mardi 29 avril 2025

Une source insoupçonnée au poème "Sensation" ? Et une cascade de liens pour les trois poèmes envoyés à Banville !

Il y a plusieurs approches possibles pour identifier les sources des poésies en vers de Rimbaud. On peut identifier les emprunts, parfois d'un vers ou d'un hémistiche, parfois d'un mot rare, parfois d'une partie d'hémistiche ou de vers. On peut identifier une nette reprise d'une manière d'un autre poète. On peut identifier une similitude troublante dans le phrasé ou au plan grammatical. On peut identifier la reprise de rimes. La poésie en vers offre un avantage sur la poésie en prose : elle superpose aux ressemblances entre les phrases du modèle et de l'imitateur le cadre du vers qui affermit l'évidence de l'emprunt, qui rend aussi l'écho plus élaboré, plus saillant. On peut identifier aussi des strophes plus caractérisées ou bien l'emploi d'une mesure : alexandrin, octosyllabe, pentasyllabe, tend à conforter certaines comparaisons avec des poètes antérieurs.
Parmi les poèmes des débuts d'Arthur Rimbaud, "Sensation" occupe une place exceptionnelle. Le morceau est très court, seulement deux quatrains, mais il a une identité transcendantale et éclipse les autres poèmes que Rimbaud composait au même moment : "Credo in unam", "Ophélie", "A la Musique", ou bien "Bal des pendus" et "Les Etrennes des orphelins".
La force du poème "Sensation" est pour partie liée à son emploi du futur simple de l'indicatif :
Par les beaux soirs d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds :
Je laisserai le vent baigner ma tête nue....
 
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien....
Mais un amour immense entrera dans mon âme :
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme !
 A cause de ce futur simple de l'indicatif, ces deux quatrains sont volontiers comparés à l'un des plus célèbres poèmes des Contemplations de Victor Hugo, "Demain, dès l'aube,..." :
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
 
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
 
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Il y a sept verbes au futur simple de l'indicatif dans les huit alexandrins de Rimbaud, huit dans les douze de Victor Hugo. Une seule fois dans chaque poème, le verbe à l'indicatif futur simple est à la troisième personne du singulier : "entrera" contre "sera".
La forme "irai" a deux occurrences dans les deux poèmes. Dans celui de Victor Hugo, elle forme une anaphore interne entre les hémistiches du vers 3, mais la structure du poème de Victor Hugo va de la forme "partirai" à l'occurrence "arriverai", et la répétition d'insistance "irai" est proche du départ. Dans "Sensation", la forme "irai" remplace le cadre "partirai"/"arriverai" en éliminant l'idée de destination au profit d'une propension à découvrir l'infini : "j'irai dans les sentiers", "j'irai loin". Dans le vers 3 de "Demain dès l'aube", nous avons des compléments essentiels de lieu lancés par la préposition "par", ce qu'on retrouve chez Rimbaud, mais avec une altération métaphorique du recours à la préposition : "Par les beaux soirs d'été, j'irai..." "Et j'irai loin... Par la Nature..."
On peut comprendre le poème de Rimbaud comme une inversion psychologique de la performance hugolienne : Hugo envisage un point d'arrivée et son voyage est funèbre avec un refus de l'extérieur, alors que le voyage de Rimbaud vers l'infini est heureux avec une réception d'une idée d'amour qui pénètre son âme. Les chutes des deux poèmes ont un écho sur le principe du contraste. Hugo rejoint le lieu où gît le corps mort de sa fille, ce qui apaiserait le sentiment de manque, tandis que Rimbaud imagine la Nature comme compensation au manque de la compagne amoureuse.
Si je reviens à la la liaison entre la forme conjuguée "irai" et des compléments essentiels de lieu, on peut aussi noter l'idée commune de cheminer dans la Nature :  "j'irai dans les sentiers" contre "J'irai par la forêt, j'irai par la montagne." Rimbaud a aussi son propre alexandrin qui crée une balance mélodique de deux propositions brèves se répondant au futur de l'indicatif. Au vers 3 toujours de "Demain, dès l'aube..." : "J'irai par la forêt, j'irai par la montagne[,]" fait écho le vers 5 de "Sensation" : "Je ne parlerai pas, je ne penserai rien..." Et ce vers 5, le premier du second quatrain, développe des idées qui font écho et au premier vers du second quatrain de "Demain, dès l'aube..." et au premier vers du troisième et dernier quatrain :
 
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
[...]
 
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
[...]
 Pour toutes ces raisons, il est probable que "Demain, dès l'aube,..." soit une source d'inspiration au poème en deux quatrains de Rimbaud, et j'y ajoute une petite suggestion. Le premier vers du poème des Contemplations cale à la césure l'expression "heure" avec suspens plus précisément d'une amorce en deux syllabes d'un complément de temps : "à l'heure..." Le dernier vers du "huitain" rimbaldien cale à la césure l'adjectif dissyllabique "heureux" qui phonétiquement et orthographiquement ressemble à "heure".
Toutefois, Rimbaud n'a pas repris les modulations du type trimètres des vers suivants, avec rejet de "fixés" et "courbé" :
 
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
 
Et cela est normal,  puisque les effets de sens exprimant la dépression et la position voûtée du sombre Hugo ne pouvaient être exploités dans le cadre psychologiquement inversé que suppose la création rimbaldienne.
Mais Rimbaud ne fait pas qu'inverser le poème de Victor Hugo. Ou plus précisément, Rimbaud n'inverse pas le poème hugolien pour le plaisir de l'inversion. Il avait déjà des idées sur ce qu'il voulait écrire avant d'exploiter ainsi le poème hugolien. Rimbaud avait d'autres sources d'inspiration.
Le poème "Par les beaux soirs d'été..." est étroitement lié à la genèse du poème "Credo in unam", puisque les deux poèmes sont des créations récentes réunies dans la lettre à Banville du 24 mai 1870. 
Le cliché qui attaque le poème en deux quatrains : "Par les beaux soirs d'été..." a son équivalent dans "Credo in unam" :
 
Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel mystérieux....
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
[...]
 Nous avons une correspondance entre deux hémistiches qui sont des clichés : "Par les beaux soirs d'été" contre "Par la lune d'été..." On peut remarquer que éclairée" fonde sa rime sur un écho vocalique commun au mot "sentiers". Mais j'ai allongé ma citation, "clairière" n'est peut-être pas un équivalent très strict pour "sentiers", mais vous avez l'adjectif féminin "nue" et le participe présent "rêvant" qui font écho à un mot à la rime du poème finalement intitulé "Sensation" et au substantif "Rêveur". On peut également apprécier l'écho entre les tournures factitives : "Je laisserai le vent baigner ma tête nue" et "- La blanche Séléné laisse flotter son voile". Notez que "flotter son voile" entre en résonance avec des vers du poème "Ophélie" ce que confortent la rime "étoile"/"voile", la "pâleur", le participe présent "rêvant", le flot de la chevelure et la mention à la rime du "ciel mystérieux" à rapprocher du "chant mystérieux" qui "tombe des astres d'or". Enfin, il y a le "bel Endymion" à la rime. L'origine de ce recours rimbaldien semble la toute fin du poème "La Mort de Socrate" de Lamartine, où "Endymion" rime avec "rayon", dans l'ordre inverse, mais avec la même image de la Lune qui caresse son amoureux mythologique :
 
On eût dit que Vénus d'un deuil divin suivie
Venait pleurer encor sur son amant sans vie !
Que la triste Phœbé de son pâle rayon
Caressait, dans la nuit, le sein d'Endymion !
Je n'ai pas souvenir de l'emploi de ce nom à la rime chez Banville, ni même chez Hugo, peut-être chez Leconte de Lisle si je ne me fais pas un faux souvenir. Nous avons une rime élargie : "pâle rayon"/"Endymion" et une similaire idée de caresse érotique. Et Lamartine mentionne Vénus qui est précisément la Déesse célébrée par Rimbaud dans "Credo in unam".
Gardez à l'esprit ce rapprochement lamartinien, pendant que je continue mes remarques.
L'hémistiche "Par les beaux soirs d'été" est un cliché, mais un cliché qui varie de forme : "Par un beau soir d'été," "Par ce beau soir d'été,", etc. On sait que l'hémistiche tel quel a été employé par François Coppée au début d'un poème du Reliquaire, et comme Rimbaud emprunte beaucoup aux vers de Coppée en 1870 le lien s'impose de lui-même. Il s'agit d'un second hémistiche d'alexandrin du poème "Vers le passé" :
 
Longuement poursuivi par le spleen détesté,
Quand je vais dans les champs, par les beaux soirs d'été,
[...]
 Il va de soi que nous pouvons comparer du coup l'expression "j'irai dans les sentiers" à "je vais dans les champs". Rimbaud a bien sûr évité l'expression incongrue "par les sentiers", surtout après son attaque : "Par les beaux soirs d'été", s'éloignant de la ressemblance avec Hugo : "J'irai par la forêt, j'irai par la montagne", mais sa préposition "dans" entre en résonance avec cet autre modèle ayant inspiré visiblement la création de son poème.
Là encore, Rimbaud n'a pas repris le traitement du trimètre courbé à la césure :
 
Je ris de voir, le long des bois, les fiancés
[...]
 Rimbaud a peut-être repris l'adjectif "heureux" à une rime du poème de Coppée, dont il s'est ingénié à inverser le propos.
 
Car je dédaigne enfin les baisers puérils
Et la foi des seize ans, fleur brève des avrils,
            Ephémère duvet des pêches,
Qui fait qu'on se contente et qu'on est trop heureux,
Si la femme qu'on aime a les bras amoureux,
             L'âme neuve et les lèvres fraîches.
 Rimbaud a très bien pu reprendre cette mention "heureux" et en même temps l'idée d'un autre mot à la rime dans ce sizain avec l'adjectif "fraîches" :
 
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds,
[...]
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.
 
Rimbaud ne partage sans doute pas le mépris de la sensualité de la jeunesse d'un Coppée, mais tout de même il reprend l'idée de trouver un plaisir supérieur : la Nature sera sa compagne érotique... Pied-de-nez au chaste modèle coppéen. C'est la Nature femme qui communique sa fraîcheur aux pieds du poète et qui le rend "heureux".
Nous pourrions comparer aussi "avenir doré" à la rime dans "Vers le passé" avec "pâleur dorée" dans "Credo in unam", non pas pour parler de source d'inspiration directe, mais parce que nous cernons des indices d'une méditation longue de la part de Rimbaud sur les poèmes dont il s'inspire ce qui suppose un rayonnement de l'influence qui s'étend sur plusieurs poèmes.
Le poème décrit un retour forcé du poète à son "passé riant", ce qui peut être comparé à la structure du poème "Demain dès l'aube" de "je partirai" à "j'arriverai" et du coup à la structure d'expansion du "huitain" rimbaldien : "j'irai"/"j'irai".
Je remarque au passage qu'un vers du sizain cité ci-dessus fait écho au vers 1 de "Roman" : "On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans", poème où Rimbaud reprend précisément un hémistiche à un poème du recueil Intimités du même François Coppée, et j'ajoute que si le motif de la "rédemption" renvoie clairement à la religion chrétienne dans "Credo in unam" il s'agit tout de même d'un mot rare en poésie, et il s'agit précisément du titre du dernier poème du recueil intitulé Le Reliquaire de François Coppée. Le recueil Le Reliquaire a un poème liminaire intitulé "Prologue", puis nous avons une suite de poèmes qui va précisément de la pièce "Vers le passé" à la conclusion "Rédemption".
Rimbaud a voulu donner ses versions bien distinctes de celles de Coppée de la polarisation amoureuse et de la rédemption par l'amour. Rimbaud a aussi tendance dans les poèmes envoyés à Banville à combattre la dépression d'Hugo ("Demain, dès l'aube..."), de Lamartine ("La Mort de Socrate"), de Coppée ("Vers le passé" et "Rédemption"), de Musset ("Rolla"), de Banville lui-même ("L'Exil des dieux"). Du moins dans "Sensation" et "Soleil et Chair", puisque "Ophélie" est tout de même plus mélancolique.
Le vers 6 de "Par les beaux soirs d'été..." : "Mais un amour immense entrera dans mon âme :" est le plus scolaire de cette composition et il a son équivalent dans "Credo in unam" :
 
L'idéal, la pensée invincible, éternelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
[...]
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini Sourire !
[...]
 
