mercredi 24 décembre 2025

Compte rendu du livre de Bardel et Oriol : Arthur Rimbaud, Les Illuminations [manuscrits] (suite et fin) [mise à jour 25/12 à midi)

Nous avons vu que l'ouvrage a un propos, se donne une mission et qu'il y déroge en ne fournissant pas toutes les données utiles aux lecteurs, en n'étudiant pas tous les indices des manuscrits.
Il s'agit de prouver par les indices des manuscrits que le recueil a été élaboré par Rimbaud jusqu'à un parfait ordonnancement des poèmes. Il s'agit aussi de valoriser une édition où les photographies seraient d'une qualité supérieure à ce qui s'est fait jusque-là. Toutefois, plusieurs manuscrits sont fournis en fac-similé par la reprise telle quelle de publications plus anciennes. Le fac-similé de "Mouvement" est repris au livre de 1985 Poétique du fragment d'André Guyaux, ce qui n'apporte aucune évolution. Les éléments périphériques sont peu lisibles, on croit deviner le chiffre 1 de la pagination par la revue Vogue, "Mouvement" étant le premier poème publié dans le numéro 9 de la revue, mais une photographie de meilleure qualité serait souhaitable pour s'en assurer. Un élément sur le coin supérieur gauche n'est toujours pas déchiffrable. Et les auteurs ne signalent même pas ces lacunes à l'attention. Le manuscrit de "Bottom" et "H" vient sur la double page suivante, pages 74 et 75, et il n'est que la reprise du fac-similé fourni jadis par Bouillane de Lacoste dans son livre de 1949 sur le "problème des Illuminations". Or, le fac-similé a été visiblement toiletté, ce que Bardel et Oriol ne commentent, ni ne précisent. La photographie du manuscrit de "Génie" est de qualité, mais vient d'un catalogue de vente de 2006. C'est le cas également pour le manuscrit de "Scènes", tandis que le manuscrit de "Soir historique" vient d'un document de 2003. Les photographies du début du troisième millénaire sont heureusement de qualité et colorisées visiblement. Le grand regret demeure surtout pour "Mouvement" et le couple formé par "Bottom" et "H". Pour les 24 pages les manuscrits autres que "Génie" liés à l'édition de 1895 par Vanier, les auteurs ont pu demander des autorisations de procéder à de nouvelles photographies auprès de la BNF ou de la "Fondation Bodmer". Toutefois, dans le cas de "Promontoire" où on déplore l'absence des deux pages du manuscrit allographe utilisées par la revue La Vogue, Jacques Bienvenu a fourni récemment sur son blog internet une photographie où les mentions par Vanier ou un de ses employés en haut et en bas du manuscrit sont opposables à l'ensemble par le recours particulier à l'encre brune, ce qui veut dire qu'il fallait encore augmenter la qualité des photographies pour obtenir certains résultats.
Et nous en arrivons à la question des ratures. Sans un nouveau fac-similé de "Mouvement", difficile de débattre sur la mention "au delà" ou "en delà" au vers 19, ou alors on peut travailler avec une bonne loupe, mais ça n'est pas mon cas.
A la fin de la première partie de ce compte rendu, j'ai soulevé la question des corrections. On va quand même essayer de les recenser. J'ai parlé du mot "après" ajouté au-dessus de la ligne puis biffé au tout début du texte "Après le Déluge". Bardel et Oriol étant réticents à parler d'interventions allographes pour l'établissement des textes "sacrés" de Rimbaud, on ne s'explique pas bien pourquoi Bardel considère que le mot a été biffé par les protes de la revue et pas par Rimbaud lui-même. Le mot est abondamment biffé à tel point que le mot disparaît sous un épais rectangle d'encre. Avec quoi le mot a-t-il été biffé ? Avec le crayon bleu qui a servi à écrire "M. Grandsire Neuf Elzévir 2", mention obligatoirement allographe ? Ou bien au crayon ? Ou bien à l'encre ? Sur l'agrandissement du manuscrit que fournit Bardel, on a l'impression de deux traits épais. Une pointe épaisse de crayon ? Ai-je la berlue en croyant que c'est bleuté ?
