europe, et on sait qu'il lui est arrivé de se faire voler toutes ses affaires, en particulier en Autriche. Vous avez un jeu de copies des poèmes en prose et vous forcez les interprétations les concernant. C'est possible que ce soit le dossier remis à Verlaine, mais vous n'en avez pas la preuve ! J'ajoute qu'en 1878 le dossier est fatalement enrichi de copies en un unique exemplaire de poèmes en vers "nouvelle manière" de 1872, il y a plusieurs niveaux de copie, mais les poèmes sont en un seul exemplaire à chaque fois, et dans mon esprit je tends à penser que ce dossier vient bien de Cabaner. En 1875, Rimbaud est allé à Paris et s'est disputé avec tout le monde, rompant définitivement avec les milieux littéraires.C'est si difficile que ça d'envisager que Rimbaud a pu laisser des manuscrits à l'époque chez l'un des derniers "amis" parisiens ? Vous ne voulez pas de mon hypothèse d'une transmission de Cabaner à Charles de Sivry ? Mais vous avez quoi d'autre ? Vous l'avez la transmission de Germain Nouveau à Charles de Sivry ? Vous avez une explication sur le fait invraisemblable que les manuscrits aient fini entre les mains du demi-frère de la femme de Verlaine, au point que Verlaine a cru un instant que l’œuvre allait être à nouveau perdue ? Non ! Vous brodez sur ce que vous croyez savoir.
Evidemment, j'en reviens à l'accroche qui clame : "La réponse est là, dans ses manuscrits, que nous reproduisons plus complets que jamais, en respectant leur apparence, leur format et l'ordre dans lequel ils ont été initialement publiés, en 1886, sous le titre : LES ILLUMINATIONS." Vous constatez que le rétablissement du titre original est une fierté de cette publication. Vous constatez aussi que la publication est militante, avec cette importance presque versaillaise du mot "l'ordre" : "en respectant leur apparence, leur format et l'ordre [...]". Mais il y a une erreur, certains manuscrits n'ont pas été publiés en 1886, ils ne l'ont été qu'en 1895 par Vanier, tandis que des poèmes en vers "nouvelle manière" faisaient partie de l'ordre de l'édition originale. Et donc, l'ouvrage contiendrait la réponse, sauf que l'ouvrage n'est pas un essai, mais comme on va le voir s'en tient à fournir le fac-similé des manuscrits sans les accompagner de notices. On nous fait rêver en nous vantant la capacité des fac-similés à se faire une idée sur la réalité d'un "recueil composé" et abouti de la part de Rimbaud. Notons aussi que Bardel a longtemps été un admirateur des travaux de critique littéraire d'Antoine Fongaro. Bardel était toulousain et enseignait à sa périphérie, tandis que Fongaro a longtemps été professeur de Lettres à l'Université de Toulouse le Mirail. Et dans ses considérations à l'emporte-pièce, Fongaro avait sorti une boutade comme si cela pouvait se soutenir au premier degré que la meilleure édition des Illuminations ne pouvait être qu'un fac-similé des manuscrits, ce qui réglerait les points de débat sur l'établissement du texte au plan de l'imprimé par le recours à la distribution matérielle des manuscrits. Adepte de l'intelligence, je suis évidemment fermement opposé à ce genre d'inepties. Le fac-similé a un intérêt en soi, il permet d'étudier les données brutes du problème éditorial qui se pose, mais la réponse finale appartient au texte imprimé qui résultera de la qualité des analyses critiques des manuscrits.
Et je reproche à cette édition fac-similaire de vouloir donner le change à une édition des textes imprimés en faisant admirer sans recul les manuscrits.
Passons à l'analyse du contenu.
Il y a 96 pages. Après une page de faux-titre, nous avons huit pages d'une préface de Steve Murphy (pages 3-10), suivie d'une page de bibliographie. Si j'écarte les pages blanches et les reproductions photographiques, nous avons ensuite deux pages d'un mot "Sur cette édition" (pages 13-14) et deux pages d'un articulet "Illuminations à l’œuvre" (page 15-16), et ce sera tout pour les commentaires et notes. Nous avons une page 96 de "Remerciements", une "Table des matières" aux pages 94 et 95 avec une petite bibliographie de précédents "Editions fac-similaires".
Le cœur de l'ouvrage (pages 17 à 93), c'est l'ensemble des reproductions fac-similaires avec une transcription, par Bardel lui-même comme il est précisé, en caractères imprimés en vis-à-vis. La transcription figure sur les pages paires de gauche et les fac-similés sur les pages impaires de droite. Il y a deux cas particuliers. Comme il était impossible de représenter le manuscrit de "Génie" sur une page en en respectant la taille, il y a une reproduction en taille réduite en vis-à-vis de la transcription, mais une reproduction sur deux pages juste après en taille réelle (pages 86 - 87). Pour préciser, ce n'est pas que le feuillet de transcription de "Génie" soit très long, mais il y a eu un montage où un feuillet entier et un feuillet en partie découpé ont été collés l'un à l'autre. La double page 86-87 s'articule autour de ce montage qu'elle attribue à Rimbaud sans autre forme de procès. Pourquoi les feuillets n'auraient-ils pas pu être collés par un éditeur comme Vanier ? Les questions ne sont même pas posées.
L'autre cas particulier vient de ce que les manuscrits de "Dévotion" et "Démocratie" n'ont jamais eu de reproductions photographiques et sont considérés comme perdus, leur disparition remontant à l'époque même de leur publication originale en 1886. On ne sait même pas si Vanier les a eus en sa possession vers 1895. Leur manque pouvait être de nature à gâcher le beau projet d'édition fac-similaire. La difficulté a été presque (je dis bien "presque") remarquablement contournée.  Aux pages 76-77, nous avons droit à une reproduction fac-similaire des deux pages 94 et 95 de l'édition du poème "Dévotion" dans la plaquette de 1886 de la revue La Vogue, sans transcription en caractères imprimés en vis-à-vis, puisque les photographies donnent à lire un texte lui-même imprimé. Aux pages suivantes 78 et 79, nous avons sur le côté gauche une note de Bardel et Oriol et sur la page de droite le fac-similé de la page 100 de la plaquette de la revue Vogue consacrée à la transcription du poème "Démocratie".
Au plan de l'objet livre, le contournement de la difficulté est appréciable, mais, malheureusement, quelques bévues ont accompagné cette publication de reproductions de pages de la revue La Vogue.
Il n'y a aucune légende pour les photographies qui concernent "Dévotion". La légende qui concerne "Démocratie" précise ceci que la photographie vient du numéro 9 de la revue La Vogue du 21 juin 1886, ce qui est faux. Nous avons droit à des photographies tirées de la plaquette qui, dans l'absolu, n'est pas en tant que telle la publication originale. Il aurait fallu prendre ces photographies à partir du numéro 6 de la revue La Vogue qui n'a pas la même pagination. Notez, si vous ne voulez pas faire confiance, que vous avez une édition fac-similaire où vous passez des pages 94 et 95 de "Dévotion" à la page 100 de "Démocratie". Il n'y a bien sûr pas eu quatre pages blanches, pages 96 à 99, dans l'édition originale. Dans la plaquette, "Dévotion" et "Démocratie" sont séparés par les textes de "Soir historique" et "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,..." (lequel est un poème en vers), pages 96 et 97 pour l'un, pages 98 et 99 pour l'autre. "Démocratie" est le dernier poème de la plaquette qui vous le remarquez se termine à la page 100. Pourquoi Bardel et Oriol, avec le mépris qu'ils ont pour l'ordre de la plaquette, n'ont-ils pas publié des photographies de l'édition originale dans le numéro 9 de la revue La Vogue ? Tout simplement, ils déclarent que leurs photographies sont reprises au livre de Bouillane de Lacoste Rimbaud et le problème des "Illuminations" au Mercure de France en 1949. Ils n'ont même pas cherché à fournir des photographies nouvelles et personnelles en consultant un exemplaire du numéro 9 de la revue. La légende est erronée, il ne s'agit pas d'une photographie du numéro 9 de la revue pour la photographie de "Démocratie". La précision : "Format du manuscrit : inconnu[,]" montre aussi qu'il y a une maladresse de présentation. Les photographies de "Dévotion" n'ont aucune légende qui leur soit propre. Enfin, le renvoi au livre de Bouillane de Lacoste peut entraîner certaines confusions, puisque juste avant les trois photographies de la plaquette de La Vogue la photographie du manuscrit de "Bottom" et "H" vient déjà exclusivement du livre en question de Bouillane de Lacoste. Il est vrai que la note de Bardel et Oriol dissipent l'ambiguïté de la légende, puisqu'il est bien précisé que les photographies viennent par défaut de l'édition de la plaquette en octobre 1886 et non du numéro 9 de la revue La Vogue. Je considère tout de même que la légende induit en erreur et que la pagination de la plaquette sur les photographies fragilise la rigueur de l'édition fac-similaire.