 Cette équivalence coïncide avec la première césure sur préposition monosyllabique de Rimbaud, avec la préposition "dans", et en remaniant "Par les beaux soirs d'été..." qui prend alors le titre "Sensation" Rimbaud rapporte l'emploi insistant du verbe "monter" :
 
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
[...]
Un nouveau modèle entre dans la danse, puisqu'en modifiant le cliché repris tel quel à Coppée Rimbaud s'inspire cette fois d'Albert Mérat : "Par les soirs bleus d'été..." Mais Mérat n'était pas cité dans la version de mai 1870 envoyée à Banville, il n'est donc pas une source nécessaire à la composition originelle du "huitain" rimbaldien.
En revanche, on sent que les modèles conviés pour "Ophélie" ou "Credo in unam" peuvent aussi concerner "Par les beaux soirs d'été..." Avez-vous remarqué que la citation que j'ai faite toute à l'heure de Credo in unam concernait précisément le passage aux rimes croisées, comme précisément dans "Par les beaux soirs d'été..." et "Ophélie". Certes, le passage aux rimes croisées comme l'a analysé Cornulier dans "Credo in unam" permet de créer un effet autour du dévoilement sexuel d'une dryade, mais cela pourrait se superposer à un moment de création où Rimbaud songeait à "Ophélie" et à "Par les beaux soirs d'été...", comme si nous avions une pièce rapportée au sein de "Credo in unam"...
Je ne vais pas aller plus loin en ce sens, mais je tenais à signaler l'hypothèse.
Le huitain "Par les beaux soirs d'été..." a aussi des rimes particulières. La rime "menue"/"nue" retient l'attention et a son écho dans le sonnet "Le Dormeur du Val" où nous retrouvons la mention de cet adjectif féminin à la rime, avec en prime la reprise du verbe "baigner" pour exprimer là encore des sensations procurées par la Nature :

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort : il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vers où la lumière pleut.
 
[...]
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
 
Il pourrait ne pas être vain de chercher qui avant Rimbaud employait les quatre paires rimiques de "Sensation", il y a peut-être des sources à débusquer.
 On voit qu'il y a une cristallisation de mots, d'images, de rimes qui relie les poèmes entre eux. J'ai aussi indiqué que la séquence "loin, bien loin" se trouvait dans un poème "Thébaïde" de Théophile Gautier où apparaît également la rime "Ophélie"/"folie" et le nom formulé à l'italienne : "Ophélia". Et autour de l'expression "loin, bien loin", qui accessoirement se rencontre aussi dans Emaux et camées, d'autres éléments sont à rapprocher du poème "Sensation" :
 
[...]
Oui, c'est là que j'irais pour respirer ton baume
[...]
De mon cœur dépeuplé je fermerais la porte
[...]
J'effacerais mon nom de ma propre mémoire ;
Et de tous ces mots creux : Amour, Science et Gloire
Qu'aux jours de mon avril mon âme en fleur rêvait,
[...]
 Gautier s'abandonne à la solitude, il explique plus loin que lassé de vivre il ne veut pas mourir, et qu'il ne sait plus ni marcher, ni courir, et il fait allusion à la question du héros de Shakespeare : "Assez, je me suis dit, voilà la question." Décidément, "Par les beaux soirs d'été" s'attaquent aux vers dépressifs de nombre de nos poètes du XIXe siècle. Le conditionnel de Gautier le cède à l'indicatif futur simple déjà si efficace chez Hugo. Et justement, l'interrogation d'Hamlet entraîne le développement sur "Ophélie" avec un poète qui se définit "Pauvre rêveur", "pauvre" étant un terme clef dans "Ophélie" de Rimbaud, tandis que le substantif "rêveur" est en vedette dans "Sensation" :
 
Va, pauvre rêveur, cherche une solution
Claire et satisfaisante à ton sombre problème,
Tandis qu'Ophélia te dit tout haut : Je t'aime ;
Mon beau prince danois marche les bras croisés,
Le front dans la poitrine et les sourcils froncés,
D'un pas lent et pensif arpente le théâtre,
Plus pâle que ne sont ces figures d'albâtre,
Pleurant pour les vivants sur les tombeaux des morts ;
Epuise ta vigueur en stériles efforts,
Et tu n'arriveras comme a fait Ophélie,
Qu'à l'abrutissement ou bien à la folie.
C'est à ce degré-là que je suis arrivé.
Je sens ployer sous moi mon génie énervé ;
Je ne vis plus ; je suis une lampe sans flamme,
Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme.
 
Ne plus penser, ne plus aimer, ne plus haïr,
[...]
 Songez que pour ne pas me disperser je ne vous dis pas tout ce que je remarque, les échos avec des vers de Baudelaire, le fait que dans "Le Dormeur du Val", "Val" fait songer à "vallon" chez Lamartine ou que le vers 5 offre non pas un trimètre mais un effet de courbe à la césure : "bouche ouverte", procédé non repris dans "Par les beaux soirs d'été...", etc. J'essaie de m'en tenir à l'essentiel. Je pourrais citer la suite de "Thébaïde" quand Gautier parle de couper tout désir, et de rester prostré dans son désespoir. Je vous fais tout de même remarquer deux éléments encore dans "Thébaïde". L'emploi de "dépeuplé" n'est-il pas une allusion au plus célèbre des vers de Lamartine ? Cela va de soi puisque "Thébaïde" revendique un ensevelissement dans la solitude, tandis que le vers "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé" figure dans le premier poème des Méditations poétiques intitulé "L'Isolement", et encore une fois gardez cette référence lamartinienne à l'esprit. Et puis, vous avez noté que la marche d'Hamlet ressemble à l'autoportrait que dressera Hugo dans "Demain, dès l'aube..." Il y a même un relatif écho à la rime entre "bras croisés" pour l'un et "mains croisées" pour l'autre.
Vous remarquez le mot "âme" à la rime dans un vers qui est clairement l'inverse de celui de Rimbaud : "Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme" contre : "Mais un amour immense entrera dans mon âme"[.]
Rimbaud n'a pas repris plusieurs autres éléments dans son poème, et notamment ce qui lie "Thébaïde" au postérieur "Demain, dès l'aube...", mais le fait que "Thébaïde" et "Demain, dès l'aube..." soient deux sources à "Par les beaux soirs d'été...", cela donne une puissance de propos au "huitain" rimbaldien qui est vraiment vertigineuse, surtout qu'ici Gautier parle d'une marche théâtrale. Rimbaud ramène à la vie. Sans parler du "Mauvais moine" et d'autres poèmes de Baudelaire qui s'inspirent de "Thébaïde", il faut ajouter que ce poème de Gautier noue un lien étroit entre le couple "Par les beaux soirs d'été..."/"Credo in unam" et "Ophélie". Le poème "Thébaïde" confirme qu'il y a bien une unité de pensée de la part de Rimbaud quand il coince le poème "Ophélie" entre "Par les beaux soirs d'été..." et "Credo in unam". Or, il se trouve que j'ai montré que Rimbaud s'était doublement inspiré du recueil Les Nuits d'hiver d'Henry Murger. Il s'est inspiré de son poème "Ophélia" pour créer "Ophélie" et j'ai signalé la symétrie très forte entre deux quatrains isolés sur une page et le poème "Par les beaux soirs d'été" en fixant l'origine de l'hémistiche "comme un bohémien" qui de fait renvoie à un poème de l'inventeur du cliché de la bohème qu'était Murger. Et tout cela lie Gautier, Murger et Banville entre eux.
Rimbaud a d'ailleurs repris la rime "rien"/"bohémien" au deuxième quatrain du poème en vers de sept syllabes de Murger.
Je n'ai pas mené de recherches pour les autres rimes "menue"/"nue", "sentiers"/"pieds" et "femme"/"âme". En revanche, je reviens au balancement du vers : "Je ne parlerai pas, je ne penserai rien[.]" Je l'ai déjà commenté sous certains aspects, je fais remarquer que sa construction négative coïncide avec le trimètre à la Corneille de "Thébaïde" cité plus haut : "Ne plus penser, ne plus aimer, ne plus haïr," Gautier s'inspirant du trimètre de Suréna avec reprise de l'infinitif "aimer" : "Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir[.]" Notez que Rimbaud reprendrait à la foi l'insistance dans la négation et le premier verbe du trimètre "Ne plus penser" donnant "je ne penserai rien".
Face à autant de références riches dans un aussi petit poème en deux quatrains, il me reste une dernière pièce à exhiber.
J'ai plusieurs fois parlé de Lamartine et si Rimbaud veut se taire, pour ma part, je ne peux manquer de dévoiler un lien entre "Par les beaux soirs d'été..." et le poème "L'Isolement" qui ouvre les Méditations poétiques. Il s'agit d'un poème en quatrains de rimes croisées comme "Sensation". Et à cause de "Thébaïde" de Théophile Gautier, il est obligé que Rimbaud l'ait à l'esprit quand il compose "Sensation".
Vous aurez remarqué le lyrisme chantant particulier de "Sensation". Il est produit par la facile assonance des "é", et à ce propos j'ai toujours été amusé par l'attaque du second vers, "Picoté" étant un participe passé symétriquement confronté à l'infinitif "fouler". Cela m'a toujours frappé, cette symétrie mélodique du vers 2 que ne justifie pas l'analyse grammaticale : "Picoté par les blés, fouler l'herbe menue[.]"
En tout cas, il y a une certaine idée de balancement gracieux et cela se retrouve dans l'attaque du poème "L'Isolement" :
 
Souvent, sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
 
 Je ne peux m'empêcher de comparer le balancement "Picoté par les blés, fouler l'herbe menue" à celui, grammaticalement plus rigoureux, de Lamartine entre le second hémistiches du vers 1 et le premier hémistiche du vers 2 : "à l'ombre du vieux chêne, / Au coucher du soleil," et l'emploi à la rime à la fin du premier quatrain de "à mes pieds" tend à justifier mon intuition, puisque je compare cela au vers : "Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds." Rimbaud guérissant ses modèles de leurs dépressions, ici nous avons l'inversion : "je m'assieds" par rapport aux deux quatrains de Rimbaud. L'expression "sur la montagne" fait écho accessoirement à "par la montagne" chez Victor Hugo, et nous avons aussi malgré l'inversion "je m'assieds" contre "j'irai dans les sentiers" un glissement métaphorique amusant de la part de Lamartine : "je m'assieds" mais "Je promène au hasard mes regards" avec quasi rime interne entre "hasard" et "regards". Lamartine ne décrit pas son mouvement, mais celui de la Nature : "gronde le fleuve aux vagues écumantes", "Il serpente, et s'enfonce", "le lac immobile étend ses eaux dormantes", "l'étoile du soir se lève". Par rapport à "Ophélie", on relève que les "eaux" sont "dormantes" et que c'est au sein du lac que "se lève" "l'étoile du soir". L'emploi du verbe "blanchit" suggère que "L'Isolement" pourrait aussi être une source à "Demain, dès l'aube". Le tournoiement des renvois est infini, ce qui n'est pas peu valorisant pour le prestige éternel de "Sensation" de Rimbaud, véritable OVNI culturel. Dans ce morceau, Lamartine nous dit que le soleil lui importe peu, ce que Rimbaud retourne très clairement dans le poème "Credo in unam"  dont le titre va évoluer en "Soleil et Chair" scellant l'union en idée des notions du soleil et de Vénus... Et c'est précisément dans ce moment où Lamartine méprise le soleil qu'il offre une série de phrases négatives qu'on peut confronter naturellement au vers 5 de "Sensation" : "Je n parlerai pas, je ne penserai rien..."
 