Sur la page 3 contenant la fin de transcription de "Enfance II", le mot "maisonnettes" est biffé de manière moins appuyé par un simple trait long ondulant pour être remplacé par "loges". Je ne parle pas non plus des cas où des lettres sont repassées. Je cherche directement les passages biffés qui ressemblent au cas du mot "après" dans "Après le Déluge". Les manuscrits sont assez propres dans bien des cas. Pour "Antique", nous avons à nouveau un trait biffé ondulé léger sur le verbe "luisent" écrit par anticipation. Rimbaud a reporté le texte oublié au-dessus de la ligne. Dans le cas de "Départ", nous avons une correction d'une préposition. Le cas est similaire à l'amorce du poème "Après le Déluge" où l'auteur hésitait entre "Aussitôt que" et l'expression "Aussitôt après que" qui a un faux air de pléonasme. Ici, l'expression "sous tous les airs" cesse de plaire à Rimbaud qui lui préfère "à tous les airs". Il a biffé la préposition de deux traits, c'est moins appuyé que pour "après", mais le principe est identique, et ici le caractère autographe n'est pas contestable vu qu'il placé la préposition "à" juste après la mention biffée.
Pour le manuscrit paginé 13, nous avons deux titres avec article "Les Ouvriers" et "Les Ponts", alors que la plupart des titres n'ont pas d'article ou l'enferment dans une locution prépositionnelle : "Après le Déluge", "A une Raison". Le déterminant a été biffé d'un trait fort appuyé pour "Les Ouvriers", ce qui nous laisse avec le titre "Ouvriers". L'article n'a pas été supprimé pour le titre "Les Ponts", Fongaro a jadis expliqué que cela créait un problème d'euphonie : "Ponts". A partir du moment où Bardel considère la correction pour "après" comme allographe, comment peut-il être sûr que cette fois c'est Rimbaud qui a biffé le déterminant pour le titre "Les Ouvriers". Dans le texte des "Ouvriers", il y a d'ailleurs un adverbe "partout" qui a lui aussi été biffé par un seul trait : "partout". Cela tend à conforter l'idée que Rimbaud a biffé lui-même le déterminant et l'adverbe "partout", mais on se retrouve à isoler la mention "après" comme seul cas biffé par une intervention extérieure, alors même que nous avons le cas de la préposition "sous" qui est biffée selon le même principe du double trait dans "Départ". Le titre au singulier "Veillée" sur le feuillet paginé 19 est biffé de trois traits rapprochés qui forment un écran épais. Bardel plaide clairement ici une correction par Rimbaud. Il a donc tout intérêt à souligner que la préposition "après" est biffée d'une manière typiquement rimbaldienne. Le contre-argument, c'est qu'il n'y a pas mille méthodes pour biffer un passage manuscrit. Dans "Barbare", les deux mentions "fournaises" remplacées par "brasiers" sont biffées d'un unique trait léger ondulé. Le même constat s'applique à une part conséquente du manuscrit de "Promontoire" et à deux éléments du manuscrit de "Scènes" où "comédiens" dans "oiseaux comédiens" est remplacé par "des mystères" ("oiseaux des mystères") et "maisons" est remplacé par "salles" pour faire "salles dans l'Orient ancien". Dans le cas de "Mouvement", nous avons une rature assez grossière pour une lettre à peine esquissée devant "par les lumières inouïes", tandis que, par exception, l'expression "Qui est le leur" est biffé par une ligne quasi droite légère doublée d'une ligne toute en courbes. Le titre initial de "Bottom" : "Métamorphoses", repris à Apulée, a été biffé par un trait droit appuyé. Il me semble avoir tout relevé. Je n'ai pas parlé des mots sur lesquels Rimbaud écrit un autre mot, par exemple dans "Jeunesse II Sonnet", Rimbaud écrit "log" et renonce à écrire logique, avec un faux air de "e" en place du "i", et il écrit par-dessus "raison". Ce texte "II Sonnet" pose un problème d'établissement. Je n'identifie pas du tout un "+" sur le manuscrit, mais je n'en débattrait pas ici, et devant "réfléchissent" il y a comme quelque chose de biffé. Il faut dire que le volume fac-similaire n'est pas forcément pratique pour étudier les mots repassés. J'essaierai de reprendre ce sujet à partir d'un agrandissement des fac-similés disponibles sur internet.