Le problème était-il insurmontable ?
Pour cette édition fac-similaire, je déplore aussi l'absence systématique des versos demeurés vierges, malgré la compensation d'une reproduction en taille réduite de la transcription d'un paragraphe de "Enfance" I en introduction. Les versos pour les 24 pages et pour les manuscrits en-dehors de "Génie" publiés par Vanier peuvent être consultés sur le site Gallica de la BNF.
Je déplore bien évidemment l'absence de reproductions photographiques de tous les poèmes en vers "nouvelle manière" publiés parallèlement aux poèmes en prose.
Je déplore aussi l'absence de reproductions photographiques plus poussées de pages des numéros 5 à 9 de la revue La Vogue.
Cela ruine en grande partie l'intérêt scientifique que prétend avoir cette édition fac-similaire. Nous avons seulement droit dans l'introduction à une photographie en miniature d'une page de couverture de la revue La Vogue, pas même une page avec le début de transcription et la mention du titre avec article, ce qui, pourtant, aurait participé de la fierté de cette publication à rétablir l'article. Nous n'avons même pas une photographie de la page finale des transcriptions dans le numéro 5 avec la mention "ARTHUR RIMBAUD" à la suite du texte intitulé "Ornières" !
L'accroche sur la quatrième de couverture annonçait fièrement : "La réponse est là". C'est faux, l'ouvrage est incomplet et ne permet à aucun des lecteurs qui s'en contentera de se faire une idée exacte et juste des indices manuscrits.
Il manque tout un appareil critique également à cet ouvrage.
Il faut se reporter pour cela à la préface de Steve Murphy et à deux doubles pages d'introduction. Or, il y a plein de problèmes qui sont passés sous silence. L'articulet sur deux pages "Les Illuminations à l’œuvre" contient des montages de photographies des manuscrits avec des tailles réduites, ce qui au passage diminue la part du texte d'analyse. Mais ces photographies sont légitimes et capitales même. Plusieurs feuillets ont été découpés pour devenir des feuillets autonomes. Les montages nous représentent visuellement le cas des transcriptions de "Fairy" et "Veillées" I et II, de "Génie" et "Dimanche", de "Promontoire" et "Guerre". Mais, il aurait été intéressant de préciser que face à ces trois feuillets découpés, nous avons deux autres manuscrits au moins qui semblent avoir fait les frais d'un découpage. Le manuscrit de "Après le Déluge" a lui aussi été découpé. La partie découpée a-t-elle été jetée par Rimbaud ? Mais pourquoi l'avoir découpée en ce cas ? Ou a-t-elle perdue ? Par Rimbaud lui-même ? Par une personnage dépositaire des manuscrits ? Par la revue La Vogue ? Par Vanier ? Le manuscrit paginé 12 a lui aussi été découpé et pour sa part ce serait à la fois sur sa partie supérieure et sa partie inférieure.
Mais, en regard des trois montages illustrant les découpages, le discours de Bardel et d'Oriol est à nouveau tendancieux. Pour trois découpages, on a droit à l'affirmation que cela prouve qu'il n'y a pas d'inachèvement du projet de recueil. Le verre est à moitié vide, à moitié plein, il est à moitié plein, donc il est plein. Où est la logique là-dedans ? Admirez cette autre phrase : "Dès 1875, Verlaine précise que les manuscrits étaient préparés 'pour être imprimés' ". La mention verbale "préparés" est en-dehors de la citation verlainienne : "pour être imprimés", donc ce qui est dit est faux. Rien ne dit que le dossier était fin prêt quand il a été remis entre les mains de Verlaine. Et, de toute façon, ce qui nous est parvenu est tellement peu un dossier prêt à l'impression que jamais personne ne l'a perçu comme tel, à l'exception de Bardel et Oriol. Même Murphy rechigne à affirmer cela des manuscrits non paginés, et même Bardel n'est pas constant dans cette affirmation. C'est justement ce problème d'inachèvement patent qui explique tous les débats actuels sur l'unité éventuelle du recueil, sur l'ordre de défilement des poèmes à adopter.
Nous ne savons même pas si nous avons récupéré tous les poèmes, si à part désormais pour "Dévotion" et "Démocratie" tous les manuscrits nous sont parvenus.
Bardel ne prend même pas la peine d'étayer l'idée que Rimbaud ait lui-même découpé les feuillets manuscrits, ait lui-même collé ensemble les deux parties de la transcription de "Génie". Tout est toujours évident d'avance pour lui sans que nous ayons à nous interroger. C'est vraisemblable, tout particulièrement de "Veillées" I et II, sauf qu'on procède comme si tout allait de soi, sans vérification, sans recul d'un instant pour être bien sûr de ses affirmations.
Et on retrouve le grand problème de la pétition de principe que rien ne justifie à propos du feuillet paginé 18 à l'encre contenant "Veillées" I et II, puisque Bardel affirme encore une fois ceci : "il remplace le feuillet 18 des vingt-quatre premiers feuillets déjà numérotés par ce bandeau auquel il attribue, directement à l'encre et dans un style inhabituel, le même numéro."
Bardel ne peut pas écrire cela, puisqu'il sait pertinemment, pour avoir référencé de tels articles, que des rimbaldiens comme Guyaux, moi-même David Ducoffre et Jacques Bienvenu ont contesté que nécessairement il y ait eu un feuillet 18 antérieur que celui qui nous est parvenu aurait remplacé et cette remarque vaut pour le feuillet 12. Et Bardel contourne une contestation imparable. Puisque Rimbaud a remplacé un feuillet initial pour créer la série "Veillées" en trois poèmes, que contenait le feuillet 18 initial ? Pourquoi a-t-il disparu ? Dans l'hypothèse d'un feuillet 18 initial, le feuillet 19 contenait bien le poème intitulé au singulier "Veillée". Si le feuillet initial avait contenu les mêmes textes, il suffisait de remanier le titre du feuillet 19 ou éventuellement de remanier les titres des feuillets 18 et 19. Bardel fait l'impasse sur un problème logique béant dans la thèse de Murphy qu'il défend. Rimbaud aurait remplacé des textes antérieurs d'un recueil paginé pour créer la suite "Veillées" au détriment donc de l'ordonnancement initial des 24 pages et comme le manuscrit originel supposé était nécessairement autonome dans cette forme d'analyse nous savons qu'aucun feuillet correspondant ne se retrouve au-delà des 24 pages, ni des pages 19 à 24. Ce problème vaut aussi pour le feuillet paginé 12.
Bardel et Murphy ne veulent pas croire à une pagination par à-coups de la part de la revue La Vogue avec une pagination des manuscrits d'un format différent directement à l'encre 12 et 18 par opposition au reste de la pagination au crayon. Bardel et Murphy mettent en avant une opinion, un traitement subjectif de l'information et ça pose un énorme d'approche scientifique des manuscrits.
Et vu le peu de textes de cette édition qui prétend apporter une réponse, on se retrouve donc avec une réponse non pas scientifique, mais de l'ordre de l'opinion flanquée d’œillères.
Bardel a beau être sincère. Il sait qu'on conteste son affirmation et de fait son affirmation n'est pas rigoureuse, il ne procède pas de manière scientifique.
Pour "Guerre", Bardel affirme que le chiffre romain II est de la main de Rimbaud. C'est possible et c'est assez cohérent avec ce qui ressort des manuscrits qui nous sont parvenus, mais ce n'est pas prouvé. Il manque une expertise que personne n'a jamais menée complètement à ce sujet.
Pour "Jeunesse" et le chiffre "IV" qui l'accompagne, Bardel ne précise pas si cela est écrit au crayon ou à l'encre, et si c'est à l'encre si c'est ou non dans la continuité des transcriptions de "Dimanche". Et il ne met pas cela en relation avec la mention au crayon du mot "Veillées" au pluriel à côté du poème "IV" de donc cette série "Jeunesse" flanquée de son propre chiffre romain "IV". Il y a pourtant le fac-similé de "Tu en es encore à la tentation d'Antoine..." dans ce volume. On aimerait bien avoir une explication.
