jeudi 24 juillet 2025

Document rare sur Une saison en enfer - L'Agonie du Poëte Arthur Rimaud du Colonel Godchot

 





Je me suis acheté une mince plaquette assez rare. Il s'agit d'une plaquette du Colonel Godchot qui date de 1937 et je n'ai pas l'habitude d'en entendre parler. Cela s'intitule L'Agonie du Poëte Arthur Rimbaud avec en sous-titre l'objet de l'étude qui est le livre Une saison en enfer même. La mention d'éditeur est amusante : "Chez l'auteur : 4, rue Valentine, Nice" et la deuxième de couverture confirme la drôlerie : "Cette plaquette représente le n°69 de ma revue, directeur : Colonel Godchot". Je ne possède aucun autre ouvrage du colonel Godchot, je n'en ai même jamais lu aucun autre. Je ne connais le personnage qu'à travers les citations d'autres rimbaldiens. L'auteur est plutôt connu pour le livre Arthur Rimbaud ne varietur. D'après la bibliographie de quatrième de couverture, il y a aussi un volume La Voyance de Rimbaud, puis on nous annonce des documents déclarés "Prêts" : un livre en deux volumes Verlaine-Luque-Rimbaud et un ouvrage La rencontre de Verlaine et de Rimbaud.
L'intérêt est ici de référencer un livre d'analyse très ancien portant sur Une saison en enfer. Le livre Une saison en enfer est assez maudit dans les études rimbaldiennes. Les études sur cet ouvrage sont souvent assez verbeuses, jargonneuses avec des théories personnelles fantaisistes : Danielle Bandelier (analyse formaliste qui ne commente pas), Yoshikazu Nakaji (application laborieuse de modèles théoriques universitaires pour des conclusions floues inutilisables), Pierre Brunel (lisible, mais tellement de contresens et d'impressions vagues personnelles), Yann Frémy (concepts délirants : énergie, etc., pour une exploration complètement lunaire du texte de Rimbaud, dont on ne peut rien tirer du tout), livres farfelus récents d'Alain Bardel et d'Alain Vaillant, ou livres farfelus anciens de Jouffroy et d'autres, plaquettes intéressantes mais péremptoires et à thèse de Christian Moncel alias Alain Dumaine, analyse pas trop portée sur le sens et portée à certains contresens de Michel Murat dans l'édition augmentée de son Art de Rimbaud. Il surnage bizarrement les études sur deux numéros de revue de Margaret Davies qui pourtant n'est pas une rimbaldienne en principe très avisée. Je prétends très clairement qu'un article de Jean Molino dans un recueil d'articles sur Une saison en enfer a nui considérablement aux études du livre Une saison en enfer, ce qui nous a éloigné d'un cadre de pur bon sens utile.
Vous allez voir que je vais encore avoir ici du grain à moudre. 



La plaquette du colonel Godchot ne fait que 47 pages, mais l'étude elle-même ne concerne que les 36 premières pages. Des pages 37 à 43, nous avons un second article court : "L'Auto-da-fé d'Une saison en enfer ?" Des pages 43 à 45, nous avons un troisième texte "Mes adieux à Rimbaud" qui se termine par un avis sur Rimbaud d'une femme de la famille du colonel, sa mère ou plus probablement sa femme que sais-je ? Maryse Godchot. On voit dans sa réponse comment Rimbaud est adulé comme génie littéraire en dépit de la réprobation morale : "il m'en est resté une immense pitié pour l'enfant malheureux qui a écrit ce livre", "ce talent précoce a désaxé sa vie", "Trop faible pour atteindre son but, trop intelligent pour ne pas le comprendre, il s'est lancé dans toutes les exagérations", "Il a commis des erreurs. Ses regards et ses souffrances morales les ont effacées", "Il n'étale pas ses vices, il les maudit"... Je relève aussi la comparaison suivante qui m'amuse pour la question du tuteur et la comparaison possible avec "Entends comme brame..." : "Comme le rosier grimpeur qui peut pousser, porter de belles fleurs, mais non se soutenir par lui-même, sans appui, il est tombé à terre où la boue le guettait." Enfin, nous avons une page pince-sans-rire "Hommage à M. Marcel Coulon" datée de janvier 1937. Malgré les mots vifs, Coulon serait "un ami" du colonel Godchot et celui-ci se félicite d'avoir profité pour contredire Coulon de tout ce qu'il avait préalablement défriché.
Mais ce que je vais m'attacher à commenter c'est l'étude principale qui démarre en fanfare à la page 1 : "Donc, le 20 juillet,..." 
 