[...]
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
 
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts ;
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire,
Je ne demande rien à l'immense univers.
 Lamartine envisage alors son rêve, mais en le marquant du sceau de l'hypothèse. Rimbaud lui se tait mais laisse entrer en lui un amour immense, adjectif "immense" qui fait écho ici à "immense univers", nom univers déployé dans l'extrait de "Soleil et chair" que nous avons rapproché du vers 6 de "Par les beaux soirs d'été..."
Et le choix final "Montera" s'oppose à la mise en relief en tête de vers de "Monte", verbe dont le sujet est "le char vaporeux de la reine des ombres" dans "L'Isolement". Et tout ce que j'ai indiqué comme sources dans l'article ici déroulé donne une sacrée portée de sens au vers final de Rimbaud : "Par la Nature, - heureux comme avec une femme."
C'est même magistral !

lundi 28 avril 2025

Gautier, ce poète magique si important pour Hugo, Baudelaire et Rimbaud, daubé par le XXe siècle !

Théophile Gautier est un poète étrangement délaissé. Dans les éditions courantes, seul son recueil final était publié régulièrement, Emaux et camées à la fin du vingtième siècle (collection "Poésie Gallimard"), et accessoirement le recueil España était fourni à la suite d'éditions de son Voyage en Espagne (Folio). Pourtant, Baudelaire lui avait dédicacé ses Fleurs du Mal en le qualifiant de parfait magicien "ès lettres françaises" (ironie du sort : l'affecté Baudelaire avait commis originellement la faute d'accord : "ès langue française"). En 2004, Michel Brix a tout de même offert au public, chez Bartillat, un volume des Œuvres poétiques complètes de Théophile Gautier. Toutefois, à la lecture de la "Table des matières" on n'identifie pas nettement le contour des publications anciennes et c'est précisément un point que, dans sa préface, Brix a oublié de traiter parmi les raisons de l'oubli qui entoure la poésie de Gautier désormais.
Reprenons l'historique des publications des poésies de Théophile Gautier. Né le 30 août 1811, Gautier est un contemporain non pas de Lamartine, Vigny et Hugo, mais de Musset. Le coup d'envoi de la poésie romantique a été donné en 1820 par la publication des Méditations poétiques de Lamartine, poète né en 1790. Aussitôt, deux poètes plus jeunes lui ont fait cortège, Alfred de Vigny né en 1797 et Victor Hugo né en 1802. ce dernier a publié un premier recueil d'odes en 1822, à seulement 20 ans. De 1827 à 1829, Sainte-Beuve s'est rapproché de Victor Hugo, et en 1829 les deux auteurs font quelque peu front commun avec le mouvement du Cénacle, et les publications respectives de Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme et des Orientales. Musset est introduit au Cénacle et, né le 11 décembre 1810, il n'a pas encore tout à fait dix-neuf ans quand paraît à la fin de l'année 1829 son recueil Contes d'Espagne et d'Italie qui eut un succès important. Vous comprenez pourquoi par la suite Gautier, Banville et Rimbaud furent si désireux de publier un premier ouvrage poétique dès les dix-neuf ou vingt ans ! Et Rimbaud a réussi à relever le défi avec la mise sous presse d'Une saison en enfer quand il n'a pas encore dix-neuf ans. Gautier offre un point commun avec ce cas rimbaldien. Gautier a fait éditer son premier recueil de Poésies à la toute fin du mois de juillet 1830, le 28 juillet même, en plein pendant les trois Glorieuses ! Il avait dix-huit ans et onze mois. Et comme Rimbaud son livre est resté sur le carreau, mais pas pour les mêmes raisons. L'actualité a eu raison de la promotion du recueil qui ne s'est pas vendu. Après s'être fait remarquer pendant la bataille d'Hernani, Gautier participe au "Petit Cénacle" et en octobre 1832 il publie un nouveau volume de poésies intitulé Albertus, ou l'Âme et le péché, légende théologique, et Gautier en a profité pour donner une nouvelle chance à son premier recueil. Le long poème "Albertus" ne faisait pas partie du recueil de 1830, et Gautier a aussi apporté une vingtaine de compositions nouvelles à son recueil originel.
On peut consulter les éditions originelles de juillet 1830 et d'octobre 1832 (mention 1833) sur le site Gallica de la BNF.
En clair, le recueil de 1830 correspond à l'ensemble des poèmes qui va du premier "Méditation" à "Soleil couchant". De "Sonnet IV" au "Cavalier poursuivi", il s'agit des poèmes ajoutés. Le poème "Albertus" a tout simplement été mis à la suite des poèmes ajoutés au recueil initial. La préface n'apparaît que sur le recueil de 1832 intitulé Albertus. La préface fait bien sûr ironiquement allusion au four de la première publication causé par l'actualité de l'émeute, motif que reconduira Gautier dans le poème liminaire du recueil Emaux et camées. Cette préface est aussi comme celle du roman Mademoiselle de Maupin dans le prolongement de la préface des Orientales de Victor Hugo et j'y ajouterais celle du recueil Les Feuilles d'automne, dans la mesure où Hugo précise pour ce dernier recueil que les temps ne semblent pas favorables à un recueil de pure poésie, mais qu'il s'y tient tout de même, renvoyant à une date ultérieure la publication en volume de poèmes politiques parus dans la presse. A partir des Chants du crépuscule, Hugo va redevenir un poète concrètement engagé dans les débats politiques.
Etrangement, les spécialistes de Baudelaire et Gautier ignorent complètement l'influence de la préface des Feuilles d'automne, et minimisent ou traitent avec discrétion celle des Orientales. Dans ses préfaces, Gautier n'est qu'un disciple admiratif de Victor Hugo et il cherche à se situer dans sa continuité considérée comme avant-gardiste, comme mode d'époque bien appréciable (j'allais dire utile) pour faire école en poésie ou en littérature.
En 1838, Théophile Gautier publie un nouveau recueil intitulé La Comédie de la mort qui est suivi d'un ensemble de poésies inédites conséquent.
En clair, le premier recueil n'a pas complètement fait naufrage, il a été reformaté et augmenté en 1832. Et ce qu'il y a d'intéressant, c'est que la postérité ne parle jamais clairement des recueils Albertus et La Comédie de la mort de Gautier. On parle toujours des longs poèmes "Albertus" et "La Comédie de la Mort", du naufrage éditorial du premier recueil en 1830 et puis d'un ensemble flanqué du titre négligent : "Poésies diverses 1838". En réalité, il faudrait parler du recueil Albertus qui contient des poésies et le long poème éponyme, et puis du recueil La Comédie de la Mort qui commence par le poème éponyme et continue par un ensemble de poésies variées.
C'est important, parce que personne n'a l'air de prendre conscience que les poésies qui accompagnent le poème "Albertus" sont de toute beauté et que Baudelaire admirait maximalement les poésies qui suivaient l'emblématique morceau de bravoure "La Comédie de la mort" : chanson qui donne une idée de l'état d'addiction de Baudelaire à la lecture des Poésies diverses de 1838 ! 
Quand j'ai lu les "Poésies diverses" de 1838, bien avant l'édition de Michel Brix, j'identifiais déjà bien des sources aux poèmes des Fleurs du Mal. J'ai fait des recherches du côté de la critique baudelairienne et je me suis aperçu que la plupart de ces liens étaient connus. Cela n'est pas connu du grand public, mais les chercheurs sur Baudelaire ont déjà une recension énorme de poèmes des Fleurs du Mal qui sont nés de la lecture de poèmes de Gautier soit du recueil de 1838 La Comédie de la mort soit du recueil suivant España dont je vais bientôt parler aussi.
Dans la préface à son édition, Michel Brix déplore que les gens méprisent en Gautier le poète. Ils préfèrent sa prose, ses contes fantastiques, etc. Mais Brix lui-même met en avant le dernier recueil Emaux et camées, alors qu'il me semble que Baudelaire lui-même a dit en toutes lettres qu'il songeait aux recueils antérieurs. Moi, je vois tout le temps les gens me regarder bizarrement quand je leur parle de mon admiration pour la plume de Gautier dans ses poésies de 1830, et aussi dans les deux recueils favoris de Baudelaire La Comédie de la mort et España. Ce que dit Brix d'Emaux et camées est déjà dans le recueil de 1830, et ce serait même plus logique de l'y célébrer, puisque l'esthétique de Gautier n'est pas inventée comme semble le croire Brix avec les poèmes de son recueil de 1852. Brix ne dit quasi rien des "Poésies diverses" de 1838, alors que c'est le foyer d'inspiration le plus important pour Baudelaire.
Ce n'est pas tout. Gautier est un poète particulièrement sensuel et un poète qui décrit l'intimité sans emphase, mais une volupté en langue tout à fait vertigineuse. Or, quand j'étais adolescent, je n'avais accès qu'au recueil Emaux et camées de Gautier et je ne l'ai lu que tardivement qui plus est. J'ai commencé par lire Lamartine, Hugo, Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, en plus des anthologies scolaires. Or, j'étais fasciné par la langue de Victor Hugo dans Les Contemplations, et notamment par les deux premiers livres où beaucoup de poèmes étaient invraisemblablement datés de la décennie 1830, comme s'ils n'avaient pu figurer dans les recueils d'époque : Feuilles d'automne, Chants du crépuscule, Voix intérieures et Rayons et Ombres. Il était évident que les compositions étaient plus tardives. Et aujourd'hui, il s'impose à moi que les deux premiers livres au moins des Contemplations sont nés pour partie de la consommation du premier recueil Poésies de Gautier dont Hugo s'est emparé de toutes les finesses. J'ai vraiment l'impression de vivre dans un monde qui n'a aucune sensibilité artiste intelligente, tant personne ne s'enthousiasme pour les Poésies de 1830 de Gautier, ni ne constate l'évidence de génie des Contemplations de Victor Hugo. Je n'arrive pas à comprendre comment ça peut coincer autant dans les têtes.
Au-delà des poèmes qui ont inspiré Baudelaire, il y a des petites pièces d'un charme fou dans les poésies diverses de 1838.