Toutefois, je remarque un fait intéressant dans le cas de l'agrandissement du manuscrit de "Génie". Rimbaud a écrit : "les migrations plus énormes que les anciennes invasions", mais ce dernier mot "invasions" repasse sur une transcription antérieure peu lisible et que je n'arrive pour l'instant pas à déchiffrer sur l'agrandissement même en couleurs de l'édition fac-similaire. En revanche, le mot "invasions" a été reporté dans une écriture assez minuscule juste à côté pour rendre lisible ce qui ne l'était pas. Le mot a l'air d'avoir été écrit en bleu par quelqu'un d'autre que Rimbaud, le s en forme de crochet ne correspond pas, si pas avec les "s" de Rimbaud en général, en tous cas avec ceux du manuscrit.
Je parlais du "o" au crayon qui corrige le mot "campagne" de l'expression "la main de la campagne" dans "Vies". Ce "o" est considéré en général comme allographe selon l'idée que des gens qui ne sont pas poètes ont trouvé absurde l'expression "la main de la campagne" et ont cherché à rendre l'expression plus normale : "la main de la compagne". Mais cette correction a été effectuée au crayon. On est dans un cas d'écriture où l'instrument contraste avec l'encre et la plume employées par l'auteur, comme le report du mot "invasions" dans "Génie". Le crayon est un emploi caractéristique des protes, comme je l'ai déjà dit, et cela intéresse la question de la pagination en 24 pages, comme l'idée selon laquelle sur le manuscrit autographe de "Promontoire" Vanier aurait repassé à l'encre brune une mention initiale au crayon du titre "Illuminations" au bas du texte. Au bas de la page 9, nous avons la mention "Arthur Rimbaud" au crayon sur le principe de son report à la fin des transcriptions dans les numéros 5 à 9 de la revue La Vogue. J'ai établi que le crayon pour souligner les titres par des crochets ou des cercles venait de la revue La Vogue, puisque la valeur de titre pour les trois croix de "Ô la face cendrée..." n'avait pas été identifiée par la revue qui n'a pas souligné le passage, alors que Rimbaud avait expressément placé un point de délimitation de titre à la suite de ces trois croix. Toutes les interventions au crayon sont allographes sur les 24 pages. Il serait étonnant que ce "o" soit une exception. Et les rimbaldiens adhèrent de toute façon à l'idée d'une correction abusive allographe. Mais il y a le cas de "Fairy". Le nom de l'ouvrier typographe est transcrit au crayon en oblique et souligné sur le coin supérieur gauche. Le titre est à moitié encerclé sur le côté gauche au crayon. Nous avons une mention au crayon sur les caractères à employer "cap 10" Il y a un I à l'encre en-dessous du titre qui a bien l'air d'être autographe, mais pourquoi ajouter un I au crayon au-dessus du titre. Il ne fait pas que double emploi, puisque le I en-dessous du titre passe au-dessus comme si nous pouvions être indifférents à ce changement de place. A l'encre, Rimbaud a écrit "des cri des steppes", mais il y a un défaut d'accord. Rimbaud aurait dû écrire "cris" au pluriel. Or, une correction en sens inverse a été reportée : "des" est corrigé en "du", sauf qu'on voudrait savoir si le "u" est au crayon comme il me semble ou à l'encre. Le crayon serait une intervention allographe, et la correction à prendre en considération serait d'ajouter un "s" à "cri". Il vaudrait mieux établir que le "u" de la correction est à l'encre pour justifier ce que les éditions ont adopté comme leçon finale : "du cri des steppes".
Le fait rassurant, c'est que les éditeurs prennent peu d'initiatives pour corriger les textes, le "o" pour "la main de la campagne" dans "Vies", le report "invasions" ne corrige pas le texte de "Génie" mais clarifie la lecture d'un passage raturé, enfin il reste la question de "des cri des steppes" avec le choix du "u" pour "du cri des steppes", correction qu'il faut déterminer comme autographe ou allographe.
Je disais avoir relevé tous les passages biffés, mais il faut y ajouter les chiffres romains I et II pour les poèmes intitulés "Villes" au pluriel. Le II est biffé de trois étages de traits légers concis, avec la mention "Villes" qui s'y superpose en tant que correction. Le chiffre I est biffé de quatre traits horizontaux ramassés qui font écran. Accessoirement, quand la revue a souligné le titre, le cercle est passé à son tour par-dessus le chiffre I biffé.