Je précise tout de même que la revue a un petit défaut d'édition. A la page 4, il manque visiblement une ligne en bas de page avant la citation, nous sommes suspendu à une attaque de mot "exé-" (pour exécrable ou exégèse ?).


A la page 20, deux lignes identiques avaient été reconduites. Deux "t" en attaque de ligne en témoignent. Une mince bande de papier blanc a été collée par-dessus avec le texte corrigé.



L'article du colonel Godchot suit une forme simple et décidément habituelle dans la littérature sur Une saison en enfer. Nous avons une étude introductive de dix ou onze pages, puis un commentaire section par section, Prologue, Mauvais sang, etc., à base de paraphrases. Je rappelle que l'éducation nationale a banni l'exercice de la paraphrase sous le slogan : ça ne consiste qu'à redire en moins bien le texte de l'auteur. Mais cet exercice s'est maintenu pour certains textes littéraires, et tout particulièrement pour Une saison en enfer. A l'époque du colonel Godchot, 1937, la pratique de la paraphrase n'était pas encore nettement mal vue.
Je comprends les défauts de la paraphrase, mais notre époque la fait passer pour une pure aberration, et c'est là que le bât blesse.
Mais ne digressons pas.
Ecrivant en 1937, le colonel Godchot n'était pas pollué par le témoignage du tableau de Jef Rosman que Jacques Bienvenu a clairement démontré être un faux. Il fixe que Rimbaud a quitté l'hôpital Saint-Jean de Bruxelles le 20 juillet et est reparti par Namur, Givet et Charleville pour se rendre à la ferme de Roche à Attigny. Givet est une ville frontalière française où il était normal de passer pour un belge de la province de Namur jusqu'aux années 1980. Sur ce point, le présent article de Godchot est plus fiable que la biographie aux mille erreurs de Jean-Jacques Lefrère.
Mais le colonel Godchot est lui-même problématique dans son récit. Les termes modalisateurs affluent : "forcément", "sans doute", "en supposant..." Le colonel Godchot va critiquer vertement la biographie de "Méléra" et il va aussi critiquer les écrits de Berrichon, mais c'est de cette littérature qu'il critique que le colonel Godchot avance que Rimbaud avait "le bras malade, sans doute en écharpe", puis que le "bras en écharpe" vient de la plume de Berrichon lui-même, comme le montre la citation en note au bas de la page 2 : "il entra dans la maison familiale, le bras en écharpe..."
Vous me direz que c'est un peu insignifiant, mais c'est un détail qui montre que concrètement le colonel Godchot compose à partir d'une littérature qu'il évalue, alors qu'il ne cesse de proclamer qu'il amène la vérité et chasse les mensonges. Le colonel Godchot est également dans le versant interprétatif quand il commente l'accueil de la mère le 20 juillet en n'évoquant que de loin en loin la lettre qu'elle avait envoyée à Verlaine. Je n'ai rien contre le travail d'interprétation, mais il ne peut pas être allusif. On n'est pas obligés de croire sur parole que les pensées et visées de la mère d'Arthur sont celles précises que nous vend le colonel Godchot. Il faut argumenter son point de vue, et tout au long du développement du propos dans cette plaquette le colonel Godchot privilégie les propos à l'emporte-pièce, un sentiment d'évidence que peu de choses étaient, etc.
Comme s'il avait été présent lors de la scène, le colonel Godchot prétend que pour une fois elle s'est retenue de lui envoyer des taloches pour prendre part à l'affliction et l'encourager à se créer un meilleur sort par le travail. L'interprétation n'est pas fort risquée. Ceci dit, Arthur Rimbaud approche désormais des dix-neuf ans, et il vient de passer une longue période de son existence à peu près constamment hors du foyer maternel. Et ce fils a depuis longtemps échappé à son contrôle, à ses ordres. Il est évident que d'une manière ou d'une autre elle composait de manière tactique avec la situation. Elle n'est pas en situation de force pour pouvoir lui envoyer des taloches. Est-ce qu'elle se montre "forte et courageuse contre cette affliction" ? C'est ce que déclare Godchot, mais où sont les preuves ? Loin de se sentir affligée, peut-être qu'elle se dit que l'opération est bonne. Elle est débarrassée de Verlaine, elle peut soupçonner que Rimbaud n'a aucun avenir littéraire en étant au ban de la société des poètes après ce qui est arrivé. Elle doit encaisser que les études c'est terminé pour Arthur, mais elle voit un tournant pour le récupérer et le façonner socialement d'une manière qui la satisfasse. J'arrive sans problème à produire un portrait grinçant qui contraste avec le discours édifiant de Godchot. Moi, je ne sais pas où est la vérité, mais j'ai d'énormes doutes sur la validité critique du raisonnement édifiant à propos de la mère... D'énormes doutes.
