jeudi 26 juin 2025

Les Assis, l'enquête par les rimes, vous lirez tout ceci "genoux aux dents" !

J'ai entamé il y a peu une grande enquête sur les sources aux rimes du poème "Les Assis" et je voudrais la poursuivre avec la poésie en vers de Victor Hugo. Je l'ai déjà dit par le passé, peut-être même dans mon article de 2008 paru dans la revue Parade sauvage : l'expression "genoux aux dents" vient du poème "Napoléon II" des Chants du crépuscule.
En parallèle d'une relecture de tout le théâtre en vers du grand romantique, j'ai décidé de commencer par une relecture de "Napoléon II" et partant du recueil Les Chants du crépuscule.
Permettez-moi avant cela de rappeler quelques données.
Au plan formel, le poème "Les Assis" a trois caractéristiques saillantes qui retiennent mon attention de sourcier.
Le premier point marquant, c'est le premier quatrain qui accumule des constituants détachés mis en tête de phrase. Grossièrement, on parlera d'appositions au pronom sujet "Ils" de début de deuxième quatrain, mais cette appellation est contestable. Leconte de Lisle s'essaie à ce mode d'appositions sur des passages en vers très courts, un vers ou deux tout au plus. Il y a une amorce de telle apposition dans le poème de 1870 "Le Forgeron" par Rimbaud lui-même, mais cette façon d'écrire est exceptionnelle et je ne la rencontre pas telle quelle chez d'autres poètes. Je galère à trouver des équivalents :
 
Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D'ivresse et de grandeur, le front large, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là, dans son regard farouche,
Le forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or traînait sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle,
Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux et des choses si drôles,
Que cela l'empoignait au front, comme cela !
 
[...]
 **
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs[,]
 
Ils ont greffé dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !
 