Brix ne manque pas de rappeler la dédicace des Fleurs du Mal, et il égrène les références à plusieurs écrits de Baudelaire qui rendent un constant hommage au génie poétique de Gautier. Mais, prenez le cas de Rimbaud. Dans sa lettre du 15 mai 1871, Gautier est valorisé. Après Lamartine et Hugo, et avant Baudelaire, il y a le trio Gautier, Banville et Leconte de Lisle. Il est vrai que je considère que Rimbaud n'est pas si original que ça et qu'il reflète le discours de son époque. Toutefois, au vingtième siècle, Gautier a été exécuté. Il est le poète de l'art pour l'art qui n'intéresse pas les surréalistes, comme le dit Brix en sa préface, lequel continue en citant les propos ravageurs d'André Gide. Le XXe siècle a cru, à tort, au génie d'Anatole France et quelque peu à tort aussi en celui d'André Gide. Aujourd'hui, André Gide ne se vend plus du tout, tout comme les écrivains du Nouveau Roman, tout comme le poète Antonin Artaud. Un roman de la fin de carrière d'André Gide parvient à se maintenir dans l'histoire du roman par son illustration du concept de "mise en abyme", nom inventé par Gide jusqu'à l'orthographe du "y" : Les Faux-monnayeurs. Gide a pesé dans les avis littéraires du vingtième siècle et Brix mentionne les propos accablants de Gide à l'égard de Gautier. Gide s'étonnait de l'admiration de Baudelaire pour Gautier, comme un hommage anormal à une valeur poétique opposée. Pour Gide, Gautier était 'l'artisan le plus sec, le moins musicien, le moins méditatif que notre littérature ait produit."
Je ne saurais souscrire à un jugement pareil, vous avez vu ce que j'ai dit plus haut du lien que je percevais entre les Poésies de 1830 de Gautier et Les Contemplations de 1856 de Victor Hugo qui sont de la musique lyrique à l'état pur. Gide n'a aucune valeur en tant que critique littéraire, son jugement est nul et non avenu.
Toutefois, Brix oublie de préciser que pour aggraver les choses les éditeurs ne savaient trop quoi publier comme recueils de Théophile Gautier en-dehors d'Emaux et camées. Le premier recueil s'intitulait simplement Poésies. Les titres "Alberttus" et "La Comédie de la mort" étaient perçus comme ceux de poèmes, non de recueils. Il restait España me direz-vous. Mais, là encore, ce n'est pas si simple. Une partie du recueil a eu une publication en revue, puis l'ensemble a été publié dans une édition des Poésies complètes de Théophile Gautier en 1845. Le recueil n'a même pas eu une publication autonome originelle. Même s'il suffisait de publier le recueil isolément sans s'en soucier, c'est ce que les éditeurs n'ont pas été en mesure de faire, cela se mêlant au mépris initié par Gide, les surréalistes et d'autres à l'égard de Théophile Gautier, lequel était réduit à une image d'Epinal d'art pour l'art illustré par Emaux et camées.
Une bonne idée serait de publier le recueil de 1845, sauf qu'il faudrait en changer le titre, puisque le recueil Emaux et camées a suivi. En 1845, Gautier n'avait encore que trente-quatre ans pourtant, ce qui donne assez l'idée de prestige qui pouvait auréoler cette édition de 1845. Ce recueil de 1845 contient bien sûr tous les poèmes publiés dans les volumes Poésies, Albertus et La Comédie de la mort, mais il contient encore la première version du recueil España et un ensemble de "Poésies inédites". Or, cette édition de 1845 modifie aussi les recueils originaux. Les épigraphes disparaissent, les titres de poèmes de 1830 aussi, alors que tout cela était passé dans Albertus en 1832 (rappel de la date affichée sur la couverture 1833). Les poèmes sont réarrangés en des sections nouvelles et "Albertus" précède la lecture des poèmes de 1830 et 1832. Le poème "La Comédie de la mort" suit, puis comme un ensemble indépendant nous avons les poésies qui l'accompagnait réunies sous le titre invendable "Poésies diverses. 1838". Puis, nous avons un ensemble intitulé "Pièces diverses" qui conforte l'idée de fragmentation du recueil de Poésies complètes, puis le recueil España avec enfin un poème conclusif un peu à part "Adieux à la poésie".
Sur le site Gallica de la BNF, j'ai accès à une édition datée de 1855, mais je viens simplement de donner l'ordre dans lequel Brix a publié les poésies de Gautier, puisque Brix reprend le principe de l'édition de 1845 avec "Albertus" en ouverture, contre la chronologie, puis l'ensemble des Premières poésies qui joint le recueil de 1830 aux poèmes supplémentaires de 1832. Brix reprend aussi les sections "Poésies diverses. 1838" et "Pièces diverses". J'ai un doute sur l'emplacement des "Pièces diverses" dans les éditions des Poésies complètes de 1845 et de 1855, j'ai la flemme de vérifier si elles sont placés avant ou après le recueil hispanique, mais je vous ai expliqué comment vérifier par vous-même. Les éditeurs au vingtième siècle ne remontaient pas plus haut. Ils auraient pu éditer la version Albertus de 1833 et avec plus d'évidence le recueil de 1838 La Comédie de la mort, dont l'ensemble "Poésies diverses. 1838" faisait partie intégrante.
A mon avis, il y a eu un gros échec de perception de l'unité des recueils qui a doublé le désintérêt causé par le mépris des écrivains pédants et peu assidus du début du vingtième, Gide et les surréalistes notamment.
Ci-dessus, vous avez déjà un aperçu de l'importance maximale de Gautier poète pour Hugo et Baudelaire, et vous entrevoyez son importance pour Rimbaud.
Il y a peu Jacques Bienvenu publiait sur son blog un article où il était rappelé que Rimbaud avait dû reprendre la forme verbale "Incague" à un poème de Théophile de Viau mentionné par Théophile Gautier dans ses Grotesques. Il faut rappeler que Théophile de Viau et Saint-Amant étaient deux poètes, un peu sulfureux et aussi légèrement en marge du classicisme, qu'affectionnait particulièrement Théophile Gautier. L'écho des prénoms a son importance dans la liaison entre Théophile de Viau et Théophile Gautier. Le verbe "Incague" est aussi utilisé par Pierre Corneille, mais il est évident que Rimbaud lisait de très près les poésies de Gautier et aussi ses œuvres en prose. Intuitivement, je suis frappé par la ressemblance des poèmes en prose des Illuminations avec le style de Gautier prosateur. Rimbaud n'écrit pas du tout comme le Baudelaire du Spleen de Paris, il n'écrit pas comme Michelet, Balzac, Chateaubriand, Sand, Mérimée, Flaubert, Aloysius Bertrand, et il ne se confond pas avec Victor Hugo, mais je trouve que la grammaire en prose de Rimbaud est très proche de la manière de Gautier. Je ne pense pas cela d'Une saison en enfer, mais je perçois cette affiliation du côté des poèmes en prose des Illuminations. Un jour, je travaillerai à démêler tout ça, à prouver ou infirmer mon intuition. C'est assez amusant quand on songe à l'opposition de légende entre Gautier et Rimbaud dans l'estime des écrivains du vingtième siècle.
Le poème "Voyelles" est lui aussi au centre des enjeux.
Rimbaud y emploie le néologisme de Gautier "vibrements", et aussi le néologisme "strideurs" qui vient de plus loin avec Buffon, mais le couplage à "clairon" renvoie à un vers d'un poème de Philothée O'Neddy du recueil Feu et flamme de 1833, époque de compagnonnage avec Gautier, et le mot "strideur" venait d'être employé par Gautier dans ses Tableaux du siège.
A l'heure actuelle, les rimbaldiens ne veulent pas admettre qu'il soit question des morts de la Commune dans "Voyelles", ils daubent superbement les liens lexicaux étroits avec "Paris se repeuple" et "Les Mains de Jeanne-Marie". Ils daubent l'idée de charnier pour l'image longue du "A noir", préférant se limiter à la référence d'une seule charogne baudelairienne. Ils ne font trop rien de la référence au Jugement dernier du tercet du O bleu. Les rimbaldiens rejettent aussi l'idée que Rimbaud soit autre chose que fumiste quand il parle de correspondances entre voyelles et couleurs. Certes, Rimbaud n'a aucune raison de croire en cette thèse qui associe chaque voyelle à une couleur précise, mais le propos du sonnet n'est pas là.
Je ne suis pas d'accord avec tous les développements partisans de Brix dans sa préface où il oppose Baudelaire, Sainte-Beuve et Gautier à Victor Hugo. Toutefois, je dois citer un passage intéressant qui rejoint un constat que j'ai déjà fait et où j'ai vu que j'essuyais un refus sceptique du public. La poésie romantique est née dans un cadre légitimiste pour petit à petit se sublimer dans des recueils de poètes révolutionnaires : Rimbaud et le premier Verlaine. Chateaubriand, Lamartine, Vigny, Nodier et le premier Hugo étaient légitimistes. Dans un cadre d'adhésion à la pensée religieuse, l'idéologie du poète voyant est compréhensible, alors qu'elle ne l'est pas du tout avec un Rimbaud qui dit : "Merde à Dieu", qui précisera dans un courrier à sa mère ne pas y croire et estimer qu'il mourra tout entier, et le vingtième siècle s'est rendu comique par un mysticisme incohérent où des athées pouvaient communier dans la croyance en un absolu de vision de la parole poétique avec Dada, le mouvement surréaliste, mais aussi les constructions littéraires intellectuelles des années soixante, etc. Quand j'ai commencé à publier sur Rimbaud, j'étais encore pris dans cette gangue de fin de vingtième siècle où ce que le critique croit lire dans un poème a été forcément pensé par le poète, où un jeu de mots qu'on peut faire à partir d'un texte d'auteur a été forcément pris en considération par l'auteur. Je n'allais pas aussi loin dans le délire, mais je sais que ma manière d'écrire, d'aborder les textes s'en ressentaient quand même. Depuis vingt-cinq ans, tout cela est enfin remis à plat, reflue, et je participe avec d'autres rimbaldiens à ce reflux. Mais je ne perds pas de vue ce qu'il s'est passé et ce qui m'a un peu formaté contre ma volonté au cours de mon adolescence, lors de mon passage à l'Université également. J'étais contaminé par une approche qui m'était nécessaire pour obtenir des résultats universitaires et aussi pour avoir des conversations courantes. Depuis une vingtaine d'années, tout cela s'est résolu pour moi par un profond divorce avec la société, puisque je ne parle avec personne de littérature, mes derniers contacts littéraires étant quelques rimbaldiens devenus autant d'inimitiés aujourd'hui.
En relation pour moi avec ce que j'ai à dire sur "Voyelles", voici ce qu'écrit Brix à la page XXVI de sa préface :
 
    [...] Le romantisme est issu d'une volonté de régénérer la littérature, en renouant avec les  sources religieuses de l'expression poétique. Mme de Staël a fait état de ce programme dans deux traités parus au début du XIXe siècle, De la littérature (1800) et De l'Allemagne (1813). Elle y explique en particulier que la création littéraire dérive de l' "enthousiasme", terme qui désigne à la fois l'étincelle divine placée en chacun de nous, les comportements induits par le sentiment de notre transcendance et enfin notre capacité à "pénétrer l'essence des choses." [...]
 