Godchot prétend qu'Arthur découvre une "mère nouvelle", ce qui n'a aucun sens. C'est sa mère, il n'en a pas d'autre, qu'il l'aime ou qu'il ne l'aime pas, il compose avec.
Toujours à la première page de son étude, Godchot affirme alors une thèse qu'il ne débat pourtant qu'un peu plus loin. Rimbaud a composé trois chapitres d'un projet de livre en mai, il reprend ce projet où il l'a laissé, il va composer six autres chapitres. Rimbaud avait commencé un "Livre païen ou nègre" en mai 1873, il le reprend après le 20 juillet, et cela deviendra Une saison en enfer. En revanche, le colonel Godchot rejette toute cette littérature romancée qu'on doit à Berrichon et Isabelle et que Yerta-Méléra a amplifiée où Rimbaud aurait été parcouru par des "explosions de douleur", etc. Certes, c'est romancé, mais le colonel Godchot va jusqu'à la fin de non-recevoir pour les délires d'un Rimbaud s'exprimant tout seul dans un délire de désarroi. Mais qu'est-ce qu'il en sait ? Je pense au contraire qu'Isabelle avait constaté ces réactions étranges de Rimbaud. Elle était en âge d'observer un frère qui lui revenait et qui avait été longtemps absent. Le mensonge est plutôt sur l'intensité de la création littéraire à ce moment-là que sur les réactions délirantes de Rimbaud. C'est tout de même violent ce qu'il a vécu et s'engueuler seul à seul avec le sort n'a rien d'exceptionnel. Je pense exactement l'inverse de Godchot : les crises sont romancées mais ont une base sur des observations réelles de la part d'Isabelle, tandis que Rimbaud a très peu écrit sur Une saison en enfer au-delà du 20 juillet, mais ça on en débattra plus loin.
Un fait intéressant aussi à relever : le colonel Godchot admire Arthur Rimbaud, mais parle avec un ton cassant de Verlaine et suppose que Rimbaud est pris lui-même d'une "haine rageuse" contre son ancien comparse : Godchot serait déjà plus prudent d'écrire "rage haineuse" plutôt que "haine rageuse". Rimbaud ne haïssait pas Verlaine, il recopiait de ses poèmes dans les mois suivants et s'intéressait à la publication des Romances sans paroles. De Godchot à Bardel en passant par Fongaro, il y a une thèse de la haine de Rimbaud pour Verlaine qui est une vraie pollution pour les études rimbaldiennes. Le colonel Godchot aux pages 2 et 3 de de son étude passe du mépris pour la sotte et odieuse Méléra à l'appellation "porc" pour Verlaine, au nom de l'interprétation d'un passage de la Saison. L'écrit du colonel Godchot est assez malsain.
Notons que le colonel Godchot signale maladroitement à l'attention que ses réactions critiques sont profondément viscérales : "Déjà, lorsqu'on lisait le Rimbaud de la Méléra, l'indignation surgissait de partout quand elle mentait à propos d'Izambard [...]". Godchot a toutefois le mérite de mettre en garde contre le récit mensonger au registre pathétique soutenu de Méléra, en épinglant la légende de la destruction des volumes du livre Une saison en enfer. Je rappelle que la plaquette se poursuit par un article sur ce mythe d'un "auto-da-fé".
Tout de même par la comparaison d'extraits, Godchot montre bien qu'il y a une amplification anormale quand on passe du texte de Berrichon à celui de Méléra. Partant de ce constat d'exagération, le colonel Godchot se permet alors une conclusion qu'il croit évidente : puisque ces cris de douleur sont de l'invention pure et simple, il faut simplement considérer que Rimbaud "débarrassé de sa Veuve" (notez bien comment Godchot traite Verlaine et oriente l'interprétation par le choix du mot "débarrassé") "va pouvoir tranquillement achever de composer" son "petit ouvrage, dont il avait parlé à son ami Delahaye dans sa lettre de mai 1873".
Suivent des citations de cette lettre. Il s'agit d'un exercice obligé du commentaire sur Une saison en enfer depuis.
Un détail plus intéressant est à relever. Godchot cite un commentaire de Delahaye en note de bas de page :
    La Saison en Enfer est datée par l'auteur avril-août. A mon sens l'ouvrage a été commencé avant le départ avec Verlaine (24 mai 1873). Interrompu, laissé sur le chantier à Roche, puis repris en juillet à son retour de Bruxelles, après le drame. Vous remarquerez, vers la fin du premier tiers (dans Mauvais sang), les mots "on ne part pas, reprenons les chemins d'ici" à partir de quoi le ton change, devient de plus en plus violent et saccadé ! - Quelque chose de dur ayant eu dans l'intervalle.
     Quant à faire allusion à la scène du 10 juillet 1873, il a dû n'y guère penser et, cependant, il parle de sa blessure, ou plutôt des suites morales : "Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de l'encens m'est revenue si puissante..."
     [...]
 
