Dans un cadre scolaire, Rimbaud a été amené à s'intéresser à des motifs littéraires médiévaux avec la lettre de "Charles d'Orléans à Louis XI" pour la défense de Villon. Et, influencé par des poèmes de Théophile Gautier et la comédie Pierre Gringoire de Banville, dans une moindre mesure par les poésies de Villon lui-même, il a composé "Bal des pendus".
Dans le tome II des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud chez Honoré Champion, édition critique dirigée par Steve Murphy, il est question d'une analyse de cette lettre, devoir scolaire soumis à ses élèves par Izambard. En consultant l'index, je me rends compte que Walter Scott n'est cité qu'à deux reprises dans tout l'ouvrage : pages 376 et 381, ce qui correspond à l'étude par Danielle Bandelier et Denis Hüe de cette fameuse lettre. Toutefois, les mentions de Scott sont purement allusives :
[...] On sait comment Nerval idéalisait un Valois du début du XVIIe siècle : entre Walter Scott et Alexandre Dumas, entre Torquemada et Lorenzaccio, le Moyen Âge et la Renaissance ont pu accueillir les représentations les plus romanesques de l'imaginaire du XIXe siècle.
Trickster au grand cœur, Villon occupe quasiment la place d'un Robin des bois tel que l'a popularisé Walter Scott, à cela près qu'il aussi un poète à la grande sensibilité. [...]
Je ne comprends pas très bien pourquoi nommer de l'anglicisme "trickster" Villon et en faire un modèle de "personnage malicieux et rusé", mais Walter Scott n'est finalement que l'auteur du roman Ivanhoé, l'autre nom de "Robin des bois" en gros, et il est simplement un romancier qui a popularisé les récits se déroulant au Moyen Âge. On sait son influence sur Balzac qui ne reprend pas les sujets médiévaux pour autant, sur Cinq-Mars de Vigny, sur Alexandre Dumas et sur Victor Hugo avec notamment le roman Notre-Dame de Paris. Mais il y a loin du roman Ivanhoé, auquel fait allusion "Dévotion" avec "Aubois d'Ashby", à Notre-Dame-de-Paris. Or, parmi les romans les plus réputés et les plus vendus de Walter Scott, il en est un Quentin Durward qui vaut le détour pour un spécialiste de la littérature du XIXe siècle. Au XXe siècle, les romans de Walter Scott n'étaient guère édités que dans des séries pour la jeunesse, et cela dans des versions allégées. Je possède une telle édition de Quentin Durward qui date de 1959 dans la collection "Spirale". On précise : "Illustrations de P. Leconte", mais il n'est nulle part mentionné le nom du traducteur. Et pourtant, la première phrase est très au-dessus d'Annie Ernaux, Marguerite Duras, Didier Van Cauwelaert, Michel Houellebecq et compagnie, pour ne même pas parler de Jonathan Littell :
A l'aube d'un beau jour d'été, un jeune homme venant de Tours arriva devant le gué d'une petite rivière qui se jette à une lieue de cette ville. Il examina d'abord le courant d'un air soucieux, puis reporta son regard sur la sombre masse du château de Plessis qui, non loin de là, surgissait d'une vaste étendue boisée.Sur l'autre rive, deux hommes conversaient à voix basse en épiant les mouvements du jeune voyageur. Celui-ci pouvait avoir une vingtaine d'années : [...]
Il y a la traduction de Walter Scott, de la littérature, et il y a la basse-cour que je viens de citer, quoi ? Je n'ai jamais compris comment vous faisiez pour ne pas voir le problème...
Ce roman est paru en 1823. Je suppose que les traductions n'ont pas tardé à suivre. Dans sa version de 1959, le roman fournit dès les trois premiers chapitres une ribambelle d'éléments intéressants qui, d'évidence, ont inspiré Hugo, Banville et Rimbaud. On a mention de la forêt de pendus de Louis, d'Olivier-le-Daim et cela est mis en lien avec des bohémiens au sens historique de ceux qui ont emporté Esméralda dans Notre-Dame de Paris. Mais le héros est lui-même dès le début associé à l'idée d'un bohémien et vu son parcours on glisse vers l'idée du sens nouveau du mot "bohémien".
Je ne découvre pas dans le roman de Walter Scott des passages réécrits par Rimbaud dans "Bal des pendus", ni dans sa lettre à Louis XI. Je n'ai pas trop cherché en ce sens de toute façon. En revanche, on a la superposition significative de la forêt de pendus de Louis XI à un mythe de la bohémiennerie, et cela intéresse nécessairement la genèse de l'exaltation rimbaldienne du mythe de la bohème. On cerne les lectures d'enfance qui, au-delà de Murger, Banville et quelques autres, ont fixé la représentation fantasmée dans la tête de Rimbaud.
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Pour rappel, deux articles de Jacques Bienvenu sur son blog "Rimbaud ivre" au sujet de Walter Scott. J'avais complètement oublié l'origine de la phrase recopiée sur le livre de Grammaire de la famille Rimbaud.
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