Et c'est là qu'il faut entrer dans une autre considération critique capitale. Dans les deux pages d'avant-propos intitulés "Sur cette édition", les auteurs avertissent que leur ouvrage ne remplace pas les éditions du recueil et qu'il faut se reporter aux éditions habituelles pour des remarques sur "variantes, surcharges, ratures", etc. Les auteurs s'excusent en déclarant qu'il "n'était pas possible, dans le cadre restreint de cet album, de justifier de façon détaillée les choix effectués dans l'établissement des textes." Pourtant, à côté des photographies fac-similaires, il y a bien eu un établissement des textes en vis-à-vis. Et surtout il y a eu dans cet établissement des textes une prise en considération d'éléments considérés comme allographes. Pour "Après le Déluge", sur le manuscrit en regard, vous avez une attaque de texte "Aussitôt que..." et un passage biffé à l'encre, mais Bardel a fourni la transcription "Aussitôt après que..." On comprend que le mot biffé était "après", ce qui peut se deviner mieux en consultant l'agrandissement photographique du manuscrit à la page 12, sauf qu'il reste à justifier pourquoi Bardel rétablit la mention biffée "après". Il passe sont temps à nous expliquer que quasi tout est de Rimbaud sur les manuscrits : la pagination en 24 pages, les découpages, le collage pour "Génie", les traits de séparation, et puis sur quelque chose d'aussi important que l'établissement du texte du poème lui-même il fait comme s'il était évident que le mot biffé ne l'a pas été par Rimbaud, alors même que la mention ajouté au-dessus de la ligne "après" prouve que Rimbaud a pris en considération la leçon "Aussitôt que..." Il a pu ajouter la mention "après", puis finalement y renoncer et biffer le mot. Qu'est-ce qui dans l'enquête graphologique justifie de considérer que le mot "après" a été abusivement biffé par la revue La Vogue ?
Bardel ne justifie pas ce choix, il s'en excuse dans l'avant-propos, mais ce n'est pas légitime. L'objet même de son ouvrage est de militer pour dire que Rimbaud a organisé un recueil : par conséquent, Bardel doit préciser auprès de ses lecteurs que le débat sur les interventions allographes concernent aussi l'établissement du texte des poèmes. Les poèmes sont aussi importants en soi que l'ordre dans un recueil. Bardel corrige d'autorité le texte, à rebours de l'idée selon laquelle Rimbaud a fait des interventions pour préparer un recueil et pas un ensemble aléatoire. Le problème est béant ! Prenez le cas de "Vies". Bardel offre la transcription : "la main de la campagne sur mon épaule", alors que sur le manuscrit la mention "la main de la campagne sur mon épaule" est flanquée d'une correction au crayon, le premier "a" de "campagne" étant changé en "o"'. Bardel ne signale pas ce fait du manuscrit, ignore cette correction, ne précise pas que le "o" est transcrit au crayon, alors qu'une prétention de son ouvrage fac-similaire consiste à fournir des contrastes jusqu'aux couleurs pour qu'on puisse étudier minutieusement au mieux les indices manuscrits. Et comme Bardel attribue en général toutes les mentions au crayon des manuscrits à Rimbaud ; pagination, titre "Jeunesse" ou chiffres romains "I" et "IV", etc., pourquoi ne dit-il rien de la mention "Arthur Rimbaud" au crayon à la page 9, de la mention "Veillées" pour "Tu en es encore à la tentation d'Antoine..." et pourquoi pense-t-il que de temps en temps comme avec ce "o" sur le mot initial "campagne" l'intervention est nécessairement allographe ?
Bardel suit des traditions en présupposant qu'ils ne sont jamais trompés. L'habitude a force de loi.
Notons que le livre fac-similaire a d'autres défauts. Avec aussi peu de textes écrits par leurs auteurs, Bardel et Oriol, on est surpris par le nombre de coquilles, en particulier pour les deux pages intitulées "Sur cette édition". Je cite des exemples : "Les composants chimiques rajoutés pour fabriquer la couche du papier comportaient peu d'un azurant optique utilisé de nos jours pour le blanchir." On ne peut pas avoir dans la même "comportaient peu" et "utilisé de nos jours" à propos du même élément. Sur cette même page 13, sur la colonne de droite cette fois, Bardel énumère l'ordre suivi pour la transcription des poèmes, sauf qu'il oublie de mentionner les autres poèmes en prose que "Dévotion" et "Démocratie" des numéros 8 et 9 de la revue La Vogue. Au bas de cette colonne de droite de la page 13, nous avons un passage confus avec des groupes nominaux maladroitement coincés entre deux points :
 
   Le travail de transcription obéit à quatre règles. Le respect absolu de la ponctuation fantasque de Rimbaud, comme l'absence de points en fin de certaines phrases. La correction de nombreuses fautes d'orthographe caractérisées. Le respect des écarts orthographiques pouvant s'expliquer par l'usage de l'époque ainsi que par la recherche d'archaïsmes, de latinismes et d'anglicismes. Enfin, à l'adaptation à certaines normes contemporaines, l'accentuation de majuscules par exemple.
 
On ne comprend pas clairement l'articulation entre elles des deux "règles" contradictoires  de correction de l'orthographe et de non correction de l'orthographe, et vu que les fantaisies de la ponctuation sont conservées on ne comprend pas comment on peut en parallèle corriger l'orthographe de toute façon.
Bardel parle alors de quelques cas plus complexes pour l'établissement du texte : "Nocturne vulgaire" et "Jeunesse II Sonnet". Nous n'en traiterons pas dans le présent article. Je le ferai dans une étude des manuscrits en question.
Je ferai un sort à la préface de Steve Murphy et à sa bibliographie dans un article à part, vu que l'heure tourne et que le présent article est déjà pas mal conséquent. J'en profiterai alors pour étudier aussi la qualité des reproductions photographiques, sans quoi le compte rendu ne serait pas complet. A bientôt pour la deuxième partie !

lundi 22 décembre 2025

"Les filets de séparation" : coupable, mon général !

"Ah ! lire des articles du blog Enluminures (painted plates) au coin du feu pendant les vacances de Noël : je n'ai même pas eu le temps de lire le précédent article intrigant à propos de "Voyelles" et "Entends comme brame..." que voici déjà un autre article, celui annoncé sur les traits de séparation dans une série d'actualité consacrée aux manuscrits de Rimbaud !"
Voilà sans doute ce que vous vous dites en vous-même en attaquant la lecture du texte ci-dessous ! 
 
 
Il y a quelques mois, Alain Bardel a mis en ligne sur son blog un article intitulé "Sur les traits de séparation dans le manuscrit des Illuminations", article qu'il a daté tout en bas de la page internet du "26/04/2025".
L'étude est coiffée de ce que j'appellerai un chapeau, puisque nous avons le contraste d'une écriture oh ! bleu-violet pour le premier paragraphe, même si ça n'a pas l'air de convenir, puisque c'est simplement le paragraphe d'introduction. Bardel invite le lecteur à consulter le tableau fournis dans le présent article.et il annonce avec emphase l'importance de son sujet "les traits de séparation" comme l'indique le titre en nous tançant quelque peu : les traits de séparation "sont là autant d'indices et de traces du travail effectué par Rimbaud pour organiser son recueil, et autant d'énigmes que nous serions coupables de ne pas interroger."
Je ne sais pas ce que ça va m'apporter d'étudier ces filets de séparation, mais, pris de peur, je m'exécute.
J'observe tout de même que le paragraphe d'introduction de Bardel est assez confus. La première phrase donne la réponse à tout l'article : ces traits sont "employés à la séparation des poèmes". Et pourtant, Bardel dit dans la foulée que "leur fonction n'est pas toujours claire", qu'on ne comprend pas pourquoi certains sont biffés ou ont l'air de l'être.
Le paragraphe d'introduction n'est pas bien rédigé, mais l'idée c'est qu'il y aurait quelque chose de plus à découvrir.
