Il y a quelque temps j'ai mis en ligne un article où j'ai comparé la ligne général du récit du XVIIIe siècle de Pitou à Cayenne et je soulignais des faits comparables à Une saison en enfer, comme un retour où il faut chercher les mains amies. Il s'agit du Pitou historique à l'origine du soldat caricatural cité par Rimbaud dans un sonnet. Rimbaud n'a pas forcément lu le récit de Pitou, mais les parallèles de récit offrent des enseignements intéressants en soi.
Je vais proposer un parallèle similaire avec la nouvelle "Ourika" de Claire de Duras. Il s'agit d'un récit assez court et il est en même temps plus célèbre que le témoignage autobiographique romancé de Pitou, à tel point que les Ouvres romanesques sont au programme 2026 du baccalauréat (ou de l'Agrégation ? je ne sais plus). Je connaissais déjà le récit "Ourika", mais c'était l'occasion d'acheter un certain ensemble de ses récits. Je peux déjà dire que "Ourika" me fait une impression bien plus nette que la nouvelle "Edouard" moins originale.
Le récit "Ourika" n'a pas une fin qui m'impressionne tant, mais l'introduction par un autre narrateur et une grande partie du récit à la première personne sont assez saisissants, à la fois pour le style, et là encore "Edouard" ne rivalise pas, et aussi pour les idées de détail. Il faut dire que l'autrice s'identifie par l'âge à son héroïne, le repère des quinze ans vers 1792... Ce qui fait que le récit est sans doute habilement pénétré de considérations personnelles liées à un vécu.
Claire de Duras est proche de Chateaubriand qui d'ailleurs l'a félicitée pour son récit avec une lettre qui semble indiquer que l'introduction a été ajoutée au récit dont Ourika elle-même est la narratrice.
La nouvelle a été écrite en 1821-1822 et a été publiée en 1823-1824. Et elle a eu un certain succès. Un passage est cité comme une source pour Le Rouge et le Noir de Stendhal dans les notes de l'édition Folio. Mais, si je cite dans mon titre Victor Hugo, c'est que j'ai relevé un passage qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un extrait célèbre de la préface en prose des Contemplations : "il savait bien qu'en me parlant de lui, il me parlait de moi, et que j'étais plus lui que lui-même". J'ai automatiquement songé à "Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi !" Et de la préface des Contemplations, on peut passer aux lettres dites "du voyant". J'ai relevé divers échos avec des passages de Rimbaud, une expression qui m'a fait penser à "l'éducation / Des races, des classes et des bêtes" de "Mouvement notamment, mais surtout j'ai pas mal de points de comparaison avec Une saison en enfer. Ourika est une femme d'origine sénégalaise qui a été adoptée par des nobles quand elle n'était encore qu'un bébé pour échapper à l'esclavage, ce qui a une base historique réelle avec des gens identifiables dans l'entourage de la romancière. Cette femme est élevée dans la société distinguée des nobles, et sous la Révolution, alors qu'elle a quinze ans elle surprend une conversation qui lui révèle le drame de sa situation. Son origine lui rend déjà la vie difficile, mais son éducation raffinée va l'empêcher de trouver un mari, alors que moins éduquée elle aurait pu à tout le moins vivre avec un homme plus ordinaire. Elle garde pour elle cette révélation, même si tout le monde sent qu'elle souffre d'un mal inconnu. A la fin de la nouvelle, elle apprend un autre secret qu'elle se cachait à elle-même et qui explique encore mieux ses souffrances, c'est son amour pour le "petit-fils" de celle qui l'a adoptée, amour sans retour pour quelqu'un qui au moment de cette révélation est déjà marié et bientôt père. Il y a plusieurs passages qu'on peut comparer à Une saison en enfer pour le style : "Encore tout enfant..." J'ai des tas de petites amorces que je relève en passant, peut-être pas des tas, mais quelques-unes. Et ce qui m'intéresse, c'est des éléments qui structurent l'ensemble du récit. "Ourika" est écrite sous l'influence de Rousseau, l'auteur des Rêveries du promeneur solitaire et de Chateaubriand, l'auteur de René, et le récit joue sur l'idée de la condamnation éternelle à la solitude, en associant cela à la feuille d'automne, image qui revient en mot de la fin de la nouvelle. Ce motif figure aussi dans Une saison en enfer où le poète se plaint d'avoir toujours été seul, de ne pas trouver une main amie et d'être étranger à la société. Nous avons bien sûr le motif du nègre et de la conversion chez Rimbaud. Le cas d'Ourika est différent, c'est son origine qui fait son mal et elle finit religieuse dans un couvent où son mal achève de l'emporter. Mais malgré les différences d'autres éléments confirment la pertinence d'un parallèle à interroger, puisque comme Rimbaud parle d'un mal qui a creusé ses racines de souffrance, Ourika emploie la même image de la racine de souffrance. Et à la fin du récit, dans les dernières lignes, condamnée à la solitude par son refuge dans la vie conventuelle, elle se définit en "sœur de charité" et dit ceci :
[...] Je vis qu'en effet je n'avais point connu mes devoirs : Dieu m'en a prescrit aux personnes isolées comme à celles qui tiennent au monde : s'il les a privées des liens du sang, il leur a donné l'humanité tout entière pour famille. La sœur de charité, me disais-je, n'est point seule dans la vie, quoiqu'elle ait renoncé à tout ; elle s'est créé une famille de choix ; elle est la mère de tous les orphelins, la fille de tous les pauvres vieillards, la sœur de tous les malheureux. [...]
A la différence d'Ourika qui cultive le désir de mourir, motif hérité de la lecture de Chateaubriand, et de Goethe et d'autres, le poète qui appelle la mort dans "Alchimie du verbe" avec des extraits comparables à certains passages de la nouvelle de Duras, qui parle de sa santé ruinée, usée, menacée, comme Ourika, finit par se révolter contre la mort et dans "Adieu" on a une considération tout autre à propos de la "charité" : "La charité serait-elle sœur de la mort pour moi ?"
Je n'ai pas cherché à mûrir le rapprochement. Je voulais exposer en bref ses traits saillants.
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