[...]
"Le Forgeron" est un poème en rimes plates, "Les Assis" une suite de quatrains à rimes croisées, mais dans les deux cas les quatre premiers vers forment une série de constituants détachés en tête de phrase qui servent à décrire par anticipation le sujet de la phrase : "Ils" ou "Le Forgeron".
D'évidence, Rimbaud a expérimenté son principe dans le poème "Le Forgeron" et c'est en pensant à ce premier essai qu'il a composé le premier quatrain des "Assis". Vous avez une inversion de l'exaltation à la caricature, du "front large" au "sinciput" et on peut dire aussi que dans "Les Assis" le poète prend en charge de nous dire des "choses si drôles" qui empoignent les "Assis" au front lorsqu'ils les entendent. Le roi face au Forgeron est précisément décrit "debout sur son ventre", autrement dit "assis", ce que le rejet à la césure tourne en fait comique : "debout... sur son ventre", et c'est un équivalent de la satire des assis qui font corps avec leurs chaises, "genoux aux dents". D'autres éléments peuvent retenir l'attention, dans les deux poèmes, il y a une comparaison au genre canin : "comme un chien", "chienne battue", tandis que le peuple "se tordant tout autour" avec "sa veste sale" abandonne cette description désobligeante aux "Assis", avec leurs "pieds tors" et leurs "manchettes sales". Ajoutons que Louis Seize est comparé à un "vaincu qu'on prend pour le gibet", ce qui fait écho à "Bal des pendus" dont nous allons bientôt reparler.
Je fais peut-être fausse route à chercher un équivalent du premier quatrain des "Assis" chez un poète, voire dans un texte en prose, je serais peut-être plus avisé de chercher une source en vers et plutôt même en prose aux quatre premiers vers du "Forgeron".
En tout cas, la comparaison formelle du début du "Forgeron" et du début des "Assis" permet de considérer que nous avons une continuité entre deux poèmes politiques avec pour l'attaque des "Assis" un fort substrat satirique, quand le poème "Le Forgeron" oppose des moments d'éloge à d'autres de raillerie.
Le deuxième point formel remarquable des "Assis", c'est l'abondance de déterminant "leur" : "leurs doigts boulus" et "leurs fémurs" (vers 2), "Leur fantasque ossature" (vers 6), "leurs chaises" et "leurs pieds" (vers 7), "leurs sièges" et "leur peau" (à la rime des vers 9 et 10), "leurs reins" (à la rime au vers 14), "leur siège" et "leurs caboches" dans le quatrième quatrain, "leurs omoplates", "leur pantalon" et "leurs reins" dans le cinquième, "leurs têtes chauves" et "leurs pieds tors" à la rime des vers 21 et 22 puis "leurs boutons d'habit" au vers 23, et puis encore "leur regard" au huitième quatrain et "leurs mentons chétifs" au neuvième, et après cette accalmie nous avons au dixième quatrain : "leurs visières" à la rime suivi de "leurs bras" au vers suivant et enfin "leur membre" au dernier vers du onzième quatrain.
On peut y ajouter pour l'homophonie un pronom leur : "Et les Sièges leur ont des bontés", mais c'est évidemment le relevé des vingt-et-un déterminants "leur" ou "leurs" qui importe.
Pour l'instant, je laisse de côté une enquête sur d'éventuelles sources à ce second procédé formel.
Il y a enfin un troisième procédé formel remarquable, le rejet d'un groupe de deux syllabes avec le nom "dents", procédé qui vient clairement de Victor Hugo et de Leconte de Lisle : "La Tristesse du diable" et "Le soir d'une bataille" (ou "Le Sacre de Paris"), et Rimbaud le réemploie, mais à l'entrevers dans "Oraison du soir" quand il se vante de vivre assis : "une Gambier / Aux dents".
Evidemment, on peut faire d'autres remarques sur des points formels moins marquants, mais saillants tout de même. Par exemple, le premier rejet "bagues / Vertes" poursuit le principe exploré par Rimbaud depuis 1870, et notamment le rejet "table / Verte" du sonnet "La Maline" où le poète est décrit dans une position d'aise allongé sur une chaise. Les rejets de couleur d'une syllabe viennent d'Hugo, Musset, Baudelaire, etc. Je ferai le relevé ultérieurement. Quant à la comparaison : "Comme les floraisons lépreuses des vieux murs", elle n'est pas baudelairienne, mais Gautier emploie pas mal si je ne m'abuse l'idée de "murs lépreux" à la fois dans ses poésies et dans la préface à la troisième édition des Fleurs du Mal.
Il y a un autre point qui peut être considéré comme formel, c'est l'emploi de néologismes : "boulus" et à plus forte raison "hargnosités", ou l'emploi de mots rares dans l'absolu "sinciput" sinon en poésie "amygdales" et "rachitiques". 
Passons maintenant à une étude formelle différente, les sources aux rimes du poème "Les Assis".
Le fait remarquable c'est que comme il est question de doigts crispés à des fémurs, on voit une continuité entre "Bal des pendus" et "Les Assis", et précisément le premier quatrain des "Assis" fournit la rime "murs"/fémurs" que Gautier pratique dans "Bûchers et tombeaux", source au poème "Bal des pendus". Cette rime n'est pas reprise dans "Bal des pendus", mais passe directement aux "Assis". Le lien à Gautier et à "Bal des pendus" permet de dégager l'idée de danse macabre appliquée à ces vieillards qui font corps avec les squelettes de leurs chaises. Rimbaud semble avoir lu plusieurs poèmes où il est question de danse macabre sinon de carnaval, il aurait ramené l'emploi de l'adjectif "épileptiques" du poème "Une gravure fantastique" de Baudelaire et la rime "verts pianistes" /" triste" vient clairement du poème "Variations sur le carnaval de Venise" du recueil Emaux et camées de Gautier avec la rime un peu différente : "guitariste"/"triste". Faute d'apprécier l'idée d'un carnaval des morts, les gens me reprocheront un peu légèrement ce rapprochement. Le poème "Les Assis" n'a pas du tout le même sujet que "Variations sur le carnaval de Venise", on me reprochera sans doute aussi de constater que la rime "bagues"/"vagues" est extrêmement rare chez les poètes du dix-neuvième siècle, à tel point qu'elle est à peu près exclusivement employé à plusieurs reprises par Gautier.
La rime "noirs"/"soirs" est plus banal, mais là encore Gautier l'affectionne particulièrement, parfois au singulier.