J'avoue n'avoir jamais fait attention au fait qu'André Guyaux dans son édition des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud ait reporté ces traits de séparation. Je ne consulte son édition que pour les commentaires, notes, je préfère lire les poésies de Rimbaud dans mes diverses éditions courantes. Dans cet article, Bardel ne mentionne pas ce fait, mais il en fait état sur d'autres pages de son site consacrées aux Illuminations, notamment dans l'article "La FAQ des Illuminations" de 2019, et il faut ajouter que dans son article de 2001 qui sert de référence ultime à Bardel, article du numéro 1 de la revue Histoires littéraires, Steve Murphy n'a pas parlé que de la pagination des manuscrits. Il faudrait aussi se reporter au livre Poétique du fragment d'André Guyaux. Bardel ne fait que rendre compte de travaux antérieurs, notamment de la part de Guyaux et Murphy, et l'idée est de trouver un nouvel axe pour justifier l'ordre canonisé des poèmes en prose dans le cas des Illuminations, vu que la pagination ça n'a pas suffi. La conviction de Bardel est moins tributaire de l'idée d'une pagination autographe que d'une constellation d'indices de remaniements et remords de plume sur les manuscrits en question, et les "traits de séparation" offrent un cas d'analyse transversale tout comme forcément la pagination.
Il est donc question de revenir là-dessus pour moi en interrogeant la fiabilité ou validité de la nébuleuse des arguments qui alimente la conviction de gens comme Steve Murphy et Alain Bardel.
Pour la pagination, leur raisonnement est tombé, à cause de deux arguments de plomb. De fait, le repassage à l'encre jusqu'à la page 9 coïncide avec le projet initial de la revue La Vogue de publier les neuf premiers feuillets paginés au crayon, et la mention au crayon "Arthur Rimbaud" montre que l'emploi du crayon est imputable à la revue La Vogue et ce constat vient rejoindre le constat que formulait déjà Guyaux dans Poétique du fragment : les vingt-quatre pages coïncident avec la publication des Illuminations dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue, et il faut ajouter que le feuillet 15 porte les indices manuscrits d'une reprise de la publication dans le numéro 6. Murphy et Bardel se fondent sur un argument psychologique qui n'a aucune valeur : puisque les feuillets 12 et 8 ont une pagination à l'encre qui ne repasse pas sur une pagination au crayon, c'est que les manuscrits en question ont remplacé des pages 12 et 18 antérieures. C'est ce que dit en toutes lettres Bardel dans sa "FAQ des Illuminations", je cite ce qu'il dit à la suite des fac-similés qu'il fournit des pages 18 et 19 du dossier manuscrit : "Quelqu'un a visiblement ôté les deux feuillets précédemment numérotés 12 et 18, dans le style original, pour y substituer ces nouveaux feuillets d'allure atypique." Là, il y a un problème de compétence scientifique, puisque Murphy et Bardel enferment le débat dans ce qui est clairement un préjugé. Ils sont convaincus que forcément il y a eu une suite paginée avec une présentation homogène des chiffres, de 1 à 24. Et ils sont convaincus qu'il y avait des feuillets paginés 12 et 18 qui ont été supprimés, feuillets qui dans leur théorie ne contenaient pas les textes actuels des pages 12 et 18, à savoir cinq poèmes courts et "Veillées" I et II, puisque ce serait pour fabriquer les séries que les manuscrits auraient été remplacés ! On se demande alors où sont passés les textes initiaux et même, plus encore, pourquoi nous n'avons pas parmi les feuillets non paginés des transcriptions sur un papier de même format que la plupart de la série paginée ! Puisqu'ils auraient été remplacés pour confectionner la série. Le raisonnement de Murphy et Bardel fait bon compte de l'importance de l'organisation en recueil, puisque les poèmes sont dégagés de l'ensemble ordonné, alors que Rimbaud aurait pu remanier une pagination qui était encore au crayon, il aurait pu décaler la pagination à deux reprises à partir des feuillets 13 et 19. Ajoutons que selon cette thèse de feuillets retirés les feuillets hypothétiques originaux étaient autonomes. Or, au-delà du feuillet paginé 18 à l'encre, nous avons des feuillets avec des enchaînement de transcription. Il y a deux feuillets pour "Angoisse", "Métropolitain" et "Barbare", tandis qu'il y a trois feuillets pour "Veillée" devenu III, "Mystique", "Aube" et "Fleurs" sachant que ce groupe fait partie du remaniement avec "Veillée" devenu "III". Donc, je répète ma question : où sont passés les manuscrits initialement paginés 12 et 18 ? Visiblement, comme dit Bardel, c'est la thèse des manuscrits remplacés qui ne tient pas face à l'analyse des faits.
La seule partie paginée qui a des chances d'être partiellement ou intégralement autographe, c'est l'ensemble des manuscrits de poèmes en prose que Vanier a publié en 1895, mais il reste des points d'achoppement. Notez qu'il y a six manuscrits et que cinq seulement sont paginés en chiffres romains. Plus précisément, dans le cas des poèmes publiés par Vanier, sur les manuscrits, ce sont les titres de poèmes ou le titre d'une série de poèmes qui sont numéotés  I Fairy, II Guerre, III Génie, IV Jeunesse avec I Dimanche, le manuscrit II, III et IV n'est pas paginé, et le manuscrit de "Solde'" offre enfin la mention V. Et pour l'instant, je me pose encore des questions sur les manuscrits supports de publications originales de la part de Vanier. 
Les poèmes en vers comme en prose publiés dans les numéros 7, 8 et 9 de la revue La Vogue ont été paginés en fonction de leur ordre de défilement dans la revue, avec le cas à part du manuscrit de "Promontoire" qui n'est pas paginé parce que remplacé par une copie allographe sur deux pages. Il y a peut-être une exception de pagination dans le cas de "Bottom" et "H".
Telle est la situation. La pagination des feuillets (non des poèmes) est même exclusive à la revue La Vogue, les manuscrits publiés par Vanier ne sont pas concernés !
Quant au respect des manuscrits que prétendent dresser les tenants de la pagination autographe, cela nous fait bien rigoler. Rimbaud était encore vivant en 1886, les poèmes sont publiés à son insu, et les éditeurs ne considéraient pas Rimbaud comme mort à l'époque. Les protes ont écrit sur les manuscrits qui ne leur appartenaient pas. Même les tenants de la pagination autographe tiennent des corrections pour allographe, la préposition "après" biffée au début de "Après le Déluge" : "Aussitôt après que l'idée du Déluge..." ou le "a" de "campagne" repassé en "o" pour donner "la main de la compagne" plus compréhensible que "la main de la campagne". Des manuscrits ont été vendus à des collectionneurs. Que faisait le manuscrit de "Promontoire" entre les mains du docteur Guelliot ?
Il n'y avait aucun respect des manuscrits. Ceux de "Dévotion" et "Démocratie" ont purement et simplement disparu, ainsi que ceux de "Paris se repeuple" et tous ceux utilisés par Verlaine pour l'article "Arthur Rimbaud" des Poètes maudits en 1883-1884.
C'est ça qu'il s'est passé, alors les histoires de respect...
Dans les premières éditions, Paterne Berrichon prenait l'initiative de modifier les poèmes ou les écrits de l'artiste, et pas forcément parce qu'il y avait une lacune qu'il était nécessaire de combler.
Ils ont fait ça comme des chacals, c'est ça la vérité !
Reprenons maintenant avec le cas des "filets de séparation".
Dans son article, Bardel fournit une légende à son tableau, puis le tableau récapitulatif lui-même qui est distribué en trois colonnes, sauf que dans son commentaire en quelques points Bardel me semble assez expéditif quant à la lecture des données du tableau.
On va y revenir.
En gros, il y a un contraste entre la série de 24 pages et les autres manuscrits. Dans la série de 24 pages, en général, Rimbaud ne biffe pas les traits de séparation et surtout il n'y recourt pas systématiquement. Les traits de séparation à la fin d'un poème sont plus nombreux dans le cas des manuscrits dits "non numérotés", ce qui est inexact au sens strict, puisqu'il y a d'autres paginations ou le repère des chiffres romains, et surtout les traits de séparation sont souvent biffés dans leur cas.
Bardel envisage la réponse, mais la noie dans les raisonnements. La suite homogène relève d'une transcription tardive qui s'est faite si pas d'une traite en un seul projet de recopiages des poèmes, et cela en février 1875 à peu près quand Nouveau était à Charleville, Bardel adhérant à raison à la thèse de Bienvenu sur le sujet. Mais Bardel n'en tire pas vraiment les conséquences. Il va considérer que sur les manuscrits plus anciens Rimbaud mettait des filets de séparation pour séparer chaque poème, ce qui va de soi, qu'il les a biffés pour les invalider, ce qui cette fois ne va pas de soi, et puis sur la série homogène il ne les aurait pas mis systématiquement parce qu'ils auraient une autre fonction.