 Pris par sa volonté de dévaloriser Hugo, Brix ne cite pas Lamartine et il va opposer Hugo continuateur de cette idée formulée par Mme de Staël à Sainte-Beuve, Gautier et Baudelaire, puis il va associer Baudelaire et Gautier dans une similaire théorie des correspondances.
Or, il faut revenir sur tous ces points. Mme de Staël n'est pas légitimiste, mais elle se fait le relais d'une pensée religieuse réactionnaire allemande avec Holderlin, Novalis et aussi les frères Schlegel, sachant qu'elle fréquentait le plus nationaliste des deux. Ce mysticisme est un peu ridicule dans la littérature allemande, alors que s'il le semble en surface dans la poésie française il a le mérite d'être un jouet rhétorique qu'on peut plus facilement dégrossir à la lecture. On ne lit pas les poésies de Victor Hugo au premier degré comme on lit les fatrasies d'un Novalis ou d'un Holderlin.
Toutefois, la théorie des correspondances vient aussi du domaine allemand, Baudelaire les lie explicitement à Hoffmann, le conteur. Mais, la théorie des correspondances a aussi partie liée avec l'expression religieuse chrétienne, le sonnet "Les Correspondances" étant farcis d'emprunts à Chateaubriand et Hugo bien relevés par Antoine Fongaro, mais aussi comme je l'ai monté à plusieurs poèmes clefs de Lamartine. Gautier admirait Victor Hugo, et Baudelaire dit en toutes lettres que le maître des correspondances n'est autre que Victor Hugo, ce que ne peut évacuer le contrepoids des critiques virulentes par ailleurs.
Quant à la théorie de l'enthousiasme, il faut rappeler que Lamartine crée un poème de ce titre dans ses Méditations poétiques, que Victor Hugo et Théophile Gautier, tous deux si je ne m'abuse ou au moins l'un des deux, en ont fait autant ensuite dans leurs premiers recueils, et cette notion renvoie à la théorie platonicienne du génie poétique inspiré par un dieu.
Dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871, Rimbaud lie d'un seul tenant dans l'évolution d'une poésie de voyants les noms de Lamartine, Hugo, Gautier, Banville, Leconte de Lisle et Baudelaire.
Et, sonnet sur l'usage du langage pour rendre compte de visions, "Voyelles" est nécessairement une métaphore de cette fonction du poète, de cette conception haute de la poésie sur laquelle Rimbaud a tout misé avant l'effondrement brutal de la Commune.
La lettre du 15 mai 1871 est datée d'une semaine avant le début de la Semaine sanglante et elle contient le poème "Chant de guerre Parisien" où Rimbaud exprimait sa foi en la victoire du mouvement, et récemment Yves Reboul a publié dans la revue Parade sauvage un article qui établit que la composition était toute récente, tenant compte de combats décrits dans la presse au premier tiers du mois de mai 1871, ce qui n'a pas ébranlé la confiance de Rimbaud.
Pour moi, "Voyelles" est clairement un poème qui décrit la situation de Rimbaud après la semaine sanglante. C'est clairement un état des lieux à propos de cette théorie, et c'est aussi très clairement un sonnet qui fait rayonner ensemble un tissu d'éléments pour interroger les derniers voyants encore en vie sur ce qu'ils sont, à savoir Hugo, Banville, Leconte de Lisle et Gautier, puisque Lamartine et Baudelaire n'étaient plus là.
Et je suis vraiment surpris que les rimbaldiens ne pressentent pas cet horizon de lecture-là. Je ne comprends pas où ça coince. Et c'est parfaitement compatible avec une lecture pour partie ironique du sonnet sur les pouvoirs démiurgiques que se prête Hugo notamment.
Je ne comprends pas où ça coince, tout ce qui peut empêcher les rimbaldiens d'emboîter le pas.
Je gagnerai à l'usure comme d'habitude. Ici, Gautier est un indice à "vibrements" difficilement contournable.
 

samedi 26 avril 2025

Maigres mentions de Marceline Desbordes-Valmore dans l'édition critique des Romances sans paroles par Murphy

En août et septembre 2023, j'ai mis en ligne des articles qui montrent qu'au printemps 1872 Rimbaud et Verlaine s'inspirent massivement de poèmes de Marceline Desbordes-Valmore. "Larme" s'inspire d'elle, mais surtout plusieurs des "Ariettes oubliées" de Verlaine sont des démarcations de poèmes de Desbordes-Valmore et notamment la première des "Ariettes oubliées", celle qui a une épigraphe en vers de Favart et qui a été publiée en mai dans la revue La Renaissance littéraire et artistique, démarque précisément le poème "C'est moi" d'où Rimbaud a extrait la citation : "Prends-y garde, ô ma vie absente !" Et l'interjection : "n'est-ce pas ?" faisait partie des emprunts à ce poème.
 
 
J'ai sous la main l'édition critique des Romances sans paroles de Steve Murphy, et je m'aide de l'index pour citer les passages où il est question de Marceline Desbordes-Valmore.
La découverte est d'une telle ampleur que les rimbaldiens et verlainiens vont devoir la traiter d'une façon ou d'une autre. Le lien à Desbordes-Valmore concernait essentiellement la quatrième des "Ariettes oubliées" à cause du vers de onze syllabes et de la rime "jeunes filles"/"charmilles". Il n'était nullement question des autres "ariettes oubliées", et pas du tout de la première et de son lien direct à "C'est moi". Et "Larme" n'a jamais été traité comme un poème s'inspirant de la poétesse douaisienne malgré le recours à un vers de onze syllabes, mais parce que la césure n'a rien à voir.
Les citations suivantes dans le livre de Murphy servent de témoignage sur mes antériorités et l'importance du travail que j'ai effectué :
 
Page 274 : paragraphe de six lignes suivi de la citation des vers de "Rêve intermittent d'une nuit triste" qui contiennent la rime "charmilles"/"jeunes filles", source ici attribuée à Gretchen Schultz dans un article de 1998.  Murphy utilise le conditionnel : "pourrait bien rappeler la première rime de Marceline Desbordes-Valmore". Moi, j'affirme qu'il s'agit d'un rappel.
 
Page 278 : citation de Georges Zayad que Murphy dément ensuite. Zayed dit que Verlaine emploie l'ennéasyllabe à cause de Rimbaud, et l'hendécasyllabe à cause de Desbordes-Valmore. En réalité, il faut se reporter à mes articles autour du traité de Banville pour l'origine d'un recours aux vers de neuf syllabes et même de treize syllabes chez Verlaine, et cela concerne aussi le vers de onze syllabes, mais de fait la quatrième ariette s'inspire directement du "Rêve intermittent d'une nuit triste" de Desbordes-Valmore.
 
Pages 307 note 2 : Murphy cite incidemment la résolution du vers énigmatique : "Prends-y garde, ô ma vie absente !" qui passait pour un inédit de Rimbaud et qui était un vers de Desbordes-Valmore. Murphy ne fait pas le lien !!! avec la première des "ariettes oubliées" et le poème "C'est moi" d'où vient le vers cité par Rimbaud.
 
Page 340 : note à propos de la première ariette qui va dans le bon sens, Murphy rappelle qu'Olivier Bivort a souligné que l'interjection "n'est-ce pas ?" est fréquente "dans la poésie intimiste du XIXe s. (Lamartine, Hugo, Sainte-Beuve, Desbordes-Valmore, etc.)". Bivort ne va pas jusqu'à identifier que Verlaine reprend le "n'est-ce pas ?" au poème "C'est moi" cité par Rimbaud !
 
Page 347 : note concernant la quatrième des "Ariettes oubliées", celle admise comme en lien à la poétesse : "Réminiscence possible d'un poème de Desbordes-Valmore, Les Sanglots : "Pour entendre gémir les âmes condamnées / Sans pouvoir dire : "Allez ! vous êtes pardonnées." [Le Dantec, 1951, 920]."
Moi, je n'ai aucun doute sur la validité de l'apport fourni par Le Dantec.
 
Page 360 : A propos de la septième des "Ariettes oubliées", Murphy critique une idée d'Antoine Adam qui disait que l'influence de Desbordes-Valmore qui explique le recours de Verlaine aux distiques. Murphy a raison de dire que c'est faux dans l'absolu et que Verlaine s'en sert auparavant, mais vu l'influence globale de la poétesse sur l'ensemble des "Ariettes oubliées", il faut que j'aille voir ça d'un peu plus près...
Même s'il n'a pas tort dans le fond, Murphy est ici dans une position de refus de l'idée d'une influence de Desbordes-Valmore.
 
Page 362 : note en liaison avec la précédente, et toujours à propos du même poème, Murphy persifle l'idée d'une influence de la poétesse en utilisant le conditionnel notamment : "Et l'auteur d'ajouter l'influence de Desbordes-Valmore, qui expliquerait 'certaines innovations métriques, comme le distique [...] ce qui est assez arbitraire."
Le rejet de Murphy des propos d'Antoine Adam, réputé un très mauvais commentateur parmi les éditeurs de Rimbaud et Verlaine, montre qu'il n'a pas vu l'essentiel. Certes, on peut dégonfler l'analyse d'Adam, mais il avait raison. La poétesse est la principale source d'influence des "Ariettes oubliées".
 
Page 410 : nous ne sommes plus avec les "Ariettes oubliées", mais avec la section des "Paysages belges", et on voit que la critique ancienne (avant 1980 quand je dis ça) avait vu l'influence de Desbordes-Valmore, et même si la critique rimbaldienne ou verlainienne a eu un démarrage dans la décennie 1980, avec un rôle moteur de Murphy notamment, au plan de l'influence de Desbordes-Valmore il y a eu une régression. Le Dantec "a comparé ce poème avec Les Roses de Saadi". "Plus récemment, Marc Bertrand a ajouté d'autres comparaisons [...] notamment avec ce vers du Secret perdu : "Voici des noeuds, du fard, des perles et de l'or" et dans Une fleur : "Une femme, une fleur, s'effeuillant sans défense". Propositions intéressantes faites cette fois en 2000. Murphy dit les trouver "plausibles", puis conteste leur intérêt : "il est difficile d'être sûr que ce sont des références volontaires plutôt que des rapprochements aléatoires ou des réminiscences volontaires."
 
Page 414 : A propos de "Spleen", Murphy évoque des intertextes nombreux qui ont été proposés, mais la liste est simplement la mention des noms de différents poètes : Byron, Shakespeare, Ronsard, Nerval, Baudelaire, Desbordes-Valmore, Rimbaud", seuls les intertextes de Baudelaire méritent une précision de la part de Murphy : les quatre "spleen" et "Semper eadem", et le Hamlet de Shakespeare. Le lien à la poétesse serait dû à Zayed si je lis entre les lignes et Murphy conclut ainsi : "aucun de ces intertextes ne suggère véritablement un rapport direct : il s'agit plutôt de rapprochements thématiques peu concluants."
 