Que ça plaise ou non, on constate qu'au-delà de l'élément de rapprochement qui a du sens "les doigts" "crispés à leurs fémurs" il y a plusieurs rimes des "Assis" qui viennent de Gautier et notamment des poèmes de danse macabre, et le recueil Emaux et camées a été en particulier sollicité. Pour le recours à l'adjectif "épileptique", il peut venir de Victor Hugo ou de Leconte de Lisle, la piste baudelairienne n'étant pas exclusive. Leconte de Lisle le fait rimer avec "étique(s)", ce qui nous rapproche de la rime avec "rachitiques" dans la conception.
Et justement, Leconte de Lisle est clef pour les rapprochements à cause des deux poèmes parus en plaquette "Le Sacre de Paris" et "Le Soir d'une bataille" immédiatement à la fin de la guerre franco-prussienne et juste avant la Commune.
La rime "siège(s)"/"neige(s)" vient du "Sacre de Paris" de toute évidence, même si elle se rencontre ailleurs.
Rimbaud a utilisé par ailleurs des expressions à la rime à la fois dans "Les Assis" et "Les Pauvres à l'église". Malheureusement, on ignore dans quel ordre il a composé les deux poèmes. Dans les deux poèmes, le mot "épileptiques" est à la rime, et nous avons une correspondance masculin/féminin à la rime de "chiens battus" à "chienne battue".
On comprend qu'il y a une continuité politico-satirique qui relie "Les Assis" aux "Pauvres à l'Eglise". Et il est question de trouver une place assise à la messe : "Parqués entre des bancs..." est l'attaque même du poème.
Malheureusement, pour l'instant, on découvre les modèles d'écriture de Rimbaud pour les rimes des cinq premiers quatrains, puis ça s'alanguit quelque peu pour les six derniers quatrains.
Premier quatrain Gautier "bagues"/"vagues" et "fémurs"/"murs"
Second quatrain Gautier "noirs"/"soirs" et puis la danse macabre (Gautier, Baudelaire) et le contexte satirique de l'actualité Leconte de Lisle / Hugo et le réemploi rimbaldien : rachitiques/épileptiques.
Troisième quatrain : siège/neige Leconte de Lisle et l'actualité de ses plaquettes en vers, puis la rime "peau"/"crapaud" qui pose le problème de la consonne "d" de "crapaud". Notons que pour "Tremblant du tremblement" je pense à un vers des Châtiments, sans oublier que j'ai d'autres expressions équivalentes chez Hugo à mentionner mais pas à partir du verbe "trembler", à partir d'autres mots.
Cinquième quatrain : Gautier et le carnaval pour "pianistes" et "tristes", mais aussi dans une moindre mesure pour "tambour"/"amour", sauf que la rime "tambour"/"amour" ne vient pas d'une rime telle quelle de Gautier et qu'il y a d'autres idées à creuser derrière.
Pour le quatrième quatrain, "culottée"/"emmaillotée" est une rime inédite, mais "culottée" peut venir d'une mention non à la rime du poème de Gautier "Albertus" qui correspond à une danse macabre, tandis que "emmaillotée" évoque "emmaillota" de "J'aime le souvenir de ces époques nues..." source baudelairienne à "Credo in unam" qui n'est pas sans lien étroit avec l'idée thématique de danse de squelettes mis à nu dans un cadre chrétien et non plus antique.
La rime "reins"/"grains" fait songer au poème "Le Forgeron".
Après, la recherche de sources s'alanguit quelque peu, j'ai mentionné que "corridors" était à la rime dans Emaux et camées, mais ça n'a pas beaucoup d'intérêt. J'ai relevé l'écho de "chienne battue" avec "chiens battus" dans "Les Pauvres à l'église", mais ça nous renvoie à Rimbaud lui-même.
Notons que pour "manchettes sales" le rapprochement avec "veste sale" renvoie à Rimbaud lui-même, mais a du sens.
Pourtant, il y a de belles rimes rares : "virgules" et "libellules" ou "amygdales"/"sales" ou "visières"/"lisières". Le nom "lisière" est à la rime chez Musset notamment, mais je cherche encore et je le fais en lisant progressivement les recueils.
Le mot "entonnoir" fait penser à Hugo.
Notez la rime lever/crever qui est certainement rare à cause de la familiarité du second verbe choisi. Remarquez que le verbe "lever" est lui-même important. Rappelez-vous que dans "Credo in unam" Rimbaud emploie "mamelle" au sein du vers puis le place à la rime avec le nom "Cybèle".
Dans "Les Assis", Rimbaud place d'abord le verbe "lever" en rejet à la césure : "Oh ! ne les faites pas... lever", puis il crée le couple d'infinitifs à la rime : "lever" et "crever", et c'est intéressant au plan sémantique puisque "crever" est l'idée de mort qui met un terme à la vie vécue debout, et "lever" s'oppose bien sûr à "assis". Et on comprend que la perte de la position "assise" pour les "vieillard" serait leur mort, ils en crèveraient.
Donc, pour l'instant, plusieurs rimes échappent à ma recherche de sourcier, il y a aussi "fécondés" et "bordés", "noir" et "entonnoir", "tue" et "battue". Certes, je peux trouver des rimes "chauve(s)" et "fauve(s)", mais il m'en faut d'exploitables, etc. 
Pourtant, je vais vous montrer dans ce qui suit qu'on peut encore progresser de manière convaincante dans ce genre d'enquête, et je vais vous montrer des origines pour l'emploi à la rime de "crever" de "fond des corridors", de la rime finale : "accroupis"/"épis", et je vais même donner l'origine de l'expression à la rime : "prunelles fauves".
Donc, il y a a ce troisième point formel, l'expression "genoux aux dents" à cheval sur la césure. J'ai mis cela en lien étroit avec deux poèmes de Leconte de Lisle : "La Tristesse du diable" et un des deux poèmes parus en plaquette au début de l'année 1871, mais l'expression "genoux aux dents" figure telle quelle dans le poème "Napoléon II" des Chants du crépuscule.
Justement, nous sommes après la chute de Napoléon III en 1871, chute précipitée par la guerre franco-prussienne qui s'est poursuivie par le siège de Paris par l'armée prussienne avant le siège de la Commune par les versaillais.
Dans mon article de 2008 sur les assis, j'insistais sur le fait que la position accroupie concernait plusieurs poèmes de Rimbaud, avec le parallèle de titres "Accroupissements" et "Les Assis", et je citais de nombreuses occurrences du mot "accroupi" dans des vers des Châtiments de Victor Hugo.
Or, dans "Napoléon II", le cinquième poème des Chants du crépuscule, non seulement nous rencontrons l'expression "genoux aux dents", mais nous avons précisément la rime "épis" / "accroupis" que Rimbaud fournit dans l'ordre inverse au dernier quatrain des "Assis" :
 