Je pense différemment le problème de contraste du traitement.
Prenons les manuscrits au-delà des 24 pages. Plusieurs feuillets ne comportent la transcription que d'un seul poème : "Scènes", "Soir historique", "Mouvement" et "Solde". Il n'y a pas de trait de séparation dans le cas de "Soir historique", tandis que le trait de séparation de "Scènes" n'est pas biffé. Il est simplement repassé par deux lignes courbes qui ne correspondent pas à l'acte de biffer, et qui, même si on voulait le croire, ne correspondent pas aux traits de séparation biffés par de multiples petits traits verticaux pour "Mouvement", "Bottom", "H", "Solde", etc.
Donc, on a une variété de cas : une dominante des traits biffés avec "Mouvement" et "Solde", un cas de poème sans trait de séparation "Soir historique" et un poème avec un trait de séparation maintenu mais sentant le cafouillage : "Scènes".
 
 
La conclusion est qu'il n'y a pas une unité de conception sur cette liasse de manuscrits considérés comme plus anciens que la série homogène.
Or, sur la partie homogène, il y a un cas de poème transcrit sur un feuillet qui lui est exclusif dont le papier ne correspond pas à la série homogène qui est "Après le Déluge". "Après le Déluge" rejoint les cas de "Scènes" avec pour spécificité une ligne continue en bas de manuscrit (bizarrement, on croit voir des lignes du même type en plein sur le texte un peu plus hauts sur le fac-similé).
Au plan philologique, on ne peut pas traiter purement et simplement le manuscrit de "Après le Déluge" comme faisant partie de la série homogène.
"Après le Déluge" rejoint de toute façon le cas des poèmes où il y a simplement un trait de séparation à la fin d'une transcription de poème. Il n'y a pas là de quoi casser trois pattes à un canard.
Par ailleurs, pour être exhaustif, on peut rapidement jeter un oeil sur les cas dans la série homogène où un poème est publié seul sur un unique feuillet. Le cas est unique, c'est celui de "Parade" et son manuscrit ne comporte aucun trait de séparation, ni avant ni après le poème !
C'est d'ailleurs un fait remarquable que dans la série homogène "Parade" soit le seul poème à avoir son propre feuillet unique pour la transcription. Et dans la série de 24 pages, il n'est rejoint que par "Après le Déluge".
Passons maintenant aux cas des manuscrits où plusieurs poèmes sont reportés ensemble, mais sur un unique feuillet.
Là encore, les textes au-delà de la suite homogène se distinguent. Nous savons que "Promontoire" et "Guerre" étaient transcrits sur un seul feuillet avant même que le feuillet ne soit découpé. C'est pour cela que je n'ai pas fait figurer "Promontoire" dans l'ensemble ci-dessus avec "Mouvement", "Après le Déluge", etc. Et ici, il s'ouvre un sujet de réflexion intéressant. En découpant certains feuillets qui contenaient deux transcriptions de poèmes, Rimbaud recréait le principe d'unicité : un feuillet par poème, celui-là même qu'il applique dans le cas des manuscrits de poèmes en vers "nouvelle manière" dont les manuscrits sont plus anciens et d'ailleurs souvent déchirés (qu'on pense aux parties perdues de "Juillet" : "Je sais que c'est toi, [P...]" et "Nous sommes tes grands-parents..." : "Et mourrai [...]ent / Puis que je s[...]ent"). Ce principe d'unicité concerne plusieurs poèmes de l'au-delà des 24 pages, et cela inclut les poèmes découpés "Fairy", "Guerre", "Génie", "Promontoire", "Jeunesse I Dimanche". On ne saura peut-être jamais ce qu'il en est pour "Démocratie" et "Dévotion", un ou deux manuscrits, encore que la pagination des poèmes en vers pour les poèmes publiés dans la revue La Vogue pourrait apporter une réponse. Je crois identifier un "9" sur le coin supérieur gauche du manuscrit de "Ô saisons ! ô châteaux !" Et la version sans titre de "La rivière de cassis..." est paginée 10 !
 
 
 Attention, dans le même catalogue, le manuscrit de "Larme" provient de Forain et Millanvoye. J'ignore où consulter le manuscrit sans titre de "Larme" qui devrait comporter la pagination 8. Il y aurait un ensemble de sept pages à identifier auparavant, ce qui ne convient pas, puisque "Mouvement" et "Bottom/H" tiennent sur deux manuscrits distincts. Il n'est pas possible de croire que "Démocratie" et "Dévotion" s'étalaient sur cinq pages, même en imaginant un manuscrit allographe étalé sur deux pages pour l'un comme pour l'autre poème. En clair, où cette pagination vient de la revue La Vogue et les poèmes paginés qui correspondraient à cet ensemble seraient à identifier parmi ceux qui ont fini entre les mains de Vanier, à moins de disparitions pures et simples, ou la pagination concerne bien des poèmes qui ont fini entre les mains de Vanier, mais la pagination serait tardive et indépendante de la publication originale.
J'avoue ne pas connaître la pagination complète, je vais voir si je peux y remédier ou si les rimbaldiens ont déjà reconstitué cette série.
Pour l'instant, on va se contenter de l'étude des traits de séparation.
Il y a d'abord le cas de "Fairy". Dans son cas, le papier semble avoir été découpé avant la transcription des poèmes "Veillées I et II". De toute façon, par rapport au papier originel, "Veillées I et II" ont une transcription couchée par rapport à "Fairy", le papier a été tourné à 90 degrés, le bas du papier devenant la hauteur pour la transcription de "Veillées I et II", passage de l'horizontal au vertical pour ce rebord du papier utilisé. "Fairy" devrait rejoindre le cas des poèmes où un papier comportait un seul poème en entier. C'était le cas avant le découpage. Or, "Fairy" est suivi d'un trait de séparation biffé. Quant à "Veillées I et II", chaque texte, le "I" comme le "II" est suivi d'un trait de séparation non biffé, sujet sur lequel nous reviendrons plus loin.
"Bottom" et "H" sont tous les deux suivis d'un trait de séparation et à chaque fois ils ont été biffés par des traits verticaux. Pour "Promontoire" et "Guerre", conséquence du découpage du feuillet, les  deux traits de séparation non biffés encadrent la transcription du seul poème "Guerre". Les filets de séparation sont faits par des lignes courbes instables, ce qui nous rapproche un peu du cas de "Scènes".
Pour "Génie" et "Dimanche", là aussi le trait de séparation du texte supérieur, "Génie" cette fois après "Promontoire" a fini sur la limite supérieure du poème suivant "Dimanche", mais "Dimanche" a aussi son trait de séparation et lui est biffé. A noter que le trait de séparation était long après "Génie", mais court après "Dimanche".
Il ne reste alors qu'un cas particulier, celui avec les chiffres romains II, III et IV qui est devenu la suite de la série "Jeunesse" commencée par "Dimanche". Remarquez l'importance de telles précisions, puisque la transcription du manuscrit avec les chiffres II, III et IV serait postérieure au remaniement du manuscrit sur papier bleu ! En tous cas, la numérotation en chiffres romains.
Et le manuscrit est le lieu de plusieurs anomalies : la partie IV n'a pas de titre autonome contrairement à I, II et III dans l'optique de la série "Jeunesse", sauf à considérer que "Veillée" au crayon est de la main de celui qui a écrit au crayon "IV" et "Jeunesse" sur le papier bleu avec la transcription de "Dimanche"... Ce qui pose la question d'une éventuelle invention allographe de la série "Jeunesse".
En tous cas, sur le manuscrit II, III et IV, il y a un trait de séparation long biffé après le "II", aucun trait de séparation après le "III" et un trait de séparation concis non biffé après le texte "IV".
Quelle peut bien être la cohérence propre à ce manuscrit ?