Vous avez la fin de la citation de Delahaye dans une des six photographies plus haut, avec le mot sur un dessin de Verlaine.
Notons que les trois récits sont pour Delahaye trois sections de Mauvais sang, qu'il surexploite un passage absent du brouillon "on ne part pas" et qu'il minimise le décousu dans la suite : "L'Impossible", "L'Eclair", "Alchimie du verbe", "Nuit de l'enfer"... 
En clair, le colonel Godchot reprend telle quelle une simple hypothèse fournie par Delahaye. Rimbaud aurait commencé son récit sous un autre titre en mai, puis il l'aurait laissé en plan, et l'aurait repris à Roche. Le colonel Godchot admet passivement avec Delahaye que Rimbaud ne poursuivait pas ce récit lorsqu'il était à Londres avec Verlaine en juin, et encore moins lors des événements tourmentés du mois de juillet, car cela ne se résume pas au 10 juillet.
Ni Delahaye ni le colonel n'excluent le mois de juin, vu que le témoignage d'un dessin de Verlaine est évoqué, mais en réalité Delahaye et le colonel Godchot font comme si le travail n'avait pas progressé en juin même, puisqu'ils s'en tiennent à trois histoires finies en mai pour une reprise de la suite du récit à la fin de juillet. Le colonel Godchot fait sous-entendre que la présence de Verlaine nuisait à la création du livre Une saison en enfer dans sa plaquette, ce qui va de pair avec sa lecture du livre comme témoignage à charge contre Verlaine.
Il y un autre point intéressant dans la citation faite de Delahaye. Ce dernier n'identifie pas pour autant le "dernier couac" au coup de feu de Bruxelles. C'est très important. L'inventeur même de la théorie d'un récit laissé en plan en mai et repris après la rupture avec Verlaine n'inclut pas le coup de feu comme "le dernier couac", alors qu'il pourrait s'en servir pour commenter non pas les trois récits initiaux, mais au moins les six autres issus du remaniement du projet. Delahaye voit des indices biographique sur le drame de Bruxelles avec "le lit d'hôpital", mais pas avec le "dernier couac". A l'heure actuelle, la plupart des rimbaldiens veulent nous imposer comme une évidence que le "dernier couac" parle du coup de feu de Bruxelles et font de cette citation la preuve ultime que la saison a été essentiellement écrite après le 20 juillet.
Moi, je ne suis pas d'accord du tout avec une thèse qui va contre le sens littéral de la prose liminaire d'Une saison en enfer. Le coup de feu à Bruxelles, c'est Verlaine qui a essayé de tuer Rimbaud. Or, dans Une saison en enfer, Rimbaud décrit explicitement, je dis bien "explicitement !" le "dernier couac" comme la fin du cheminement mauvais que le poète a suivi en se révoltant au point de défier les fusils, les bourreaux, etc. Et c'est suite à ce danger que le poète a cherché des solutions, et que même l'inspiration de la charité a essayé de s'imposer. Or, cette recherche et ce refus de la charité sont racontés dans "Mauvais sang" puis "Nuit de l'enfer", les récits admis comme ayant été composés en mai 1873.
Je ne cesserai de le dire : on déforme la vérité littéraire d'Une saison en enfer en cherchant à tout prix à lire au plan biographique le "dernier couac". Le coup de feu à Bruxelles ne s'inscrit pas dans la logique du texte à deux égards : il n'est pas la suite directe du comportement rebelle de Rimbaud et il ne précipite pas l'écriture du Livre païen ou nègre qui était déjà en chantier. Point barre !
Et ça vaut aussi quelque peu pour le lit d'hôpital. Dans l'économie du livre Une saison en enfer, le lecteur, surtout s'il n'est pas informé, n'a aucune raison de penser que le poète fait comme ça une confidence biographique. Si le poète se décrit sur un "lit d'hôpital", le lecteur comprend que c'est le résultat de tout ce qu'il vient de lire sur le poète dans "Alchimie du verbe" notamment où le poète se dit "malade", puis dans "L'Impossible", etc. Le poète parle de la "folie qu'on enferme", de "Délires". Il n'y a aucune nécessité de lier le lit d'hôpital du récit à une vérité biographique externe. Peut-être qu'il y a un lien, mais cela est à jamais impossible à déterminer : la seule certitude c'est la cohérence du texte que nous lisons. Point barre !
Le texte ne peut pas être moins important que l'information biographique. Point barre !
C'est quoi l'intelligence de lecture, à votre avis ?
Revenons maintenant au propos du colonel Godchot lui-même.
A partir de la page 4, après avoir cité la lettre de Rimbaud à Delahaye de mai 1873 avec la phrase en majuscules : "MON SORT DEPEND DE CE LIVRE", le colonel Godchot enchaîne par une critique ambiguë d'un texte de Marcel Coulon. En clair, Coulon partage l'avis général que le livre païen ou nègre est la genèse d'Une saison en enfer, mais il se met à ergoter dans des directions qui ne plaisent pas à Godchot. Je vous passe les détails sans intérêt. Coulon est convaincu que le livre Une saison en enfer a été écrit avant le drame de Bruxelles, ce serait pour le terminer au plus vite que Rimbaud n'aurait pu se rendre à Bouillon à la rencontre de Verlaine le 18. Là, Coulonb est bien dans les élucubrations gratuites. Coulon pense que toute la saison a été écrite avant le 24 mai et que la mère est prête à financer sa publication. Le propos de Coulon, c'est que la Saison ayant été terminée en mai il est normal qu'elle ne fasse aucune allusion au drame de Bruxelles.
Le texte de Coulon qui est cité est peu clair par ailleurs. Coulon considère que le "dernier couac" peut coïncider avec le drame de Bruxelles, mais comme il n'y a aucune détonation racontée dans "Nuit de l'enfer", c'est qu'on s'est trompés, le livre Une saison en enfer ne parle pas du drame de Bruxelles.
Certes, la lecture forcée d'un récit mené à son terme le 24 mai pose problème, et Godchot va avoir beau jeu de le démolir, mais Coulon n'a pas tort dans le fond. Je commente d'abord les objections de Godchot puis je fixe mon analyse personnelle.
A la page 6 de sa plaquette, Godchot énumère deux preuves. Premièrement, si le prologue parle de "couac" c'est une preuve en tant que telle que la saison n'a pas été écrite avant le drame.
Heu ? Heu ?
Le colonel Godchot devrait apprendre à écrire , et Coulon également. Godchot cite le passage suivant de Coulon sans le commenter :
 