Au souffle de l'enfant, dôme des Invalides,
Les drapeaux prisonniers sous tes voûtes splendides
Frémirent, comme au vent frémissent les épis ;
Et ce cri, ce doux cri, qu'une nourrice apaise,
Fit, nous l'avons tous vu, bondir et hurler d'aise
Les canons monstrueux à ta porte accroupis !
J'ai envie de dire que "dôme des Invalides" est un peu retourné en caricature avec un "sinciput plaqué de hargnosités vagues". Je perçois un à peu près de calembour autour du mot "Invalides". Le mot "drapeaux" entre en tension avec la rime "peau"/"crapaud" de Rimbaud, et je relève le même jeu de répétition autour d'une comparaison : "Tremblant du tremblement" qui ressemble avant tout à un vers des Châtiments mais aussi, cela n'empêche pas !, à "Frémirent, comme au vent frémissent..." Et ce qui frémit d'aise, c'est les épis, et dans la suite du poème hugolien nous avons ensuite un "cri" qui paradoxalement fait frémir d'aise un tout autre genre d'épis, des "canons monstrueux" et "accroupis".
J'ai bien l'impression que le dernier quatrain des "Assis" épingle précisément ce sizain hugolien :
 
Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule
Les bercent, le long des calices accroupis
Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules
- Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.
 On peut comparer les canons à des "fleurs d'encre crachant des pollens", sinon à des "calices" qui sont comme eux "accroupis". Nous avons une possible parodie d'image militaire : "au fil des glaïeuls le vol des libellules" avec jeu étymologique "glaive" pour "glaïeuls". Et les épis comparés aux canons ne sont plus ceux qui frémissent d'aise mais ceux qui agacent le membre viril de la communauté qui a placé ses aspirations dans un rêve plein d'attentes.
Hugo emploie à une autre reprise au moins la rime "accroupis"/"épis" dans Les Chants du crépuscule. Je vais y revenir.
Mais ce n'est pas tout. Dans le sizain qui suit immédiatement celui que j'ai cité plus haut, vous avez le mot "prunelle" à la rime quand Rimbaud emploie le mot au pluriel mais pas à la rime, sauf que la subtilité c'est que Victor Hugo emploie l'expression "fauve prunelle" à la rime, ce que Rimbaud a retourné en "fauves prunelles" :
 
Et lui ! l'orgueil gonflait sa puissante narine ;
Ses deux bras, jusqu'alors croisés sur sa poitrine,
           S'étaient enfin ouverts !
Et l'enfant, soutenu dans sa main paternelle,
Inondé des éclairs de sa fauve prunelle,
            Rayonnait au travers !
 **
 
Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l’œil du fond des corridors !
 