 
 
Le trait de séparation qui a été biffé était assez long et il était à l'intérieur d'un regroupement de poèmes qu'atteste au minimum sur ce seul feuillet les chiffres II, III et IV. Rimbaud a donné des titres à deux des poèmes de ce manuscrit : "Sonnet" et "Vingt ans". Le titre "Sonnet" a probablement été inventé après la transcription du texte lui-même, après le constat que la transcription tenait sur quatorze lignes avec des rimes involontaires pour les premières lignes de la transcription. Par exception, ce titre qui du coup correspond à une "private joke" incongrue est soulignée deux fois à l'encre par un trait court. A l'évidence, Rimbaud lui-même a souligné ce titre, signe qu'il avait conscience que son titre était une invention accidentelle inhabituelle. Mais l'idée était séduisante et ouvrait des perspectives. Ce qui m'intéresse ici, c'est l'idée que le chiffre romain a dû être reporté dans un troisième temps. A l'inverse de l'ordre du manuscrit, Rimbaud a d'abord copié le texte, puis il a reporté le titre "Sonnet" au-dessus du texte, puis il a encore reporté un peu plus tard le chiffre II au-dessus du titre. Pour le trait de séparation qui fait tout le poème, il a pu être reporté immédiatement après la transcription du seul texte, éventuellement après le report du titre "Sonnet", mais pas après la mention du chiffre II. Ce qui permet de le penser, c'est que le titre "Vingt ans" est parfaitement centré par rapport à la transcription du poème suivant : "Vingt ans" donc, tandis que le "III" au-dessus du titre "Vingt ans" est à la fois au-dessus du filet de séparation, ce qui invitait à le biffer, et le "III" est un peu déporté, même pas dans l'alignement du "II" et du "IV", mais à cause du trait de séparation biffé pour éviter d'être sur un trait verttical ou sur la courbe qui débordait au centre du trait de séparation initial.
La transcription de "Vingt ans" est assez homogène avec une écriture qui a un faux-air de "à la manière de Léon Valade", je dis bien un "faux air". Rimbaud n'a pas eu à supprimer de trait de séparation après "Vingt ans" puisqu'il ne l'a pas écrit. Fait étrange, le texte bien isolé par un espace "Tu en es encore..." n' pas de titre propre. Il est précédé du chiffre IV sans qu'on ne puisse dire avec évidence s'il a été transcrit avant le texte ou après.e poème est suivi d'un trait de séparation bref non biffé et on peut penser que l'idée c'est que avec la constitution d'une série, il était normal de supprimer les traits de séparation après "I" ou "II", et d'en maintenir un pour signifier la fin de la série. Et comme il s'agit d'une création de série comme pour "Enfance" et "Vies", Rimbaud a pu éviter de le biffer, puisqu'il dispensait de chercher un "V" sur un autre manuscrit par exemple. Mais cela n'est qu'hypothèse psychologisante.
Le titre au crayon "Veillées" est-il réellement allographe ? Pourrait-il être de la main de Germain Nouveau ? Ne peut-on pas le comparer pour son "es" final à ce qui suit la partie biffée du manuscrit autographe de "Promontoire" ? Le "V" est quasi en caractère d'imprimerie et ne peut-on pas le comparer aux trois titres "Villes", "Villes", "Villes", au titre biffé au singulier "Veillée" et au titre au pluriel du feuillet 18 "Veillées". Pourquoi est-il considéré allographe alors que "Jeunesse" et "IV" sont considérés comme autographes ? Notons également que ce manuscrit contient un mot souligné à imprimer en italique "Homme" au début de "II Sonnet", sachant qu'il y a plusieurs mots soulignés à imprimer en italique dans le cas de "Génie", poème dont la transcription est liée à celle de "Dimanche" devenu "Jeunesse I". On tient peut-être l'exception de deux écritures au crayon par Rimbaud lui-même sur les manuscrits, ou alors il faut s'inquiéter de ces mentions au crayon et penser que la série "Jeunesse" jusqu'à son titre n'a pas été inventée par Rimbaud.
En tous cas, il n'y a aucune harmonisation systématique des traits de séparation sur la série de manuscrits au-delà de la pagination en 24 pages. Les traits de séparation sont pensés poème par poème et ne correspondant jamais qu'à des délimitations des fins des transcription. Rimbaud n'a pas biffé systématiquement ces traits de séparation, et les cas de "Bottom" et "H" sur un même manuscrit ou de "Solde", etc., nous montrent que les traits ont été biffés de manière dérisoire, puisque biffés ou non cela ne changeait rien aux délimitations des poèmes. Peut-être ont-ils été partiellement biffés dans la mesure où Rimbaud reportait les titres après les transcriptions des textes, mais l'étude de variation de l'encre ne permettra pas de constater un report des titres à la fin par une étude transversale des manuscrits. Le cas a l'air bien plus nuancé que ça. Je plaide donc coupable de ne pas m'intéresser aux traits de séparation biffés. On peut les étudier au cas par cas et constater que dans le cas de la série II, III et IV il était justifié de supprimer le trait après "II Sonnet". Tout cela n'aboutira pas à un système intéressant où se représenter la nécessité globale pour Rimbaud de les mettre puis de les supprimer. C'est comme les minuscules en tête des vers de six manuscrits, cela n'engage à rien. C'est du "peanuts" au plan des indices manuscrits.
Il reste alors le cas de la série paginée. J'ai déjà fait un sort à "Après le Déluge", je ne peux pas parler des traits de séparation pour le feuillet paginé 12, même si les trois croix font office de traits séparateurs. J'ai déjà parlé des traits de séparation conservés pour "Veillées I et II" et du contraste d'emploi avec "Enfance" et "Vies" comme avec la série "Jeunesse", vu le trait biffé après "Sonnet II".
Il reste alors le cas du manuscrit paginé 21 et 22 avec un cas unique de transcription au recto et au verso d'un feuillet manuscrit.
Mais avant d'en parler, évoquons les conclusions que Bardel a tiré pour sa part. Il distribue cela dans un texte intitulé "Quelques conclusions et hypothèses" divisé en quatre points.
Le point 1) affirme ceci à propos des traits de séparation biffés : "La régularité des traits de séparation biffés, en fin de poème, suggère qu'ils ont fait partie d'un système consistant à marquer d'un trait la transition d'un texte à un autre." L'ajout des titres a rendu cet artifice inutile si on peut dire. En réalité, les traits n'ont pas été biffés systématiquement, et il y a un cas où le trait est supprimé pour créer une série, le cas en-dessous de "II Sonnet". En revanche, pour la série "Veillées I et II", Rimbaud a dérogé à son principe, puisqu'il a maintenu le trait après "Veillées I".
Est-ce que nous apprenons des choses intéressantes ? Non. Est-ce qu'on peut créditer Murphy et Bardel de nous apprendre quelque chose avec leur mise au point ? Non.
L'idée de Bardel, c'est qu'en revanche on aura le cas insolite de traits de séparation au-dessus de poèmes dans la suite paginée. On verra ça plus tard.
Le point 2) est lié au premier puisque Bardel l'introduit avec une idée de conséquence : "Tout prouve donc..." Ce qui est prouvé, c'est le contraste entre l'emploi de ces traits dans la série homogène et sur les divers autres manuscrits. La série homogène est tardive et à part. Mais, derrière ces vérités de La Palice toutes prouvées, Bardel fait une hypothèse qu'il lie à son sentiment d'évidence, et qu'il lie indûment. Puisque sur la série homogène, les traits de séparation entre poèmes ne sont pas systématiques, c'est qu'il faut distinguer les cas où ils lui sont nécessaires des cas où ils sont inutiles, et dans le même ordre d'idées pour les autres manuscrits quand c'est biffé c'est inutile quand ça ne l'est pas c'est nécessaire.
J'en reste à l'idée que les manuscrits sont à étudier séparément en fonction de dates de recopiages distinctes, en fonction des recoupements entre certains manuscrits que favorise l'approche philologique, mais je récuse cette idée d'une étude transversale où, malgré les différences de traitement, on fait comme si Rimbaud avait médité une homogénéisation par-delà les différents "dossiers", je dis bien "dossiers", manuscrits.
Et vous vous en doutez, il y a encore à parler du cas du manuscrit de "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver".
Le point 3) de son étude concerne la série homogène, j'y reviens après. Quant au point 4) sur "les exceptions notables dans la dernière partie du manuscrit [sic !]", il parle de "Jeunesse" II, III et IV, mais ça n'a rien à voir avec l'étude précise des filets de séparation que j'ai menée plus haut. Bardel ne dit rien de l'ordre des transcriptions des titres, des textes et des chiffres romains, ne confronte pas le filet de séparation biffé au III, ne remarque pas qu'on peut opposer le trait biffé après le II et le trait maintenu après le IV en tant qu'indice de la série en train d'être créée. Il ne revient même pas sur la mention au crayon "Veillées" au crayon, comme s'il suffisait de réfléchir sur les traits de séparation sans coordonner la réflexion à ce que suggèrent d'autres indices. Bardel dit qu'il manque un trait avant le IV et qu'il est maintenu après le IV parce que la transcription serait sans doute tardive, et comme il est tard on peut être indulgent pour un air d'inabouti. Je n'invente rien : les traits ou l'absence de traits "laissent supposer que la transcription de ces poèmes s'est réalisée, elle aussi, à une époque tardive [...]". Je n'appelle pas ça une conclusion ou une analyse au plus près des filets de séparation.