Tous ces éléments favorisent l'idée que Rimbaud ait lui-même corrigé le titre "Veillée" au singulier en "III". Mais la pagination est allographe, et on peut expliquer la superposition du procédé. Le papier était d'un format différent. La pagination à l'encre "18" était pour insister sur l'emplacement d'un papier au format différent. Le manuscrit de "Veillées" I et II était à sa place quant à la création de la série, mais il n'y avait pas de pagination autographe pour autant. Cela crée un a priori favorable dans le cas du feuillet paginé 12.
Cela ne signifie pas pour autant que les 24 pages respectent un ordre initial. Prenons le cas de "Après le Déluge". Puisque le dossier n'était pas paginé, il suffisait de mettre tous les poèmes sur des papiers différents : "Promontoire", etc., par-dessus "Après le Déluge" et nous retrouvions une distinction nette entre la série quasi homogène et les manuscrits aux formats plus divers. Sans pagination, c'était ce qui devait arriver le plus probablement. Grâce à la mention "III" et au titre "Veillée" biffé, malgré le désordre, il était loisible de recréer la série "Veillées". Je précise aussi qu'il n'est pas prouvé que la manière de biffer le titre "Veillée" est spécifiquement rimbaldienne au point de pouvoir lui attribuer sans hésiter.
Le renoncement aux chiffres I et II pour les deux "Villes", une fois que la réalité du recopiage faisait barrage au recoupement tend à conforter l'idée que les séries étaient créées par Rimbaud, puisque cela minimise les possibilités d'intervention des protes de La Vogue. Cela ne veut pas dire pour autant qu'un ordonnancement en recueil résultait de l'opération. Sur ce point, le cas des deux "Villes" sert de contre-argument, puisque le poète renonce à ses recoupements face aux aléas au sens fort d'un recopiage.
Ce qui m'embête le plus, c'est les mentions au crayon pour "Dimanche", "Sonnet", "Vingt ans" et "Tu en es encore à la tentation d'Antoine..." Rappelons que la manuscrit de "Mémoire" a été publié en deux étapes et que les deux pages du manuscrit avaient été séparées. Je me pose des questions sur l'éventualité d'un ou de plusieurs manuscrits perdus que camoufleraient les transcriptions au crayon "I. Fairy", "IV Jeunesse" et "Veillées". Vanier n'a pas publié le poème "IV" avec le titre "Veillées" visiblement. Pensait-il le réunit plutôt aux trois "Veillées". La mention "Veillées" a une écriture qui monte et descend à la manière du titre "Sonnet" pourtant à l'encre, mais il y a des mentions au crayon des protes de Vanier sur le manuscrit : cap 8 à côté du titre "Sonnet" par exemple. Le titre "Veillées" a tout l'air d'être allographe. "Jeunesse" et "IV" sont-ils écrits eux aussi au crayon, oui ou non ? Si on perd le "IV" de "Jeunesse", il y a une anomalie dans le décompte des chiffres romains et une remise en cause du double ordre qu'ils semblent imposer.
Passons à la préface de Steve Murphy, elle s'intitule "Les Illuminations existentielles", titre bizarre et pas très heureux à mon sens. On retrouve l'affirmation classique non étayée selon laquelle les poèmes en vers ne devaient pas être publiés. Certes, en 1875, Rimbaud avait un projet de recueil de poèmes en prose, et au passage précisons que si Verlaine n'avait pas le temps de s'en occuper, ça pouvait être aussi pour des copies mises au propre et mieux ordonnées après des échanges épistolaires avec Rimbaud, mais le fait est que les deux ensembles ont été publiés ensemble et que Verlaine ne s'en est pas offusqué. Il est vrai qu'il n'a rien dit sur les fusions de "Marine" et "Fête d'hiver", des "Ouvriers" et de "Les Ponts", ce qui laisse penser qu'ils connaissaient mal ces poèmes restés trop peu de temps entre ses mains. Bref, il existe une énigme résolue sur la fusion des deux dossiers, même s'il est visible qu'au minimum les deux dossiers devaient plutôt venir l'un à la suite de l'autre qu'être mélangés, puisque la revue a commencé par publier exclusivement les poèmes en prose.