On passe du regard réel à l'apparat illusoire des boutons d'habit. Notez que deux quatrains après cette scène d'expression de la rage d'avoir dû se lever s'apaisent, ils se sont rassis, puis s'endorment et rêvent précisément de descendance, et on a une correspondance qui va de "bras croisés" au fait de rêver la tête sur le bras :
 
Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières
Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés,
De vrais petits amours de chaises en lisières
Par lesquels de fiers bureaux seront bordés ;
 Je dirais qu'on passe de la noblesse militaire à la noblesse des bureaux, comme il y a la noblesse d'épée et la noblesse de robe.
On comprend aisément que le membre qui s'agace à des barbes d'épis est une parodie de leur rêve de grandeur virile sachant vaincre au combat contre toute une foule.
Vous croyez vraiment que "Les Assis" est la simple charge d'un bibliothécaire de Charleville ?
Il est plus loin question dans "Napoléon II" d'un "front royal qui tremble". Il est question d'un père qui a gagné des batailles créant de "vivantes murailles / Autour du nouveau-né riant sur son chevet[.]"
Napoléon Premier a "fait le monde / Selon le songe qu'il rêvait[.]"
Et tout cela a mal tourné. L'Angleterre s'est emparée de l'aigle et l'Autriche de l'aiglon, et c'est là que Napoléon Premier est décrit de la sorte, dans sa prison de Sainte-Hélène :
 
Cette grande figure en sa cage accroupie,
       Ployée, et les genoux aux dents.
Notez que nous avons à la rime une variante au féminin du mot "accroupis".
Et dans cette déchéance, Napoléon Premier devient "cette tête chauve", mention qui se fait qui plus est à la rime :
 
Le soir, quand son regard se perdait dans l'alcôve,
Ce qui se remuait dans cette tête chauve,
[...]
 
 Je ne sais pas si j'ai raison de mentionner en passant une possible inversion de "Comme des fleurs de pourpre en l'épaisseur des blés ;" à "Comme les floraisons lépreuses des vieux murs", mais notez que la rime "têtes chauves" et "prunelles fauves" vient de "Napoléon II" avec une simple inversion de la deuxième expression, Hugo ayant écrit au singulier à deux endroits distincts : "fauve prunelle" et "tête chauve".
Voilà comment Rimbaud a créé sa rime.
Et le choix du verbe "agacer" au dernier vers des "Assis" vient du quatrain sur le lait de la nourrice :
 
Non, ce qui l'occupait, c'est l'ombre blonde et rose,
D'un bel enfant qui dort la bouche demi-close,
     Gracieux comme l'orient,
Tandis qu'avec amour sa nourrice enchantée
D'une goutte de lait au bout du sein restée
     Agace sa lèvre en riant.
 
On passe de l'empereur en gloire au père Goriot.
Et il n'y manque pas la mention clef de la "chaise", d'ailleurs à la rime :
 
Le père alors posait ses coudes sur sa chaise,
[...]
Le poème médite sur la chute des grands et la fin du poème parle des "révolutions" et des flots qui emportent tout.
Des liens par la rime étant établis entre "Les Assis" et "Les Pauvres à l'Eglise", je vous invite maintenant à vous reporter au poème "Dans l'église de ***" vers la fin du même recueil. Il y est question du calice en tant que calvaire qu'on laisse aux autres, comme plus accessoirement d'un doigt de musicien qui se crispe en jouant au clavier, et le poème offre aussi le second hémistiche "au fond des corridors" :
 
[...]
 
La main n'était plus là, qui, vivante et jetant
      Le bruit par tous les pores,
Tout à l'heure pressait le clavier palpitant,
      Plein de notes sonores,
 
Et les faisait jaillir sous son doigt souverain,
      Qui se crispe et s'allonge,
Et ruisseler le long des grands tubes d'airain
       Comme l'eau d'une éponge.
 
[...]
 