   "Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier COUAC !..." - dit le prologue. Ce DERNIER couac, c'est le 10 juillet qu'il a vraiment failli le faire.
    Eh bien ! dans cette rougeoyante et sanglante NUIT DE L'ENFER l'éclair des détonation[s] ne brille pas. Pourquoi ? Parce que l'autobiographie a fixé un état antérieur au drame. Parce qu'UNE SAISON est écrit définitivement avant le drame."
 
Le texte de Coulon est mal écrit, et le colonel Godchot cite mal puisqu'il ne commente pas les difficultés. J'explique le propos de Coulon : au plan biographique, Rimbaud a failli mourir le dix juillet, mais l'autobiographie, l'ouvrage littéraire donc, a été écrite avant et évoque un point antérieur qui nous est inconnu.
Godchot a compris cela, mais il pourrait au moins prévenir le lecteur, parce que nous lisons une véritable bouillie verbale qui ne laisse pas le temps aux lecteurs pris à témoin le temps de réfléchir !
Godchot fait un débat de deux débiles mentaux. Coulon écrit du charabia et Godchot réplique qu'il est évident que Rimbaud parle du moment où il a frôlé la mort qui était le 10 juillet. Notez que cela ne s'accompagne pas d'une analyse de tout le prologue et de tout le discours d'Une saison en enfer.
Reprenons calmement. Coulon parle d'autobiographie, ce qui crée une distorsion logique dont s'empare implictement Godchot. En réalité, Godchot insulte Coulon de penser qu'il y a un autre moment où Rimbaud a failli mourir puisqu'il semble admettre à la teneur biographique des propos tenus par Rimbaud. Ce qui est évacué, c'est la dimension métaphorique et hyperbolique d'un texte de révolte contre la vie et l'ordre établi. C'est ça le problème de Godchot et c'est ça que Coulon a mal posé. Et tout le texte de la Saison parle de vie et de mort, y compris les récits que Godchot envisagent comme écrits antérieurement au drame de juillet, dont vous allez avoir la liste plus loin. Puis, Godchot ne fait rien d'un point essentiel. Rimbaud prévoit d'écrire un "Livre païen ou Livre nègre", c'est donc qu'il y a un propos, un objectif littéraire, il y a un message déjà conçu, une intrigue déjà pensée. La thèse du remaniement ne saurait remettre en cause qu'il y avait déjà un projet précis.
Le colonel Godchot ou de nos jours Alain Bardel et Alain Vaillant font passer Rimbaud pour quelqu'un qui écrit au fil de la plume. Coulon était un mauvais défenseur d'une vérité de plomb, mais c'est lui qui avait raison, et pas Godchot et tous ceux qui l'ont suivi, Bardel, Vaillant, Brunel, Murat, etc.
C'est du b.a.-ba. Coulon avait le mérite d'envisager l'ouvrage comme littéraire, mais il a mal posé les termes du débat.
Passons à la deuxième preuve de Godchot selon Godchot et pour le profit de la thèse de Godchot en principe.
Godchot affirme que les trois histoires déjà créées sont "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" et "Délires II". Godchot déclare pour preuve que les brouillons détenus par Verlaine qui ont été publiés en 1914 correspondaient à ces trois textes.
Sauf que Godchot cite maladroitement pour preuve le témoignage de Cazals qui parle de brouillons remis à Verlaine en juin ou juillet 1873, alors que dans sa lettre à Delahaye de mai Rimbaud parlait de trois récits déjà finis.
Godchot n'a aucune preuve que Rimbaud n'a rien écrit de sa lettre à Delahaye au départ d'Angleterre de Verlaine, sans oublier que les manuscrits peuvent aussi avoir été remis à Bruxelles.
Avec "Alchimie du verbe" comme ayant été composé en mai 1873, la légende du remaniement complet du projet tomberait à l'eau, soit dit en passant. Qui plus est, les brouillons n'offrent pas le texte de "Mauvais sang", mais la réunion en un seul récit des sections 4 et 8, et notons que dans le texte définitif les termes "païen" et "nègre" prédominent justement dans les parties de "Mauvais sang" dont Verlaine n'a pas reçu de brouillon.