Murphy affirme aussi qu'il est regrettable que d'anciennes éditions fac-similaires toilettaient les textes en enlevant les "inscriptions imputées aux typographes, indispensables pour l'analyse de l'ensemble". Notons que les inscriptions des typographes ne sont pas analysées dans l'édition fac-similaire qu'il préface. Et même qu'elles ont peu attiré sa propre attention ou celles de Bouillane de Lacoste et Guyaux jusqu'à présent. Pour les éléments autographes, je tente des études transversales des éléments biffés qui sont de vraies premières dans l'analyse des manuscrits.
Murphy insiste lourdement sur la pagination tardive des manuscrits, sur divers sujets déjà pas mal connus. Mais, sur la pagination, il ne cite pas les contradicteurs et affirme qu'un ordre éditorial canonique est admis aujourd'hui par la plupart des rimbaldiens. Murphy privilégie plutôt des remarques interprétatives sur les dimensions politiques, sexuelles, etc., de l'oeuvre. Il ne s'affronte pas réellement à la question de l'unité organisée éventuelle du recueil. On sent clairement qu'il est embêté par la question de la pagination, il évite le plus possible d'en parler. On se demande de qui est la bibliographie qui vient après la préface : du préfacier ou des auteurs de l'ouvrage ? Cette bibliographie ne cite pas les articles internet essentiels dans le débat, notamment ceux du blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu, bien que ceux-ci aient été pris en compte par Michel Murat dans le Dictionnaire Rimbaud aux Editions Classiques Garnier et bien que Bienvenu soit cité pour son analyse sur le manque de "f" bouclés dans la lettre à Andrieu de juin 1874. Pourquoi les occulter s'ils ne suffisent pas à ébranler les certitudes du côté de la thèse de la pagination autographe ?
Je suis évidemment opposé non seulement à l'idée d'une pagination autographe en 24 pages, qui plus est incomplète quant à l'ensemble du dossier à publier, mais à l'idée de représenter les traits de séparation dans les éditions. Je lis les transcriptions de Bardel et je trouve ça ridicule. Quel est le gain à la lecture ? On est juste interloqués. Même dans l'enchaînement de certaines transcriptions sur un manuscrit, j'identifie plus un opportunisme de la place à disposition pour recopier un poème. C'est le cas en particulier pour "Conte", "Départ" et "Royauté". Les lectures thématiques proposées par Bardel, Murphy et d'autres pour justifier l'unité du recueil n'ont rien à voir avec l'idée d'une pagination qui ordonnerait le récit des poèmes. Les recoupements thématiques sont lâches dans l'ordre éditorial habituel des Illuminations.
Que ce soit vous ou moi, on va tous mourir sans savoir rien dire d'intéressant sur l'ordre d'ensemble des poèmes dans le modèle éditorial rendu canonique par La Vogue et Vanier, alors qu'on a fait des progrès fulgurants dans la compréhension poème par poème. Rimbaud crée des poèmes, mais créer des recueils, ça n'a pas l'air de lui convenir.
L'ouvrage de Bardel et Oriol préfacé par Murphy a un caractère militant. Le constat est flagrant, il échoue à démontrer le caractère organisé du recueil, à le rendre sensible. C'est un ouvrage qui ne fournit pas une analyse, mais une synthèse de convictions dont le caractère subjectif est facile à pointer du doigt à tout instant. Ce compte rendu en deux parties montre à plusieurs reprises des petites synthèses qui n'ont pas été faites, avec des conclusions qui parfois pourraient être utilisées pour soutenir que Rimbaud est l'auteur de remaniements, de certaines organisations, mais, en conscience, en menant mon travail d'expertise, je n'arrive pas à l'idée objective d'un recueil organisé par Rimbaud, parce qu'il est définitivement criant de vérité que le travail il a été laissé en plan. Le recueil, il est servi en vrac. Que ça plaise ou non ! Et c'est irrémédiable !
 
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Mise à jour 25/12 à midi : il me faudrait mettre la main sur les Œuvres complètes de Rimbaud dans la collection de La Pléiade en 2009 par André Guyaux pour consulter les notices sur les singularités des manuscrits.