J'irai voir cela de plus près.
En août-septembre 2023, j'ai montré que trois au moins des "Ariettes oubliées" étaient massivement inspirées par la lecture des poèmes de Marceline Desbordes-Valmore et cela concernait également "Larme" de Rimbaud... Pour l'instant, seule la quatrième des "Ariettes oubliées" est considérée sous cet angle.
Il va de soi qu'on ne me contactera pas pour faire une mise au point dans un article pour la Revue Verlaine...
Qui va se lancer ?

mercredi 23 avril 2025

Lacunes importantes de l'édition du prétendu '"Cahier de Douai / Recueil Demeny" pour le programme du Bac par SCepi et Steinmetz en GF

Pendant quelques années, les poèmes de Rimbaud de l'année 1870 sont au programme du baccalauréat de français. Plusieurs éditions parascolaires ont vu le jour, mais en Garnier-Flammarion une édition plus conséquente a vu le jour. Le volume est plus épais et ressemble à un livre courant au format de poche, et l'édition vient de Jean-Luc Steinmetz et Henri Scepi, deux universitaires qui ont une certaine importance. Jean-Luc Steinmetz a l'exclusivité depuis 1989 des éditions de livres sur Rimbaud en Garnier-Flammarion, même s'il y a belle lurette qu'il n'a plus rien à dire. Il a publié les œuvres complètes en trois volumes, puis cela a été refondu en un seul volume, et nous avons droit maintenant à une troisième édition en Garnier-Flammarion des poésies de 1870 d'Arthur Rimbaud. Il est accompagné par Henri Scepi, professeur en Sorbonne, qui publie parfois des articles sur Rimbaud et qui doit faire partie du cadre du jury au concours de l'Agrégation. Il s'agit d'une édition avec dossier. Précédé d'une page de faux-titre, c'est le mot, le prétendu recueil tient en 56 pages (pages 45 à 100). La présentation est due à la plume de Jean-Luc Steinmetz et fait 36 pages et demie (pages 5 à 41).
Il y a ensuite un dossier un peu en-dessous des 50 pages, mais d'une longueur égale à l'ensemble des poèmes en quelque sorte. La chronologie qui suit est assez fournie, seize pages et demie (pages 151-167), mais dès la page 155 nous sommes au-delà de l'année 1870, nous avons encore douze pages et demie sur la vie de Rimbaud qui ne sont même pas nettement contrebalancées par un historique de la divulgation des manuscrits. On apprend simplement que Rimbaud est mort quand ses poésies étaient publiées par deux inconnus. Il y a ensuite trois pages de "bibliographie sélective" avec une première page consacrée aux "Principales éditions des œuvres d'Arthur Rimbaud" dont l'intérêt pour le lycéen me paraît assez mince. Il fallait bien trouver des astuces pour gonfler le volume.
Moi, ce qui m'intéresse en priorité, c'est de lire les notes de bas de page. Les lycéens et enseignants les prendront inévitablement en compte, ils les liront. Comme les rimbaldiens ignorent que le conte d'Andersen "La petite fille aux allumettes" est une source aux "Etrennes des orphelins" et comme ils ignorent l'importance du sous-titre "Elégie à une mère" du poème "L'Ange et l'enfant" du poète nîmois Jean Reboul, les rimbaldiens ignorent superbement certaines sources importantes aux poèmes remis à Demeny.
 
Le recueil commence par "Première soirée", page 45, et la note 1 qui accompagne le titre rappelle qu'il existe deux versions antérieures, une manuscrite remise à Izambard et une publiée dans une revue. Les quatre notes sont maigres et à part deux précisions lexicales importantes sur "buissonnier" et "mouche", le lycéen ne fait qu'apprendre l'existence de versions antérieures et d'une variante pour un vers. J'imagine mal le lycéen travailler sur les variations entre les versions des poèmes...
La citation évidente d'un poème fort érotique de Victor au premier vers n'est pas rappelée : "Elle était déchaussée..." Il n'y a aucun mot sur le bouclage que constitue la reprise du premier quatrain en quatrain final, procédé courant au dix-neuvième siècle, mais je n'ai pas été frappé par son abondance dans la poésie classique (du Bellay, Ronsard, Malherbe, Boileau, etc.).
 
La deuxième pièce est le prodigieux poème de débutant en deux quatrains : "Sensation". Au nombre de trois, les notes sont désespérantes. La troisième note est lunaire, en nous invitant à avoir confiance en la date livrée sur le manuscrit : "Mars 1870", ce qui pour un lycéen n'a aucun intérêt. La première note qui accompagne le titre ne fait qu'enregistrer l'existence d'une version antérieure et son contexte. La deuxième note est une explication dérisoire du mot "bohémien" : "Un être errant, libre de toute attache." Je remarque en passant qu'il n'y a même pas un mot sur la nécessité de prononcer la diérèse.
La bohème, c'est un thème littéraire qu'a imposé Henry Murger avec son roman Scènes de la vie de bohème. Les seconds romantiques qui avaient créé les Jeune-France, les bousingots, n'avaient pas réussi à créer un cliché les concernant qui fit fureur. L'exploit de Murger était d'importance, et Murger était fort apprécié de Banville, le destinataire de la première version manuscrite du poème. Le recueil des Nuits d'hiver a eu une publication posthume en 1861 et après le sonnet liminaire "au lecteur", nous avons une pièce intitulée "Dédicace de la vie de Bohème" en quatrains d'heptasyllabes. Et du fait de la disposition typographique, on peut donc lire le titre et les deux premiers quatrains sur une seule page. Même si le poème se poursuit à la page suivante, je vous laisse juger de l'effet sur le jeune lecteur qu'était Rimbaud :
 
Comme un enfant de Bohème,
Marchant toujours au hasard,
Ami, je marche de même
Sur le grand chemin de l'art.
 
Et pour bâton de voyage,
Comme le bohémien,
J'ai l'espoir et le courage :
Sans cela je n'aurais rien.
 Que cela aurait d'effet sur le lycéen, si une place lui était faite dans le dossier... Les deux quatrains en alexandrins de Rimbaud sont une amplification de la matière contenue dans ces deux quatrains d'heptasyllabes !
 
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laissera le vent baigner ma tête nue.
 
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.
Vous avec les deux comparaisons : "Comme un enfant de Bohème" et "Comme le bohémien" qui donnent l'hémistiche de Rimbaud : "Comme un bohémien", et vous avez la reprise dans l'ordre inverse de la rime : "bohémien"/"rien" au plan du second quatrain (vers 6 et 8 contre vers 5 et 7).
Pour citer cette source, il faut soit mentionner un article de Chevrier, soit me citer directement. Normalement, Chevrier n'a pas traité de la sorte le cas particulier de "Sensation" et la mise en page des deux quatrains de Murger...
Parmi les autres sources, j'invite à prêter une attention accrue au poème "Thébaïde" de Théophile Gautier dans son recueil Poésies diverses de 1838 qui contient "La Comédie de la mort", un poème intitulé "Les Cariatides" comme le premier recueil de Banville quatre ans plus tard et une quantité élevée de superbes poèmes dont plusieurs ont inspiré des "fleurs du Mal" à Baudelaire. Le poème "Thébaïde" en discours d'alexandrins à rimes plates fournit la rime "Ophélie"/"folie" qu'affectionneront Banville, Murger et Rimbaud. Et, ce n'est sans doute pas un hasard si le poète cherchant les coins les plus reculés fournit le modèle pour Rimbaud de la répétition insistante : "Loin, bien loin,..." (soulignements nôtres !) :
 
Mon rêve le plus cher et le plus caressé,
Le seul qui rie encore à mon cœur oppressé,
C'est de m'ensevelir au fond d'une chartreuse,
Dans une solitude inabordable, affreuse ;
Loin, bien loin, tout là-bas, dans quelque Sierra
Bien sauvage, où jamais voix d'homme ne vibra,
Dans la forêt de pins, parmi les âpres roches,
Où n'arrive pas même un bruit lointain de cloches ;
[...]
Oui, c'est là que j'irais pour respirer ton baume
[...]
De mon cœur dépeuplé  je fermerais la porte
Et j'y ferais la garde, afin qu'un souvenir
Du monde des vivants n'y pût pas revenir ;
J'effacerais mon nom de ma propre mémoire ;
[...]
Rimbaud a changé de sujet et a tourné l'esprit négatif en esprit positif, il a aussi opéré le remarquable glissement du conditionnel au futur de l'indicatif, créant une force expressive saisissante par la même occasion, laquelle est peut-être à tort comparer au poème de Victor Hugo : "Demain, dès l'aube..."
La version initiale contenait un premier hémistiche repris tel quel à un poème de François Coppée, l'hémistiche "par les beaux soirs d'été" du poème "Vers le passé". L'hémistiche est un cliché, il est employé par d'autres poètes dont Banville si je ne m'abuse, mais il peut varier de forme selon que "soir" est au singulier, ou selon le déterminant : "Par ce(s) beau soir(s) d'été", "Par un beau soir d'été", etc. L'expression "soirs bleus" s'inspire du premier vers d'un sonnet des Chimères d'Albert Mérat : "Par un soir bleu d'avril...", Rimbaud ayant repéré une variation plus subtile pour ce cliché.
Il y a bien d'autres choses à dire sur "Sensation", la reprise de sa mention alors au pluriel dans la lettre à Banville, sa montée d'un amour infini qu'on retrouve dans "Soleil et Chair", la comparaison de la Nature à une femme possédée et une sensualité qui s'oppose à un contexte d'influence morale plus sévère de l'Eglise traumatisée par la Révolution.
 
Pour le poème "Le Forgeron", je me permets de ne pas m'y attarder, vu sa longueur. Je lui consacrerai un ou plusieurs articles ultérieurement. Notons tout de même qu'une note nous explique que Rimbaud s'inspirerait d'une gravure fournie par Adolphe Thiers dans son Histoire de la Révolution française de 1828. J'aurais aimé en avoir une reproduction ici. J'irai éprouver l'idée, je suppose que ce livre est disponible en fac-similé sur le site Gallica de la BNF.
 
Nous enchaînons avec l'autre long poème "Soleil et Chair". La note 2 insiste sur deux poètes qui ont fourni des modèles, Leconte de Lisle et Banville, il s'y ajoute le nom de Musset à cause de la référence à un vers de "Rolla" : "Regrettez-vous les temps..." J'aurais aimé que soient cités des poèmes précis de Banville et de Leconte de Lisle, notamment "L'Exil des dieux" qui clôt le recueil récent des Exilés et auquel répond Rimpbaud. Leconte de Lisle montre comment un sujet païen permet de critiquer le christianisme, il faut tout de même le préciser. Il faut ajouter que le poème fait écho aux poèmes de culpabilité chrétienne de l'exil en ce monde et au-delà des poèmes sur des dieux grecs il y a aussi les poèmes métaphysiques de Lamartine qui ont servi de modèle, ainsi que plusieurs poèmes de Victor Hugo, et Baudelaire n'est pas à exclure : "J'aime le souvenir de ces époques nues[...]". Par ailleurs, le poème joue sur le dualisme terre/ciel et sur certaines idées venues du poète latin et épicurien Lucrèce. J'ajoute que l'expressions "baisers du soleil" est plusieurs fois utilisée par Leconte de Lisle, et s'il faut vérifier sa présence chez Banville ou Hugo, elle a une occurrence précoce dans une des Premières poésies de Théophile Gautier.
Il y aurait beaucoup de choses à dire encore sur ce poème, mais il faut au moins donner les premières clefs à un lycéen...
 