Puis, le fait que Verlaine possède de tels brouillons ne cadre pas avec l'idée d'un règlement de comptes pur et simple entre les deux poètes.
Bref, rien ne tient dans le raisonnement de Godchot qui est pourtant à peu près celui des rimbaldiens actuels, moi excepté.
Les brouillons sont la preuve que l'écrite se poursuivait en juin et ils prouvent aussi que "Mauvais sang" n'était pas un seul récit initialement. En réalité, nous avons avec la lettre à Delahaye et les brouillons détenus par Verlaine la certitude que Rimbaud avait composé trois récits fondus en un seul "Mauvais sang", puis un récit "Fausse conversion" devenu "Nuit de l'enfer" et un récit "Alchimie du verbe". Ce n'est pas tout, le récit de "Alchimie du verbe" n'est pas complet, il manque le début, et il ne manque que "Vierge folle" où Verlaine était censé s'identifier de manière désagréable, il n'est pas faux qu'il ait eu de bonnes raisons de s'identifier à ce personnage à une époque où il se plaignait de son maquereau Rimbaud qui le lui rendait bien. En clair avant le drame de Bruxelles, Rimbaud avait déjà écrit et dans un état proche du définitif tout ce qui va de "Mauvais sang" à "Alchimie du verbe". Il n'est même pas exclu qu'il avait déjà composé "L'Impossible" dont l'écriture est si proche de récits de "Mauvais sang". En-dehors de "L'Impossible", il reste trois récits assez courts : "L'Eclair", "Matin" et "Adieu" dont on ne peut en aucun cas soutenir qu'ils impliquent une refonte du projet en regard de toutes les autres sections déjà rédigées.
On a les preuves absolues que le projet n'a pas été remanié au-delà du 10 juillet, sachant qu'avec sa blessure au poignet la justice avait admis pour Rimbaud qu'il lui était pénible d'exercer son métier d'homme de lettres...
Il y a un moment où il faut un peu de bon sens. Oui, Coulon a raison, même s'il part dans une thèse précise malheureuse, de soutenir que pour l'essentiel Une saison en enfer a été conçue avant le drame de Bruxelles.
Godchot parle ensuite de la datation "avril-août 1873", mais sa thèse qu'il tient de Delahaye estr plutôt "avril-mai" et "20 juillet - fin août 1873". Et vous sentez bien la différence qu'il y a entre la thèse de Godchot et la mention plus vague "avril-août 1873", parce que trois histoires étant déjà rédigées avant la fin de mai, avant la mi mai d'ailleurs, Godchot se débarrasse de toute la période qui va de la mi-mai à la fin-juin, il se débarrasse de la période de début juillet où Rimbaud est seul en Angleterre ou sur un bateau. Il se débarrasse aussi de l'idée simple que Rimbaud a trouvé un éditeur à Bruxelles entre le 10 juillet et le 20 juillet, ce qui est l'explication la plus naturelle, la plus logique, la plus vraisemblable, et qu'il simplement terminé son ouvrage ensuite en un mois, avec finitions, relectures.
Tout ce pur bon sens, le colonel Godchot et ses suiveurs rimbaldiens n'en font rien, mais rien, mais absolument rien...
Pour expliquer que Rimbaud ne reprenne qu'à Roche son projet, Godchot ne le dit pas explicitement, mais il s'appuie sur une thèse sinon contradictoire du moins paradoxale, la phrase de Rimbaud de la lettre à Delahaye : "Comment inventer des atrocités ici ?" L'idée, c'est que Rimbaud repart en Angleterre avec Verlaine pour y trouver son lot d'atrocités et comme cela finit très mal il revient à Roche où il ne saurait inventer des atrocités, mais où il pourra les coucher tranquillement par écrit.
Je vous laisse juger de la haute volée de cette thèse sur la création littéraire...
C'est bien ce qu'écrit Godchot :
 