A défaut, pour le titre "Jeunesse", j'observe que l'écriture est assez fine, le mot est peut-être plutôt écrit à l'encre. J'attends toujours d'avoir vérifié si l'écriture du "IV" et de "Jeunesse" sont à l'encre ou non. Dans son édition en Garnier-Flammarion des Illuminations, Jean-Luc Steinmetz ne commente pas spécifiquement l'écriture à l'encre ou à crayon du titre "Jeunesse", il ne dit rien du "IV". Je le cite :
 
   Le titre "Jeunesse" a été ajouté au-dessus du chiffre I. Il est d'une écriture différente, dextrogyre. Encre, plume utilisée, écriture paraissent semblable dans Enfance, ViesDépart.
 La deuxième phrase est un commentaire global du texte "-I- Dimanche".
En revanche, j'ai oublié tout à l'heure (et c'est pour ça qu'il est nécessaire d'éditer l'article malgré une vague de lectures précoces) de mentionner d'autres problèmes d'édition du texte de "Jeunesse II Sonnet".
Il me suffit ici de me reporter au livre d'Antoine Fongaro De la lettre à l'esprit. Pour lire Illuminations, paru chez Honoré Champion, en 2004. Ce livre reprend les publications de Fongaro aux presses de l'Université de Toulouse le Mirail de 1985 à 1993 à l'exclusion du livre de 1994 Segments métriques dans la prose d'Illuminations, et y ajoute très peu d'études nouvelles, avec quelques modifications de passages il me semble. Les livres précédents s'intitulaient : Pour lire Illuminations, "Fraguemants" rimbaldiquesMatériaux pour lire Rimbaud et Rimbaud : texte, sens et interprétations. Les livres reprenaient des articles parus dans des revues sur près de quarante années comme dit dans le texte d'ouverture qui a un titre au pluriel "Avertissements". Fongaro s'est penché sur l'établissement du texte "Jeunesse II Sonnet", et je connais très bien cet article qui s'intitule "Illuminations : le texte et l'exégèse" qui a été publié dans la revue Studi francesi en septembre-octobre 1981, à tel point que plus haut dans l'une ou l'autre partie de mon compte rendu je citais de mémoire le paragraphe suivant :
 
   Toutes ces difficultés seraient éliminées par une édition qui donnerait le fac-similé du manuscrit, agrandi, et rendu plus net grâce aux moyens de la technique moderne.
 Le singulier "manuscrit" s'applique à l'ensemble du recueil si on se reporte à ce qui précède la citation : "les textes à la suite les uns des autres". Fongaro donnait sa préférence pour un agrandissement des reproductions photographiques, ce qui le différence du projet de Bardel et Oriol.
Mais, sur "Enfance", je savais que je devais vérifier certains éléments. J'avais déjà remarqué que sur son site internet Arthur Rimbaud, Bardel éditait "A une Raison" en six alinéas au lieu de cinq, mais il a correctement donné cinq alinéas dans l'édition fac-similaire. En revanche, pour "Jeunesse II Sonnet", j'ai mentionné le cas improbable du "+" de la transcription traditionnellement fournie, en oubliant de vérifier si Bardel écrivait "et discrète" ou "est discrète".
A la page 90 de son édition fac-similaire, avec le fac-similé en regard sur la page de droite, Bardel a transcrit ainsi certains passages : "ce labeur comblé, - toi, tes calculs", "est discrète" en sus du signe "+" placé entre "succès" et "une raison".
Dans son article, pages 22 et 23 du livre consulté, Fongaro écrit ceci :
 
[...] Dans le manuscrit de Sonnet (Jeunesse II), il est en effet visible à l’œil nu, et confirmé par la loupe, et donc indiscutable, qu'il n'y a pas de tiret entre "comblé" et "toi" à la ligne 8. Surtout, il est visible à l’œil nu, et confirmé par la loupe, et donc indiscutable, qu'entre "fraternelle" et "discrète" à la ligne 12, ce n'est pas la conjonction et qui figure, mais la forme verbale est ; plus précisément un s a été ajouté par Rimbaud sur le trait qui joint le e au t (ce trait est en général plus long dans la graphie de Rimbaud). Voilà qui change radicalement le texte.
 Au paragraphe suivant, Fongaro commente le prétendu signe + comme la probable "cancellation du début d'une lettre majuscules", "le premier jambage de l'U majuscule" avance-t-il, ce quiu est discutable. De ce fait, Fongaro estime qu'il faut rétablir le point manquant après "succès" et il faudrait transformer en majuscule, un "U" justement, le début de la suite : "une raison..." Et Fongaro met en doute l'interprétation comme un tiret de séparation le signe sur le coin du manuscrit devant "en l'humanité". Bardel n'a tenu aucun compte des remarques de Fongaro. Il a maintenu intégralement tout ce que Fongaro a contesté.