Dans ce point 4), Bardel parle aussi du découpage qui concerne "Promontoire" et "Guerre", là encore sans rien dire d'intéressant, à tel point que Bardel ne dit rien, mais formule une question farfelue : Rimbaud n'a pas biffé les traits après le découpage, mais les a écrits avant le découpage parce que peut-être que ces poèmes-là ont été eux aussi copiés tardivement, ou bien ces traits biffés sur le seul poème "Guerre" sont l'indice d'un grand symbole thématique caractérisant l'ensemble des poèmes de la suite non paginée, du moins de tous ceux qui précèdent "Guerre", avec l'anomalie soit dit en passant du chevauchement des publications originales par la revue La Vogue et par Vanier. On nage en plein non-sens : un trait biffé "pour marquer l'achèvement d'un cycle de la guerre contre l'ordre bourgeois, susceptible d'englober tout ou partie des poèmes qui précèdent dans la troisième colonne du tableau ?" Ce n'est pas de l'étude philologique, ça ! Ce n'est même pas un raisonnement serré et cohérent dans son propos.
Passons donc à l'étude du manuscrit avec une transcription au recto et au verso.
Le point 3) de Bardel manque de rigueur. Normalement, en toute rigueur, il y a une différence de traitement des traits de séparation pour les transcriptions tardives sur un papier homogène, par opposition à tous les autres manuscrits, feuillets 12 et 18 compris ! Or, si je ne parle pas du feuillet 12 qui est vraiment à part avec les trois croix, et si j'ai déjà parlé de l'anomalie de "Veillées I et II" avec un trait de séparation pour chaque poème d'une série, il y a deux autres feuillets à extirper : celui de "Après le Déluge" et celui de "Nocturne vulgaire"/"Marine"/"Fête d'hiver".
En toute rigueur, il faut traiter le manuscrit paginé 21 et 22 avec tous les manuscrits qui sont en-dehors de la série homogène. D'ailleurs, ce manuscrit est le seul de la série paginée avec des traits de séparation biffés. C'est un manuscrit avec une transcription au recto et au verso, avec un format de papier différent, des transcriptions particulièrement peu soignées et il a des traits de séparation biffés. Il n'a donc rien à voir avec la série homogène. Quant à son insertion par la revue La Vogue dans la série homogène, c'est qu'il s'agit d'un manuscrit qui offre un enchaînement de trois poèmes, alors que les autres manuscrits en-dehors de la série homogène offrent une transcription d'un sinon deux poèmes sur un feuillet, cas à part de "II", "III" et "IV", le manuscrit devenu suisse.
Et étonnamment, Bardel va considérer que ce manuscrit est la preuve d'une pagination autographe et d'un recueil ordonné par Rimbaud, sauf que le raisonnement fourni est incohérent, voire incompréhensible : "Mais pour quelle raison d'Orfer et Kahn auraient-ils inséré, parmi les calligraphies initiales, un texte à l'établissement aussi problématique que "Nocturne vulgaire" et inclus dans leur pagination un recto-verso au format et à l'apparence aussi atypiques que le folio 21-22 ? Cette décision ne peut s'expliquer que par la volonté de suggérer un lien thématique, au demeurant assez subtil et ténu, entre plusieurs pièces d'inspiration onirique et nocturne (un lien que Fénéon n'a pas vu puisqu'il éparpille ces textes dans son édition d'octobre 1886)."
Le raisonnement n'est pas tenable. Bardel avoue que le lien thématique qu'il attribue à Rimbaud est "au demeurant assez subtil et ténu", alors qu'il fait grief à Fénéon de ne pas l'avoir vu et du moins de ne pas en avoir tenu compte pour la réédition en plaquette. Mais, ce lien thématique, il faudrait déjà prouver sa validité critique au plan de prouver un ordonnancement voulu par l'auteur. Notons que la pagination désolidarise plutôt le cycle urbaine "Ville", "Ornières", "Villes", "Vagabonds", "Villes" puis une longue pause avant "Angoisse" et "Métropolitain" et par-delà "Barbare", "Promontoire" qui non paginé est dans la conscience de Bardel la page 25 du recueil manuscrit.
Il y a un moment où il faut être sérieux dans ses affirmations. Et c'est une pétition de principe que d'affirmer que le folio 21-22 a été mis là pour créer un lien thématique. Les manuscrits ont été publiés au petit bonheur la chance, puisque personne n'a remarqué l'oubli des titres "Les Ponts" et "Fête d'hiver", ni le problème des hybrides ou chimères qui en résultaient. On lit un texte sur des "Ouvriers" qui finit par parler de "Ponts". On lit un poème avec des retours à la ligne qui convient à son titre "Marine", sauf qu'au milieu du poème ça part en spectacle public avec chinoises de Boucher et rondes sibériennes, le poète rédigeant soudain un épais paragraphe.
Non, il y a un manuscrit qui est mélangé à la suite homogène, soit par Rimbaud, mais justement on n'en voit pas la raison, soit par Vanier. Et puisque Bardel joue à trouver absurde l'attribution du geste à la revue La Vogue, opposons l'idée d'étrangeté si ça doit venir de Rimbaud. Pourquoi une série homogène si en plus des remaniements pour faire des séries, nous avons "Après le Déluge" en tête de la série sur un papier distinct et ce folio 21-22 qui est glissé là sans supposer un remaniement de série ?
Si la série homogène est pensée comme ordonnée en recueil, au moment des transcriptions Rimbaud doit avoir une idée de l'enchaînement des poèmes. La théorie de Murphy, Bardel et d'autres, c'est que Rimbaud crée le recueil en subissant la contrainte des enchaînements déjà effectués. Je le disais plus haut : où sont les feuillets paginés 12 et 18 initiaux, puisque Murphy et Bardel prétendent qu'ils ont existé, en présupposant qu'ils ne sont pas inexploitables, mal rédigés, puisqu'il aurait été seulement question de les remplacer ? Le folio 21-22 n'est pas n'importe où dans la liasse, il vient avant les deux derniers feuillets de la série homogène qui à cause d'un enchaînement des transcriptions ne pouvait pas être séparé. Qui plus est, vous avez un feuillet différent page 1, un feuillet différent page 12, un feuillet différent page 18 et un feuillet différent qui fait les pages 21 et 22 à lui seul. On aurait un ensemble harmonisé si un feuillet était glissé entre les pages 6 et 7 en quelque sorte.
"Nocturne vulgaire" a un trait de séparation non biffé après sa transcription, mais il serait difficile de le biffer vu qu'il est écrit sur le rebord inférieur même du feuillet manuscrit, lequel est sans doute rogné sur ce bord inférieur.
Contrairement à Bardel qui insiste sur la transcription peu soignée de "Nocturne vulgaire", ce qui me choque c'est le manque de soin des transcriptions de "Marine" et "Fête d'hiver" au verso, et ce qui rend cette critique plus légitime c'est qu'effectivement les protes de la revue ont oublié de reporter le titre "Fête d'hiver". On a oublié de le souligner comme titre, puis on a oublié de relever son absence. Or, entre la dernière ligne de "Marine" et le titre "Fête d'hiver" il y a un long trait de séparation qui a été biffé grossièrement par des traits ondulés, le titre "Fête d'hiver" étant tassé tout contre juste en-dessous.
En quelques sorte, en croyant bien faire en biffant le trait, Rimbaud a sali encore plus un manuscrit et rendu peu visible le titre du poème suivant, à tel point que c'est un des éléments qui expliquent l'erreur de la revue La Vogue. Avec sa compulsion psychologique à inutilement biffer les traits de séparation, Rimbaud a favorisé une bévue des éditeurs.
Voilà ce qu'objectivement on peut conclure de l'observation attentive du manuscrit.
Rimbaud a également biffé le trait de séparation qu'il a mis à la suite de "Fête d'hiver" en bas du manuscrit. Mais ces filets de séparation biffés coïncident avec les cas de "Bottom" et "H", ça ne va pas plus loin. Enfin, exception dans l'ensemble des transcriptions, Rimbaud a mis des lignes ondulées de chaque côté du titre "Marine" ce qui a un air de trait de séparation. J'observe que Bardel ne relève pas ce double emploi unique, puisque du coup il y a un trait de séparation en-dessous de "Nocturne vulgaire" et un au-dessus de "Marine", deux poèmes pourtant successifs dans le dossier paginé.