   Donc, Rimbaud repart, va au-devant de nouvelles atrocités... Mais il ne se doutait guère qu'elles se termineraient par un coup de revolver. Et alors, rentré à Roche, le 20 juillet, il se met définitivement au travail, il n'a plus à ménager le "pitoyable frère", c'est un "Porc" et il achève les six histoires qui devaient compléter Une Saison en Enfer
 C'est la base de la lecture des ouvrages récents d'Alain Vaillant et d'Alain Bardel, mais certainement pas la mienne. Godchot est assez malhonnête, notez la mention du "Porc". Godchot veut nous faire entendre subrepticement que Rimbaud a pu rajouter la phrase : "j'ai aimé un porc" dans la version définitive, puisque nous possédons le brouillon du passage correspondant qui avait été dans les mains de Verlaine, sauf que la mention "j'ai aimé un porc" n'y figure pas. Méfiez-vous de l'écriture du colonel Godchot, il est clairement vicieux. Il distille son venin selon moi à trop gros sabots, mais l'histoire littéraire montre que ses mauvaises intentions sont passées comme une lettre à la poste, puisque les thèses malsaines de Godchot d'un écrit purement à charge contre Verlaine sont dressées en consensus par les représentants de la revue Parade sauvage.
Pourtant, cette thèse de Godchot se poursuit par l'idée que réfutent pourtant les rimbaldiens, celle d'un livre d'adieu à la vocation littéraire, et cela dans des termes édifiants de récupération moralisatrice :
 