Pourtant, Fongaro a au moins raison sur le verbe "est" et il n'a pas tort de considérer que la trace d'écriture à la ligne 8 est plus une pollution de la transcription cursive qu'un tiret en tant que tel. Seule son analyse du signe "+"' laisse fortement à désirer. Et il soulève une question légitime pour le tiret devant "en l'humanité".
Bardel, comme Steinmetz et la plupart des éditeurs, mettent systématiquement un tiret devant le pronom tonique "toi" : "- toi, tes calculs, - toi, tes impatiences - [...]". Fongaro pense qu'il n'y a que deux tirets qui forment une parenthèse : "toi, tes calculs, - toi, tes impatiences - [...]" Je trouve en effet que la trace sur le manuscrit est bien dérisoire, mais elle coïncide avec l'emplacement du tiret pour la deuxième occurrence "toi", donc admettons de laisser du champ au débat. Pour "est discrète", là Fongaro a pleinement raison, c'est bien ce qui est écrit sur le manuscrit "une (log pour logique biffé) raison (- ?) en l'humanité fraternelle est discrète par l'univers sans images[.]"
 
Pour rappel, dans son édition de 1895, Vanier n'a pas mis de titre au poème IV "Tu en es encore à la tentation d'Antoine..." Il a ignoré purement et simplement le mot au crayon "Veillées". Il l'a donc considéré comme allographe, puisque le mot n'est pas biffé.
Cette même année, un faussaire a rédigé une fausse lettre de Verlaine se plaignant d'un plagiat de Jean Lorrain. Jean-Jacques Lefrère en fournit un fac-similé à la page 1895 de son édition Correspondance posthume 1891-1900 d'Arthur Rimbaud. Sa transcription sur la page de gauche est inexacte. Il manque plusieurs éléments du fac-similé. Ce qui m'a frappé, c'est que, comme ce faussaire publie cela quelques mois avant l'édition de Vanier de 1895 et que de toute façon Vanier n'a pas pas mis à la connaissance du public des photographies des manuscrits, il y a un usage des chiffres romains qui ressemblent un peu au cas de "Génie" et compagnie, mais il y a déjà un modèle relatif avec les séries "Enfance" et "Vies. Le faussaire écrit en l'attribuant à Jean Lorrain un texte "Ecole buissonnière" suivi d'un I, et en face et en vis-à-vis nous avons une colonne de transcription d'extraits de "Après le Déluge" avec là aussi le titre Les Illuminations suivi d'un I. Ces chiffres romains retenaient plus particulièrement l'attention. Je pense sur le modèle prédominant de "Enfance" et "Vies".
 
Pour les feuillets découpés, on peut attribuer à Rimbaud le fait d'avoir découpé celui qui contenait "Fairy" avant une transcription de "Veillées" I et II. Il est peu probable que Vanier ait découpé le manuscrit de "Promontoire" et "Guerre". La revue La Vogue a publié le texte de "Promontoire" à partir d'une copie allographe. Les deux découpages furent le fait de Rimbaud seul. Cela crée un a priori favorable à un découpage par Rimbaud lui-même dans le cas de "Génie" et "Dimanche". Et pour éditer "Génie", il n'y avait aucune raison de coller deux feuillets distincts en un. C'est selon toute vraisemblance Rimbaud lui-même qui a eu la coquetterie de monter "Génie" en un seul feuillet continu grâce à un collage de deux feuillets distincts, et ce montage rendait indispensable de découper sur le second feuillet la transcription de "Dimanche".
Je pense que j'apprendrai finalement que "Jeunesse" et "IV" sont à l'encre et non au crayon. Cela enlèvera l'idée que les éditeurs aient monté des suites pour cacher des numérotations inconciliables avec des lacunes. Mais, pourquoi la revue La Vogue n'a-t-elle pas publié en priorité cette suite numérotée en 1886 ? J'en reviens à l'idée que, paradoxalement, le cas à part des deux suites de chiffres romains les a plus embrouillés comme on dit familièrement que ça ne leur a rendu service.

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