"Marine" n'était-il pas le recto du manuscrit finalement ? La revue La Vogue aurait publié le manuscrit en inversant le recto et le verso. Si on prend la thèse de Guyaux, Murphy et Bardel dans sa pleine rigueur, le trait de séparation de "Marine" ne peut pas venir après celui à la fin de "Nocturne vulgaire".
Il serait un peu facile de dire que les lignes ondulées ne sont pas un trait de séparation parce qu'elles son à hauteur du titre "Marine", cette mise à niveau ne change rien au fait que ce sont des traits séparateurs en tant que tels.
A cette aune, la solution la plus simple, c'est de ne pas chercher à faire dire aux traits de séparation au-dessus des poèmes, comme aux traits biffés tout un système de représentations qui ne s'impose pas. Rimbaud est incohérent dans le traitement des traits de séparation, c'est une réalité de fait. Qu'est-ce que vous voulez de plus ? Il a le droit d'avoir un comportement erratique sur des éléments qui ne changent rien à l'édition des poèmes.
Parfois, on croit que quelque chose est important, et ça ne l'est pas.
Parfois, on veut résorber un sentiment d'incohérence au détriment de la réalité d'une attitude incohérente.
Et, bien évidemment, il faut renoncer à uniformiser l'interprétation par-delà des manuscrits qui participent de phases de recopiages inconciliables entre elles, surtout quand on met sur le même plan des traits de séparation biffés et des absences de traits de séparation sur les manuscrits.
La singularité, c'est que sur la série homgène, autrement dit sur la suite paginée à l'exclusion des pages 1, 12, 18 et 21-22, Rimbaud a parfois mis un trait de séparation au-dessus du titre de poème, et tout au haut du feuillet. Notez que le cas de "Marine" est assimilable à un trait de séparation pour marquer le début du poème, mais sous une forme exceptionnelle, qui lui est propre.
Vingt-quatre moins cinq, il n'y a que dix-sept cas à éplucher pour les haut de feuillets. Rimbaud a mis un trait de séparation sur seulement trois d'entre eux, au-dessus de la série "Vies", au-dessus de "A une Raison", au-dessus de "Angoisse", trois hauts de feuillets contre quatorze. Si on tient compte des enchaînements sur des feuillets, cela fait trois hauts de feuillets contre neuf groupes délimités. C'est un pur caprice qui ne prête pas vraiment à conséquence. Rimbaud n'a pas mis de trait de séparation à l'intérieur des parties numérotées de "Enfance" et "Vies", ce qui veut simplement dire que Rimbaud reporte le trait séparateur en-dehors des séries qu'il constitue, exception faite de "Veillées" I et II. "Conte", "Parade", "Antique", "Being Beauteous" et "Ô la face cendrée..." ne sont suivis d'aucun trait de délimitation de fin de transcription. Rimbaud ne s'y applique pas. Notons que la pratique d'enchaîner les copies de plusieurs poèmes à la suite ne lui était pas familière pour les vers et même pour les proses malgré des cas à part : "Nocturne vulgaire"/"Marine"/"Fête d'hiver" ou "Bottom"/"H".
Rimbaud a d'autres chats à fouetter que de vérifier scrupuleusement s'il met bien des traits de séparation partout. Parfois il y pense et il s'y applique jusqu'à l'absurde, parfois il n'y pense pas du tout.
Pourquoi chercher une explication plus élaborée.
Et comme Rimbaud n'y pense pas à maintes reprises et vu l'état paginé, nous avons des rimbaldiens qui pensent que Rimbaud a regroupé deux poèmes "Départ" et "Royauté" d'un côté et de l'autre une longue série : "A une Raison", "Matinée d'ivresse", "Phrases" en huit parties, "Ouvriers", "Les Ponts" (oublié dans le tableau de Bardel), "Ville", "Ornières", "Villes", "Vagabonds", "Villes" et "Veillées I", "Veillées" II et III sont un sous-groupe séparé de "Veillées" I dans la théorie de traits pour définir des groupes de poèmes !
De "A une Raison" à "Veillées" III en ayant l'indulgence de ne pas prendre en compte le cas de "Veillées I et II" cela fait un ensemble de 10 feuillets plus le début d'un onzième ! Ce qui est conséquent sur un dossier de 24 pages, dix ou onze pages sur vingt-quatre.
Dans le cas de "Départ" et "Royauté", Bardel avoue lui-même que le recoupement n'a aucun sens probant : "le premier célèbre le "départ" en général, tandis que le second semble recueillir et transposer le souvenir d'une anecdote de la vie de l'auteur", et je laisse Bardel seul responsable de son interprétation du côté biographique.
Selon Guyaux, Bardel et Murphy, Rimbaud a créé les sections suivantes : la section du poème liminaire "Après le Déluge", la section qui est une série "Enfance", la section "Conte", "Parade", "Antique", "Being Beauteous", "Ô la face cendrée...", qui est tout un programme, la section des trois "Vies", la section "Départ" et "Royauté", la section formulée plus haut que va de "A une Raison" à "Veillées III", puis la section "Mystique", "Aube", "Fleurs", "Nocturne vulgaire" qui s'accommode un peu vite du changement de type de papier, puis la section "Marine", "Fête d'hiver" et enfin la série "Angoisse", "Métropolitain" et "Barbare".
Notez que Rimbaud a biffé le trait de séparation au bas de "Fête d'hiver", mais qu'il en a mis un au-dessus de "Angoisse". Si ça, ça a du sens dans la suite paginée... ?
Dans certains cas, il se pose la question d'un report des transcriptions en fonction de la place disponible, et on remarque que cela pourrait bien être le cas pour "Conte" à la suite de "Enfance" et pour "Royauté" à la suite de "Vies" et "Départ", les deux poèmes "Conte" et "Royauté" ayant des affinités thématiques plus qu'évidentes sont séparés l'un de l'autre, mais tels qu'ils sont transcrits on a plus l'impression qu'il fallait optimiser la place disponible sur les feuillets.
Rien ne permet d'affirmer que "Conte" a été écrit à la suite de "Enfance" pour organiser l'ordre des poèmes dans un recueil, rien ne prouve la même chose pour "Départ" et bien sûr "Royauté".
En clair, même dans les cas où les poèmes s'enchaînent pour la transcription, on ne peut pas affirmer la volonté de faire se succéder précisément ainsi les poèmes dans un recueil. Il en va parfois différemment, ainsi l'écho entre "nouvelle harmonie" et "ancienne inharmonie" permet d'envisager comme pertinente la succession de "A une Raison" et de "Matinée d'ivresse", un peu comme si "Matinée d'ivresse" racontait la fin de l'expérience de "A une Raison". Mais ces cas sont rares et il n'est pas non plus étonnant de trouver des suites qui ont du sens. Ce qui manque, c'est le constat d'un procédé systématique de liaison des poèmes l'un après l'autre.
Dans certains cas, l'enchaînement des poèmes est déconcertant. Bardel l'avoue pour "Départ" et "Royauté, et la question se pose clairement pour "Conte" dont on ne comprend pas pourquoi il viendrait naturellement après "Enfance". S'il faut rassembler les poèmes qui ont des thèmes similaires, pourquoi le cycle urbain est-il aussi discontinu ? Les feuillets qui contiennent "Veillées", "Mystique", "Aube", "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver" pourraient être déplacés à la suite de "Phrases", ce qui nous offrirait une suite continue "Ouvriers", "Les Ponts", "Ville", "Ornières", "Villes", "Vagabonds", "Villes", "Angoisse", "Métropolitain" avec pour seul cas incongru "Barbare", surtout si on enchaîne avec "Promontoire" et "Scènes"...
 Bardel et Murphy n'ont même pas exploité en faveur de la pagination autographe le trait de séparation qui vient après "Veillée" remanié en III. Mais il y a des raisons, puisque le trait de séparation a l'air d'avoir été écrit à la suite de la transcription qui s'accommodait du titre "Veillée". Les remaniements à l'encre foncée seraient ultérieurs, et en tous cas pas de la même encre. Car, moi aussi, je peux inventer des raisons d'apparence fiable pour faire croire que la pagination est autographe.
Il faut éviter de surinterpréter les indices, et le cas des traits de séparation en est un bon exemple.