Son enfant reconnaît ses fautes, récite son mea culpa et prend par écrit l'engagement solennel d'abandonner cette vocation littéraire qui le perdait.
 
 
 Ce livre "prouvera en tout cas que tout ce qu'a fait Arthur, Arthur ne l'aurait pas fait s'il eût obéi à sa mère." L'obéissance de l'écrivain à sa "biblique mère" ! Voilà la thèse de Godchot.
Godchot suppose ensuite que la mère n'a pas réellement lu l'ouvrage, malgré le témoignage d'Isabelle en ce sens, mais à quoi bon en débattre ?
 Godchot se demande assez vainement pourquoi Rimbaud n'est pas allé plutôt éditer son livre à Paris, et la réponse qu'il trouve devrait lui valoir de gagner son poids en cacahuètes : - parce que Rimbaud a gagné une réputation sulfureuse dans la capitale belge, ce qui est une bonne publicité.
Notons qu'en 1937 Godchot est également convaincu qu'il faut changer le titre erroné de Verlaine "Illuminations" par celui des "Hallucinations".
Alors, j'en suis à la page 11 et il nous reste à commenter l'étude de Godchot section par section, mais j'ai envie de faire une pause.
Je vais simplement faire remarquer ceci pour ma conclusion provisoire. A propos de ce qu'il nomme le "Prologue", Godchot fait une analyse incorrecte de l'enchaînement des aliénas comme tous les autres rimbaldiens sauf moi.
Je cite Godchot :
 
   Alors ayant failli être tué, il a songé à rechercher la clef, c'est-à-dire, les motifs du festin heureux de jadis, espérant y reprendre appétit et vie. C'est qu'alors on pratiquait la charité ou la charité chrétienne ?... Oh ! non !... Cette inspiration prouve bien qu'il avait rêvé.
   Aussi le démon qui dominait son rêve lui crie : Reste hyène... [...]
 
Donc, je vous explique encore une fois l'évidence.
Oui, le festin est le mythe inculqué par le christianisme d'une charité et d'une vie de concorde prénatale. Oui, la clef du festin ancien se présente comme étant la charité, ce qui fait que Rimbaud la rejette instinctivement et déclare qu'il a rêvé ! Mais, Satan ne dominait pas le rêve du poète. Le poète a rêvé qu'il existait un festin ancien chrétien, il rejette comme un rêve chrétien le premier alinéa. Et le premier alinéa n'es pas sous le signe de Satan, vous allez donc apprendre à lire enfin les uns les autres, b... de m... !
Satan intervient parce que le poète rejette le "dernier couac" qui était la dernière étape à suivre de sa révolte contre le "festin" ancien.
Vous êtes bêtes pour ne pas savoir comprendre ça à la lecture ! Est-ce que vous êtes bêtes ? Et même définitivement bêtes, puisque vous n'arrivez pas à corriger votre lecture ?
Etes-vous bêtes ? Très bêtes ? férocement bêtes ?
Ne me dites pas : "Pas du tout !" 
Il faut vraiment être bête pour ne pas savoir lire correctement la prose liminaire d'Une saison en enfer. Ce n'est pas hermétique à ce niveau-là.
Et la beauté, ce n'est pas la poésie comme le dit Godchot, c'est la beauté de la concorde chrétienne bien sûr.
Enfin, bref !
 
Quelques coquilles ci-dessu, mais bye ! 

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