L'église s'endormait à l'heure où tu t'endors,
     Ô sereine nature !
A peine, quelque lampe au fond des corridors
     Etoilait l'ombre obscure.
 
[...]
 
Votre front se pencha, morne et tremblant alors,
         Comme une nef qui sombre,
Tandis qu'on entendait dans la ville au dehors
         Passer des voix sans nombre.
 
                       II
 
Et ces voix qui passaient disaient joyeusement
    "Bonheur ! gaîté ! délices !
 "A nous les coupes d'or pleines d'un vin charmant !
     "A d'autres les calices !
 
[...] 
 
 Rimbaud ne suit pas Hugo qui raille ceux qui jouissent orgiaquement du temps présent au mépris des autres et préfère la prière, mais ces personnages orgiaques représentent l'empire dans Les Châtiments et ce poème semble avoir quelques échos dans "Les Assis", même si cela a été fortement retravaillé et adapté à un tout autre propos.
En tout cas, le poème "Les Assis" est à la fois une danse macabre et un chant du crépuscule, ce que les sources confirment nettement.
Je ne sais pas si Rimbaud pour l'entrelacement des vieux à leurs chaises s'est inspiré du vers suivant de "Les autres en tout sens laissent aller leur vie..." :
 
Votre âme en souriant à votre esprit s'enlace[.]
 Nous avons le "mur sombre" à la rime dans le poème final du recueil "Date lilia" (donnez des lys), quand Rimbaud le décale par un rejet à l'entrevers.
La rime "accroupi"/"épi" a un eoccurrence dans un autre poème du recueil "A Louis B." :
Il est question de graffitis sur une cloche. Hugo ironise: "sillon où rien n'avait germé" bien qu'ils yaient "semé" leur "vie immonde" et cela nous vaut deux vers avec notre rime :
 
D'autres l'amour des sens dans la fange accroupi,
Et tous, l'impiété, ce chaume sans épi.
Pour des détails des "Assis", Rimbaud s'est inspiré d'évidence de ces poèmes "A Louis B." ou "Dans l'église de ***", comme de "Napoléon II", mais il a reconduit la raillerie contre leur culte de la prière dans "Les Pauvres à l'église".
Dans "A Mademoiselle J", il est question de rosée, parfums, etc., qui s'échappent du fond de vingt calices et se répandent sur le sommeil du poète.
 Je remarque un emploi à la rime de la forme conjuguée "creva" dans le poème "L'aurore s'allume", l'emploi n'a rien à voir avec celui de Rimbaud, mais il a pu lui donner des idées, d'autant qu'on peut penser que la rime "lever"/"crever" coïncide avec les emplois "leva" et "creva" de Victor Hugo. La forme "creva" est à la rime dans le poème en vers de cinq syllabes "L'aurore s'allume..." tandis que la forme "leva" n'est pas à la rime, mais à la césure en fin d'un hémistiche clef du premier poème du recueil "Dicté après juillet 1830" :
 
Alors, tout se leva. - L'homme, l'enfant, la femme,
[...]
 
Sublime étincelle
Que fait Jéhova !
Rayon qu'on blasphème !
Oeil calme et suprême
Qu'au front de Dieu même
L'homme un jour creva !
La réflexion sur aube et crépuscule passe clairement du recueil hugolien au poème rimbaldien sous l'angle du combat contre les assis.
La rime "tambour"/"amour" est présente aussi dans Les Chants du crépuscule avec précisément la signification politique qu'il est aisé de soupçonner dans le quatrain l'incluant des "Assis", ainsi dans "Au bord de la mer" :

La clameur des soldats qu'enivre le tambour,
Le froissement du nid qui tressaille d'amour,
[...]
Il est question d'un "grêlon à tous les murs cogné" pour un "Envoi des Feuilles d'automne", ce qui est comparable aux assis "grêlés" se cognant eux aussi,  en tant que "têtes chauves", "Aux murs sombres".
Je dois avoir une autre occurrence de la rime "tambour"/"amour", mais j'ai oublié où. Je rappelle l'intérêt du poème "Conseil" pour lequel j'ai déjà soulevé une source au "Bateau ivre".
Je vais m'arrêter là. J'aurai l'occasion de compléter mon propos. L'article ci-dessus est clairement un coup de massue. La lecture politique des "Assis" de Rimbaud est complètement relancée. Et les rapprochements fournis permettent de cerner pas mal de visées de sens subtiles du poème rimbaldien.

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