Nous avons ensuite le poème "Ophélie". Il n'a droit qu'à cinq notes en deux pages. Deux sont assez maigres : "aune" s'écrit plutôt "aulne" et est une "espèce d'arbre", ou bien "Norwège" est une orthographe ancienne pour "Norvège". Personnellement, je trouve plus avisé, quitte à souligner la graphie "w" de "Norwège" de citer les poètes qui avant Rimbaud ont placé le nom de pays "Norwège" ainsi orthographié à la rime, et à la rime qui plus est avec "neige". Moi, j'ai un dossier en réserve, je publierai mes résultats ultérieurement.
Il y a un commentaire du sens du mot "hallalis". Et puis, pour l'essentiel, le commentaire porte sur les références au drame Hamlet de Shakespeare. Pour les sources, ça tient en une phrase lapidaire : "Rimbaud s'inspire aussi des poèmes 'La Voie lactée' et 'A Henry Murger'  de Banville (Les Cariatides, 1842)." C'est inexact. Le poème "A Henry Murger" fait partie d'un recueil de dix ans postérieur, Odelettes, il fait partie de la version de 1864 abusivement intitulée Les Cariatides, mais pas du recueil de 1842. Qui plus est, la rime "Ophélie"/"folie" a été pratiquée par Gautier dès 1838, quelques années avant Banville. Le poème "La Voie lactée" est très long, et il faudrait préciser qu'il y a tout un développement sur les héroïnes de Shakespeare. Il manque aussi une indication sur l'importance du motif du suicide ou du thème de la femme noyée, au-delà même d'Ophélie, dans la poésie du XIXe siècle. Enfin, il existe un poème intitulé "Ophélia" dont Rimbaud s'inspire directement, puisqu'il fait partie du recueil Nuits d'hiver d'Henry Murger, recueil déjà convoqué pour une source aux quatrains de "Sensation" et même si "La Voie lactée" est une pièce antérieure au poème de Murger, l'odelette "A Henry Murger" fournit la mention à la rime "Ophélie" par hommage au poème de Murger.
Le poème "Ophélia", variation sur le nom déjà pratiquée par Gautier en ses vers, fait partie d'une section intitulée "Les Amoureux" dont le premier poème s'intitule "A Ninon", lequel précède directement "Ophélia"...
Pour citer "Ophélia" de Murger en source au poème "Ophélie" de Rimbaud, il convient encore une fois de me citer, même si une critique Myriam Robic a cité le poème de Murger dans une étude sur ce sujet où il était aussi question de Banville, Rimbaud, sauf qu'elle ne précise pas que le poème de Murger est une source au poème de Rimbaud.
A cause du bouclage, reprise en partie du premier quatrain dans le dernier quatrain du poème, une autre source est à signaler à l'attention, le poème  "Les Deux âges" des Premières poésies de Théophile Gautier. Dans l'édition de Michel Brix chez Bartillat des Oeuvres poétiques complètes de Gautier, le poème sans titre est la quatrième des "Elégies" : "Ce n'était l'an passé [...]". Rimbaud y a repris l'idée du bouclage partiel et surtout il en a retenu le motif de l’œil bleu, ce qui renforce la nécessité d'une annotation critique à ce sujet. D'ailleurs, dans l'édition Bartillat, l'expression "aux baisers du soleil" est à la fin de la deuxième des élégies, page 60, tandis que les mentions de "l’œil bleu" pour la quatrième élégie figurent aux pages 61 et 62.
Il y aurait d'autres idées à mettre en avant ici, mais il faut faire des choix.
 
Pour "Bal des pendus", les notes de bas de page ne rapportent en aucune façon la thèse d'une satire contre le régime impérial défait après Sedan. Ils en restent à l'idée d'un poème inspiré par Villon, Gautier, le Gringoire de Banville et Hugo. Il faut être précis avec le Gringoire de Banville. La scène IV qui contient la récitation de la "Ballades des pendus" de Gringoire est la source à la fois pour le devoir scolaire dont parle Izambard et pour "Bal des pendus", et cela implique de prendre en considération une partie des dialogues en prose. A la scène VIII, une autre ballade est partiellement récitée, mais c'est la scène IV et la "Ballade des pendus" de Gringoire qui importent. Il faudra ajouter à "Bûchers et tombeaux" du recueil Emaux et camées un grand nombre de sources du côté des poésies de Théophile Gautier, en s'intéressant à "Albertus", à "la Comédie de la mort", à quelques-unes des Premières poésies et d'autres des Poésies diverses de 1838, en me citant inévitablement pour ces apports. Il faudra aussi me citer pour les rapprochements avec des poème à bouclage où la mesure du vers varie dans les Odes et ballades de Victor Hugo.
 
Pour "Le Châtiment de Tartufe", la citation de la comédie de Molière va de soi puisque Rimbaud en cite directement un vers. Mais, les notes se contentent de renvoyer au personnage de la pièce, et ne mentionnent pas les vers démarqués par Rimbaud et qui sont à la chute du sonnet.
L'acrostiche est acté, mais bizarrement. La note 4 décrit l'acrostiche comme incomplet, en omettant de préciser que la signature du manuscrit le complète... Il s'agit d'une découverte essentielle faite par Steve Murphy et il faut aussi en apprécier la construction, le "Ar" de "Jules César" est arraché comme un vêtement par le poète qui double l'acte du Méchant. Il manque aussi des renvois au recueil Les Châtiments de Victor Hugo, en évitant bien sûr de faire écho à la contrepartie fâcheuse de l'étude de Murphy sur ce poème. Murphy envisageait sans raison que Rimbaud raillait Hugo de ne pas être assez méchant en laissant tout nu le personnage, ce qui n'a cette fois aucun lien cohérent avec le poème. L'orthographe "Tarfufe" est courante à l'époque et est pratiquée par Banville, Gautier et d'autres, ce qui explique que Rimbaud n'ait pas suivi le modèle imposé par le titre de Molière, qui devait être pensé comme une faute d'orthographe par Rimbaud, Banville, etc.

Pour "Vénus anadyomène", je passe plus vite. Deux sources clefs sont donnés : le poème "Les Antres malsains" de Glatigny et un dizain osé de Coppée publié dans le Parnasse contemporain, mais éliminé discrètement par la suite. J'aurais d'autres idées à soumettre ici, mais ce sera pour une autre fois.
 
Nous en arrivons aux "Reparties de Nina". Pas une seule note ne cite Musset !!!!!!!!!!!!!!!!!! Pas une seule !!!
Je vous explique ! Si on connaît le personnage historique de Ninon de Lenclos, Musset est le poète qui célèbre les amours pour des filles nommées Nina ou Ninon. Cela est devenu un cliché tout au long du XIXe siècle, pratiqué en prose par un Zola avec ses Contes à Ninon qui doivent être un peu antérieurs au poème de Rimbaud, mais les "Ninon", "Ninette", "Nina" qui reviennent dans plusieurs vers de Musset se rencontrent en bon cliché dans les vers de nombreux autres poètes, et on peut citer Charles Coran ou bien justement comme je le faisais tout à l'heure Henry Murger, avec sa section "Les Amoureux" où la pièce "A Ninon" précède le poème "Ophélia". Et Murger a créé le personnage de Mimi Pinson qui est l'équivalent de la Ninon ou Nina de Musset. Je précise que le poème "Ce qui retient Nina" a la même forme de quatrain (alternance d'octosyllabes et de vers de quatre syllabes) que le poème "Mes petites amoureuses". Murger vous fournit un poème "A Ninon" qui ouvre une section "Les Amoureux". Daudet a produit un recueil intitulé Les Amoureuses où il est question de "mouron", mais Rimbaud reprend le titre légèrement modifié d'un poème de Glatigny "Mes petites amoureuses".
Or, la forme de quatrain de "Ce qui retient Nina" est rare et c'est celle de la "Chanson de Fortunio" de la comédie Le Chandelier de Musset, et dans l'édition de ses poésies Musset a mis la "Chanson de Fortunio" et l'a fait suivre du poème "Réponse à Ninon", et il va de soi que "Ce qui retient Nina" reprend des éléments de ces deux poèmes auxquels il répond par ses échos. Et Glatigny a fourni en 1870 une préface à ses premiers recueils de poésies en citant le personnage Fortunio de Musset et en faisant clairement allusion à la comédie et à sa parodie où Fortunio est l'homme d'âge mûr dans l'opérette d'Offenbach La Chanson de Fortunio. Là encore, il faut me citer pour ces mises au point. Cela fait déjà un certain temps que j'ai indiqué la "Chanson de Fortunio" et "Réponse à Ninon" en sources au poème "Ce qui retient Nina". Pour la chute du poème, la note n'est pas écrite très clairement, à cause de la juxtaposition avec la variante du manuscrit remis à Izambard, mais elle semble bien affirmer avec raison que quelle que soit la version il est question d'une employé de bureau, Nina étant une femme entretenue. Le poème "Ce qui retient Nina" est bâti sur plusieurs inversions : l'amour n'est pas partagé, la belle n'est pas naïve, c'est une femme entretenue et le poète fait donc des compromis, voilà pour le cadre amoureux, et pour le cadre offert par la Nature au lieu de l'idéalisation le poète avoue son plaisir pour une réalité triviale, pour une Nature qui a des odeurs...
 
Passons ensuite au poème "A la Musique". La note 1 souligne le caractère de chose vue du titre et de l'épigraphe initiale du manuscrit remis à Izambard : "Place de la gare, tous les jeudis soirs", puis la minimise en citant la source littéraire, le poème "Promenades d'hiver" de Glatigny. Je ne minimiserais pas l'aspect "chose vue". L'idée est plutôt d'une rencontre entre la perspective offerte par une lecture et le vécu. Je ne comprends pas pourquoi les rimbaldiens opposent ici la "chose vue" et la littérature.
La note 3 est catastrophique, elle cite la mauvaise référence, le programme du "10 juillet 1870", alors que Rimbaud parlait en épigraphe pour Izambard de "jeudis soirs" en fonction du programme du mois de juin. C'est inacceptable de se tromper de la sorte, vu l'enjeu d'interprétation du poème. Le 10 juillet, la guerre franco-prussienne allait éclater, et en fixant dans l'esprit du lycéen la référence du 10 juillet on invite celui-ci à croire que le poème évoque les premiers troubles de l'actualité dans la population. Non, le poème, il date de juin. Une coïncidence a rattrapé Rimbaud, parce que "musique allemande" et "orchestre militaire" allaient devenir une tout autre actualité peu de semaines après la composition du poème. Et c'est parce que Rimbaud considérait que son poème ne parlait pas de la guerre franco-prussienne que dans sa lettre du 25 août 1870 il a créé une variante en prose d'une partie de son poème en parlant de l'actualité du "patrouillotisme" de ses compatriotes. Charleville était à proximité de la ville de garnison, Mézières, ce qui explique la musique militaire. Une note sur les "traités" invite à penser que la population parle de plusieurs "traités politiques et militaires liés à la préparation de la guerre contre la Prusse", mais la déclaration de guerre a été soudaine. Il n'y avait aucune discussion des traités dans la presse de l'époque en juin. Et le poème dans la version remise à Demeny efface clairement la mention "musique allemande" à la rime.
Sur ce problème d'interprétation, il conviendra là encore de me citer, avec mon commentaire précis de la lettre du 25 août. Rimbaud n'avait aucune raison d'écrire en prose ce qu'il était censé avoir dit en vers dans un poème précédemment remis au même destinataire Izambard, lequel, ayant vécu le don de ce poème, affirmait clairement que le poème datait de juin, ce qui veut dire qu'il n'avait rien à voir avec la guerre. Les rimbaldiens doivent admettre qu'il y a parfois des coïncidences et savoir apprécier ce qui permet de ne pas sauter dedans à pieds joints. Moi, je veux bien laisser une porte ouverte pour la réflexion... Mais, pour l'instant, on affirme sans réfléchir qu'il est évident que le poème parle du démarrage de la guerre franco-prussienne. Vous trouvez ? Les bourgeois vont à un concert, tous les jeudis soirs. Ils n'ont pas l'air de vraiment s'échauffer les esprits.
On force le lycéen à une interprétation qui selon les indices dont nous disposons est un probable contresens.
 
Pour le poème "Les Effarés", les notes sont dérisoires et ne font que mentionner les variantes d'une copie ultérieure par Verlaine. La source chez Verlaine pour la rime "culotte"/"tremblote" est ignorée, cela vient d'un poème des Fêtes galantes. Le découpage des sizains en tercets à l'aide de blancs séparateurs n'est pas commenté. Il y a un dossier à constituer des exemples antérieurs chez Hugo et quelques rares autres poètes. Evidemment, la source dans les poésies d'Auguste de Châtillon n'est pas identifiée. Il manque aussi un développement conséquent sur la source du côté des Misérables de Victor Hugo, ainsi que deux emprunts à Gautier "quand minuit sonne" et "Du ciel rouvert" pour l'originel "Du ciel ouvert". Il faut me citer pour les liens à Gautier et Châtillon.
 
Pour "Roman", les notes sont dérisoires. Le verbe "Robinsonne" est commenté comme un néologisme, mais on attend un relevé des attestations antérieures, Chevrier en a relevé. Il manque une mise au point sur le premier vers, il manque l'information biographique croustillante où le poème est écrit à Douai quand le poète "mauvais goût" Demeny courtise et engrosse une demoiselle de dix-sept ans que quelques mois après il va justement devoir épouser précipitamment pour légitimer le bébé. Il manque de remarques sur la forme comme l'avait fait Jean-François Laurent pour l'édition du centenaire. Il manque une étude sur le bouclage et sur le rejet de l'adjectif "verts", sachant qu'on aura le symétrique rejet de "rouges" au dernier vers du "Dormeur du Val"...
Il manque évidemment toutes les sources, notamment chez Banville avec notamment le poème "Stephen", il manque l'idée que "Roman" fait référence aux contes en vers initiés par Musset et imités par Banville.
Evidemment, là encore, il convient de me citer.
 
On passe au sonnet sans titre : "Morts de Quatre-vingt-douze..." Les notes sont éclairantes pour les allusions historiques, pour l'épigraphe "fait à Mazas", sur le portrait des Cassagnac (parents de Lissagaray tout de même !), mais il manque les références à Victor Hugo et un commentaire de l'enjambement du trimètre. Cornulier souligne un effet de sens sur la particule "de" anormalement dressée devant la césure, mais il cède ici à une démarche intuitive, puisque, dans l'absolu, le fait de forcer une césure peut permettre autant une mise en relief du mot qui précède "de" que du mot qui suit "Fleurus" avec calembour à la clef.
C'est ça qu'il faut savoir soumettre comme débat à un lycéen.
 
Je passe sur le sonnet "Le Mal" où il y aurait plus à dire sur les emprunts aux Châtiments et aussi sur la forme rhétorique du sonnet, Hugo n'ayant encore jamais publié un seul sonnet à cette époque qui plus est.
Je reviendrai prochainement sur les sonnets de Rimbaud.
 
Pour le sonnet "Rages de Césars", les notes sont désastreuses, la note 1 affirme que le poème date vraisemblablement de septembre 1870 et la note 3 identifie simplement Saint-Cloud à une "résidence impériale". Dans l'édition du centenaire, Marc Ascione a indiqué que Rimbaud semblait faire allusion au fait que le château de Saint-Cloud ait été détruit par un incendie suite aux attaques prussiennes le 14 octobre 1870. On me répondre comme je le faisais pour "A la Musique" qu'il s'agit d'une coïncidence... Ascione ne le croyait pas, et cela est d'importance pour tout ce qu'on croit savoir de Rimbaud et au plan du dossier de poèmes de 1870 remis à Demeny. La question qui se pose, c'est : "est-ce que Rimbaud n'a pas remis en plusieurs fois tous ses poèmes  manuscrits à Demeny, mais lors du seul second séjour à Douai !"
Parti le 29 août environ de Charleville pour aller à Paris, Rimbaud a été incarcéré à Mazas. Personne ne sait s'il aurait pu s'installer et vivre à Paris. Est-ce qu'il était parti avec tous ses manuscrits sous le bras ? Est-ce que ce n'est pas plutôt lors de la seconde fugue que décidé à être journaliste Rimbaud serait parti avec ses manuscrits sous le bras ? Est-ce que Rimbaud n'aurait pas recopié les sept sonnets dits du "cycle belge" avant tous les autres feuillets ?
Selon le témoignage d'Izambard, Rimbaud ne recopiait ses poèmes qu'au recto ce qui indignait ses hôtes qui lui fournissaient l'encre et le papier. Et Izambard parle d'un Rimbaud qui recopiait abondamment ses poèmes lors du seul second séjour ! Et Izambard n'a pas exhibé un doublon du dossier remis à Demeny. En clair, Rimbaud n'a eu le droit que de recopier une seule fois ses poèmes, on lui a mis la pression pour qu'il les recopie au recto et au verso, et à la fin faute d'encre il a dû se contenter du crayon. Ce ne serait pas plutôt ça qui s'est passé ? Et on aurait toujours cru à tort que Rimbaud aurait recopié les sept sonnets du cycle belge après quinze poèmes plus anciens... Pourquoi "Le Châtiment de Tartufe" et "Rages de Césars" ne seraient-ils pas contemporains des sonnets dits du "cycle belge" ?
Les rimbaldiens nous imposent de croire que Rimbaud a composé un recueil qui se termine par une série de sept sonnets, alors que trois sonnets figurent au milieu des quinze autres créations, parmi lesquels deux sonnets contre Napoléon III qui sont nettement proches de "L'Eclatante victoire de Sarrebruck".
Je le dis depuis longtemps, le tréma sur "Sarrebrück" n'est pas un trait subtil pour donner plus l'air allemand à un nom allemand, c'est une faute d'orthographe que Rimbaud a reprise inconscient que c'en était une dans la presse. Le journal Le Monde illustré orthographiait le nom de ville avec un tréma, et il y a un article du Monde illustré de fin septembre sinon début octobre où on a la superposition d'un empereur qui fume sur le lieu de bataille dans sa voiture de prisonnier et l'assimilation à un Tartuffe avec la citation de Molière "Le pauvre homme !" Blague qui est à sa place, les français étant les véritables maîtres de la maison en quelque sorte dans l'esprit de cet article du Monde illustré. Outre que Rimbaud a passé les jours de la chute de Sedan en prison, il a fallu quelques jours pour qu'il apprenne que Napoléon III était enfermé à Wilhelmshohe, puis pour qu'il compose un sonnet. Le sonnet a été écrit soit lors du premier séjour à Douai, soit lors du bref moment de retour à Charleville, soit sur les routes pendant la fugue belge, soit lors du second séjour à Douai. Pourquoi forcément le mois de septembre ? L'ensemble supposé plus ancien de quinze poèmes contient deux poèmes datés : "Les Effarés" du 22 septembre et "Roman" du 29 septembre. Pourquoi Rimbaud n'a-t-il pas daté "Rages de Césars" de son premier séjour à Douai si cette composition est donc dans le même cas que "Les Effarés" et "Roman" ?
Rimbaud n'a pas daté "Ma Bohême" non plus... Rimbaud était-il à Douai un peu au-delà du 14 octobre oui ou non ?
 Enfin, la lecture ne perd-elle pas beaucoup de son sel s'il n'y a pas dans sa chute, dans son dernier vers de "fin nuage bleu" à "Saint-Cloud" une allusion à la destruction du château auquel songe Napoléon III prisonnier à Wilhelmshohe ?
 
Pour "Rêvé pour l'hiver", la première note fait remarquer que la date renvoie à la second fugue, celle vers la Belgique, et qu'il y a une variation dans la mesure du vers. Il manque le modèle, le sonnet "Au désir" de Sully Prudhomme que Rimbaud a lu et relu en août dans le recueil Les Epreuves dont il parle avec dédain dans sa lettre à Izambard. Baudelaire dans ses sonnets adopte l'alternance classique à la François Maynard pour les tercets. Les tercets de Rimbaud sont sur le modèle de Sully Prudhomme. Point barre ! Je l'ai écrit depuis longtemps, merci de me citer.
J'ajoute que "Rêvé pour l'hiver" réécrit le poème final des Cariatides "A une Muse", plus tard devenu "A une Muse folle". Merci de me citer.
 
Pour "Le Dormeur du Val", il n'y a pas de note, autre qu'un renvoi à la probable erreur de dire le poème publié dans le Progrès des Ardennes en 1870 même, alors que ce fut par Darzens dans une anthologie en 1888. Il y a tellement de choses à dire sur ce sonnet et sur ses ambiguïtés qui rendent délicate l'interprétation...
 
Pour "Au Cabaret-Vert", la première note dit que le titre ne fait pas figure d'enseigne, ce qui se comprend vu la rallonge, "cinq heures du soir", il manque toutefois la référence au titre du plus célèbre poème d'Auguste de Châtillon "A la grand-pinte". Merci de me citer. Rimbaud transfigure bien sûr le lieu "La Maison verte" à Charleroi. Il s'inspire aussi de vers de Banville, dont "aux cailloux des chemins", merci de me citer. Il s'inspire aussi de vers de Banville dans "La Maline", le doublon du présent sonnet. Les notes pour "La Maline" sont dérisoires et dire que "une froid" c'est un "trait de langue populaire", je veux bien, mais il faudrait arriver à m'en convaincre...
 
Pour "L'Eclatante victoire de Sarrebruck", les notes prétendent que Rimbaud s'appuient sur une vraie gravure ou illustration d'époque. Je ne suis pas du tout d'accord, ni Murphy. C'est évident que la description est littéraire et sans comparaison possible avec une authentique image d'Epinal d'époque. Je les ai vues, les images d'Epinal du Premier Empire ou autour de Napoléon III, ça n'a rien à voir dans les codes descriptifs, mais rien.
 
 Pas de note pour "Le Buffet", il restera froid.
 
Pour "Ma Bohème", l'orthographe est corrigée, alors que ce n'est pas le cas plus tôt pour "Sarrebrück". C'est un peu ballot, vu que s'il y a faute d'orthographe dans les deux cas, celle sur "Ma Bohême" est reprise à l'édition des Cariatides de Banville de 1842, avant que cela ne soit remanié dans les éditions ultérieures ! Banville faisait la faute d'orthographe à peu d'années de distance du lancement du poncif par Murger. Le poème "Ma Bohême" reprend plusieurs rimes à des poèmes des Odes funambulesques justement. La note 1 rejette la référence à Murger. Chevrier ne sera pas d'accord, et moi non plus qui suis allé jusqu'à remarquer que dans le dossier des auteurs qui écrivent des études sur Murger après le recueil Nuits d'hiver vous avez la mention "frou-frou" et des idées qui se retrouvent comme par hasard dans "Ma Bohême", tandis que Banville imité ici par Rimbaud était un admirateur de Murger. Cette note est encore une fois ca-ta-stro-phique. La note sur les élastiques est bien meilleure, même si elle ne cite pas sa source : un article récent disponible sur internet de Benoît de Cornulier : "Ces 'élastiques' désignent moins les lacets que les bandes élastiques des tiges des chaussures dont la forme le plus souvent évasée peut rappeler le dessin d'une lyre.
Bienvenu envisage que la rime "idéal"/"féal" est reprise au poète Mallarmé. Pour les tercets, la rime "fantastiques"/"élastiques" n'est pas seule reprise à un sizain du "Saut du tremplin", poème conclusif des Odes funambulesques, mais j'ai depuis longtemps montré à d'autres signes évidents que Rimbaud démarquait tout le sizain du "Saut du tremplin" qui contient cette rime. Merci de me citer. Un commentaire métrique s'impose d'ailleurs sur l'avant-dernier vers et son "je" devant la césure, et je rappelle que l'hémistiche "un pied près de son cœur" est une fantaisie de compassion du poète pour ses pieds qui ont énormément souffert, ce qui doit tempérer le discours qui célèbre ce poème comme une pure revendication de "liberté libre"... Merci de me citer peut-être aussi pour cette nuance.
 
C'est fou ce qu'il conviendrait de me citer abondamment dans un bon travail d'annotations des poésies de Rimbaud...
Il y a des petits malins qui croient pouvoir s'en dispenser...